Comment le Gouvernement compte-t-il appliquer au plus vite les mesures du Ciom ? (Suite)
M. Stéphane Fouassin . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Viviane Malet applaudit également.) La principale initiative du Ciom porte sur la réforme de l'octroi de mer. S'il faut faire baisser les prix, il faut aussi préserver la production locale et conserver aux collectivités des recettes dynamiques.
Toute réforme de l'octroi de mer doit s'accompagner d'une révision fiscale, pour accorder aux départements les moyens de mener leurs politiques sociales, sur la lutte contre la violence conjugale, la dépendance aux produits nocifs, le diabète ou l'accompagnement des seniors, et aux régions des fonds pour le développement économique.
Le Gouvernement avait évoqué la possibilité de taxes spécifiques sur l'alcool et le tabac. Une mission conjointe entre Bercy et le ministère des outre-mer avait été évoquée.
La mesure 14 s'inscrit dans le soutien des stratégies de souveraineté alimentaires des territoires - à La Réunion, c'est le plan AgriPéi 2030. Il faut persévérer, faire de La Réunion le modèle à suivre en matière de gestion des ressources. Le projet Meren vise à assurer l'adduction d'eau des régions Nord et Est, avec 500 millions d'euros sur dix ans.
La mesure 66 vise à simplifier l'implantation d'infrastructures d'intérêt général dans les communes soumises à la loi Littoral. À La Réunion, île montagneuse, celle-ci s'applique du battant des lames au sommet des montagnes, et empêche des aménagements. Il faut prendre en compte nos particularités, surtout dans le domaine du tourisme.
À sa création en 2012, le BQP devait inclure des biens de première nécessité tels que la téléphonie et internet. Il a été étendu mais de manière inégale selon les territoires. Monsieur le ministre, comment avancent ces dossiers ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Girardin applaudit également.) Merci au groupe RDPI pour ce temps d'échange et à M. le ministre pour sa disponibilité.
Saint-Martin doit valoriser son potentiel touristique. La fréquentation reprend depuis 2022, après avoir atteint un niveau historiquement bas entre 2017 et 2021. L'implantation du casino redynamisera le tourisme, mais ne suffira pas : le tourisme pâtit avant tout du manque d'infrastructures de qualité, certaines ayant été détruites en 2017. Les besoins en matière de réhabilitation hôtelière sont considérables. Le territoire a plus que jamais besoin de la solidarité nationale et d'incitations fortes pour attirer les investisseurs privés.
Il n'est pas juste que Saint-Martin n'ait pas les mêmes réductions d'impôt que la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion en la matière. Le territoire ne peut pas compter sur la clientèle française ; sa clientèle est majoritairement américaine, et très volatile. Son principal concurrent est Sint Maarten, la partie néerlandaise de l'île, qui a les mêmes atouts, la même image, mais un avantage comparatif majeur en matière de coûts salariaux. L'alignement du taux de réduction d'impôt pourrait être un début de réponse.
Autre sujet, celui du logement. Vendredi dernier, nous avons fait adopter un amendement au projet de loi de finances qui permettra à Action Logement d'intervenir à Saint-Martin, selon les modalités à préciser dans une convention. Comme Saint-Pierre-et-Miquelon, nous nous interrogeons : devrons-nous modifier la loi organique pour bénéficier de la collecte au niveau national ?
Enfin, je me félicite de l'extension en outre-mer du crédit d'impôt de rénovation des logements sociaux hors QPV, jusqu'ici réservé au parc social neuf. Pouvez-vous nous assurer que cette mesure sera bien applicable aux collectivités d'outre-mer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Merci au RDPI pour cette belle initiative, qui nous permet d'aller plus au fond des dossiers, au-delà de nos rencontres avec votre délégation aux outre-mer et du débat budgétaire.
Merci à Stéphane Fouassin : ensemble, nous avons bâti une stratégie pour la réforme de l'octroi de mer. En tant qu'élu local, je sais combien les recettes propres sont indispensables. Vous avez parlé de la fiscalité sur les alcools, qui revient au département. L'octroi de mer s'y additionne. Je suis prêt à l'aborder au sein du Ciom, qui, rappelons-le, ne traite pas de toute la politique ultramarine. Je suis ouvert, la feuille de route peut être élargie à tout moment.
Le calendrier du projet Meren sera tenu - c'est 30 millions d'euros pour cette année. La Première ministre a pris en engagement auprès du président du département, Cyrille Melchior : il sera tenu.
Sur le BQP, 153 produits sont concernés ; le mandat court jusqu'au 1er avril 2024. Je donnerai instruction aux préfets d'aller plus loin, si nécessaire. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Viviane Malet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie le groupe RDPI pour l'organisation de ce débat.
Lors du dernier Congrès des maires, le président Larcher a exprimé le souhait d'un débat annuel sur les adaptations législatives aux outre-mer ; j'y souscris pleinement. Les mesures du Ciom nécessitant des modifications législatives, comme la réforme de l'octroi de mer, passeront-elles par un projet de loi ad hoc ou seront-elles intégrées au PLF 2025 ?
Cette question est cruciale pour La Réunion, qui vous a fait des propositions précises. La création d'une zone franche portuaire est envisagée. Le conseil départemental avait proposé la création d'un statut spécifique pour les entreprises vertes et bleues, mais aussi la création de zones franches tournées vers l'exportation et réservées à ces deux types d'entreprises - je pense notamment à la construction navale. Monsieur le ministre, vous avez annoncé la majoration des abattements pour les entreprises de réparation navale, c'est un premier pas. Les élus et les collectivités se tiennent prêts à en discuter avec l'État.
Concernant les aides fiscales et sociales, il faudra aller plus loin et créer un véritable statut de l'entreprise tournée vers l'or bleu - ce serait un label pour attirer les investisseurs. Êtes-vous prêt à y travailler avec les collectivités et les milieux économiques ?
Un mot de la mesure 10, sur le marquage RUP. De nombreux rapports parlementaires ont souligné la nocivité économique de certaines normes, notamment dans le BTP et l'agriculture, lorsque nos concurrents n'y sont pas soumis. La Réunion a proposé une structure locale de normalisation pour les identifier et élaborer de nouvelles normes, en collaboration avec le Gouvernement et la Commission européenne. Pouvons-nous compter sur votre aide, monsieur le ministre, pour avancer vers une convention entre l'État, les collectivités et les professionnels du secteur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Madame Petrus, les abattements sur charges sociales dans le secteur touristique existent jusqu'en 2028 ; c'est un dispositif puissant, comme la défiscalisation sur les investissements. Tous les équipements - villages vacances, chambres d'hôte, hôtels - sont concernés. Nos réserves budgétaires nous permettront d'être au rendez-vous. Le tourisme est la principale activité économique des territoires ultramarins - en Polynésie française, c'est 18 % du PIB.
Madame Malet, les normes RUP, tant attendues, s'appliqueront au printemps prochain. La Première ministre nous a demandé de travailler sur le sujet des normes, avec l'Île Maurice ou Madagascar, de manière à obtenir des conditions de concurrence équitables et loyales - ce qui n'est pas actuellement le cas. Nous avancerons ensemble.
Les zones franches sont effectivement une des avancées de ce budget 2024 : la défiscalisation pourra atteindre 50 % en année N+1 pour les nouvelles activités. Toute la production culturelle, vidéo, numérique, sera éligible. Il faut vous en saisir, car il y a un vrai potentiel à La Réunion. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Viviane Malet applaudit également.)
Mme Annick Girardin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce débat illustre l'urgence d'agir pour nos territoires. Ces derniers mois ont été une course, entre les travaux de la délégation, la semaine des maires ultramarins, les entretiens de suivi du Ciom, les sujets ultramarins du PLFSS et la mission « Outre-mer » du PLF.
Ne confondons pas vitesse et précipitation : prenons le temps de digérer les réponses du Gouvernement. Je ne suis pas certaine que cette abondance de rendez-vous ait été comprise dans nos territoires. Sous la pression, nous avons oublié des questions essentielles. C'est dans la coordination que nous tirerons le meilleur de nos efforts.
Nous avons besoin de coconstruction et de solutions nouvelles pour relever nos défis communs. Défi climatique et énergétique pour construire des territoires bas-carbone, résilients face aux risques naturels, préserver les ressources et protéger la population face aux pollutions chimiques. Défi social, pour lutter contre toutes les formes d'exclusion et répondre au besoin de logement. Défi du développement économique et solidaire ; défi démographique, avec des territoires qui perdent des habitants, comme aux Antilles ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, ou au contraire la surpopulation irrégulière à Mayotte et en Guyane.
La question institutionnelle est un chantier majeur, à la suite de l'appel de Fort-de-France du 17 mai 2022. Allons-nous vers une sorte d'outre-mer fédéral ? Comment construire une réponse commune ou diverse selon les statuts de nos territoires ? Nous devrons apprendre à sortir du cadre. Un hôpital extraterritorial à Mayotte, avec un double état civil ? Un statut unique européen pour Saint-Martin et Sint Maarten ?
Sur la défiscalisation, il faut reconnaître les abus et la nécessité des contrôles, mais surtout développer de nouveaux outils, pour nous aider à construire ce monde plus solidaire et durable.
Prenons le temps de co-évaluer toutes les initiatives prises en faveur des outre-mer : Ciom, Livre bleu, plan pour l'avenir de Mayotte, Oudinot du pouvoir d'achat... Pourquoi certaines ont-elles été abandonnées ? Il faut un travail de transparence.
Je n'ai pas de question pour mon territoire ; vous en revenez, vous savez que nous continuerons à travailler ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du RDPI, du GEST et du groupe Les Républicains)
M. Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer . - Il faut de la méthode et prendre le temps du recul, comme vous l'avez souligné, madame Girardin. Mais il faut aussi accélérer, pour rattraper les retards.
« Pensez-vous que les Hexagonaux sont traités de la même façon que les Ultramarins ? » m'a-t-on demandé. Je suis fier que mon budget augmente de 7 %, que les plans de convergence et de transformation augmentent de 400 millions d'euros, que l'État ait mobilisé 3 milliards d'euros d'investissements, contre 2 milliards en 2016. Nous évaluerons les niches fiscales, pour voir celles qui fonctionnent. Certes, il y a des abus, mais aussi de nouveaux leviers.
M. Patient a attiré mon attention sur la vie chère et les monopoles. Une mission gouvernementale lancée par Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et moi-même étudiera la construction des prix, la responsabilité des uns et des autres et les pistes d'amélioration. Nous irons jusqu'au bout.
Madame Bélim, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais nous allons avancer, en républicains. J'apprécie la teneur de votre intervention et la qualité du dialogue avec le territoire de La Réunion. MaPrimeRénov' s'applique dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) depuis 2022. Elle est fonctionnelle, et La Réunion n'est pas oubliée. La vingt et unième école d'architecture y a été annoncée récemment par la ministre de la culture : c'est un signe fort.
Les crédits de la LBU ont été portés à 292 millions d'euros, après avoir beaucoup baissé. Il faudra veiller à leur consommation. J'ai obtenu un petit volet outre-mer dans la future loi Logement de Patrice Vergriete, pour avancer rapidement sur la précarité énergétique sans attendre une grande loi-cadre.
Sur le régime spécifique d'approvisionnement, Marc Fesneau a répondu favorablement à un cofinancement par l'État de certains investissements des collectivités.
Madame Jacques, vous avez mentionné le parc institutionnel. Le Président de la République a reçu l'ensemble des acteurs - vous y étiez. Deux personnalités qualifiées seront désignées pour proposer des évolutions institutionnelles : rien ne sera décidé depuis Paris, nous prenons le temps du débat dans chaque territoire. Pour la Nouvelle-Calédonie, des discussions ont été ouvertes, sur le corps électoral notamment. Le Conseil d'État est en cours de consultation, et Gérald Darmanin travaille depuis des mois à une solution.
Madame Girardin, je reviens de Saint-Pierre-et-Miquelon ; j'ai compris les problématiques de ce territoire. La question de l'attractivité et de la démographie concerne de nombreux territoires - Saint-Pierre-et-Miquelon, la Martinique, la Guadeloupe. Il faut attirer des jeunes vers les territoires ultramarins et oeuvrer au retour de ceux qui sont partis dans l'Hexagone, via Cadres d'avenir notamment. Je serai à la tâche pour les aider. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mmes Annick Girardin et Viviane Malet applaudissent également.)
M. Saïd Omar Oili, pour le RDPI . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Annick Girardin et M. Akli Mellouli applaudissent également.) Il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif du Ciom, mais deux aspects positifs sont à noter. D'abord, son caractère interministériel, fondamental tant les politiques publiques des outre-mer sont éclatées entre différents ministères. Ensuite, l'approche par territoire. Nous avons en effet tendance à englober nos territoires dans « l'outre-mer », même si le pluriel a tendance à s'imposer. La diversité de ces territoires est encore trop peu perçue de l'Hexagone, mais elle est une richesse pour notre République.
La réalité de Mayotte est ainsi différente de celle de La Réunion : notre territoire est traumatisé et meurtri. Sa population souffre de la succession des crises : montée de l'insécurité, crise de l'eau, du système de santé, explosion démographique de 4 % par an, sans que les services publics ne suivent - alors que la plupart des autres territoires ultramarins voient leur population baisser.
À Mayotte, on recense 12 000 naissances par an sur un territoire de 374 km2, avec une densité de 2 600 habitants au km2. Entre la rentrée 2022 et la rentrée 2023, 2 500 élèves supplémentaires ont été comptabilisés. C'est une vraie course de vitesse qui s'engage. Comment prévoir les ouvertures de classes, avec un tel différentiel entre le recensement de juin et les inscriptions en septembre ? Tous les chiffres sont faux, et je ne saurais vous dire le nombre d'habitants de la commune que j'ai longtemps administrée.
Les attentes de la population de Mayotte sont immenses, et les élus suivront attentivement les mesures du Ciom. Le territoire a des atouts considérables, notamment en matière touristique, mais aussi dans les métiers d'avenir. Les élus mahorais souhaitent un projet de loi spécifique pour sortir Mayotte de ces crises à répétition. Nombre des mesures du Ciom vont dans le bon sens, notamment sur les volets démographique et sanitaire ou la convergence des droits sociaux.
Le Sénat a adopté des amendements au PLF 2024 sur les aides au conseil départemental, avec le soutien du Gouvernement - je le salue.
Viscéralement attaché au principe constitutionnel de libre administration des collectivités, je suis plus réservé sur la disposition 51 du Ciom prévoyant des autorités uniques de gestion, par laquelle l'État pourrait reprendre la main sur les compétences locales.
Fernand Braudel parle de la France comme d'une « mosaïque aux centaines, aux milliers de petits carreaux de couleur ». Nos territoires ultramarins en font partie, nous en sommes fiers. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE et du GEST)
La séance est suspendue quelques instants.