Comment le Gouvernement compte-t-il appliquer au plus vite les mesures du Ciom ?
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment le Gouvernement compte-t-il appliquer au plus vite les mesures du comité interministériel des outre?mer (Ciom) ? », à la demande du RDPI.
M. Dominique Théophile, pour le RDPI . - Le 17 mai 2022, les présidents des collectivités de la Martinique, de la Guadeloupe, de Guyane, de Saint-Martin et de Mayotte ont lancé l'appel de Fort-de-France. Face aux inégalités, qui nuisent au pacte social, ils ont appelé à l'ouverture d'un nouveau chapitre de notre histoire, refusant le statu quo.
Trois axes ont été dégagés : refonder la relation entre les territoires d'outre-mer et la République, en définissant un nouveau cadre pour la mise en oeuvre de politiques publiques conformes aux réalités de nos régions ; conjuguer l'application des lois avec les spécificités des territoires, par la domiciliation des leviers de décision ; définir une nouvelle politique économique, en misant sur nos atouts géostratégiques et écologiques.
Le Président de la République n'est pas resté sourd à cet appel. Quatre mois après cette déclaration, le 7 décembre 2022, il a souhaité engager un « renouveau de l'outre-mer ». Nous avons salué cette approche et cette volonté de coconstruction, et pris acte de la volonté du Gouvernement d'écarter la question de l'évolution statutaire.
Le Ciom du 10 juillet 2023 s'est voulu la traduction de cet engagement présidentiel. Au total, 72 mesures ont été identifiées, autour de cinq thèmes et une promesse : transformer l'économie ultramarine, pour créer de l'emploi et lutter contre la vie chère ; améliorer la vie quotidienne ; mieux accompagner les enfants et les étudiants ; garantir un environnement normatif adapté à nos spécificités ; construire des infrastructures adaptées ; assurer un suivi interministériel régulier.
Un premier bilan d'étape a été dressé les 23 et 24 novembre derniers.
Ce débat est l'occasion pour nous de demander au Gouvernement de préciser certains points et de clarifier certaines de ses intentions. La réforme de l'octroi de mer suscite des inquiétudes légitimes. Avec Vivette Lopez et Gilbert Roger, j'ai élaboré un rapport en 2020, dans lequel l'efficacité de ce dispositif est soulignée - le produit de cette taxe représente jusqu'à 45 % du budget des communes. Toucher à l'octroi de mer, c'est toucher à une ressource fiscale essentielle. Si réforme il y a, il faut la coconstruire, et avec prudence.
Les bilans d'étape ne sauraient suffire. Il faut une méthode d'évaluation des politiques publiques, pour assurer le succès de la concertation.
Je me fais le porte-voix de Teva Rohfritsch et Mikaele Kulimoetoke, qui appellent de leurs voeux un Ciom pour les territoires du Pacifique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - Merci pour ce débat sur le Ciom, dont vous avez souligné la pertinence. Engager un nouveau lien avec les outre-mer pour leur donner de la visibilité est un acte fort. Monsieur le sénateur, vous connaissez mon engagement en faveur de la coconstruction. Au-delà des engagements pris en juillet 2023 par la Première ministre, nous avons franchi une première étape en novembre, comme vous l'avez souligné. Une prochaine étape devrait intervenir en février. Pour tenir ces belles promesses dans le temps, nous devons mesurer leur avancée.
Sur l'octroi de mer, j'ai adressé des courriers aux préfets, présidents de collectivité et parlementaires. La coconstruction doit inclure les élus locaux comme les parlementaires, et les présidents d'associations des maires. Une maquette financière leur a été envoyée.
L'octroi de mer ne s'applique pas de la même façon partout, une appropriation est nécessaire. Il faut aussi inclure les consommateurs et le monde économique dans la concertation. Vous serez donc destinataires de ces documents. Nous garantirons les ressources des collectivités territoriales.
Mme Solanges Nadille, pour le RDPI . - Je remercie mon groupe de nous accorder ce temps d'échange sur le Ciom. C'est reconnaître tous les Ultramarins qui appartiennent au RDPI et l'intérêt de ce comité pour nos outre-mer. Merci, monsieur le ministre, pour votre assiduité sur tous les dossiers.
En Guadeloupe, sur les 153 propositions émanant du congrès, 72 ont été retenues par le Gouvernement. Les 23 et 24 novembre derniers, un état des lieux a été dressé en toute transparence, dans le seul objectif d'améliorer le quotidien des Ultramarins.
La lutte contre les sargasses est inscrite à la mesure 56 du Ciom. Le 2 décembre à Dubaï, lors de la COP28, une action internationale a été engagée. Nous saluons le volontarisme du Gouvernement. Vous connaissez mon engagement sur ce point, ainsi que celui du sénateur Duval, de la Martinique. Quelles seront les suites concrètes de cette initiative internationale ?
Nous devrons discuter de l'octroi de mer en 2024. Mais il faut aussi aborder le sujet du contrôle de la concurrence et de la lutte contre les pratiques abusives. La cherté de la vie en outre-mer y trouve sa source. J'y serai attentive.
À cadre constitutionnel constant - article 73 ou 74 - nous avons des marges de manoeuvre pour des politiques adaptées à nos territoires, placées sous le triptyque : proximité, pragmatisme, confiance. Territorialisons nos politiques publiques !
Je vous invite aussi à réduire le fossé entre l'action publique et les usagers. Le Conseil d'État, dans son étude annuelle de 2023 sur l'usager du premier au dernier kilomètre, préconisait de penser l'atterrissage de l'action publique dès son départ pour les outre-mer.
Il faut également évaluer tout dispositif que vous - que dis-je ! -, que nous déploierons dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Un rendez-vous sera prévu pour la Polynésie, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie.
Je me suis rendu à Dubaï pour la COP28. Nous avons le soutien du Mexique et de l'Union européenne pour la lutte contre les sargasses. Plus de moyens sont prévus pour mieux protéger les usagers et les équipements et trouver des voies de valorisation. Mon engagement est total. Un amendement du sénateur Duval au projet loi de finances (PLF) a été accepté.
Prenons le temps de la construction sur l'octroi de mer. Les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont été renforcés. Les nouvelles normes sur les régions ultrapériphériques (RUP) rendront les matériaux plus abordables. Je demanderai aux préfets d'élargir le bouclier qualité prix (BQP), qui a montré sa pertinence. Nous avons aussi saisi la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, pour mieux comprendre la construction des prix.
M. Georges Patient . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Ciom comporte de nombreuses mesures, dont la plus importante est la réforme de l'octroi de mer. Je suis sceptique quant à son opportunité. Elle aura un impact négatif sur les budgets des collectivités territoriales, sans améliorer nos économies ni vraiment lutter contre la vie chère. Il est néanmoins trop tôt pour se prononcer. Attendons les groupes de travail. J'ai demandé à la commission des finances du Sénat de mener une étude sur le sujet.
Plusieurs mesures du Ciom ont été reprises par le Gouvernement dans le PLF 2024, preuve que les choses avancent. Les collectivités ultramarines doivent pouvoir répondre aux défis qui sont devant nous : logement, augmentation du coût de la vie...
J'en viens aux mesures économiques. Allègement de charges, d'impôt, crédits d'impôt, défiscalisation : autant de dispositifs qui méritent une évaluation précise. Le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de juillet 2023 sur le régime d'aide fiscale à l'investissement productif (Rafip) est une première étape. Il pointe l'insuffisance des contrôles et un ciblage aléatoire des dépenses fiscales. Il s'étonne aussi que l'État ne dispose pas d'une répartition sectorielle ou géographique de celles-ci ni de précisions sur les actifs financés. Le Rafip a été doté de 827 millions d'euros en 2022.
Selon le document d'étape, une réforme structurelle de la défiscalisation outre-mer sera mise en oeuvre en 2024. Quand les parlementaires y seront-ils associés ? Quels en seront les objectifs ?
Le lancement d'une mission sur les situations de monopole a aussi été annoncé. Qu'en est-il ?
L'exploitation des ressources naturelles de Guyane est une question importante : or, pétrole, bois, terres rares, ressources halieutiques. Alors que l'activité spatiale vacille, la Guyane a besoin d'un nouveau moteur. Le Guyane connaît la plus forte croissance mondiale - 57,8 % ! - grâce au pétrole. Comment développer la Guyane à partir de ses ressources naturelles ?
M. Philippe Folliot. - Bonne question !
M. Georges Patient. - Le Gouvernement ne fait état d'aucune mesure en ce sens. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Philippe Folliot applaudit également.)
Mme Audrey Bélim . - Je remercie le groupe RDPI pour l'inscription de ce débat à l'ordre du jour.
Je vous remercie également, monsieur le ministre. Si nous sommes en désaccord sur nombre de décisions politiques, je salue votre réponse favorable à la participation des associations de consommateurs dans le cadre de la réforme de l'octroi de mer.
Cet outil, dévoyé, est devenu complexe pour les entreprises et incompréhensible pour tous. La transparence est nécessaire à la réussite de ces travaux.
La première réunion du comité de pilotage sur la prise en charge des cancers dans nos territoires est à saluer.
La mesure 49 du Ciom, qui vise à généraliser le réflexe outre-mer dans la fabrication de la norme, est essentielle. Une juste considération de nos territoires est nécessaire, tenant compte de l'insularité, de l'éloignement, du coût de la vie, d'une économie insuffisamment concurrentielle.
Ce réflexe est une promesse maintes fois évoquée depuis 2017, dont nous attendons toujours la concrétisation. L'évitement du Parlement au profit de l'exécutif et la préparation de textes sous un prisme hexagonal n'y contribuent pas.
Quelques exemples symptomatiques sous le précédent quinquennat. Premier exemple : beaucoup craignent que la réforme de la défiscalisation ne soit qu'une pâle copie de la réforme des aides économiques de 2019.
Deuxième exemple : au cours des trois réunions sur les ordonnances relatives à la loi Liberté de choisir son avenir professionnel, les dizaines d'amendements déposés n'ont eu que peu de poids face au rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
J'en viens au diagnostic de performance énergétique (DPE). Alors que le Ciom a acté son entrée en vigueur dans nos territoires, l'article 50 du PLF 2024 sur MaPrimeRénov' exclut nos territoires, sans anticiper la mise en place des DPE antillais ! Nos propositions ont recueilli un avis défavorable du Gouvernement dans le cadre du PLF 2024. Monsieur le ministre, nous espérons qu'il fera marche arrière.
Si la hausse de la ligne budgétaire unique (LBU) est bienvenue, elle ne permettra pas d'augmenter le nombre de constructions de logements sociaux - à La Réunion, 40 000 dossiers sont en attente.
Le réflexe outre-mer, c'est aussi ne pas annoncer comme des mesures spécifiques aux outre-mer la simple déclinaison de projets nationaux. L'exemple des contrats de convergence et de transformation (CCT), qui atteignent 2,3 milliards d'euros, est parlant. Ils intègrent surtout, en tout cas à La Réunion, de nombreux investissements pour la formation, simple déclinaison d'un plan national 2018-2022 déjà acté. C'est loin de l'esprit de la loi Égalité réelle en outre-mer.
Le réflexe outre-mer, ce n'est pas inclure dans le Ciom des dispositifs de plans nationaux qui ont vocation, par nature, à s'adapter à chacun de nos territoires. Il y va de la réussite même de ces plans. Selon la mesure 31-5 du Ciom, le soutien aux parents dans les 1 000 premiers jours de l'enfant sera adapté aux outre-mer : encore heureux !
Soyons sérieux. Les autres politiques ne sont-elles pas adaptées aux outre-mer si elles ne figurent pas dans les conclusions du Ciom ? Les CCT doivent être évacués urgemment, c'est une demande que je présenterai à la présidente de la délégation aux outre-mer.
Le dispositif de 8 millions d'euros mis en place au titre de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), créé pour compenser les surcoûts des RUP, n'a pas vocation à être abondé par les collectivités territoriales. C'est un non-sens. Nos territoires devront-ils financer les prochaines réévaluations de leurs coefficients géographiques ? Le Gouvernement ne peut plus placer les collectivités devant des responsabilités qui ne sont pas les leurs.
Il faut 4 millions d'euros supplémentaires, conformément à la priorité énoncée par le Président de la République à La Réunion en octobre 2019. Sans ce soutien, la mesure 14 du Ciom ne pourra être considérée comme achevée.
Monsieur le ministre, martelez le réflexe outre-mer inlassablement auprès de vos collègues. Une simple circulaire sera insuffisante, l'histoire nationale nous ignorant encore beaucoup, y compris dans les ministères.
Mme Micheline Jacques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À la suite du dernier Ciom, je salue cette initiative du RDPI. Certaines mesures devant trouver une issue législative, ce débat nous éclairera sur la méthode et le calendrier du Gouvernement.
Dans le cadre de la mission de contrôle du Sénat, la délégation aux outre-mer que je préside a désigné des binômes de rapporteurs, thématiques. Ils s'assureront que les mesures du Ciom soient appliquées.
Gérard Larcher a annoncé l'inscription à l'ordre du jour, une fois par an, d'une proposition de loi sur l'adaptation outre-mer, dans la ligne d'une recommandation du rapport sur la différenciation territoriale outre-mer de Michel Magras. Ce texte pourra servir de véhicule aux décisions prises lors du rendez-vous annuel du Gouvernement autour des outre-mer. Il s'agirait d'un moyen de limiter le recours aux ordonnances pour l'adaptation du droit dans les outre-mer, qui doit encore progresser.
S'agissant des mesures du Ciom elles-mêmes, je suis satisfaite de la place faite aux dispositions d'acclimatation normative, rejoignant parfois des préconisations sénatoriales. Je pense notamment à la substitution du marquage RUP au marquage CE pour faciliter les importations régionales de matériaux. Comment comprendre que la Guyane, frontalière du Brésil, importe son bois de charpente de Scandinavie ? (M. Philippe Vigier approuve.) Ce nouveau marquage est aussi de nature à lutter contre la vie chère et à favoriser la production de logements.
Je me félicite des mesures relevant de la coopération régionale ; nous les suivrons avec attention, à la faveur de l'étude triennale lancée sur le sujet par la délégation aux outre-mer.
En revanche, je m'étonne du report à 2028, et même 2030 à Mayotte, de l'entrée en vigueur du DPE. Ce long délai exclut les outre-mer du bénéfice de MaPrimeRénov'. La Guadeloupe et la Martinique ont pourtant fixé leurs critères de performance énergétique, dans le cadre d'habilitations législatives. Quelles sont les raisons de ce délai ?
La méthode présentée pour mieux prendre en compte les besoins d'adaptation des politiques publiques à la réalité des outre-mer me semble aller dans la bonne direction. Reste que le contenu et la régularité des Ciom relèveront de la politique de chaque gouvernement. Cette instance, complémentaire du travail parlementaire, ne saurait être exclusive d'un débat de fond, notamment sur la rénovation du cadre constitutionnel.
S'agissant de Saint-Barthélemy, le Gouvernement a répondu à la demande de création d'une agence territoriale de santé par l'annonce d'un Comité territorial de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires, qui me paraît pertinent pour répondre aux besoins du territoire en matière d'organisation des soins et de gestion des évacuations sanitaires. Le Sénat a adopté à l'unanimité ma proposition de loi organique autorisant la participation de la collectivité aux compétences de l'État, notamment pour le financement des établissements hospitaliers : son adoption définitive compléterait utilement le dispositif.
Enfin, monsieur le ministre, nous voudrions connaître la date de présentation du rapport sur l'organisation sanitaire et la sécurité sociale, que nous attendons depuis plus d'un an et qu'on annonce chaque semaine comme imminente...
M. Pierre-Jean Verzelen . - Les outre-mer, ce sont 2,6 millions de Français, onze régions et collectivités réparties sur trois océans, 95 % de l'espace maritime français, un atout pour notre diplomatie et notre défense, une richesse certaine en matière culturelle et de biodiversité. Ils sont confrontés aux mêmes défis que l'Hexagone, souvent avec une intensité supérieure : chômage, inflation, migrations, climat, énergie, eau, logement...
Ces questions sont plus ou moins prégnantes selon les territoires. Il faut tenir compte des réalités locales pour une action bien ciblée et une bonne coordination des politiques de l'État.
Entre 2017 et 2022, 120 milliards d'euros ont été investis dans la santé, les infrastructures, le logement ou la sécurité. Pas moins de 1 300 forces de l'ordre supplémentaires ont été déployées, 55 000 logements sociaux ont été construits ou réhabilités, 92 millions d'euros ont été déployés contre le chlordécone et 33 000 jeunes ont été accompagnés vers l'emploi à travers le service militaire adapté (SMA).
Malgré ces efforts, les problèmes demeurent et les écarts se creusent.
En juillet dernier, le Ciom a proposé des solutions concrètes. Élus et citoyens ultramarins sont devenus prudents face aux promesses ; ils craignent une coquille vide. Comment traduire concrètement ces mesures, avec quelles priorités et dans quel délai ?
Plusieurs des 72 mesures annoncées avaient été proposées par notre délégation aux outre-mer : réforme de l'octroi de mer, développement des centres de formation d'apprentis (CFA), réforme de la concurrence...
Aux Antilles, la population vieillit et diminue. En Guadeloupe, elle baisse de 1 % par an, en raison de la baisse du taux de natalité mais surtout du départ de jeunes venant étudier dans l'Hexagone et qui ne reviennent pas, faute d'opportunités sur place. Le Québec en capte beaucoup. Ce phénomène contrarie le développement économique des Antilles et interroge sur la prise en charge de la dépendance, si l'éloignement distend les solidarités familiales.
D'où ma question, monsieur le ministre, simple à formuler mais dont la réponse est assurément plus difficile : comment donner aux jeunes l'envie de rester aux Antilles et d'y revenir ?
M. Philippe Folliot . - Je remercie le RDPI d'avoir suscité ce débat.
Il est regrettable que le Ciom n'ait pas concerné tous les outre-mer. Nous espérons que les territoires du Pacifique seront évoqués lors de la prochaine session.
Merci, monsieur le ministre délégué, pour votre présence ; mais je regrette l'absence du ministre des outre-mer. J'espère que vous serez bientôt ministre de plein exercice et que les outre-mer ne seront plus rattachés au ministre de l'intérieur, dont ils constituent une préoccupation secondaire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le ministre a rougi...
M. Philippe Folliot. - Au-delà de ces 72 mesures, dont certaines sont intéressantes, la réforme de l'octroi de mer doit être engagée en lien étroit avec les collectivités territoriales.
Nous regrettons l'absence de stratégie globale, de grandes perspectives pour les outre-mer.
Un exemple : selon l'OCDE, au cours des dix prochaines années, l'économie bleue doublera à l'échelle mondiale. Pour la France, cette expansion représente 90 milliards d'euros et 500 000 emplois directs et indirects. Avec un certain volontarisme de l'État, 10 à 20 % de ces emplois pourraient être créés dans les outre-mer, soit 50 000 emplois nouveaux.
Certes, tous les secteurs ne connaîtront pas la même évolution. Mais les énergies marines renouvelables et l'aquaculture, par exemple, offrent des perspectives très intéressantes pour les outre-mer. Nous regrettons l'absence d'un tel souffle.
Nous disposons du premier domaine maritime au monde, lié à 97,5 % aux outre-mer. Comment valoriser cet atout pour passer de logiques d'accompagnement social vers des stratégies de développement économique ? Bâtissons des petits Singapour francophones aux quatre coins de la planète !
Pour cela, il faut à la fois répondre aux enjeux du quotidien et tracer un cap.
Lors de la loi de programmation militaire (LPM), j'ai dit combien l'état de déshérence de nos forces de souveraineté en outre-mer posait problème. Rappelons que, si quatre autres pays de l'Union européenne ont des territoires ultramarins, seule la France est présente dans l'Indo-Pacifique. L'enjeu est géostratégique, mais aussi économique, car la présence de nos militaires induit des emplois sur place. À cet égard, le passage de 15 000 à moins de 7 000 personnes dans nos forces n'a pas été sans conséquences.
Les outre-mer ne sont pas une charge pour notre pays, mais une formidable opportunité. Nous devons les considérer comme un élément différenciant positif dans le concert des nations. Nous attendons de votre part un cap, une volonté et une réelle ambition pour les valoriser.
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Je remercie à mon tour le RDPI d'avoir pris l'initiative de ce débat.
M. Verzelen a rappelé les actions entreprises depuis 2017 : le budget du ministère des outre-mer est de 3 milliards d'euros pour 2024, mais les crédits destinés à l'outre-mer, tous ministères confondus, s'élèvent à 22 milliards d'euros. La dimension interministérielle qui s'attache à notre politique pour les outre-mer est la marque d'une volonté politique forte. La France sans les outre-mer ne serait pas la France !
Le dispositif Cadres d'avenir vise à former les étudiants locaux avant qu'ils ne reviennent outre-mer.
Il faut restaurer un climat de confiance. C'est pourquoi j'ai souhaité un rendez-vous dès novembre 2023 ; il y en aura un autre en février prochain, puis un autre en mai, pour parler et reparler des outre-mer, afin d'agir et agir encore pour eux.
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.) Je salue, moi aussi, l'initiative du RDPI, car ces temps d'échange sont précieux.
Monsieur le ministre, nous reconnaissons le travail accompli, mais nous faisons des propositions pour les améliorer - c'est comme pour les trains : on ne parle que de ceux qui arrivent en retard, pour essayer de faire mieux...
Le comité de suivi du Ciom a le mérite d'exister ; l'approche par territoire permet de tenir compte des singularités. L'égalité n'est pas contradictoire avec la différenciation, pour une plus grande efficience au service de nos concitoyens ultramarins.
Il faut aller plus loin dans la concertation pour mobiliser toutes les énergies vives de la nation. À cet égard, pourquoi, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) n'a-t-il pas été associé au comité de suivi des 23 et 24 novembre ? J'y suis attaché, du fait de mon parcours syndical et associatif. Faisons appel à l'intelligence collective ! Les trois délégations aux outre-mer du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Cese devraient travailler à l'évaluation des mesures du Ciom. Montrons que nous avons tous le souci de la vie outre-mer, car nous sommes tous embarqués dans la même communauté de destin.
La réforme de l'octroi de mer est essentielle. Nous devons adapter notre fiscalité et nos ressources, pour que ce ne soient pas les plus pauvres qui paient. Passons d'une politique descendante, voire condescendante (M. Philippe Vigier le conteste), à une politique ascendante, qui associe tous les acteurs, dont les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser).
Écologistes, nous sommes particulièrement sensibles aux enjeux climatiques et d'accès à l'eau. Nous avons déposé un amendement de 100 millions d'euros pour la lutte contre le changement climatique et la gestion de l'eau en outre-mer, jugé irrecevable. Dans quel délai un plan Eau sera-t-il mis en place en outre-mer, notamment pour lutter contre les fuites ?
À travers le Ciom et ses 72 mesures, nous avons l'occasion de renouveler notre approche. Les outre-mer sont des laboratoires d'expérimentation : tirons-en parti pour enrichir la prochaine étape de décentralisation. Inspirons nous aussi du rapport du Conseil d'État sur le service à l'usager du premier au dernier kilomètre : il faut penser le premier kilomètre pour ne pas panser le dernier !
Misons sur l'intelligence collective, soyons solidaires et coconstruisons notre action. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du RDPI)
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - J'essaie d'être à l'écoute des territoires, en leur proposant de coconstruire. Tout doit partir de la base : c'est ce que je propose pour la réforme de l'octroi de mer.
Il n'est pas exact que le Cese aurait été tenu à l'écart : une séquence exclusivement consacrée au monde économique a été organisée. J'ai aussi intégré les consommateurs dans la réforme.
Monsieur Folliot, vous avez la chance d'avoir deux ministres de l'outre-mer pour le prix d'un, avec un engagement total ! Nous définissons les priorités ensemble, sans l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre nous. C'est une chance, car je peux obtenir des réponses immédiates pour la sécurité, comme récemment pour Mayotte.
Je vous sais sensible aux questions de défense : pas moins de 5 milliards d'euros de plus pour les armées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Le SMA, qui concerne 7 200 jeunes, concerne exclusivement les outre-mer : 85 % des jeunes en sont sortis avec un projet de vie.
N'attendez pas du Gouvernement, vous qui êtes un décentralisateur - ou mes références se brouillent... -, qu'il décide de tout. Soyez agitateurs de territoires, stimulez les initiatives locales ; je serai au rendez-vous.
M. Robert Wienie Xowie . - La première mesure annoncée après le Ciom est cruciale : la réforme de l'octroi de mer doit être envisagée avec précaution, et les parties prenantes doivent disposer des éléments nécessaires à l'évaluation des choix envisagés. Il n'y a jamais qu'un seul taux : à La Réunion, par exemple, la région a opté pour le taux zéro sur les produits de première nécessité - malgré cela, certains produits restent plus chers qu'ici.
Nous demandons au Gouvernement de garantir aux collectivités le même niveau de recettes, mais surtout le maintien d'un levier fiscal - c'est une compétence essentielle. Nous y serons extrêmement vigilants.
S'il est souvent question dans nos échanges de la continuité avec l'Hexagone, la continuité intérieure des territoires ultramarins soulève des difficultés doubles, voire triples, comme le souligne le rapport de la délégation, particulièrement en Nouvelle-Calédonie. Il est parfois moins cher de se rendre dans l'Hexagone que dans nos îles !
Pour remédier à cette situation, il faut avoir à l'esprit la répartition des compétences en la matière. L'État apporte une contribution financière pour la continuité intérieure ; la compétence est donc partagée.
Plus largement, il faut répondre rapidement et efficacement à la problématique du coût de la vie dans les outre-mer. J'ai dénoncé, lors de l'examen de la mission « Outre-mer », le refus de l'État d'assurer une juste retraite aux fonctionnaires chez nous. Monsieur le ministre, il faut être enfin à la hauteur des enjeux !
En Nouvelle-Calédonie, le sport est une compétence transférée dans le cadre des accords politiques de rééquilibrage et d'émancipation. Le gouvernement français doit mieux accompagner le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dans la gestion de cette compétence. Un plan stratégique pour la pratique sportive a été adopté par le Congrès en 2019 : l'Agence nationale du sport française doit en accompagner la mise en oeuvre, et la mission d'appui au sport logée au Haut-commissariat doit cesser d'appliquer des orientations contraires à l'accord de Nouméa.
La Nouvelle-Calédonie, victorieuse des quinzièmes jeux du Pacifique aux Îles Salomon, dispose d'atouts qu'il faut soutenir. Je pense aux premiers jeux francophones d'Océanie, qui se dérouleront à Wé, sur Lifou, en avril prochain.
Seul un consensus pourra stabiliser la situation politique du pays. Une absence d'accord serait un risque ; ce n'est pas une option. Il y a une responsabilité du Gouvernement dans la recherche de ce consensus : est-il prêt à en créer les conditions ?
La séance est suspendue à 13 h 05.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 35.