Maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales, présentée par M. Dany Wattebled, Mme Marie-Claude Lermytte et plusieurs de leurs collègues.
Discussion générale
Mme Marie-Claude Lermytte, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je suis coauteure de ce texte avec M. Dany Wattebled, auquel je souhaite un prompt rétablissement. Je salue aussi Jean-Pierre Decool, à l'origine de cette proposition de loi.
Mme Audrey Linkenheld. - Tout s'explique !
Mme Marie-Claude Lermytte. - Je remercie mon groupe pour sa confiance. Cette proposition de loi a deux qualités : le pragmatisme et la simplicité. Les communes de moins de 2 000 habitants pourront déroger à la fameuse règle des 20 %, de manière automatique et pérenne. Je sais qu'il existe d'ores et déjà des dérogations accordées au cas par cas par le préfet, si la participation de la commune est disproportionnée au regard de sa capacité financière.
Or ces dérogations sont rarement accordées, car les communes rurales ne les connaissent pas. En outre, la complexité administrative est un frein majeur, faute d'ingénierie, si bien que les communes diffèrent ou renoncent à leurs projets.
Nous voulons donc rendre cette dérogation automatique et pérenne. Début 2023, vous exprimiez deux réserves, madame la ministre, en réponse à Jean-Pierre Decool : tout d'abord, la responsabilisation des collectivités. Lors des auditions, les élus ont considéré qu'il fallait maintenir une participation minimale. Dès lors, le rapporteur a prévu un reste à charge de 5 %.
Deuxième réserve : le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) contribuerait à diminuer le reste à charge. Mais les communes doivent avancer la trésorerie - or toutes ne le peuvent pas.
Avec ce dispositif, nous apportons des réponses.
En novembre dernier, vous déclariez dans une interview qu'il fallait dire aux maires qu'on les aime. Madame la ministre, le Sénat vous propose d'adopter une disposition simple et pragmatique : une preuve d'amour, en somme. Ce n'est pas un jour de Saint-Valentin que vous pourrez soutenir le contraire. (Sourires)
Monsieur le rapporteur, vous proposez de restreindre le champ d'application aux projets les plus structurants. Dany Wattebled et moi estimons qu'il n'appartient pas au législateur de déterminer les projets qui méritent d'être financés. Je voterai contre.
Vous proposez de n'inclure que les communes dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à deux fois le potentiel fiscal moyen par habitant de la strate. Nous y sommes favorables, car il s'agit bien de soulager les communes les plus fragiles.
Nos communes rurales sont à bout de souffle au plan financier. Il incombe au législateur de prévoir l'application pleine et entière du principe constitutionnel de libre administration.
Ce texte n'est pas la panacée, mais il sera un progrès, en redonnant de la capacité d'agir aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Hussein Bourgi, rapporteur de la commission des lois . - Je vous retrouve avec plaisir, madame la ministre : nous sommes nombreux à souhaiter oeuvrer à vos côtés au profit de nos collectivités. (Mme Dominique Faure apprécie.)
Les communes rurales ont des besoins d'aménagement, mais des budgets contraints. Or les règles relatives aux financements croisés pénalisent la réalisation de certains investissements onéreux. La règle de la participation financière minimale issue de la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) de 2010 l'illustre bien : les collectivités territoriales doivent participer à hauteur de 20 % aux projets dont elles sont les maîtres d'ouvrage.
C'est un reste à charge disproportionné pour certaines communes. Pour la restauration d'une église, cela peut représenter trois ans de budget !
M. François Bonhomme. - Exact !
M. Hussein Bourgi. - Les collectivités ultramarines, en revanche, n'y sont pas soumises.
Grâce à l'amendement de Françoise Gatel dans la loi Engagement et proximité de 2019, le préfet peut désormais accorder des dérogations, notamment en cas de calamité naturelle. Mais ces dispositions sont peu connues des élus, et même des préfets. En outre, les demandes de dérogation sont complexes. C'est pourquoi, en 2022, seule une centaine de dérogations ont été accordées, sur 22 000 subventions, soit 0,45 %.
Dans sa version initiale, l'article unique de cette proposition de loi prévoyait une exonération totale, sur le modèle de la dérogation accordée aux collectivités ultramarines.
La commission des lois s'est montrée favorable à cette nouvelle dérogation pour les communes rurales, car la proposition de loi répond à une préoccupation ancienne du Sénat. Dans son avis sur la loi RCT, notre ancien collègue Charles Guené se demandait : « Est-il possible d'appliquer aux petites communes rurales les mêmes règles en matière de cofinancement qu'à de vastes communes riches ? » Cette réflexion pleine de bon sens est toujours d'actualité.
La commission des lois a adopté cette proposition de loi, assortie de trois modifications. Nous avons supprimé la référence à un article réglementaire du code général des collectivités territoriales (CGCT) pour centrer la dérogation sur les communes de moins de 2 000 habitants. Nous avons remplacé l'exonération intégrale par une participation minimale de 5 %, afin de responsabiliser les conseils municipaux dans leurs choix d'investissements.
M. François Bonhomme. - C'est heureux !
M. Hussein Bourgi. - Et nous avons supprimé un gage financier inutile.
Je présenterai en outre deux amendements visant d'une part, à cibler les projets les plus structurants, en matière de rénovation du patrimoine, de travaux d'eau et d'assainissement, de restauration des ponts ou d'ouvrages d'art, ou encore de rénovation thermique des bâtiments - dans le droit-fil de la proposition de loi de Nadège Havet. D'autre part, je vous proposerai un amendement visant à limiter les effets d'aubaine : certaines petites communes ont la chance de bénéficier des retombées des activités touristiques. Il faut cibler les communes qui en ont réellement besoin : les communes de moins de 2 000 habitants dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois au potentiel financier moyen par habitant de la strate.
Ce texte ne réglera pas tout. D'autres problèmes ont été évoqués au cours de nos auditions, et notamment le remboursement de la TVA qui arrive parfois deux ans après l'engagement de la dépense.
Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission des lois vous propose d'adopter ce texte.
J'espère que cette proposition de loi, unanimement attendue par les élus locaux, sera adoptée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP)
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité . - Dans sa version initiale, ce texte prévoyait une dérogation complète pour les communes rurales. Le Gouvernement est particulièrement conscient de leurs besoins. J'ai toujours demandé aux préfets de se saisir de la possibilité de dérogation. Je souscris donc à l'objectif de cette proposition de loi.
Depuis deux ans, nous avons augmenté la DGF de 320 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023, et de nouveau dans le projet de loi de finances pour 2024. (Murmures à droite) Ainsi, nous avons levé un frein à l'investissement.
De la même manière, le Gouvernement a porté le fonds vert à 2,5 milliards d'euros. Les dotations d'investissement ont doublé en deux ans : c'est inédit.
Vous souhaitez encore plus de preuves d'amour...
M. François Bonhomme. - On va étouffer !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Nous en avons.
Cette logique d'accompagnement est très présente dans le plan France Ruralités, annoncé par Élisabeth Borne le 15 juin 2023. Je vous invite à vous saisir de ce programme, dont la composante Villages d'avenir bénéficiera aux communes de moins de 2 000 habitants - c'est de l'ingénierie gratuite afin de passer de l'idée au projet.
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé auprès des territoires ruraux.
Oui, la règle de la participation minimale de 20 % peut parfois être un frein. Des dérogations, accordées par le préfet, existent déjà pour la rénovation des monuments protégés, des ouvrages d'art ou en cas de calamités publiques. Elles ne sont toutefois pas assez utilisées. Gérald Darmanin et moi-même allons encourager les préfets à s'en saisir.
En décembre, j'avais émis un avis favorable à la proposition de loi sur le bâti scolaire, votée à l'unanimité par le Sénat. Mais attention à ne pas déresponsabiliser les communes. Sinon, vous direz que l'État fait encore tout à leur place. Faisons confiance aux communes en leur demandant une participation minimale pour les responsabiliser dans leurs choix d'investissement et dans leur capacité à assurer, ensuite, le fonctionnement et l'entretien. Je remercie donc la commission des lois d'avoir rehaussé cette participation minimale à 5 %, mais un seuil de 10 % me semble indispensable.
Ne risque-t-on pas de mettre en danger nos communes en les poussant à des investissements trop lourds, dont elles ne pourraient pas assumer les charges de fonctionnement ?
Je partage l'objectif d'accompagner au maximum les communes rurales. Néanmoins, en l'état, j'émets un avis défavorable à un texte qui ne responsabilise pas suffisamment nos communes.
M. Guy Benarroche . - Une proposition de loi qui a du sens et qui n'est pas sécuritaire, en ce moment, c'est bien ! (Sourires à gauche)
Je salue la qualité des travaux et le pragmatisme dans la recherche d'une solution pratique, rapide et efficace. Merci aux auteurs de la proposition de loi.
Notre groupe est partisan d'aller du local au global. Nous sommes très conscients des difficultés budgétaires des petites communes. Les ressources fiscales se complexifient et se raréfient. La disparition de trois taxes - taxe professionnelle, taxe d'habitation et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - acte la perte d'autonomie fiscale. Le préfet joue un rôle grandissant, or il ne lui revient pas de dicter les projets locaux. C'est une recentralisation des pouvoirs ! Je salue le travail du rapporteur à cet égard.
Le taux minimal de participation est de 20 % ; des dérogations existent, mais sont peu connues, complexes, à la main des préfets et trop rares - seulement une centaine en 2022. Nous voterons l'amendement du rapporteur sur les projets concernés.
Avec Pascal Martin et Laurent Burgoa, nous avions publié un rapport sur la transition environnementale des collectivités territoriales : sans une aide en matière de fonctionnement et d'ingénierie, les petites communes ne pourront pas mettre en oeuvre des projets de transition. L'État doit aussi aider à prendre en charge les charges de fonctionnement induites.
Notre groupe votera ce texte pour mettre fin aux décisions discrétionnaires des préfets. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et INDEP)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le 14 décembre dernier, nous débattions de la rénovation du bâti scolaire en vue d'abaisser de 20 % à 10 % la participation des communes. Toutes les petites communes n'ont pas les moyens suffisants et le soutien de l'État est nécessaire.
Après son passage en commission, la proposition de loi abaisse la participation minimale de 20 % à 5 %. Mon groupe adhère à cet objectif.
J'avais moi-même proposé un amendement à l'occasion de la proposition de loi sur le bâti scolaire, pour exonérer certaines communes de toute participation.
Un compromis a été trouvé sur une participation à hauteur de 5 %, mais demain ne faudra-t-il pas aller à zéro ?
Madame la ministre, à l'époque, vous m'aviez répondu que si la collectivité territoriale ne peut assumer ces 10 %, il faut s'inquiéter de ses capacités financières à faire fonctionner l'école. Je constate que vous n'avez pas varié. (Mme Dominique Faure le confirme.)
À terme, des exonérations complètes seront inévitables pour boucler certains projets, au cas par cas, notamment en cas de catastrophe naturelle.
Un problème demeure : qui paie le reste à charge ? Le fonds vert, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ne se cumulent pas et les subventions bénéficient surtout aux communes les mieux dotées en ingénierie.
Les communes sont prises dans un effet ciseau : les coûts de fonctionnement augmentent, mais les recettes ne sont pas à la hauteur des besoins, avec une diminution des recettes fiscales et une péréquation insuffisante. Les collectivités territoriales ont besoin d'un grand plan de soutien pour financer les services publics locaux.
Les collectivités territoriales n'ont pas toujours les moyens de financer les nouveaux enjeux, notamment écologiques, et le seuil de 2 000 habitants méconnaît les besoins de l'ensemble des collectivités.
Cette proposition de loi est un petit pas que nous soutiendrons, mais il en faudra davantage pour convaincre les élus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce n'est pas au Sénat que je rappellerai l'importance de la commune, échelon le plus pertinent pour mener des projets ambitieux dans les territoires.
Je sais les difficultés majeures d'une commune rurale qui souhaite investir. Certes, la commune n'est pas le seul échelon dont les recettes sont fragilisées, mais elle est la plus démunie.
Cette proposition de loi met en lumière les difficultés que rencontrent les communes pour financer leurs investissements en faveur de l'accessibilité, de la transition écologique ou de la qualité de vie. Mais la participation minimale n'est pas le seul frein : la réduction des leviers fiscaux, l'augmentation des dépenses de fonctionnement et le manque d'ingénierie sont aussi en cause.
Ce texte n'est pas dépourvu d'incertitudes. Quelle articulation entre cette nouvelle dérogation et celle votée en matière de rénovation du bâti scolaire ? La DTER et la DSIL seront-elles revalorisées ? Nous déplorons aussi, comme toujours, l'effet de seuil, même si des dérogations au cas par cas pourront être accordées par le préfet.
Le rapporteur nous a proposé des amendements de consensus, qui constituent un excellent point de départ.
À titre personnel, je porte un regard bienveillant sur l'amendement du Gouvernement qui maintient la compétence du préfet en cas de participation minimale abaissée à 5 %.
La prise en compte des capacités financières des communes permettra de circonscrire le bénéfice de la dérogation à celles qui en ont le plus besoin.
Le RDSE votera ce texte, pour l'avenir de nos communes rurales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du GEST et du groupe INDEP)
M. Olivier Bitz . - Chacun sait l'importance de l'investissement des communes pour soutenir l'économie locale et la qualité de vie de nos concitoyens.
La proposition de loi a le mérite de poser la question du soutien de l'État et des grosses collectivités aux communes de moins de 2 000 habitants. Je salue le travail des auteurs et du rapporteur.
Mais la cohérence de nos travaux interroge : le 14 décembre dernier, la proposition de loi transpartisane de Nadège Havet, adoptée à l'unanimité, abaissait à 10 % la participation minimale des communes pour leurs travaux de rénovation énergétique du bâti scolaire. Ce texte n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale qu'on nous propose désormais une participation minimale de 5 %, en renonçant donc à la priorité scolaire décidée il y a deux mois... De plus, pourquoi ces deux propositions de loi ont-elles été examinées par deux commissions différentes, alors que leur objet est le même ?
Nous nous plaignons souvent de l'inflation normative. Et voilà que, pour pallier la faible utilisation par le préfet de son pouvoir de dérogation, nous votons une nouvelle disposition législative. Curieux raisonnement.
Sur le fond, nous n'avons pas d'opposition à la mesure proposée, mais n'oublions pas qu'il faudra ensuite financer le fonctionnement, bien souvent à hauteur de 10 % chaque année...
J'appelle de mes voeux une réflexion plus globale sur l'investissement des communes rurales. Elles n'ont souvent que de petits projets d'investissement, non éligibles à la DETR ou aux subventions département ou de la région, qui appliquent un montant plancher. Par ailleurs, l'exigence d'estimation chiffrée par un professionnel pour une demande de DETR représente un coût certain pour la commune. Tous ces freins pourraient être levés sans passer par la loi.
Les difficultés en matière d'ingénierie posent des problèmes concrets pour la conduite des projets. Il faudra bientôt de l'ingénierie pour comprendre l'ingénierie !
Mais la véritable question est celle de la DGF. Le Gouvernement a proposé une réflexion. Il faudra opérer un ajustement entre communes urbaines et rurales ; soutenir l'investissement des communes rurales passe par le soutien au fonctionnement de ces collectivités.
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte touche à un sujet profondément ancré dans la gestion de nos territoires : l'équilibre entre développement des communes rurales et maîtrise de la dépense publique.
Je remercie les auteurs et le rapporteur, Hussein Bourgi.
Les communes rurales représentent plus d'un tiers de la population et plus 80 % des communes de France. Elles sont confrontées à des défis spécifiques, qu'il faut reconnaître. Ces territoires, piliers de notre cohésion nationale, sont dans une situation financière difficile, tiraillés entre le développement de projets nécessaires et des règles rigides.
La règle actuelle, qui impose aux communes une participation minimale de 20 %, est un frein pour celles qui ne disposent pas des ressources nécessaires. Elle est trop rigide et engendre une inégalité entre les territoires. Une réforme de justice territoriale est nécessaire.
L'insuffisance des moyens de certaines collectivités a conduit au développement des financements croisés. Au fil du temps, des dérogations à la règle de participation minimale ont été introduites, mais elles sont trop souvent inappliquées. Cela pénalise l'investissement des communes rurales. Les élus municipaux ne devraient pas avoir à renoncer à leurs projets en raison d'un reste à payer disproportionné.
Défaut de publicité, lenteur administrative, caractère aléatoire des dérogations, dont le champ d'application se restreint : autant d'obstacles à l'investissement.
Ancien maire, nouveau sénateur, je me réjouis des adaptations proposées par la commission : ciblage sur les communes dont le budget est le plus contraint et maintien d'un taux minimal de 5 % afin de responsabiliser des élus déjà si dévoués.
Le choix des projets d'investissement concernés par cette dérogation mériterait réflexion, afin de favoriser les projets les plus structurants. Afin de répondre au mieux aux enjeux locaux, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi intervient à la suite de la loi RCT - à l'époque une certaine rationalisation s'imposait, notamment pour éviter le saupoudrage dans le financement.
Ces dispositions ont fait l'objet d'ajustements, voire d'exceptions - je pense aux exonérations globales pour les outre-mer. De même, le préfet est autorisé à déroger à la règle de participation minimum, par exemple en cas de calamité publique ou de disproportion des capacités financières du maître d'ouvrage.
Faut-il étendre le champ des dérogations ? Récemment le Sénat a voté un abaissement du seuil à 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire.
Près de 85 % des communes rurales ont une population inférieure à 2 000 habitants. Souvent, faute de capacité de financement, elles sont contraintes de renoncer à leurs projets - par exemple, l'entretien de leur patrimoine religieux. Certaines ont jusqu'à treize églises ! Dès lors, la dérogation prévue par ce texte me semble opportune ; je salue le travail du rapporteur et remercie les auteurs.
M. Jean-Luc Brault . - Je salue moi aussi le travail des auteurs du texte qui bénéficiera de manière concrète aux communes rurales, qui ne sont pas riches, madame la ministre.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - C'est vrai.
M. Jean-Luc Brault. - Trop souvent, les 20 % de reste à charge représentent un frein insurmontable. Bernard Pillefer le sait : dans le Loir-et-Cher, 90 % des communes ont moins de 2 000 habitants et 140 d'entre elles, moins de 500 !
Les communes doivent abandonner des projets pourtant vitaux, comme la mise aux normes des bâtiments dédiés à la vie sociale des personnes âgées, alors que leur population vieillit.
À Lassay-sur-Croisne, l'auberge du Prieuré, seule activité économique du village, allait fermer. Grâce à la mobilisation du maire et à l'arrivée d'un jeune couple de repreneurs, le lieu est sauvé, avec quatre emplois à la clé. C'est un véritable exploit pour le conseil municipal. Mais les investissements nécessaires sont tels que la commune est obligée de geler tous ses autres projets pendant trois ans : ce n'est pas tenable !
En commission, un amendement du rapporteur a fixé un seuil de participation de 5 %, afin de responsabiliser les conseils municipaux dans la conduite de leurs projets. J'y suis très favorable.
Si restreindre la typologie des projets concernés ne nous paraît pas souhaitable, nous sommes en revanche favorables au ciblage des communes rurales. Ces maires ont une gestion rigoureuse des deniers de la commune ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail des auteurs du texte et du rapporteur.
Les collectivités territoriales demeurent le moteur essentiel de l'investissement public en France. Or leur autonomie fiscale et financière se délite et elles ont de plus en plus de mal à emprunter. Mener un projet structurant est quasiment impossible, d'où le recours à des financements croisés, qui n'est pas sans inconvénient.
La loi RCT du 16 décembre 2010 a prévu que le maître d'ouvrage doit financer au moins 20 % du projet. Ce même texte a supprimé la clause générale de compétence des départements et des régions, ce qui n'est pas sans conséquences sur le financement des projets...
Indépendamment de sa santé financière, de sa population ou de sa localisation, toute commune est tenue à cette règle des 20 %, hormis les collectivités ultramarines ou lors de certaines circonstances particulières comme les catastrophes naturelles.
Ce taux unique appliqué à tous ne tient pas compte de la nature des projets. Les préfets ont certes la possibilité d'accorder des dérogations, mais cette possibilité est peu utilisée : une centaine d'occurrences seulement en 2023. Le champ est en outre fort restreint, et exclut notamment la voirie.
L'assouplissement des règles de cofinancement est bienvenu. La commission a adopté deux amendements du rapporteur, visant pour l'un à ne cibler que les communes de moins de 2 000 habitants - malgré un risque d'effet de seuil - et pour l'autre, à les responsabiliser en prévoyant une participation minimale de 5 %. Le rapporteur proposera également d'élargir les champs de dérogation, ce qui va dans le bon sens.
Pourquoi ne pas nous appuyer sur les indicateurs économiques et financiers utilisés dans le cadre de la péréquation horizontale ? Même si c'est rare, certaines communes rurales sont riches. Retenir le potentiel financier, rapporté à la strate démographique, va dans le bon sens.
Ces mesures soutiennent l'investissement de nos communes rurales, qui, par défaut d'ingénierie, n'accèdent pas aux financements classiques.
Lors de catastrophes naturelles, le reste à charge peut être nul. Dans mon département, les Hautes-Alpes, malgré l'affichage du Gouvernement, l'appareil d'État et les assureurs n'y sont pas parvenus... Nous nous féliciterions d'un autofinancement de seulement 5 % !
Engagement sur le financement, avancées du rapporteur : autant de signes positifs, mais il faudra aussi pouvoir mobiliser la DETR, la DSIL, le fonds vert... Cela dit, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Bruno Rojouan . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis 2010, une participation minimale de 20 % au financement des projets a été instaurée pour toutes les communes, afin d'accroître la lisibilité de l'action publique et de responsabiliser les acteurs. Mais est-il possible d'appliquer ces règles de la même manière à toutes les communes, riches ou pauvres ? Ces contraintes sont disproportionnées pour les petites communes, qui peinent à supporter le niveau de dépenses minimales.
Certes, la loi prévoit des dérogations, mais elles sont peu appliquées : en 2022, une centaine seulement, sur 22 000 projets. Dans mon département de l'Allier, seules 17 communes ont bénéficié du déplafonnement en 2022 et 2023. Et pour cause : les procédures sont trop complexes. De plus, la voirie en est exclue.
Nombre de communes font face à un mur d'investissements et sont obligées de différer ou d'annuler des projets pourtant indispensables.
Le Sénat a étendu les dérogations, en abaissant le seuil minimal à 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire. Le présent texte diminue encore davantage le seuil pour les petites communes rurales. Alors que le texte initial ne prévoyait pas de participation minimale, la commission a fixé une participation de 5 %, qui semble nécessaire.
Cela dit, quel sera le champ des projets éligibles ? En tout état de cause, il faut que les communes puissent mener leurs projets, j'espère que ce texte y contribuera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat est très attentif à la situation des collectivités territoriales, premier relais de l'action publique : la mairie reste souvent le dernier service public dans la commune.
Cette proposition de loi vise à assouplir la règle minimale lors des projets d'investissement. Des dérogations existent déjà, au bénéfice des collectivités d'outre-mer ou accordées au cas par cas par le préfet.
Les communes rurales ne bénéficient toutefois d'aucun dispositif spécifique. Notre rapporteur a porté le seuil de participation minimale à 5 %, afin de concilier l'objectif de responsabilisation des communes et les impératifs financiers.
Le groupe Les Républicains soutient ces objectifs et votera ce texte. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Claude Lermytte applaudit également.)
Discussion de l'article unique
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Bourgi, au nom de la commission.
Alinéa 2
Après les mots :
2 000 habitants
insérer les mots :
dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Cet amendement réserve le bénéfice de la dérogation aux communes qui en ont le plus besoin, sur la base du potentiel financier : ainsi, 400 et 500 communes seraient écartées, notamment les communes thermales ou les stations de ski. Évitons les effets d'aubaine.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Vous réduisez le champ d'application de la proposition de loi. Cela a du sens, mais que dit notre administration ? Elle rappelle qu'une commune éligible une année pourrait ne pas l'être l'année suivante. Raisonner au cas par cas, comme le fait le préfet en activant son pouvoir de dérogation, semble préférable - d'autant que l'exonération peut alors atteindre 100 % ! Avis défavorable.
M. François Bonhomme. - Cet argument est peu convaincant. (Mme Audrey Linkenheld renchérit.) Les dérogations accordées par le préfet peuvent aboutir à un saupoudrage, à une dilution des moyens.
Les exemples donnés par le rapporteur sont parlants. Certaines communes peu peuplées ont des capacités financières importantes. Qui trop embrasse, mal étreint !
Mme Françoise Gatel. - Madame la ministre, votre argumentation est un alibi administratif : je ne connais pas de commune qui subisse une révolution de ses ressources financières en un an !
Une autre idée : le Sénat plaide depuis longtemps pour une contractualisation entre les communes et l'État sur la base du projet électoral, avec une visibilité sur trois ans. Je voterai cet amendement.
Mme Audrey Linkenheld. - Nous voterons l'amendement de M. Bourgi. Vous prenez le raisonnement à l'envers, madame la ministre : nous ne cherchons pas à protéger une commune d'un investissement qu'elle ne pourrait assumer, mais à flécher les financements publics vers les communes qui en ont le plus besoin. Certaines ont les moyens de financer leurs projets à 100 %, d'emprunter ou de lever l'impôt.
M. Jean-Michel Arnaud. - Offrir la faculté à des communes de bénéficier de 95 % de subventions sur des dossiers structurants n'est pas à la seule main du préfet. Il y a une multitude de cofinancements : région, département, financements européens. (Mme Audrey Linkenheld acquiesce.) Faisons confiance aux collectivités !
Nous avons démontré la vacuité de la dérogation préfectorale : une centaine de dossiers seulement en 2023. La préfectorale n'a pas cette culture du soutien aux petites communes.
Monsieur le rapporteur, toutes les stations de sport d'hiver ne sont pas des communes riches, notamment les stations familiales.
M. Olivier Bitz. - Je suis assez réservé sur cet amendement, qui ne sert pas à grand-chose. Le financeur regarde déjà la capacité de la collectivité à assumer une part résiduelle. Je ne suis pas sûr que les règles prévues par cet amendement soient opportunes, ni l'État ni les régions ne financent à 95 % des communes qui n'en ont pas besoin.
L'amendement n°3 est adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Bourgi, au nom de la commission.
Alinéa 2
Après les mots :
d'investissement
insérer les mots :
en matière de rénovation du patrimoine protégé ou non protégé, de rénovation énergétique des bâtiments, d'eau potable et d'assainissement, de protection contre les incendies, de voirie communale ainsi que ceux concernant les ponts et ouvrages d'art,
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Cet amendement a fait débat avec les auteurs de la proposition de loi : il vise à resserrer le périmètre des dépenses éligibles.
Les associations d'élus nous ont mis en garde contre les effets de seuil. Attention à ne pas subventionner à hauteur de 95 % un clubhouse ou un skatepark dans une commune de moins de 2 000 habitants, alors qu'une commune de 2 100 habitants ne pourra bénéficier que de 80 % pour un équipement autrement plus structurant ! Ce sont des arguments de bon sens. C'est pourquoi je vous propose de resserrer le périmètre des travaux : ouvrages d'art, rénovation d'une église, défense incendie, eau et assainissement. (M. Jean-Michel Arnaud et Mme Françoise Gatel approuvent.)
Je m'en excuse auprès des auteurs de la proposition de loi - c'est notre seul point de divergence.
M. Jean-Michel Arnaud. - Très bien !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Vous proposez de restreindre le champ d'application de la proposition de loi. Mais les finances des communes évoluent, ce qui les fait parfois sortir des zonages - on le voit avec France Ruralités Revitalisation (FRR).
Le potentiel financier n'est pas le bon critère. Mais l'objectif poursuivi est louable. Il en est de même pour cet amendement.
En décembre, nous avons prévu un seuil de 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire. Aujourd'hui, vous proposez 5 %, alors que les dérogations accordées par le préfet peuvent aboutir à un reste à charge de 0 %. Cela ne va pas dans le sens de la simplification.
Si cette proposition de loi ne prospérait pas à l'Assemblée nationale, je suis toutefois disposée à travailler avec vous sur ce sujet, car votre proposition a du sens. Avis défavorable néanmoins.
M. François Bonhomme. - C'est tous les jours la Saint-Valentin !
Mme Muriel Jourda. - Je suis en désaccord avec cet amendement. Pourquoi ne pas laisser les élus et les financeurs du projet décider de ce qui leur paraît essentiel ou pas ? Cela s'appelle la liberté, et la responsabilité.
M. Pierre-Alain Roiron. - Nous allons voter cet amendement, qui va dans le bon sens. Il semble compliqué, avec un seuil de 2 000 habitants, de favoriser toutes les communes de ce niveau.
Mme Françoise Gatel. - L'amendement de M. Bourgi vise des dépenses obligatoires fort coûteuses. Le Sénat a longuement débattu des normes de défense incendie imposées aux communes par les départements - objet d'un rapport de la délégation aux collectivités territoriales. Cela coûte un pognon de dingue ! Il faut pouvoir accompagner les communes, qui rencontrent de vraies difficultés.
M. Olivier Bitz. - Je suis convaincu qu'une commune aura du mal à trouver 95 % de financements extérieurs pour un projet qui ne serait pas essentiel. Je doute de la portée utile de ces amendements.
M. Jean-Michel Arnaud. - Il faut en effet restreindre le champ des projets potentiellement éligibles. C'est l'occasion de rappeler l'attachement des communes rurales à la gestion de l'eau et de l'assainissement, et d'inviter à mettre en oeuvre la promesse faite il y a un an par le Président de la République sur les rives du lac de Serre-Ponçon, dans mon beau département. (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. Guy Benarroche. - Nous voterons l'amendement de M. Bourgi. Pour ma part, je ne doute pas que des projets non structurants puissent trouver des financements, pour l'avoir vécu !
Transition écologique, transition énergétique, rénovation des bâtiments, voilà des projets réellement structurants et indispensables.
L'amendement n°2 est adopté.
M. le président. - Le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi. C'est le moment d'expliquer votre vote.
M. Philippe Folliot. - La ruralité est très diverse. Je salue les auteurs de la proposition de loi. Nos élus ruraux veulent mener des projets d'investissement pour leurs communes, or la règle des 20 % d'autofinancement était un frein important. Cette proposition de loi offre plus de souplesse à nos communes rurales, pour les aider à mener des projets importants pour leur population.
M. François Bonhomme. - Il y a un angle mort : les édifices religieux. Ma commune de mille habitants compte treize églises, dans un état déplorable. Il ne s'agit même plus de mise hors d'eau... Cinq mille édifices religieux sont à l'état d'abandon en France. (Mme Françoise Gatel renchérit.) Parfois, les maires doivent se résoudre, la mort dans l'âme, à les détruire. C'est un sujet majeur ! (Mme Dominique Faure opine.) Il faudra vous y pencher, madame la ministre.
M. Pierre-Alain Roiron. - Ce texte est très important pour les communes rurales. Tel qu'amendé par le rapporteur, il accorde la priorité à ce qui est pour nous l'essentiel, à savoir la transition écologique et la gestion de l'eau.
L'article unique constituant la proposition de loi, modifié, est adopté.
(M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
La séance est suspendue à 20 h 10.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 40.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.