Prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) D'abord ne pas nuire. C'est ce principe qui a animé notre réflexion sur la transidentification des mineurs. Témoin de la hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les enfants et les adolescents, surtout les filles, le groupe Les Républicains a jugé nécessaire de mettre en place un groupe de travail en mai dernier. Nous avons auditionné, six mois durant, 67 experts français et internationaux, relayant tous les points de vue : médecins, associations, parents, institutions, chercheurs... De ce travail est issu un rapport, qui aborde le sujet dans ses multiples dimensions : scientifique, historique, sociologique, philosophique, etc.
La prise en charge de ces mineurs fait débat, car elle n'est pas sans incidence sur leur santé physique et psychologique.
Le rapport émet quinze préconisations visant à protéger ces mineurs vulnérables ; elles portent sur les domaines scientifique et médical d'une part, et d'autre part sur les domaines scolaire et administratif. Celles qui relèvent de la loi sont déclinées dans cette proposition de loi, cosignée par 102 sénateurs Les Républicains.
Ce texte n'est ni un texte transphobe...
M. Xavier Iacovelli. - C'est bien caché !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - ... nous rejetons sans détour les discours haineux et les discriminations ; ni une volonté de psychiatriser la transidentité ; ni une atteinte aux droits de l'enfant de grandir et se construire dans un environnement serein et protecteur.
N'en déplaise à certains, les conclusions de nos travaux n'étaient pas écrites à l'avance. (M. Adel Ziane se gausse.) Seuls l'intérêt de l'enfant et la prudence les ont guidées. Cette prudence nous oblige à écouter les inquiétudes de médecins, à alerter sur le rapport bénéfice-risque de traitements dont la réversibilité n'est absolument pas certaine.
Nous avons été conspués, insultés, mais nous sommes ici pour encadrer les pratiques médicales concernant les mineurs uniquement.
En commission des affaires sociales, le texte initial n'a quasiment pas été modifié. (On se gausse sur les travées du groupe SER ; Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol éclatent de rire.) Il encadre la prescription des bloqueurs de puberté et interdit aux mineurs les traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre ainsi que les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle.
Il prévoit aussi la mise en place d'une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, dont les défaillances ont été reconnues par la Cour des comptes dans son rapport de mars 2023. Certains y ont vu un retour aux thérapies de conversion. L'accompagnement pédopyschiatrique d'un mineur qui exprime un mal-être reviendrait à lui faire subir une thérapie de conversion ? Qui peut cautionner un tel mensonge ?
Le devoir du législateur est de se saisir des sujets de société qui ont des conséquences sur l'avenir, surtout s'agissant des adultes de demain.
Le professeur de philosophie Jean-François Braunstein considère que la transidentification des mineurs est un problème de santé publique. Il note l'écho en France de doctrines philosophiques, apparues à l'étranger, qui tendent à repousser sans cesse les limites. Il évoque la théorie woke, dont l'une des thèses principales est la théorie du genre qui dénonce « la fausse dichotomie entre le féminin et masculin ».
Le sexe biologique est une réalité indiscutable, inscrit dans nos gènes. Il n'y a pas de sexe « assigné à la naissance ». En France, 180 enfants environ par an naissent avec une variation du développement génital. Les 730 000 autres naissent avec un sexe de fille ou de garçon.
Alors que plusieurs pays européens précurseurs dans l'administration de traitements médicaux chez les mineurs font machine arrière, il nous semble urgent que la France adopte un principe de précaution.
Le rapport du Dr Hilary Cass, publié en avril 2024 en Angleterre, commandé en 2020 par le National Health Service, a eu un retentissement international et conforte notre position de prudence. Il préconise une approche holistique du jeune et un dépistage des conditions neurodéveloppementales et de la santé mentale. Ce rapport a été salué par la rapporteur spéciale des violences contre les femmes et les filles auprès des Nations Unies, Mme Alsalem.
Lors de son congrès de mai 2024, l'Assemblée médicale allemande demande au gouvernement fédéral de revoir la prise en charge actuelle des mineurs. Dans sa déclaration du 6 mai 2024, la Société européenne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent demande l'arrêt des traitements expérimentaux et inutilement invasifs pour les jeunes dysphoriques de genre.
Cette proposition de loi évitera à des mineurs en questionnement de genre de regretter des traitements ou chirurgies faisant suite à un mauvais diagnostic, comme nous l'avons entendu en audition. La parole et le ressenti de l'enfant ne peuvent être considérés comme aussi mûrs que celui de l'adulte, sachant que le cerveau arrive à maturité à 25 ans. (Mmes Mélanie Vogel et Émilienne Poumirol secouent la tête.)
Nous regrettons les attaques de certaines associations activistes qui manient la menace et l'intimidation. Le courage politique consiste à résister. (Murmures sur les travées du groupe SER) N'acceptons pas la caricature et la confiscation du débat, sur un tel enjeu de santé publique.
Cette proposition de loi n'a d'autre ambition que de sécuriser le parcours des jeunes, la pratique des médecins et le rôle des parents, de donner un cadre dans lequel la liberté des jeunes en construction puisse pleinement s'exercer, sans qu'un jour ils regrettent d'être allés trop loin, trop vite, trop tôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi a deux objectifs, que notre commission a souhaité mieux distinguer : l'encadrement de la prise en charge médicale des mineurs en questionnement de genre d'une part ; l'amélioration de la situation délétère de la pédopsychiatrie d'autre part.
Les définitions internationales ont évolué dans le sens d'une dépsychiatrisation de la dysphorie de genre. L'OMS a exclu l'incongruence de genre des troubles mentaux ; elle la définit comme « une incongruité marquée et persistante entre le genre auquel une personne s'identifie et le sexe qui lui a été assigné », accompagnée d'une détresse significative.
Difficile d'estimer sa prévalence en France, mais on observe une forte croissance du nombre de prises en charge : entre 2013 et 2020, le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) pour « transidentité » a été multiplié par dix pour approcher 9 000. Environ 3 % sont mineurs - mais le nombre de ceux-ci augmente vite : huit mineurs en ALD en 2013, 294 en 2020.
Ces mineurs sont principalement suivis au sein de services hospitaliers spécialisés, où des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) précèdent toute décision thérapeutique importante. Ils peuvent également être suivis en ville, sans les mêmes garanties.
Il y a quatre modalités de prise en charge : soutien psycho-social ; bloqueurs de puberté ; traitements hormonaux pour développer les caractères sexuels secondaires du genre d'identification ; actes chirurgicaux de réassignation - si les opérations pelviennes ne sont pas pratiquées avant 18 ans, certaines opérations mammaires peuvent l'être.
La prise en charge médicale n'est qu'un élément, facultatif, du parcours de transition. Il y a aussi la transition sociale, protégée par la loi pénale qui punit toute discrimination fondée sur l'identité de genre, et la transition administrative, facilitée par le législateur : ainsi, la modification de sexe à l'état civil ne requiert plus une chirurgie de réassignation.
L'article 1er initial entendait interdire l'ensemble des traitements et interventions pratiquées dans le cadre des parcours de transition des mineurs. L'article 2 assortit ces interdictions de sanctions pénales.
Le législateur ne doit intervenir dans la pratique médicale que guidé par d'impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Sans le cas d'espèce, plusieurs études récentes tendent à justifier cette intervention. Le rapport Cass souligne la faible qualité des études sur l'efficacité des bloqueurs et traitements hormonaux. En Suède, le Conseil national de la santé et du bien-être recommande de mieux encadrer les prescriptions.
Si les bloqueurs de puberté sont réversibles, ce n'est pas le cas des hormones croisées, susceptibles d'avoir des effets définitifs sur la voix, la pilosité faciale ou, à terme, la fertilité du patient.
Nous parlons de mineurs, fragiles à l'adolescence. Selon une pédopsychiatre auditionnée, les demandes de réassignation peuvent être liées à un mal-être adolescent ou à des antécédents complexes. L'Académie nationale de médecine recommande de prolonger autant que possible le suivi psychologique et de ne prescrire de traitements qu'avec prudence. Des cas de regrets et de détransition sont documentés.
D'où la nécessité d'encadrer cette prise en charge par la loi, en conciliant deux impératifs : soulager les souffrances des patients et limiter autant que faire se peut le recours à des thérapies irréversibles sur des mineurs en développement, susceptibles de les regretter.
La commission a souhaité permettre la prescription de bloqueurs de puberté, dans des services hospitaliers de référence assurant une prise en charge pluridisciplinaire. Reconnus comme réversibles, ils laissent le temps au patient mineur d'apprécier ses besoins avant d'aller plus loin.
En revanche, elle a adopté l'interdiction de prescrire des hormones croisées et de procéder à des opérations de réassignation sur des mineurs. Ces traitements difficilement réversibles voire définitifs doivent être mûrement réfléchis.
Cela n'empêchera nullement une transition administrative ni d'accompagner le mineur dans son questionnement et, le cas échéant, dans son parcours de transition sociale.
Enfin, la commission a souhaité un réexamen de ce texte cinq ans après sa promulgation, pour tenir compte des recommandations actualisées de la Haute Autorité de santé (HAS).
L'article 3 a pu surprendre ; il prévoit une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie. Il n'est pas question de repsychiatriser la transidentité, mais la dégradation de la santé mentale de nos jeunes est un enjeu de santé publique. Les symptômes anxiodépressifs chez les moins de 17 ans ont doublé entre 2017 et 2022, touchant 10 % d'entre eux. L'offre de soins est insuffisante et inégalement répartie sur le territoire : les délais d'attente vont de six à dix-huit mois.
Il est urgent d'agir, c'est pourquoi la commission souscrit à cet article. Elle a ajouté deux volets relatifs à la formation des professionnels et à la revalorisation de la pédopsychiatrie. La mise en place de cette stratégie ne pourra qu'améliorer le bien-être des mineurs en questionnement de genre, population particulièrement vulnérable : les troubles psychiques y sont fréquents, souvent associés à la stigmatisation. La dépsychiatrisation ne doit pas conduire à les priver d'accompagnement.
Ce texte nous semble nécessaire pour mieux encadrer, avec tolérance, la prise en charge des mineurs concernés. Il apportera une première réponse aux difficultés structurelles de la pédopsychiatrie. La commission vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention . - L'identité de genre est une question personnelle et intime, objet de nombreuses controverses, ce qui impose une approche médicale, scientifique et objective.
Nos jeunes ont besoin d'écoute et d'accompagnement.
La question relève d'abord du domaine médical. C'est pourquoi la HAS travaille à l'élaboration de recommandations sur la prise en charge des personnes transgenres. À titre personnel, j'estime que la discussion aurait gagné à ce qu'on attende l'avis de la HAS. (Marques de satisfaction sur les travées du GEST) Il est prématuré de légiférer maintenant (protestations sur les travées du groupe Les Républicains), d'apporter une réponse politique sans consensus scientifique et médical sur cette question sensible.
Je rétablis certaines vérités. Très peu de mineurs transgenres sont concernés par les transitions médicales.
Il ne faut pas confondre l'affirmation sociétale des questions de genre et la situation des personnes qui se sentent appartenir à un autre genre que leur sexe biologique. Établir un lien entre les deux tend à accréditer l'idée d'une « mode ». (M. Xavier Iacovelli le confirme.) N'alimentons pas l'idée selon laquelle un phénomène sociétal conduirait des jeunes à demander, un peu légèrement, à bénéficier de traitements qui ne sont pas anodins.
Selon les spécialistes de la santé de l'enfant, la fréquence dans la population des personnes qui se vivent comme appartenant à l'autre sexe demeure constante depuis des décennies, autour de 0,1 ou 0,2 %.
Leurs souffrances, réelles, justifient un accompagnement et une prise en charge. Celle-ci repose sur une évaluation globale, y compris psychologique, une exploration de genre, une transition sociale, et enfin, l'accompagnement au parcours de transition.
Ce n'est qu'en seconde intention qu'est envisagé le traitement par bloqueur de puberté. Selon la Défenseure des droits, en France, seuls 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté, dont la réversibilité est prouvée.
En France, aucune chirurgie pelvienne d'affirmation de genre n'est actuellement pratiquée avant 18 ans. Enfin, ces transitions sont toujours subordonnées à l'accord des titulaires de l'autorité parentale et au consentement du patient mineur.
Ne sous-estimons pas les risques : toute interdiction emportant des risques de contournement, cela pourrait inciter à des soins à l'étranger avec beaucoup moins de contrôle. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Cette proposition de loi interroge la liberté de prescription des médecins. Le code de la santé publique n'interdit la prescription que pour les stupéfiants - sans l'assortir de sanction. La responsabilité civile du médecin peut être engagée. La création d'un délit autonome au sein du code pénal en cas de violation, par un médecin, d'une interdiction de prescription, constituerait un précédent préoccupant. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Enfin, les auteurs du texte proposent une stratégie nationale pour renforcer l'offre de pédopsychiatrie. Le Gouvernement partage la volonté d'améliorer la prise en charge des enfants et adolescents victimes de troubles psychiques, d'autant que troubles de l'humeur et tentations suicidaires sont en forte augmentation chez les jeunes.
Toutefois, cette proposition de loi n'est pas le vecteur approprié, l'OMS considérant que l'incongruence ou la dysphorie de genre ne relève pas des troubles mentaux. Des dispositions relatives à la pédopsychiatrie n'ont donc pas leur place dans un texte sur la transition des mineurs.
En revanche, les souffrances psychiques des adolescents concernés peuvent être aggravées par l'impossibilité de bénéficier d'un accompagnement adapté. L'utilité d'un accompagnement psychologique en cas de transition, surtout pour les mineurs, fait d'ailleurs consensus.
Au reste, le Gouvernement n'a pas attendu cette proposition de loi pour renforcer la pédopsychiatrie. La feuille de route de 2021 pour la santé mentale et la feuille de route 2024-2030 pour la santé de l'enfant intègrent des mesures destinées à améliorer la prise en charge de la santé mentale des enfants et des adolescents. La nouvelle stratégie proposée risquerait donc d'être redondante. Enfin, le prochain CNR Santé mentale permettra d'apporter des réponses complémentaires pour la santé mentale des jeunes.
Oui, ces traitements médicamenteux posent des questions sensibles s'agissant de mineurs : ils interviennent chez des adolescents en construction, portent sur une composante de l'identité et répondent à une expérience vécue qui peut être difficile à comprendre par les personnes non concernées. Il faut donc infirmer l'idée que l'accès à ces traitements serait banalisé et se ferait en première intention.
Nous avons observé avec intérêt les débats en commission et le vote de la mesure réservant la prescription des bloqueurs de puberté à des centres de référence spécialisés. Pourtant, est-ce à la loi de définir ces pratiques ? Cela devrait rester une question médicale et scientifique.
Notre priorité est et sera toujours le bien-être et la santé de nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par Mmes M. Vogel, Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mme Senée.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre (n° 623, 2023-2024).
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol, Laurence Harribey, Patricia Schillinger et M. Bernard Buis applaudissent également.) Pour tenter de vous convaincre de rejeter cette proposition de loi dont l'adoption ferait de la France le pays d'Europe le plus restrictif en matière d'accès aux soins des mineurs trans, je vous parlerai de la vraie vie.
Dans la vraie vie, de vraies personnes seraient affectées par le vote de cette loi, ainsi que les personnes qui les aiment et les professionnels qui les suivent.
Car, dans la vraie vie, les personnes trans existent : elles ne sont ni une idéologie, ni une tendance, ni une mode, ni un syndrome, mais des personnes humaines aussi légitimes, aussi dignes, aussi normales que les personnes cisgenres.
Il y a autant de parcours de transition que de personnes trans. Mais il est clair que la puberté est pour nombre de personnes trans le moment où pensées suicidaires, mutilations et détresse psychologique explosent. Deux tiers des jeunes trans ont pensé au suicide et un tiers ont fait une tentative, principalement entre 12 et 17 ans.
Les bloqueurs de puberté, empêchant la puberté vers le genre non désiré le temps que le jeune confirme son désir de transition, sauvent des vies tous les jours. Ils permettent aussi - puisque cela vous obsède - d'éviter des chirurgies en aval.
Ils doivent donc pouvoir être prescrits au moment nécessaire - que, par définition, la loi ne connaît pas. J'insiste : les bloqueurs de puberté sont des traitements temporaires.
M. Stéphane Ravier. - C'est faux !
Mme Mélanie Vogel. - Dans la vraie vie, non, il n'y a pas de plus en plus de personnes trans. Comme il n'y a pas eu de plus en plus de gauchers en France quand on a cessé de contrarier les enfants qui écrivaient de la main gauche, comme il n'y a pas de plus en plus de couples gays et lesbiens depuis le mariage pour tous...
En réalité, ces personnes, c'est vous qui les voyez enfin. Mais que les personnes trans se cachent un peu moins vous est insupportable. (Marques de dénégation à droite ; M. Jean-Marc Boyer proteste avec énergie.) Pourtant, nous devrions être fiers que davantage de personnes osent affirmer qui elles sont !
Dans la vraie vie, le nombre de personnes qui reviennent sur leur transition est ultramarginal, bien inférieur, par exemple, au nombre de personnes, notamment mineures, qui regrettent d'avoir eu des enfants - et ça, c'est vraiment irréversible. Par ailleurs, pour l'écrasante majorité des personnes qui reviennent sur leur choix, c'est du fait de la transphobie. Et pour les quelques personnes qui le font librement, qu'est-ce que cela vous fait ?
Dans la vraie vie, il n'y a pas, en France, de chirurgie génitale sur des mineurs - sauf pour les enfants intersexes, et sans leur consentement.
Si votre intention était vraiment de protéger les enfants, vous prôneriez des séances d'éducation à la parentalité qui expliquent la transidentité ou voteriez des crédits pour former les enseignants et les professionnels de santé à l'accompagnement des transitions !
En réalité, vous n'avez pas de problème avec les bloqueurs de puberté prescrits à des enfants cis qui ont trop de poils, ou pas assez. Ni avec les chirurgies de réassignation génitale sur des enfants intersexes qu'on mutile pour correspondre à une norme. Ni avec les chirurgies d'affirmation de genre sur des personnes cis qui veulent des seins plus gros ou des jambes plus longues.
Tant que la médecine permet de faire rentrer les individus dans une norme qui vous convient, vous trouvez cela très bien. Mais si elle permet à des gens de vivre libres et heureux sans être ni cis, ni hétéro, ni binaire, vous ne pouvez pas le supporter ! (Protestations à droite)
Les personnes trans existent : ni vous ni aucune loi n'y pourrez rien.
M. Bruno Retailleau. - Évidemment !
Mme Mélanie Vogel. - Ce que la loi peut décider, c'est si ces personnes vivront dans la misère et la peur ou dans la liberté et la sécurité.
Madame Eustache-Brinio, la principale des différences entre nous, c'est que jamais je ne déposerai une proposition de loi pour porter atteinte à vos droits fondamentaux ni à ceux de quiconque. Car nous, féministes, humanistes, personnes LGBT, n'irons jamais marcher contre vos droits, celui que vous avez de vous marier avec un homme, d'avoir des enfants avec lui, d'être reconnue comme fille puis femme. Mieux, si un jour arrivait au pouvoir quelqu'un qui cherchait à vous interdire de vous marier avec qui vous le souhaitez, d'être respectée pour qui vous êtes, nous marcherions pour qu'on vous en rende le droit.
La communauté LGBT ne demande, inlassablement, qu'une chose : l'égalité - y compris pour les enfants.
J'ai dans ma famille une petite fille trans, que j'aime infiniment. Sa première alliée, c'est sa soeur. Car pour agir avec bienveillance et respect, il ne faut pas plus que la maturité émotionnelle et l'intelligence relationnelle d'une petite fille de 8 ans et demi, à qui on n'a pas appris à haïr et qui n'a pour sa petite soeur que son amour.
Les alliés des mineurs trans, ce ne sont pas vos transactivistes, un lobby woke ou des militants radicalisés, mais avant tout les personnes qui les aiment. Pour faire partie de ces gens-là, je veux vous dire que je ne suis pas angoissée par l'éventuelle transition de cet enfant, qui nous a demandé ne plus jamais dire qu'elle est un garçon, car, selon ses mots, c'est dégoûtant. Elle n'est pas malade, elle n'a pas de problème ; elle est très bien comme elle est.
Ce qui m'angoisse et qui angoisse tous les parents de mineur trans qui respectent leur enfant comme il est et toutes les personnes qui aiment ces jeunes, c'est de ne pas pouvoir totalement les protéger des gens comme vous. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI ; protestations à droite)
J'ai dû expliquer à ma nièce, qui avait surpris une discussion entre sa mère et moi, ce que j'allais faire cet après-midi : son regard quand elle a compris que des gens importants voulaient rendre la vie de sa petite soeur plus difficile m'a causé une douleur qui ne me quitte pas.
Quelle vie pensez-vous que ces jeunes puissent s'imaginer dans un monde où des adultes cherchent à les empêcher d'être qui ils sont ? Ces débats ne sont pas inoffensifs : ils nourrissent la souffrance et la haine.
À toutes les personnes trans de ce pays, je dis : si vous avez peur, sachez que vous n'êtes pas seuls ; que nous sommes de nombreux parlementaires à être inconditionnellement avec vous, à considérer de notre devoir de démocrates et d'humanistes de conquérir pour vous de nouveaux droits.
Vous n'êtes pas un problème ; la transphobie est le problème. Soyez fiers d'être qui vous êtes ! Ensemble, nous atteindrons l'égalité. (Vifs applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI ; Mmes Silvana Silvani et Olivia Richard applaudissent également.)
M. Alain Milon, rapporteur. - Votre motion appelle au rejet du texte au motif qu'il serait contraire au droit à l'autodétermination des mineurs concernés et empêcherait la prescription de traitements efficaces. Or ce texte consacre l'existence de centres de référence spécialisés, qui amélioreront la prise en charge des mineurs et de leurs parents. Il est sans conséquence sur la liberté des mineurs d'entreprendre une transition administrative et sociale.
Il vise seulement à différer la prescription de médicaments et la réalisation d'interventions irréversibles. Des équipes pluridisciplinaires spécialisées prendront en charge le mineur et sa famille et essaieront, dans le temps, de poser un diagnostic - ce qu'elles font déjà, sans être reconnues. Celles que j'ai rencontrées m'ont dit qu'un diagnostic précis prend au moins deux ans.
Les bloqueurs de puberté sont, certes, prescrits de longue date, mais dans d'autres indications. Dans le cas de la dysphorie de genre, des publications récentes pointent le manque d'études de qualité. C'est pourquoi la commission a prévu une clause de revoyure dans cinq ans, pour tenir compte de l'avancée des recherches.
Le Sénat doit mener à terme le débat sur ce texte extrêmement important. Avis défavorable à la motion.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Sagesse.
M. Yan Chantrel. - Les personnes directement concernées étant invisibilisées, je partagerai avec vous le témoignage de Maël, qui a commencé sa transition étant mineur.
« J'ai, personnellement, été très bien entouré, mais le parcours reste semé d'embûches et de vexations. L'obstacle principal consiste à obtenir un rendez-vous avec des professionnels compétents, ce qui renforce le sentiment d'isolement. Je trouve cette proposition de loi et la haine que nous subissons scandaleuses. Je le ressens comme une atteinte à ma liberté et mon intégrité. Si la loi était adoptée, je me sentirais blessé et stigmatisé. Si j'étais encore mineur, cela m'aurait humilié et j'aurais peut-être dû entrer dans l'illégalité pour continuer ma transition. »
Maël est mon neveu. Je mesure concrètement les conséquences dévastatrices de votre entreprise idéologique.
Notre rôle n'est pas de rendre la vie de ces personnes impossible, mais de les accompagner dans le respect de leurs droits. Nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur de nombreuses travées du GEST)
M. Ian Brossat. - Nous parlons d'enfants et de jeunes qui s'interrogent sur leur identité de genre. De quoi ont-ils besoin ? De bienveillance et d'accompagnement.
Ce texte propose au contraire d'interdire et de sanctionner. Loin de protéger ces jeunes, il les fragiliserait à l'âge, toujours compliqué, de l'adolescence. C'est pourquoi nous y sommes très opposés.
S'il y a un drame, ce n'est pas que des jeunes se posent des questions, mais que ces interrogations engendrent souvent violences, insultes et transphobie. C'est contre cela que nous devrions tous nous mobiliser ! Nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
M. Philippe Grosvalet. - Le RDSE, une fois n'est pas coutume, sera unanime : nous voterons contre cette proposition de loi inique. Mais nous ne voterons pas la motion car, par principe, nous ne refusons pas le débat, surtout sur une question de fond : ceux qui défendent ce texte sont les mêmes qui s'opposaient à l'avortement et au mariage pour tous ! (Protestations à droite ; nombreuses marques d'approbation à gauche)
M. Hussein Bourgi. - C'est la vérité !
M. Philippe Grosvalet. - Assumez vos positions !
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°201 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 118 |
Contre | 206 |
La motion n°1 n'est pas adoptée.