SÉANCE
du jeudi 25 janvier 2024
56e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France, demandé par le groupe UC.
Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe UC . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis 2018, après les états généraux de l'alimentation, quatre lois ont été promulguées, pour une plus juste rémunération des agriculteurs.
Mais elles ont été rapidement contournées. Les grandes enseignes de distribution ont ouvert des centrales d'achat à l'étranger, ce qui est leur droit selon le droit européen, mais ce qui a servi de support à des pratiques commerciales contraires aux lois Égalim - facturation excessive de certains services, pressions pour un retour au prix d'avant inflation, menaces de déréférencement, dénigrement des fournisseurs...
Leclerc est en affaires avec Eurelec, Carrefour avec Eureca, Intermarché et Casino avec Global Retail Services et Système U avec Everest et Epic. Nous ne disposons pas de chiffres, mais leur importance grandit manifestement.
L'article 1er de la loi Descrozaille dispose que la législation française s'applique à tout contrat portant sur des produits commercialisés sur le sol français - d'où les 117 millions d'euros demandés par l'État à Eurelec pour non-respect de la réglementation.
Mais à la suite de l'arrêt du 22 décembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la mobilisation de Bercy a faibli et les enseignes se sont alignées sur les mauvaises pratiques d'Eurelec.
La CJUE ne s'est pas prononcée sur la compétence du juge français. Rien n'empêche donc le Gouvernement d'exercer sa mission de police du commerce.
Eurelec respecte-t-elle désormais la loi Égalim ? Combien de contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a-t-elle menés en 2023 ?
Seul Everest semble avoir respecté les dates butoirs des 15 et 31 décembre, mais ni Eureca ni Eurelec. La date butoir du 15 janvier pour les PME a-t-elle été respectée ?
Il semblerait que les marques distributeurs prospèrent, ce qui pose la question de la concentration, les distributeurs se faisant industriels. C'est pourquoi le Sénat avait étendu le champ des lois Égalim aux marques distributeurs. Sauf action de votre part, ce sera peine perdue.
Cerise sur le gâteau : la demande, par le ministre de l'économie, d'une baisse des prix à tout prix crée un sentiment d'impunité.
Ce phénomène n'est pas spécifique à la France : vingt parlementaires européens ont demandé à la Commission européenne d'agir contre les alliances de distributeurs. Mais ce sujet ne sera à l'ordre du jour que fin 2025...
La grande distribution contre-attaque sans vergogne, en déposant un recours contre la loi Descrozaille, qui serait protectionniste, car elle empêcherait les alliances européennes de distributeurs... Elle ne les empêche nullement, mais demande le simple respect du droit français.
Que comptez-vous faire pour faire respecter le droit français ? Des sanctions immédiates seront-elles prises si les dates butoirs n'ont pas été respectées ?
Les normes écologiques ont un coût et ne peuvent être supportées par les seuls agriculteurs et entreprises agroalimentaires. Le sens des lois Égalim est de reconnaître la valeur ajoutée de chaque maillon de la chaîne. Mais la dernière loi sur les négociations commerciales, portée par le ministre de l'économie, remet tout en cause en visant une baisse des prix coûte que coûte. Une nouvelle guerre des prix entre distributeurs aurait des conséquences désastreuses pour nos entreprises agroalimentaires, nos agriculteurs, notre alimentation et notre balance commerciale.
Comment ferez-vous respecter le droit français par les centrales d'achat établies à l'étranger ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement . - Depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé pour la protection du revenu des agriculteurs. Le Sénat est attentif à ce sujet difficile, qui s'exprime dans l'actuelle mobilisation des agriculteurs.
Nous devons d'abord appliquer les lois votées.
Les agriculteurs nous nourrissent ; c'est stratégique dans un contexte où des puissances étrangères font de l'alimentation une arme. Mais le partage de valeur est encore insatisfaisant. La loi Égalim 2 constitue une avancée majeure pour la défense de notre pouvoir d'achat et la protection du revenu des agriculteurs : le prix est construit selon une marche en avant et la matière première agricole est sanctuarisée.
La loi repose sur deux piliers ; en amont, elle impose la contractualisation écrite entre l'agriculteur et le premier acheteur, avec une prise en compte de l'évolution des coûts ; en aval, entre l'industriel et le distributeur, elle prévoit le soclage du coût de la matière première agricole, qui ne peut plus être renégocié.
Chaque année depuis trois ans, plus de 120 agents de la DGCCRF sont mobilisés pour assurer le contrôle de ces dispositions. En cas de manquement, des leviers juridiques puissants sont utilisés contre les principales enseignes : injonctions sous astreintes financières, sanctions administratives, assignations en justice. C'est ainsi qu'en 2019, la DGCCRF a demandé au juge civil de prononcer une amende de 117,3 millions d'euros à l'encontre d'Eurelec.
En outre, chaque année, plus de 600 sanctions sont prononcées pour non-respect de l'indication d'origine française.
L'articulation entre le droit européen et le droit français peut interroger. Mais le recours à des centrales situées hors de France n'interdit nullement l'application de la loi française. Ainsi, ces deux dernières années, plusieurs distributeurs français ont fait l'objet de sanctions atteignant parfois plusieurs dizaines de millions d'euros.
Notre agriculture joue un rôle majeur pour notre souveraineté alimentaire, notre activité économique, notre transition écologique et la cohésion de nos territoires. En cette période de forte mobilisation, cette contribution essentielle doit être rappelée. Il faut donner aux agriculteurs les moyens de réaliser leur activité dans de bonnes conditions et leur garantir une juste rémunération.
M. Serge Mérillou . - Ce débat tombe à point nommé au regard de la mobilisation des agriculteurs. La situation nous oblige à une meilleure reconnaissance du travail et à une meilleure rémunération des agriculteurs. Elle nous oblige au respect de la lettre et de l'esprit des lois Égalim, qui, pour l'instant, sont un échec cuisant.
Eurelec, Eureca, Everest : ces centrales inconnues des Français mènent une guerre des prix qui se répercute sur les producteurs, usant de stratagèmes aux limites de la légalité. Leurs profits sont sacrés et rien, aucune considération éthique, ne les arrête - peu importe si les agriculteurs en meurent.
Pour y remédier, le Parlement a adopté la loi Descrozaille, critiquée par les distributeurs qui l'estiment contraire au droit européen.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour améliorer la rémunération des agriculteurs et réguler cette guerre des prix ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Sachons reconnaître le travail réalisé : le paquet Égalim, qui a permis de sécuriser la rémunération des agriculteurs, entre progressivement en application.
Depuis Égalim 1 qui appelait à la structuration des filières, le revenu des agriculteurs s'est amélioré. Le cadre législatif est solide, renforcé par la loi Descrozaille. En outre, Bruno Le Maire s'apprête à lancer une mission sur la sécurisation de la rémunération des agriculteurs.
M. Serge Mérillou. - En prônant la baisse des prix en supermarché, votre gouvernement aggrave les difficultés des agriculteurs.
Mme Sophie Primas . - Les négociations commerciales sont en cours, et les Français subiront des hausses de prix dès février. La petite musique du Gouvernement sur la baisse des prix s'est étonnamment tue ces derniers jours...
Certaines centrales d'achat européennes demandent en préambule à toute négociation un prix unique - le plus bas, bien entendu - dans toute l'Europe. Dès Égalim 1, Mme Loisier avait alerté sur ce risque de contournement.
Madame la ministre, comment Bercy fera-t-il appliquer la loi française ? Comment sécuriser les contrats en cours de conclusion ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - La lutte contre l'inflation engagée par Bruno Le Maire n'est pas antinomique avec la recherche d'une juste rémunération des agriculteurs. (Mmes Anne-Catherine Loisier et Sophie Primas se montrent dubitatives.)
Il ne suffit pas de négocier hors de France pour contourner la loi française. Dès lors que le contrat s'exécute en France, le droit français s'applique : soclage des prix des matières premières agricoles et interdiction des pratiques restrictives de concurrence.
En 2023, la DGCCRF a mené une cinquantaine de contrôles auprès de centrales d'achat européennes.
M. Pierre Jean Rochette . - Le monde agricole est en feu, car il veut vivre dignement de son travail. Ces travailleurs stakhanovistes sont dépouillés de leurs marges : où sont-elles passées ?
Une partie de la réponse doit se trouver dans ces centrales d'achat situées hors de France. Leurs pratiques condamnables poussent le monde agricole à l'agonie, avec pour seul objectif de serrer le kiki des agriculteurs et les conduire dans la spirale infernale du travail à perte.
Le monde agricole souffre et les centrales d'achat enfoncent le clou. Le ministre demande des sanctions, les parlementaires veulent l'application stricte des lois Égalim.
Allons-nous réviser les règles et sanctions aux niveaux français et européen ? Allons-nous activer les leviers européens ? Le monde agricole attend des mesures rapides.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Les tensions sont parfois violentes entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Mais parfois, les relations commerciales sont bonnes : Lidl a ainsi trouvé une solution avec les éleveurs.
Le Gouvernement est ouvert à un durcissement des sanctions. Des contentieux sont en cours, car nous ne voulons aucune impunité.
Des difficultés juridiques doivent cependant être aplanies : comment imposer une sanction dans un cadre transfrontalier ? Nous voulons travailler à une meilleure harmonisation du droit européen.
M. Guislain Cambier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Eurelec pour Leclerc à Bruxelles, Eureca pour Carrefour à Madrid, Everest pour Système U aux Pays-Bas, imposent un rapport de force déséquilibré.
Cette délocalisation de la négociation est une forme d'évasion juridique pour les distributeurs. Comment justifiez-vous l'existence de telles pratiques ? Ne s'agit-il pas d'un contournement de la loi française ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Vous avez cité les trois principales centrales d'achat : Eurelec pour Leclerc et 43 fournisseurs français en Belgique, Eureca pour Carrefour et 15 fournisseurs français en Espagne, Everest pour Système U et 44 fournisseurs français aux Pays-Bas.
Des contentieux sont en cours entre l'État français et ces centrales pour faire respecter notre droit.
Il existe pourtant des industriels qui travaillent bien avec nos agriculteurs, comme Mondelez. Inspirons-nous-en !
M. Guislain Cambier. - Il ne faut pas viser le prix bas à tout prix. Un peu plus de colbertisme, et moins de libéralisme à tout crin, ne nuirait pas.
M. Guillaume Gontard . - Leurs noms sont inconnus du grand public, mais ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps. Leurs chiffres d'affaires se comptent en centaines de milliards d'euros ; leur marge brute a atteint 48 % en 2023. Le résultat net d'Avril, présidé par M. Rousseau, président de la FNSEA, a augmenté de 45 % en 2022... Ce racket des agriculteurs ne peut plus durer.
Les lois Égalim, en renonçant aux prix planchers et aux quotas de production, ont échoué. Leclerc, Carrefour, Intermarché et Système U ont délocalisé leurs centrales d'achat en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Espagne, pour passer outre à la loi française.
Agecore a été condamnée à 151 millions d'euros d'amende, mais la CJUE l'en a exemptée en raison de son implantation hors de France. La loi Descrozaille devrait cependant y remédier.
Allez-vous rendre obligatoire la publication des marges ? Infliger des sanctions en cas d'achat en dessous du prix de revient ? Défendre à l'échelle européenne des accords tripartites de répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - L'article 1er de la loi Descrozaille prévoit que le droit français s'applique à tout contrat de distribution en France. La DGCCRF, très vigilante, a diligenté 50 contrôles en 2023.
EuroCommerce, représentant les intérêts des distributeurs, a entamé un contentieux pour remettre en question cet article 1er - ce qui prouve son utilité... Pour le Gouvernement, il est conforme au droit européen : il évite les contournements du droit français, sans imposer la loi Égalim aux autres États membres ni empêcher les fournisseurs d'autres États de commercialiser leurs produits en France.
La publication des marges n'est pas prévue.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Depuis des années, mon groupe dénonce les pratiques des centrales d'achat qui s'accordent des marges indécentes et alimentent la vie chère.
Les lois Égalim 1, 2, 3 ne fonctionnent pas, car elles sont contournées par la délocalisation des centrales d'achat.
La commission d'enquête l'a montré : la guerre des prix imprègne toute la stratégie de la grande distribution française.
Le droit national doit s'applique à tous les produits vendus en France, comme le prévoit la loi Descrozaille qui vise à lutter contre l'évasion juridique.
Quand allez-vous enfin plaider pour une exception agricole française au niveau européen ? Que comptez-vous faire pour mettre un terme à ce phénomène ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Nous voulons une Europe ouverte, forte, qui protège son agriculture, car nos producteurs aussi ont besoin d'exporter. L'accord de libre-échange avec le Canada a permis de telles exportations et démontré la très grande qualité de nos productions. Nous défendons ainsi nos indications géographiques protégées (IGP), qui protègent notre exception agricole française et européenne.
La France est un acteur agroalimentaire mondial. Un groupe comme Carrefour est aussi présent dans d'autres pays. Mais nous devons demeurer vigilants afin de ne pas affaiblir notre capacité de production européenne.
Le Gouvernement rappelle ainsi régulièrement à la Commission européenne qu'il faut tenir compte du cumul des concessions octroyées sur les produits agricoles sensibles. La France est ainsi favorable aux clauses miroirs, comme dans l'accord avec la Nouvelle-Zélande.
M. Michel Masset . - Je salue l'initiative de ce débat alors que nos agriculteurs luttent pour vivre décemment de leur travail. Le Lot-et-Garonne est un pays agricole, marqué par le combat contre la grande distribution qui impose des prix bas.
En décembre 2022, la CJUE a donné raison aux centrales établies hors de France contre Bercy. Mais la loi, votée à l'unanimité au Sénat, doit s'appliquer. Que se passera-t-il si, demain, des centrales d'achat hors d'Europe s'exonèrent de toute règle ? Nous sommes face à un cartel européen de la grande distribution.
Que faites-vous pour lutter contre cette délocalisation des négociations commerciales ? Comment allez-vous surveiller ces oligopoles de la distribution pour protéger nos agriculteurs et l'industrie agroalimentaire ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Les lois Égalim 2 et Descrozaille permettent de mieux structurer les filières, d'améliorer le revenu agricole, de protéger l'industrie agroalimentaire, en luttant contre le contournement des normes françaises.
Nous devons les appliquer : nous accompagnons ainsi la structuration des filières bovine et porcine ; Égalim 2 est entrée en vigueur il y a un an ; nous imposons la contractualisation écrite avec les agriculteurs et le soclage des prix des matières premières agricoles.
La loi Descrozaille permet de lutter contre les contournements. Elle s'applique aux transactions qui concernent la France sans s'imposer aux autres pays. Nous intensifierons les contrôles cette année.
M. Didier Rambaud . - Quelle coïncidence : nous débattons ce matin de l'agriculture, profession qui crie sa colère partout en France.
Oui, les lois Égalim ont permis un rééquilibrage du rapport de force et la protection des acteurs vulnérables. Mais force est de constater que les centrales d'achat installées à l'étranger échappent à nos lois. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale a montré en 2019 comment ce système opaque servait à contourner la réglementation.
Or la protection de nos agriculteurs est cruciale : ils veulent vivre de leur métier. La loi Descrozaille étant insuffisante pour établir un rapport de force, comment pouvons-nous contrer ces pratiques déloyales et rééquilibrer les relations entre acteurs ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - L'article 1er de la loi Descrozaille prévoit que le droit français s'applique à tout contrat ayant pour finalité la distribution de produits en France, même si celui-ci est négocié dans une centrale internationale d'achat. Les contrôles de la DGCCRF et les actions en justice permettent de s'assurer du respect du cadre législatif.
Des dates butoirs pour les PME et ETI avaient été fixées au 15 janvier - au 31 janvier pour les grands groupes. Des contrôles seront lancés pour s'assurer de leur respect.
Une réflexion a été lancée par Bruno Le Maire en vue de lutter contre ces distorsions de concurrence.
M. Jean-Claude Tissot . - Merci au groupe UC d'avoir proposé ce débat sur ce sujet opaque (M. Michel Canévet remercie à son tour l'orateur), certainement l'un des facteurs d'échec des lois Égalim.
Indéniablement, la tension permanente vers le prix bas pousse les agriculteurs à mener une course aux coûts qui menace leur santé et celle des consommateurs. La crise actuelle trouve ses origines dans les agissements de cette oligarchie des industriels et de la grande distribution agroalimentaire.
Il est indispensable que les pouvoirs publics reprennent le contrôle. La solution est européenne. Il faut donc mettre ces sujets au coeur de la prochaine élection, de manière non pas dogmatique, mais réfléchie. La France doit pousser à un encadrement des pratiques des centrales d'achat européennes à Bruxelles. Prenons conscience des terribles conséquences de ce système pour les plus petits acteurs de la distribution et pour les acteurs locaux.
Concrètement, comment comptez-vous agir sur ce phénomène qui pèse sur toute la filière et sur les agriculteurs ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - La recherche de la compétitivité ne doit pas être un gros mot pour nos agriculteurs, qui sont des chefs d'entreprise particulièrement complets, compte tenu de la diversité de leurs fonctions.
Égalim 2 a démontré qu'elle était nécessaire pour protéger leurs revenus. Nous devons la mettre en oeuvre sans condition et lancer des contrôles pour vérifier qu'elle est bel et bien appliquée. C'est d'autant plus important alors que le monde agricole nous fait part de son mécontentement.
Après un an d'application, la loi a porté ses fruits : le revenu des agriculteurs s'est globalement amélioré - même si ces progrès ne touchent pas toutes les filières uniformément. Elle corrige des inégalités, même si elle n'efface pas des facteurs structurels et conjoncturels qui l'affaiblissent.
La contractualisation est la clé de voûte de la loi. Les sanctions les plus fermes doivent être prises contre ceux qui ne respectent pas Égalim 2.
M. Laurent Burgoa . - À mon tour de remercier le groupe UC. (M. Michel Canévet remercie l'orateur à son tour.) Je fais part de tout mon soutien aux agriculteurs gardois qui manifestent. Ils attendent un vrai plan Marshall de la ruralité. Ils ne veulent plus être présentés comme des pollueurs, mais comme des aménageurs du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Le Sénat s'est fortement impliqué dans la loi Descrozaille, notamment son article 1er. Mais certaines grandes enseignes n'ont pas mis un terme à leurs pratiques antérieures et continuent de contourner le droit français.
L'État doit donc être intraitable, sous peine de manquer de cohérence entre les discours et les actes. Madame la ministre, combien de contrôles ont-ils été faits par la DGCCRF depuis l'adoption de la loi et quel a été le montant des sanctions ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Il existe encore des difficultés juridiques sur la détermination des tribunaux compétents. Le Gouvernement conduit une action résolue contre le contournement du droit français par ces centrales d'achat européennes.
Quelques sanctions me semblent emblématiques. Une amende de 6,34 millions d'euros a été infligée à Eurelec, rattachée à Leclerc. Cette dernière a aussi été assignée en juillet 2019 pour déséquilibre significatif - en effet, elle avait voulu soumettre ses fournisseurs au droit belge. En janvier 2022, Intermarché a fait l'objet d'une amende administrative de 19,2 millions d'euros, au vu des pratiques de la centrale Agecore.
En 2021, Agecore a été assignée sur le fondement de l'avantage sans contrepartie en raison de l'inconsistance des services de coopération commerciale fournis par la centrale. Des sanctions sont donc prises. (Mme Anne-Catherine Loisier s'exclame.)
M. Laurent Burgoa. - Merci. Continuez : nos agriculteurs ne sont pas des voyous. Ils ne comprennent pas que les agences de l'eau viennent les contrôler armés alors qu'ils respectent les lois de la République.
M. Guislain Cambier. - Bravo !
M. Yves Bleunven . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La situation économique des agriculteurs explique leur colère actuelle. De plus, la France s'est dotée d'un arsenal législatif important pour améliorer leur rémunération, mais le compte n'y est pas : nulle révolution dans la construction des prix, comme l'a montré le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
Les centrales d'achat cultivent une grande discrétion et sont donc inconnues du grand public. Elles s'affranchissent du droit français et donc des garde-fous que nous avons votés avec les lois Égalim. Or, cette année, les négociations commerciales ont été particulièrement difficiles. Samedi, le Premier ministre a promis plus de contrôles pour que ces négociations ne se fassent pas au détriment des agriculteurs.
La loi Descrozaille a pourtant soumis au droit français les négociations commerciales dès lors que les produits sont vendus en France. Quel est le nombre de contentieux ? Peut-on envisager un encadrement de la création et de la fonction de ces centrales d'achat via une directive européenne ? Où en sont les discussions à ce sujet ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Bruno Le Maire lancera une mission sur le cadre à appliquer aux négociations commerciales annuelles, afin de bâtir un cadre de confiance et de s'adapter aux crises. Nous visons une relation plus apaisée entre les agriculteurs, la grande distribution et les industriels. Nous souhaitons valoriser ce que la France sait faire de mieux.
Le contrôle des négociations qui viennent de s'achever va démarrer. Effectivement, le Gouvernement s'est engagé à ce que des discussions soient menées avec la prochaine Commission européenne. (Mme Anne-Catherine Loisier proteste.)
Madame Loisier, les amendes administratives que j'ai mentionnées tout à l'heure ont bien été payées.
Mme Marie-Do Aeschlimann . - Les négociations commerciales entrent dans leur dernière phase et des agriculteurs manifestent inquiétude et désarroi.
Nos agriculteurs ont droit à une juste rémunération de leur travail. Je les soutiens pleinement.
Dans un maquis de règles tatillonnes et infantilisantes, l'interdiction de négocier le prix de la matière première agricole a suscité un grand espoir. Mais le développement des centrales d'achat à l'étranger affaiblit la portée de cette clause de bon sens. Il faut veiller à la mise en échec des contournements du droit français et se battre pour une harmonisation européenne.
Quelle action la France mènera-t-elle à l'échelle européenne en ce sens ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - Vous avez raison, les règles sont trop peu harmonisées au niveau européen.
La directive de 2019 sur les pratiques commerciales déloyales est le seul cadre existant actuellement. Elle recense, entre autres, les retards de paiement de plus de trente jours pour produits périssables et de plus de soixante jours pour les autres. Ces règles sont bien moins protectrices que le droit français.
C'est pourquoi la France prépare une stratégie de défense de plus grande harmonisation européenne et mènera ce combat auprès de la prochaine Commission, installée cet été. Nous le devons à nos agriculteurs.
M. Franck Menonville, pour le groupe UC . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Laurent Burgoa applaudit également.) À l'heure où la voix des agriculteurs s'élève partout sur notre continent, il nous revient de les aider.
Je remercie Anne-Catherine Loisier d'avoir demandé l'inscription de ce débat à notre ordre du jour. Ce sujet est important pour l'équilibre des négociations commerciales et la juste rémunération des agriculteurs.
Eureca, Eurelec, Everest : autant de centrales d'achat inconnues du grand public. Pourtant, ce sont des acteurs majeurs de l'industrie agroalimentaire. Les vagues d'alliances des distributeurs comme celle de Carrefour et Système U ont renforcé leur poids. Le cas d'Eurelec est symptomatique ; cette centrale d'achat installée à Bruxelles organise une extraterritorialité juridique et réglementaire.
Ces alliances soulèvent deux problèmes majeurs. Premier problème : ces centrales d'achat échappent trop souvent au droit français. Or les lois Égalim doivent s'appliquer à l'ensemble des acteurs et personne ne doit pouvoir s'en affranchir. C'est une question de justice sociale et d'équité économique.
Deuxième problème : la transparence et l'asymétrie des informations. Les fournisseurs doivent fournir des informations privilégiées aux distributeurs, et ils ont alors des marges de négociation réduites. Nous devons rééquilibrer et réguler au plus vite ces relations, dont l'asymétrie grandit avec la puissance des centrales d'achat. Cette réflexion doit s'inscrire dans la volonté de bâtir une meilleure protection globale.
Un débat sur les marques de distributeurs doit avoir lieu, c'est un défi global. Le Gouvernement doit être à l'unisson ; les injonctions contradictoires sont trop nombreuses. L'Europe doit aussi imposer ce débat pour harmoniser les réglementations.
Madame la ministre, il faut passer des mots aux actes et protéger nos agriculteurs et nos industries pour sortir de cette guerre des prix destructrice pour notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La séance est suspendue quelques instants.