II. UN PAYS EXSANGUE QUI CHERCHE À SÉDUIRE LES INVESTISSEURS
A. UNE ÉCONOMIE EXSANGUE
Le coup
d'Etat militaire accompagné de la prise de pouvoir par les islamistes,
la poursuite de la guerre dans le Sud qui prive le pays d'une grande partie de
ses provinces utiles et les défauts de paiement accumulés par le
Soudan depuis une dizaine d'années, ont privé le pays des flux
d'aide et des capitaux nécessaires à son développement
(suspension de l'aide publique française en 1989 et de l'aide
européenne en 1990). Ce pays, autrefois décrit comme " le
grenier à blé de l'Afrique ", est aujourd'hui incapable de
nourrir sa population.
Ecrasé par une dette extérieure évaluée à 24
milliards de dollars, le gouvernement consacre les devises de ses exportations
au financement de la guerre, qui coûte un million de dollars par jour.
Dans ces conditions, le maintien du lien avec la communauté
financière est difficile. Inéligible aux ressources ordinaires du
FMI depuis 1986, puis suspendu du droit de vote en 1993, le Soudan a
régulièrement été menacé d'exclusion du
Fonds depuis 1994. Ayant interrompu ses remboursements en août 1996, une
procédure d'exclusion n'a pu être évitée
qu'
in
extremis
grâce au soutien financier de la Malaisie.
Depuis lors, le Soudan a signé une lettre d'intention avec le Fonds en
mai 1997 et se soumet au programme défini (réduction des
déficits, de l'inflation, privatisation d'entreprises publiques, etc.).
Et de fait, les résultats macro-économiques du Soudan pour
l'année 1997 sont satisfaisants. L'inflation a ainsi été
ramenée à 40 %, alors que le taux d'inflation a toujours
excédé 100 % depuis 1992 (sauf en 1995 : 68 %). Le taux
de change est en voie d'être stabilisé, la balance des paiements
s'est améliorée et le déficit budgétaire a
décru. Le FMI devrait ainsi pouvoir examiner à l'automne 1998 la
conclusion d'un accord avec les autorités soudanaises sur un programme
à moyen terme (1999-2001).
Toutefois, ces résultats encourageants semblent avoir été
obtenus, pour l'essentiel, par la chute de la consommation intérieure et
par une politique stricte de contrôle des changes et des prix. La
libéralisation économique qui a suivi le coup d'Etat du
général el-Béchir a gravement affecté les
conditions d'existence des couches urbaines. La vigoureuse politique agricole
qui a été lancée aurait pu améliorer la production
et la vie dans les campagnes mais ces espoirs ont été
démentis faute d'investissements substantiels. Or, les installations
d'irrigation mises en place par les Britanniques entre Nil bleu et Nil blanc
dans la plaine de la Ghezira sont gravement détériorées.
Nos différents interlocuteurs font ainsi état d'une forte
diminution du niveau de vie de la population. Les produits de première
nécessité deviennent inaccessibles, des pénuries sont
signalées dans les magasins, les services publics sont hors d'usage ou
trop chers. Un ticket de bus coûte ainsi le montant du salaire journalier
moyen. Les fonctionnaires ne sont pas ou peu payés. Enfin, le PIB par
tête n'était en 1997 que de 475 dollars, soit un des plus
faibles du monde.
Ni le réseau fluvial vers le Sud, ni le réseau routier
limité au Nord ne sont en mesure d'assurer les flux économiques
dans le pays, délabrés par manque de pièces de rechange ou
interdits d'emploi pour cause de guerre. Le Nil, lien mythique entre le Nord et
le Sud du pays, n'est emprunt que par les seuls convois de barges militaires
qui mettent des semaines pour relier Khartoum à Juba. Les trois barrages
principaux alimentant le Soudan utile, c'est-à-dire la capitale et les
régions de l'Est, ne fonctionnent que de façon saisonnière
et les quelques centrales thermiques autour de Khartoum sont tributaires des
livraisons de fuel par les pays amis. L'électricité est une
denrée rare et la situation énergétique est catastrophique.
La situation du réseau routier est aussi critique. Il est
constitué essentiellement par l'axe Khartoum-Port Soudan, d'environ
1 200 kilomètres. Commencé au début des années
1970 et achevé en 1980, cette artère commerciale n'a jamais
été restaurée et demeure très dangereuse à
la circulation. La liaison avec l'Egypte, par Wadi Halfa n'est toujours qu'un
mirage. Enfin, le Sud reste totalement enclavé : l'interruption
pour cause de guerre des travaux du canal de Jongleï
37(
*
)
et l'impossibilité d'y exploiter
les indices pétroliers accentuent la cassure économique avec le
Nord.
La guerre et la situation économique désastreuse ont
incité quatre millions de Soudanais à quitter le pays pour
l'étranger, notamment l'Egypte, où ils emploient souvent des
postes de cadres. Quatre autres millions ont fui les zones de guerre pour se
replier vers l'intérieur des terres.
B. LE SOUDAN EST À LA RECHERCHE D'INVESTISSEURS
1. Un pays potentiellement riche
Le
Soudan bénéficie d'un des plus importants potentiels de
développement agricole du continent africain : 84 millions
d'hectares de terres cultivables et 80 millions d'hectares de pâturages.
15 % seulement du potentiel agricole sont utilisés soit 30 millions
de feddans sur 200 millions de feddans de terres arables.
Malgré la sous-exploitation des ressources hydrauliques, 20 % des
terres sont irriguées. La Gezirah entre le Nil Blanc et le Nil Bleu
constitue ainsi la plus vaste zone agricole irriguée au monde, avec
880 000 hectares et plus de 100 000 agriculteurs. Le secteur agricole
représente 37 % du PIB et contribue à 80 % aux
exportations soudanaises (sésame, arachide, coton, gomme arabiques...).
Par ailleurs, le Soudan possède un riche sous-sol ; divers
gisements de minerais ont été identifiés : or,
amiante, chrome, manganèse, gypse, mica, talc, fer, plomb, uranium,
zinc, cuivre, cobalt, granit, marbre, nickel, argent et étain. Mais
seules des réserves de chrome, de gypse et d'or sont exploitées
actuellement.
S'agissant des ressources pétrolières sur lesquelles les
autorités fondent beaucoup d'espoir, la concurrence que se livrent les
différentes compagnies pétrolières internationales laisse
supposer que les gisements ne sont pas sans intérêt.
Officiellement, les réserves du Soudan s'élèvent à
900 millions de barils. Le gouvernement escompte atteindre l'autosuffisance
dès juin 1999 et commencer à exporter 150 000 barils par
jour à partir du mois de septembre de la même année, et
250 000 barils/jour au bout de deux ans.
2. Le poids des Chinois, des Malais et des Canadiens dans l'économie soudanaise
A la
suite de l'isolement dont il a fait l'objet sur la scène internationale,
le Soudan a opéré une réorientation économique vers
l'Asie où il recherche un soutien diplomatique, ainsi que des
investissements et une aide financière.
Une ambassade a ainsi été ouverte en Corée du Sud tandis
que celle de Beijing était considérablement
étoffée. La visite de M. Ji Pei Ding, adjoint au ministre
des Affaires étrangères chinois, à Khartoum, le 26
février 1998, a été l'occasion de passer en revue les
champs nombreux de la coopération bilatérale.
Par ailleurs, l'intervention de la Malaisie dans le règlement de la
crise avec le FMI en janvier 1997 en fait aujourd'hui un partenaire
économique privilégié : elle s'est ainsi vue octroyer
un très gros contrat pétrolier et une banque soudano-malaise a
été constituée, sans doute pour préserver les
avoirs du FNI en cas de crise politique majeure à Khartoum.
M. Mohamed Mahathir, premier ministre malais, a effectué une visite
au Soudan du 13 au 15 mai 1998.
En outre, plusieurs compagnies sont déjà présentes au
Soudan, dans le secteur pétrolier, pressentant un potentiel important
pour l'avenir.
Ainsi, en 1992, le consortium pakistano-canadien
Arakis Energy
Corporation
a obtenu une licence d'exploitation pour prendre le relais de
Chevron
38(
*
)
à El Muglad,
à 200 kilomètres d'Heglig dans le Haut-Nil (production de
10 000 barils par jour).
La
Gulf Oil International (GOI)
est impliquée dans la remise en
service des trois puits de Chevron dans la région d'Adaryed (province du
Haut Nil), auxquels viendront s'ajouter 13 nouveaux forages sur un gisement
estimé à 182 millions de barils. Pour ce faire, la GOI a
déjà construit 110 kilomètres de piste reliant les champs
pétroliers au port de Melut sur le Nil blanc. La société
appartient à 54 % à la compagnie nationale qatarie de
pétrole, à 30 % à la
Petronas
malaise,
8 % à la compagnie nationale soudanaise et enfin 8 % à
la société privée
Sudanese Concorp
.
Les principales opérations d'exploration, de construction et de
production dans les concessions de Heglig et de Unity sont confiées au
consortium GREATER NILE PETROLEUM OPERATING COMPANY (GNPOC) créé
en 1997. Le gouvernement soudanais y est présent à hauteur de
5 %. Les Chinois sont majoritaires avec 40 % des parts
détenues par la
Great Wall Company
, associés aux malais
Petronas/Carigali
(30 %) et à la société
canadienne Arakis (25 %). C'est la première fois que la Chine
exporte le savoir-faire de sa société nationale.
Un autre programme concerne le forage de cent puits d'extraction, dont un
certain nombre sont déjà réalisés à El
Muglad dans le Sud-Kordofan
. Schlumberger
et
Géoservices
sont sous contrat avec la
GNPOC
sur le site d'El Muglad pour les
forages, l'évaluation des ressources, la cimentation des puits. La piste
d'Heglig a déjà été agrandie pour accueillir les
avions de l'armée avant la construction programmée d'un
véritable aéroport.
Le 26 mai 1998, les travaux de l'oléoduc de 1 610 kilomètres
qui doit relier les champs pétroliers de l'Ouest (Sud Kordofan) à
Port-Soudan, ont commencé. Cet oléoduc doit permettre
d'évacuer la production de brut de la compagnie canadienne
Arakis
sur les gisements de Heglig et Unity dans la région de Bentiu. Sa
construction regroupe des multinationales argentine, britannique, malaise,
chinoise et allemande. Le maître d'oeuvre est le consortium
GNPOC
.
Le calibre inhabituel de la canalisation (28 pouces) s'explique par la
prépondérance des Chinois qui ont créé un
marché captif de pièces détachées. De plus, ils ont
importé la totalité des ouvriers du chantier (un million de visas
auraient été demandés aux autorités consulaires).
Malais et Canadiens participeront à la commercialisation des produits.
Enfin, le gouvernement soudanais a lancé la construction de deux
raffineries à Jailli et à Port Soudan. Ces deux unités,
dont la première est actuellement en chantier, doivent permettre au pays
d'économiser 300 millions de dollars d'importations annuelles
d'hydrocarbures.
Avec ces programmes, le Soudan escompte exporter 150 000 barils de
pétrole par jour en juillet 1999 depuis le puits de Muglad.
3. La position modeste de la France
Dans le
passé, la France a joué un rôle non négligeable dans
le développement du Soudan. Ainsi, alors que la paix régnait dans
le Sud du pays et que les relations politiques bilatérales se
développaient, le Soudan a bénéficié de cinq
protocoles financiers (1978-1983) d'un montant total de 860 millions de francs,
auxquels s'ajoutaient 284 millions de francs de prêts. En 1979 notamment,
un prêt de 150 millions de francs fut octroyé au Soudan afin de
financer la part rapatriable en devises incombant à ce pays dans le
cadre du projet soudano-égyptien de creusement du canal de Jongleï,
opération menée par un consortium d'entreprises françaises
dirigé par la société des Grands Travaux de Marseille
(GTM). Elle mit fin aux travaux en 1983, lorsque la guerre civile reprit dans
le Sud du pays.
Par ailleurs, dans le cadre des mesures de Dakar, le Soudan a
bénéficié d'une annulation de créances
françaises pour un montant de 380 millions de francs. Les
arriérés de paiement se situent à ce jour à environ
2,1 milliards de francs.
En revanche, depuis le coup d'Etat du général el-Béchir le
30 juin 1989, les relations politiques, économiques et
financières bilatérales entre la France et le Soudan sont assez
limitées. L'aide publique française a été suspendue
dès après le coup d'Etat, seule une aide humanitaire étant
maintenue. Par ailleurs, compte tenu de ses difficultés
financières récurrentes, le Soudan est interdit de garanties de
crédit COFACE depuis 1978. Enfin, le commerce extérieur
franco-soudanais est très réduit par comparaison avec les autres
pays arabes, bien qu'il dégage un excédent régulier en
notre faveur (plus de 200 millions de francs). Signalons en outre, pour le
symbole, qu'en fermant sa liaison bi-hebdomadaire avec le Soudan, Air France a
laissé le champ ouvert à la Lufthansa et à KLM.
Ce qui n'empêche pas la France d'être aujourd'hui le
3
ème
fournisseur du Soudan, après l'Arabie saoudite et
la Grande-Bretagne (5,5 % environ des importations totales soudanaises).
Les exportations françaises sont constituées pour plus de la
moitié de produits agro-alimentaires (farine, blé tendre,
produits phytosanitaires, etc.). Les exportations de produits industriels sont
diversifiées, relevant d'opportunités ponctuelles de contrats
(biens d'équipement, génie civil, véhicules de
transport...). La France importe essentiellement des produits agricoles :
huiles brutes, tourteaux, gomme arabique et sucre.
La France est en particulier présente dans le secteur minier à
Hassaï, dans l'Etat de la Mer Rouge, où la société La
Source, dont le BRGM est actionnaire, exploite en joint-venture avec le Soudan
(
Ariab Mining Company
) une mine d'or, que la délégation a
visitée et dont la production pour l'année 1998 devrait
s'élever à 5 tonnes. Il convient toutefois d'observer qu'à
l'instar de ce qui s'est passé dans la mine de Yanacocha au
Pérou, le BRGM semble progressivement se désengager de
l'exploitation de cette mine pourtant très rentable en perdant, au
gré des augmentations de capital, la majorité au sein de la
société La Source
39(
*
)
au profit de son partenaire australien
Normandy.
Par ailleurs, Gec-Alsthom a obtenu un contrat dans le cadre de la
réhabilitation du barrage de Roseires à Damazin.
Parallèlement, la France soutient une action de coopération
culturelle, scientifique et technique non négligeable, pour un montant
programmé de 3,33 millions de francs en 1998. La coopération
culturelle et linguistique, qui représente un budget d'un peu plus de 2
millions de francs, est notamment mise en oeuvre à travers le Centre de
coopération culturelle et linguistique créé en janvier
1997.
L'enseignement et la diffusion de la langue française constituent la
priorité de cette coopération. En effet, l'introduction d'un
enseignement obligatoire de français dans le secondaire en 1996, ainsi
que la décision prise par le ministère de l'enseignement
supérieur et de la recherche du Soudan de prendre en
considération les notes obtenues au baccalauréat soudanais
à l'épreuve de français pour l'entrée à
l'Université ont conduit à accroître le nombre
d'étudiants en français et ont pour conséquence une
pénurie d'enseignants.
Le Centre de coopération culturelle finance ainsi plusieurs bourses
linguistiques en France, au profit soit d'étudiants (8 stages de deux
mois), soit d'enseignants (15 stages de deux mois). Parallèlement,
l'Alliance française accueille environ 500 élèves par an
et organise des actions culturelles diverses (accueil de spectacles...).
Enfin, la coopération scientifique et technique se traduit par des
actions diversifiées (formations doctorales en recherche agronomique
entre l'Université de la Gezirah et différents partenaires
français, soutien de différents projets et bourses...) et la
France accorde une aide alimentaire de 18 millions de dollars au Soudan, dont
les populations du Sud sont les principales bénéficiaires. Cette
aide a été fournie dans le cadre de l'Union européenne,
des agences de l'ONU, notamment le PAM qui assure un pont aérien pour
venir en aide aux populations du Bahr el-Ghazal ou d'accords bilatéraux.
Le capital de sympathie dont jouit la France auprès de la population
soudanaise, grâce à la renommée des ONG françaises
et à l'action vigoureuse de notre Ambassadeur, devrait lui permettre de
retrouver un rôle économique important dans, la reconstruction du
pays une fois que la paix sera rétablie. Sont en particulier
portés au crédit de la France ses actions de coopération,
ses investissements passés et sa position modérée dans les
instances internationales.
Parmi les projets potentiellement prometteurs pour la France, mais
gelés, soit en raison de la guerre, soit en raison de l'opposition des
autorités soudanaises, il faut citer :
- l'exploration de la concession de 120.000 km
2
détenue par
Total dans la région de Bor ;
- la culture du blé sur surface irriguée par
Rhône-Poulenc ;
- la construction d'un tronçon d'autoroute de 120 kilomètres
entre Khartoum et Port-Soudan.
Les autorités soudanaises reprochent en particulier à la France
sa position diplomatique trop timorée qui l'a conduite à refuser
l'attribution de visas à des ministres soudanais désireux de
venir en France.