Projet de loi de finances pour 2024 (Suite)
Seconde partie (Suite)
Outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des crédits de la mission « Outre-mer » (et articles 55 et 55 bis) du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Demande de priorité
Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je demande que l'article 55 et les amendements portant articles additionnels qui y sont rattachés soient examinés en priorité.
La demande de priorité, acceptée par la commission et le Gouvernement, est adoptée.
M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances . - Le principal objectif des crédits de la mission « Outre-mer » est de rattraper les écarts persistants entre l'outre-mer et la métropole. Ceux-ci ont même tendance à s'accroître dans de nombreux domaines : PIB, chômage, illettrisme, illectronisme et même espérance de vie.
La crise sanitaire puis économique a montré la grande dépendance des outre-mer aux importations, notamment énergétiques. L'autonomie alimentaire et la transition écologique représentent deux défis majeurs.
À cet égard, les annonces du comité interministériel des outre-mer (Ciom) de juillet dernier marquent des avancées notables, mais il faut que les moyens suivent.
La question d'une réforme institutionnelle ou d'une évolution statutaire n'a pas été abordée lors du Ciom, alors que le Président de la République s'y était déclaré ouvert. Les enjeux sécuritaires n'ont pas été traités non plus.
Enfin, alors qu'un Oudinot du pouvoir d'achat avait été évoqué en septembre 2022, le Ciom a certes fait des annonces, mais sans acter de plan d'ensemble.
Je salue les augmentations de crédits. Au sein du programme 123, notons l'effort de 50 millions d'euros pour développer et rénover l'habitat et de résorber l'habitat indigne ; les moyens alloués à la continuité territoriale sont renforcés de 22 millions ; les contrats de redressement en outre-mer (Corom) bénéficieront de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 16 millions en crédits de paiement (CP). Il faudra toutefois renforcer encore ce dispositif, alors que 30 des 129 communes des départements et régions d'outre-mer (Drom) sont en situation d'alerte, selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) : c'est pourquoi nous proposerons une hausse de 18 millions d'euros en AE et 6 millions en CP, en sus des hausses adoptées par l'Assemblée nationale, de 9 et 3 millions d'euros respectivement.
Le soutien exceptionnel de l'État aux collectivités de Guyane est prolongé, avec 30 millions d'euros en AE et en CP.
En revanche, les crédits alloués à l'appui aux financements bancaires et à l'ingénierie diminuent, alors que les besoins risquent d'augmenter avec la crise économique. Nous vous proposerons deux amendements visant à augmenter de 3 millions d'euros en AE et 1 million en CP de crédits alloués à la Sogefom (société de gestion de fonds de garantie d'outre-mer) et les crédits alloués au fonds Outre-mer afin de développer le soutien à l'ingénierie dans les communes polynésiennes. C'était une préconisation de notre rapport sur les Corom.
Le programme 138, qui rassemble les crédits en faveur des entreprises et de l'emploi, enregistre une hausse importante, en raison des nombreuses exonérations de charges sociales, alors que la masse salariale augmente dans les Drom. Ces exonérations sont essentielles au maintien et à la création d'emplois.
Pour ces raisons, nous proposons d'adopter les crédits de la mission.
Concernant l'article 55 rattaché, qui a suscité de nombreuses réactions, nous serons ouverts à la discussion pour trouver des voies d'amélioration consensuelles. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je salue la hausse des crédits de la mission, renforcée par l'Assemblée nationale : 50 millions d'euros pour le fonds exceptionnel d'investissement, dont 10 millions pour la distribution d'eau à Mayotte, 5 millions pour le fonds de secours, 10 millions pour l'Agence française de développement (AFD), 2 millions pour l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom).
En sus, les dépenses fiscales contribuent au dynamisme, à l'attractivité de nos territoires et à l'effort de rattrapage entre les outre-mer et la métropole. Elles s'élèvent pour 2024 à plus de 5 milliards d'euros, soit deux fois plus que les crédits budgétaires de la mission.
Les dépenses fiscales sont un outil indispensable pour nos collectivités, mais il faut aussi mieux les évaluer. Les démarches engagées à ce titre doivent être poursuivies, mais en concertation avec les élus locaux, sur le fondement d'études préalables, et non à l'aveugle. Il y va de l'acceptabilité des réformes. Nos débats sur l'article 7 ter du PLF témoignent de la nécessité d'un changement de méthode.
Les territoires d'outre-mer bénéficient aussi d'autres crédits : le montant total des contributions budgétaires s'élève à 21 milliards d'euros en AE et 29 milliards en CP, soit une augmentation de 195 millions en AE et 648 millions en CP.
Ces crédits financent notamment le plan d'actions pour les services d'eau potable et d'assainissement, le plan séisme Antilles, le plan Sargasses, le plan Logement outre-mer et le plan Chlordécone.
Les territoires d'outre-mer bénéficient aussi du plan de relance et du fonds vert. Sur le plan de relance, 1 milliard d'euros ont été consommés en AE fin 2022, soit 500 millions de moins que les crédits ouverts. Cela s'explique par la faiblesse de l'ingénierie et le manque de foncier disponible. En Polynésie française, certains dispositifs se sont avérés inadaptés au statut d'autonomie du pays, pour la mise en place des conseillers numériques notamment.
La mise en oeuvre du plan de relance rappelle la nécessité de tenir compte des spécificités territoriales et de développer des approches différenciées, tant entre la métropole et les outre-mer qu'entre les outre-mer eux-mêmes. Tenons compte des lois organiques portant statut de nos territoires.
Le fonds vert a été fortement sollicité. Ainsi, 403 dossiers ont été déposés, pour 220 millions d'euros ; 160 dossiers ont été sélectionnés, pour 93 millions. Le montant des crédits alloués en 2023 ne suffira pas à instruire tous les dossiers. Les porteurs de projets sont invités à représenter leurs dossiers en 2024. Cela atteste de l'ampleur des besoins en matière d'investissements pour la transition écologique.
Les outre-mer sont aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique - je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre. (M. Philippe Vigier acquiesce.) Face à l'impératif de la transition écologique et de protection de l'environnement, nos territoires savent se montrer dynamiques.
Nous vous invitons à adopter les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.) La commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Outre-mer ».
Avec des crédits répartis au sein de 32 missions budgétaires, il n'est pas aisé d'apprécier l'effort de l'État pour nos territoires.
En ce qui concerne le périmètre restreint de cette mission, plusieurs de nos recommandations sur le logement ou la continuité territoriale ont été suivies. Bien sûr, beaucoup reste à faire, mais c'est à saluer.
Les résultats en matière de construction, de réhabilitation et de lutte contre l'habitat indigne demeurent très en deçà des ambitions affichées. Seuls 2 729 logements ont été livrés en 2022, un point bas historique. Le rythme des réhabilitations, environ 2 000 par an, est insuffisant au regard des besoins. Que dire de l'habitat indigne, quand la Fondation Abbé Pierre en recense 150 000 ? Près de trois Ultramarins sur dix seraient en situation de mal-logement.
La commission note avec satisfaction que la ligne budgétaire unique (LBU) augmente substantiellement.
Au-delà de l'indispensable augmentation des moyens, il faut aussi lever un autre frein : la mauvaise, voire inexistante acclimatation des normes hexagonales aux territoires ultramarins. Deux exemples : le marquage régions ultrapériphériques (RUP), inadapté, et la non-adaptation du diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements aux territoires ultramarins, excluant nos compatriotes du bénéfice de MaPrimeRénov'.
Des crédits, oui, c'est indispensable ; mais il faut s'attaquer en même temps à la question des normes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Conformément à l'engagement du Gouvernement, les crédits de la mission « Outre-mer » augmentent fortement : 9 % en AE et 5 % en CP.
Nous nous en réjouissons, alors que le contexte est encore incertain pour les territoires d'outre-mer, malmenés par l'inflation, l'aggravation des inégalités et les tensions sociales.
Ces crédits supplémentaires ont vocation à financer la construction de logements et la lutte contre l'habitat indigne, alors que 18 % des logements en outre-mer sont insalubres, le renforcement de la continuité territoriale et l'insertion professionnelle, via le plan SMA 2025+ notamment. Le soutien aux collectivités territoriales sera enfin renforcé, comme en témoignent la pérennisation des Corom et le financement de nouveaux contrats de convergence et de transformation.
Il faut poursuivre cet effort budgétaire dans la durée, notamment dans le domaine du logement, afin de fournir un habitat décent à tous.
Par ailleurs, le pilotage de la mission est perfectible. Plusieurs ajustements ont certes été réalisés, mais les crédits sont sous-consommés, notamment la LBU. Ce n'est pas acceptable. A contrario, j'ai remarqué une surexécution des crédits concernant la compensation des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Enfin, le volume de reste à payer représente un risque pour la soutenabilité de la mission. La commission des lois appelle donc le Gouvernement à poursuivre l'amélioration du pilotage budgétaire.
Hormis ces réserves, elle invite le Sénat à adopter ces crédits. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Pour 2024, les moyens de la mission s'élèvent à 2,9 milliards d'euros en AE et à 2,6 milliards en CP, à périmètre constant, en hausse de 6,8 et 4,5 %. Le groupe RDPI salue cette augmentation.
Première préoccupation : le logement. L'augmentation de la LBU financera la construction de logements locatifs sociaux, la réhabilitation et l'adaptation au vieillissement du parc, et la lutte contre l'habitat indigne.
Deuxième préoccupation : l'accès à l'eau. Nous saluons la pérennisation du soutien au syndicat mixte de Guadeloupe, pour 20 millions d'euros, ainsi que les efforts pour Mayotte.
Troisième préoccupation : la lutte contre les sargasses, qui pénalisent nos territoires, et touchent tout particulièrement les îles du sud de la Guadeloupe. Les moyens des GIP Sargasses seront renforcés de 1,4 million d'euros. Monsieur le ministre, merci de vous être rendu à Dubaï pour attirer l'attention internationale sur ce sujet.
Ce budget s'attache aussi à accompagner la mobilité des Ultramarins, qui pâtissent d'une hausse continue des prix des billets d'avion depuis deux ans. Les tarifs ont augmenté de 22,3 % pour les trajets entre l'Hexagone et l'outre-mer et de 18,3 % en sens inverse ; la hausse a même atteint 55,7 % au départ de la Martinique en mars 2023 ! C'est pourquoi le Gouvernement propose une augmentation historique des moyens en faveur de la continuité territoriale, à hauteur de 22 millions d'euros, qui permettra de relever le seuil d'éligibilité aux aides de Ladom. Merci pour les étudiants et pour ceux qui partent en formation !
La contribution au développement économique et à la création d'emplois bénéficiera de crédits supplémentaires : les contrats de convergence et de transformation passeront ainsi de 1,9 milliard à 2 milliards d'euros pour la génération 2024-2027.
Dans le Pacifique, la création de chantiers de développement local en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna favorisera l'insertion professionnelle.
Sur le soutien aux entreprises, la commission des finances présentera un amendement relatif au renforcement de la dotation de la Sogefom, seul instrument de garantie aux crédits des TPE et PME dans les trois collectivités du Pacifique. Je vous invite à le soutenir.
Dernière orientation de ce PLF : le soutien aux collectivités territoriales. Les contrats Corom, qui ont donné entière satisfaction, seront pérennisés. Mais ils ne sont pas accessibles aux communes du Pacifique : je salue l'amendement de Teva Rohfritsch pour y remédier.
L'État poursuit son accompagnement à la collectivité territoriale de Guyane.
Les moyens du fonds Outre-mer augmentent pour financer l'ingénierie nécessaire à nos collectivités ultramarines.
L'État doit se montrer à la hauteur des défis auxquels nos territoires sont confrontés : j'appelle à une rapide mise en oeuvre du Ciom, à des résultats et à des contrôles.
Le groupe RDPI votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Audrey Bélim . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.) Je regrette qu'entre le PLF 2024 déposé et le texte présenté ici, nos territoires ultramarins aient, fait très rare, perdu des ressources.
Les quelques crédits supplémentaires proposés par nos collègues députés ne suffisent pas à compenser les 150 millions d'euros disparus après l'adoption d'un amendement du rapporteur général de l'Assemblée sur la base d'un rapport peu probant.
Ce rapport et cet amendement sont symptomatiques de la façon dont Bercy considère nos territoires. La réforme des aides économiques pour 2019 était pourtant un cas d'école, mais la leçon n'a pas été retenue... Il faut tenir compte de l'importance de l'adaptation des normes à nos pays : le réflexe outre-mer, c'est considérer l'outre-mer dans sa singularité, et l'apprécier territoire par territoire. La transversalité est primordiale tant l'insularité et l'éloignement accroissent nos problématiques structurelles.
Vous devez le marteler inlassablement auprès de vos collègues ministres, pour que ce réflexe outre-mer s'automatise.
Comment ne pas être désarçonné à la lecture de l'article 50, sur MaPrimeRénov', qui s'appuie sur un DPE hexagonal, alors que le Ciom a acté cet été l'application des DPE ultramarins en 2028 ? Vous privez deux millions de Français d'un dispositif utile tant pour la transition écologique que pour le logement.
Trop de lois et de décrets sont source de blocages. Impossible de rénover un bâti souvent vétuste, car les normes hexagonales ne sont pas adaptées au climat tropical. La loi Littoral se conjugue avec la loi Montagne, quand elle ne la contredit pas. Les zonages pour les quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont inadaptés : toute La Réunion devrait être classée !
Notre tissu économique, notamment nos TPE-PME, subit de graves difficultés : manque de trésorerie, délais de paiement, etc. Le choc démographique, pour les Antilles et La Réunion, c'est maintenant !
La question de la coopération dans le bassin régional et de la libéralisation de certaines activités et marchés doit être abordée avec sagacité et volontarisme. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus en détail, comme sur la protection de la biodiversité.
Je sais pouvoir compter sur l'implication et l'absence de parti pris de mes collègues sénateurs pour défendre chaque point, chaque menace et chaque atout. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du RDSE et du GEST)
Mme Viviane Malet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la réévaluation du coefficient géographique pour les établissements de santé réunionnais, de 31 à 34 %. Ce geste fort de l'État accompagne le CHU de La Réunion dans son redressement budgétaire, mais ne sera pas suffisant compte tenu des difficultés, en matière d'évacuation sanitaire notamment.
Je note avec satisfaction que le Gouvernement a augmenté les crédits de la mission. Cela soutiendra les communes en difficulté, grâce à une hausse de 10 millions d'euros pour les Corom et de 8 millions d'euros pour Ladom.
Concernant l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), une adaptation des paramètres est nécessaire, notamment à La Réunion. Les collectivités ultramarines ne sont plus des départements « jeunes », bien au contraire : un quart de la population réunionnaise aura plus de 60 ans en 2050, avec un taux de dépendance de 12 %, contre 8 % en métropole, et une entrée en dépendance vers 65 ans. Or la plupart des personnes dépendantes souhaitent rester à domicile.
La conférence des financeurs État-départements doit aboutir à une réforme de fond pour le PLFSS 2025. Nous espérons un soutien du ministère pour abaisser la clause de sauvegarde des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) de 15 %.
Le PLFSS 2024 a octroyé 150 millions d'euros aux départements pour l'APA : veillons à ce que nos collectivités en bénéficient.
Bien que les crédits pour le logement augmentent de 50 millions d'euros, pour un total de 292 millions d'euros, la sous-consommation est récurrente. Je préconise une gestion locale plus efficiente, impliquant les collectivités locales en coordination avec l'État.
La mesure 22 du Ciom engage l'État à conclure une convention pluriannuelle pour le logement des personnes vulnérables avec le département de La Réunion. C'est un premier pas, que nous saluons, mais il faudra une révision de la politique du logement à l'échelle du territoire pour répondre aux besoins de construction et de réhabilitation.
Je déplore que les propriétaires occupants soient moins bien traités que dans l'Hexagone, entre longueur des délais d'instruction et non-éligibilité à certaines aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Je défendrai un amendement pour financer la réalisation d'enquêtes locales et soutenir les associations luttant contre la violence faite aux enfants dans les outre-mer.
Concernant l'article 55, il importe de garantir la sélection des projets professionnels en fonction des besoins réels des territoires. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous fournir des éléments méthodologiques ? S'agissant du public cible, je souhaite que des éléments d'identification de l'attachement à un territoire ultramarin soient inscrits dans la loi. À cet égard, je salue la méthode consultative de la présidente de la délégation aux outre-mer, qui a débouché sur ces trois amendements que je voterai.
Vous avez prévu des zones franches portuaires combinées à des exonérations fiscales et sociales spécifiques. Où en est ce projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christopher Szczurek . - Nos outre-mer sont la clé de la France de demain. Grâce à eux, à la formidable diversité de leurs ressources et de leurs talents, la France dispose du deuxième espace maritime mondial. Pourtant, nos compatriotes ultramarins subissent les mêmes maux qu'en métropole, mais quadruplés : inflation, immigration incontrôlée, insécurité, abandon par l'État. L'outre-mer appelle au secours et le Gouvernement reste aphone !
Quelle vision propose-t-il avec cette mission ? Aucune !
La mission ne répond pas aux enjeux de développement économique et de durabilité. Songez à Mayotte, ou la submersion migratoire entraîne une pénurie généralisée d'eau ; à La Réunion, où la crise du logement est telle qu'il manque 40 000 logements ; à la Guyane, où l'immigration irrégulière et l'orpaillage illégal terrifient les habitants.
Avec l'inflation, les quelques millions saupoudrés ici et là n'atténueront en rien le sous-développement structurel de nos territoires ultramarins. Vous ne revenez pas sur l'octroi de mer, imposition anachronique qui renchérit de 20 % le coût de la vie. Vos efforts sur l'autonomie alimentaire et énergétique ne sont que vagues promesses.
Face à la décrépitude des services publics élémentaires, vos services invitent les Mahorais à faire bouillir l'eau avant de la boire. Incompétence rime désormais avec indécence.
Ce budget n'assurera ni l'ordre, ni le développement, ni la dignité. Le RN votera contre. Nous nous inclinons devant l'infinie patience de nos compatriotes ultramarins. L'injustice devra être réparée, mais elle ne le sera qu'au prix de l'alternance !
Mme Corinne Bourcier . - Le tableau négatif qu'on fait des outre-mer me dérange. Certes, le taux de chômage et de pauvreté est important, la double insularité pose problème, et l'accès à l'eau est parfois compromis. Mais ces territoires sont aussi des exemples d'initiatives citoyennes, d'innovations économiques et écologiques.
On ne rappellera jamais assez que les outre-mer sont divers et qu'ils vivent des situations diverses.
L'un des enjeux cruciaux qu'ils partagent, c'est l'emploi. Il faut créer de l'emploi pour endiguer la pauvreté. À ce titre, le programme « Emploi outre-mer » est doté de 1,86 milliard d'euros en AE et 1,85 milliard en CP visant à soutenir les entreprises via des exonérations sociales et à améliorer l'insertion professionnelle. C'est 5 % de plus qu'en 2023.
L'extension des crédits du dispositif Cadres d'avenir est à saluer. Dans le programme 123, 21,6 millions d'euros financeront trois nouvelles aides : un passeport pour l'installation professionnelle en outre-mer, la mobilité des actifs salariés, la mobilité des entreprises innovantes. Cela contribue concrètement au renforcement de la continuité territoriale et au développement de l'emploi.
L'effort global consacré à la continuité territoriale, qui augmente de 41 %, est à saluer. C'est un message fort pour les étudiants et actifs.
La lutte contre la vie chère est un autre défi majeur. Les prix sont historiquement plus élevés en outre-mer. Pis, les écarts avec l'Hexagone ne cessent de se creuser. Si l'inflation y est pour beaucoup, ce phénomène s'observe depuis longtemps. En Guadeloupe, les prix sont plus élevés de 40 % en moyenne, et même de 50 % sur le panier alimentaire. Idem pour les soins, plus chers de 17 %, et les communications, jusqu'à 35 %.
Plusieurs dispositifs ont été instaurés contre l'inflation : le bouclier qualité-prix, dont le panier a été élargi cette année, ou le filet de sécurité énergétique. Hélas, leur efficacité est limitée.
La lutte contre l'habitat indigne est renforcée de 16 millions d'euros. C'est indispensable, car 18 % des logements sont insalubres, contre 1,2 % dans l'Hexagone. À Mamoudzou, 15 000 personnes vivent dans un bidonville. (M. Philippe Vigier renchérit.)
Le fonds exceptionnel d'investissement est doté de 160 millions d'euros en AE et de 87 millions en CP. Il faut aider les collectivités à adapter leurs équipements publics pour le traitement de l'eau et des déchets, mais aussi pour le développement durable, d'autant qu'elles sont régulièrement frappées par des catastrophes naturelles comme les cyclones ou les sargasses.
Comme l'a souligné la Cour des comptes, il faut un meilleur calibrage de la mission, marquée tant par une sous-consommation que par une surexécution des crédits. Le vote des crédits n'aura de valeur qu'avec un déploiement fidèle et concret dans les territoires ultramarins.
Au final, nous saluons la hausse globale des crédits de la mission, qui ne représentent qu'une partie des soutiens de l'État aux Drom. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Lana Tetuanui . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Annick Girardin et Solanges Nadille applaudissent également.) À ceux qui sont là ce matin, merci pour nous ! Le rituel de l'examen du PLF nous permet de dresser un constat des politiques publiques en faveur des outre-mer. Les AE progressent de 7 %, les CP de 4,5 %.
Cette augmentation de crédits, à saluer, reste insuffisante compte tenu des urgences et de l'inflation.
Les efforts portent sur le logement ou l'habitat insalubre - une priorité, tant le retard est grand - et sur l'accompagnement financier de Mayotte, où les habitants ont recours à de l'eau embouteillée pour les usages du quotidien, en l'absence d'accord local pour l'implantation d'un réseau rénové. Ces situations complexes nécessitent de lourds investissements.
Les crédits octroyés à la continuité territoriale augmentent, ce que nous saluons. Remercions les parlementaires qui ont obtenu le renforcement des crédits de Ladom.
Les crédits affectés au SMA progressent chaque année. Ce dispositif d'insertion professionnelle de nos jeunes en décrochage scolaire est une réussite.
L'appui aux financements bancaires et à l'ingénierie diminue de 7 millions d'euros en AE. Ce n'est pas opportun, alors que les besoins augmenteront en 2024.
Vous proposez aussi d'économiser 10 millions au détriment de la collectivité territoriale de Guyane, alors qu'elle fait face à la liquidation d'Air Guyane. Sa situation enclavée mérite une attention particulière.
Les mesures de défiscalisation introduites dans ce budget l'ont été à la hussarde et sans concertation. L'amendement du rapporteur général du Sénat est à cet égard plein de sagesse. Merci pour nos outre-mer !
Le coût de la vie est de plus en plus élevé, et le foncier de plus en plus rare. La spéculation fait rage, notamment dans mon territoire : les jeunes ne peuvent investir.
J'en viens aux crédits affectés à la Polynésie française.
Les engagements de l'État sont stables en matière de santé, alors que le renouvellement de notre convention solidarité-santé est toujours en attente, malgré la promesse de Jean-François Carenco. Toutes les dépenses liées aux soins des victimes du nucléaire doivent être remboursées par l'État, pour éviter de grever les charges de notre caisse locale de sécurité sociale.
Les aides à la reconversion de l'économie polynésienne et au désenclavement sont stables.
L'engagement de l'État sur la dotation globale d'autonomie (DGA), dite dette nucléaire, financée par prélèvement sur recettes de l'État, est respecté.
La dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente légèrement, de 1,96 %, sans compenser pour autant l'inflation. Mais merci quand même ! (Sourires)
Le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) voit ses crédits augmenter pour faire face à des dossiers de plus en plus nombreux. Il est rassurant de voir ainsi l'État assumer ces réparations à un rythme soutenu.
Quant au fonds intercommunal de péréquation (FIP), il serait bienvenu que la part versée par l'État aux communes progresse.
L'amendement introduit dans le PLF 2024 par le Gouvernement sur la réforme de l'ITR ne m'a pas convaincue. Ce n'est pas un dispositif correcteur, comme promis. L'objectif est de supprimer l'indexation, sans tenir compte de la situation sociale de nos fonctionnaires et militaires, qui ont largement servi la nation. C'est irrespectueux à leur égard. Cette réforme n'apportera que des déconvenues localement. J'ai déposé un amendement, en concertation avec les organisations syndicales.
Vu le rôle de nos outre-mer de l'Indopacifique dans les grands défis à venir, il serait peut-être opportun de mieux les considérer.
Le groupe votera les crédits de la mission « Outre-mer », ainsi que les amendements de Teva Rohfritsch. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Depuis plusieurs années, la vie chère est la préoccupation majeure de nos compatriotes ultramarins. C'est le principal mécontentement qui nourrit les tensions sociales. Le souvenir de la grève générale de 2009 aux Antilles est vif, tout comme celui de la crise des gilets jaunes à La Réunion.
À chaque crise, les mêmes revendications : d'une part, l'augmentation générale des salaires, des minima sociaux, des allocations chômage et des pensions de retraite, d'autre part le ras-le-bol face à l'augmentation des prix.
Mais malgré la récurrence et la dureté de ces mouvements sociaux, les alertes des élus locaux et des parlementaires, le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), celui de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, malgré la démarche Oudinot du pouvoir d'achat, le mal-être perdure, et s'aggrave, dans un contexte d'inflation.
Les prix sont 10 à 15 % plus élevés que dans l'Hexagone, 30 à 40 % en Polynésie et Nouvelle-Calédonie. Les écarts se creusent encore sur l'alimentaire, et 55 % des habitants renoncent à des dépenses du quotidien afin d'assurer l'essentiel. Ce sont 900 000 personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en outre-mer. Ce n'est pas digne de notre République !
Répondre rapidement à ces difficultés de pouvoir d'achat est un enjeu de cohésion sociale, mais aussi de cohésion nationale, car l'égalité est au coeur de la promesse républicaine.
Des dispositions pragmatiques peuvent déjà être adoptées. Ainsi, face aux situations de rente ou de quasi-monopole, des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) avaient été créés en 2007. Ils doivent donner un avis consultatif préalable à la phase de négociation des produits composant le bouclier qualité prix. Or ils sont contraints par le faible niveau de leur dotation - 100 000 euros par an. Nous vous proposerons de l'augmenter, car la diminution des inégalités et la maîtrise des prix doivent être les piliers de notre politique.
L'accès à l'emploi de qualité doit aussi être renforcé. Il faut travailler au développement d'une économie plus dynamique et durable, ancrée dans les territoires et respectueuse de l'environnement, afin d'augmenter le pouvoir d'achat des ultramarins.
Les surcoûts liés aux importations, la concentration des importateurs et distributeurs, la fiscalité locale assise sur les importations, le manque d'emplois locaux, l'insuffisance des productions locales, notamment pour les produits frais, et la faiblesse des revenus : autant de facteurs qui contribuent à la crise du pouvoir d'achat.
Les 72 annonces du Ciom du 18 juillet 2023 ont déçu. Aucune annonce sur la réforme de l'octroi de mer (M. Philippe Vigier réagit vivement), qui pèse sur les prix, ni de mesure d'ensemble sur le pouvoir d'achat ! Nous comprenons cette déception. La crise du pouvoir d'achat est celle d'un modèle économique.
Le budget n'est pas à la hauteur des enjeux ni de l'urgence sociale et environnementale à laquelle nos compatriotes ultramarins sont confrontés. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du RDPI)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Pour paraphraser le Président de la République, les aéroports sont des lieux où se croisent des gens qui sont tout et ceux qui ne sont rien. Ceux qui sont tout bénéficient du privilège d'être nés au bon endroit. Ceux qui ne sont rien, nés à des milliers de kilomètres du continent, sont condamnés au chômage, à la précarité, à l'eau boueuse et à l'exil.
Réussir pour soi, chez soi, est de plus en plus difficile ; à chaque adaptation, on nous ressort le fallacieux argument de rupture d'égalité.
À l'Assemblée nationale, le budget de la mission « Outre-mer » a fait l'unanimité, puis - magie du 49.3 - a disparu. Le réflexe outre-mer ressemble pour vous à un réflexe paternaliste.
L'article 55 a suscité beaucoup d'animation à l'Assemblée. Malgré l'annonce de sa suppression, le Sénat en débattra. N'avons-nous rien appris de notre histoire ? Votre politique doit-elle toujours être celle du grand bond en arrière ?
Sur la continuité territoriale, l'enveloppe est en deçà des attentes, bien inférieure à celle accordée à la Corse - 340 000 habitants, à moins de 400 kilomètres du continent. La France d'outre-mer, c'est 2,7 millions d'habitants ; les distances avec l'Hexagone, entre 6 000 et 15 000 kilomètres ! Nous faisons pâle figure avec nos 93 millions d'euros, à comparer aux 193 millions alloués à l'Île de beauté. Le budget de Ladom est insuffisant, l'aide reste conditionnée.
Ce budget est décevant à bien des égards, à commencer par l'investissement insuffisant dans nos infrastructures d'eau. Certes, vous pourrez toujours dire que cela relève des collectivités. Mais, à Mayotte, votre responsabilité a été pointée du doigt par l'Union européenne.
Nous sommes soumis à des coûts exorbitants pour chaque chantier, en raison des normes nationales. Comme le disait Thomas Sankara, il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous. Le Gouvernement a fait son choix, celui d'accepter que 2,7 millions de personnes puissent manquer d'eau potable, faisant fi de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 28 juillet 2010, qui reconnaît que l'accès équitable à une eau potable, salubre et propre et à des services d'assainissement fait partie des droits de l'homme.
L'outre-mer, c'est 86 % de notre biodiversité française. C'est la clé de notre puissance maritime. C'est la porte d'entrée de la France vers l'espace. C'est le berceau du multiculturalisme et de la laïcité. C'est un incubateur de nouveaux talents et d'innovations. Elle porte en partie le renouveau du pays.
Mais les hôpitaux sont en perdition, et les descendants d'esclavagistes s'octroient un monopole sur l'économie.
Sans solution nouvelle pour le logement, sans contrôle sur les prix et sur le logement, ce sont des centaines de milliers d'ultramarins que vous abandonnez à la misère. Nous voterons contre ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Annick Girardin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'effort de renforcement des crédits de la mission doit être salué. Concernant le programme 138, il fallait donner de la stabilité aux entreprises : c'est chose faite. Pour le programme 123, la progression s'explique par la hausse de la LBU de 49 millions d'euros. C'est une bonne nouvelle pour relever le défi du logement outre-mer, même si Saint-Pierre-et-Miquelon n'est plus concernée par la LBU.
Il n'y a pas l'outre-mer, mais des outre-mer. Je vous parlerai donc de mon territoire. Saint-Pierre-et-Miquelon fait face à un triple défi - démographique, économique, climatique - auquel s'ajoute l'explosion du coût de la vie. En 2022, c'est à Saint-Pierre-et-Miquelon que l'inflation a été la plus forte. Les moyens augmentent, mais ils devront être complétés pour faire face à de nouvelles difficultés.
Monsieur le ministre, je sais pouvoir compter sur vous, puisque des solutions interministérielles ont été trouvées en quelques semaines sur les dossiers que j'ai portés à votre connaissance : le nouveau dispositif qui remplacera l'indemnité temporaire de retraite (ITR), la sauvegarde de l'antenne de l'Ifremer, la décorrélation entre la démolition de l'ancien hôpital et le futur Ehpad, la réponse de l'État sur le village de Miquelon, le rehaussement des seuils des allocations de logement social (ALS) et des allocations de logement familial (ALF). Autant de progrès.
Il faudra être vigilant sur les décrets d'application de l'extension de MaPrimeRénov' ou sur l'autorisation donnée à Action Logement pour épauler le territoire. Cette vision de long terme est à mettre à votre crédit, monsieur le ministre. Mais les projets à court terme des collectivités territoriales doivent pouvoir être financés dès 2024.
Le transport aérien est un vaste sujet. Organiser la venue du ministre relève de la haute voltige. Si les crédits en faveur de la mobilité sont en hausse, les services et l'offre régressent. Ce sont pourtant des enjeux de souveraineté nationale et de cohésion territoriale. L'assignation à résidence est un ennemi, selon le Président de la République ; nous y sommes particulièrement confrontés. Vous avez prévu une étude, certes, mais il faut déverrouiller la situation au plus vite !
Le groupe RDSE votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du RDPI)
Mme Catherine Conconne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille et M. Frédéric Buval applaudissent également.) Le ministère a su maintenir l'écoute avec les élus de nos territoires - je m'en réjouis. Nos rapports sont parfois tumultueux, mais nous parviendrons à avancer ensemble, dans l'intérêt des populations. Je salue les efforts sur les crédits de ladite outre-mer. J'essaie toujours d'être juste : quand c'est bien, je le dis !
Tous les indicateurs sociaux sont au rouge, notamment sur le déclin démographique. Le coût de la vie est un problème structurel, persistant. Or les crédits de l'aide au fret baissent d'un tiers ! Nous vous proposons au contraire de les augmenter, en les fléchant vers les produits de première nécessité.
La prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques est inquiétante. Plus encore que dans l'Hexagone, les familles sont en grande difficulté. Nous vous proposerons un amendement pour aider les associations à former les aidants.
Il faut déployer les nouveaux dispositifs relatifs à la continuité territoriale. Je suis particulièrement investie sur ce sujet. Notre rapport de mars dernier appelait à des décisions volontaristes. Sept de nos douze préconisations sont en cours de réalisation, je m'en réjouis. Mais il faut aller plus loin, en doublant le montant du fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif (Febecs).
Ensuite, il faut inscrire dans le budget une réforme ambitieuse de Ladom. La rédaction actuelle de l'article 55 a suscité de vives inquiétudes. J'ai tenté un amendement de compromis, qui propose une expérimentation de trois ans. Ces crédits ont vocation à soutenir la mobilité des plus modestes : être tenu éloigné de ses attaches en raison de sa condition sociale est une violence intolérable. Les 22 millions d'euros de crédits inscrits au budget sur cette ligne sont une première victoire. Nous devons mobiliser tous les outils en vue du retour au pays de nos concitoyens.
Nous portons des propositions utiles pour répondre à l'urgence. Sur l'article 55, je suis convaincue que nous parviendrons à un compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du RDPI)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Gouverner, c'est choisir ses combats et établir ses priorités. La mission voit ses crédits augmenter, je m'en réjouis. Mais ce n'est qu'une réponse partielle au retard de développement de nos collectivités. Tout ne peut être fait en un an.
Le territoire de Saint-Martin a besoin de la solidarité nationale. Collectivité de 32 000 habitants, frappée par une crise climatique majeure, Saint-Martin est toujours dans une situation post-traumatique. S'y ajoutent des handicaps structurels : chômage de masse, immigration, pauvreté endémique. Avec un PIB par habitant inférieur de 45 % à la moyenne hexagonale, c'est la troisième collectivité la plus pauvre de France. Ces réalités sont peu connues, faute de statistiques fiables. Saint-Martin est trop souvent dans l'angle mort des politiques publiques.
Mon territoire s'inscrit dans une logique de rattrapage, alors que les infrastructures ont été conçues pour une population quatre fois moins importante qu'aujourd'hui. Peu de transferts de charges ont été compensés : la chambre territoriale des comptes évalue le préjudice financier sur seize ans à 100 millions d'euros.
Aucun logement social n'a été construit depuis 2016. Le logement social représente 10 % du parc. Résultat : la collectivité est sous-dotée, avec un ratio de 5,2 pour 100 habitants, contre 7,6 dans l'Hexagone et 10 en Guadeloupe. Cette situation n'est pas tolérable. Il faut refonder notre politique du logement, avec l'aide de l'État : dès lors, je suis très favorable à l'adoption de l'article 55 bis, qui prévoit l'extension d'Action Logement dans nos territoires. Nous devons aussi progresser sur la convention entre la collectivité, l'État et l'Anah.
Pour lutter contre le logement insalubre, nous avons besoin de 2,5 millions par an. Seulement 39 % des ménages de Saint-Martin disposent de l'eau chaude. Afin de garantir l'accès à l'eau potable, une réforme du plan Eau DOM a été annoncée, avec 35 millions pour l'Office français de la biodiversité (OFB) et plus de soutien en ingénierie.
Saint-Martin reste dépendante des subventions publiques : il faudrait investir au minimum 15 millions d'euros par an.
Je salue l'extension en outre-mer du crédit d'impôt de rénovation des logements sociaux hors QPV. Le Gouvernement a bien saisi les enjeux, nous comptons sur lui pour apporter des réponses.
M. Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer . - Comme l'a dit Annick Girardin, il n'y a pas un outre-mer, mais des outre-mer. Le Gouvernement est très attentif à tous les territoires ultramarins, qui sont une chance pour la France : ils exigent un regard et un soutien particuliers.
Les crédits sont en hausse. Certes, nous pouvons toujours attendre plus. Les anciens ministres des outre-mer présents dans cet hémicycle noteront néanmoins que nous sommes au rendez-vous.
Cette mission voit ses crédits augmenter de 7 %, soit 4,4 % hors inflation, avec près de 3 milliards d'euros d'engagement direct. Au total, 22 milliards d'euros sont mobilisés. Le soutien aux collectivités territoriales, via les fonds exceptionnels d'investissement (FEI), passe de 110 à 160 millions. Il était de 40 millions il y a cinq ans.
Le Ciom n'est pas un catalogue des bonnes intentions. Il prévoit une feuille de route qui impose à chacun de répondre présent. Nous devons coconstruire ensemble, comme nous l'avons fait les 23 et 24 novembre derniers. Le prochain rendez-vous aura lieu au printemps.
Nous rencontrons de grandes difficultés sur le logement en outre-mer. La LBU est là, mais ce n'est pas le Gouvernement qui construit... Nous manquons d'opérateurs. Quelque 20 millions supplémentaires sont prévus pour le logement social et les aides de l'Anah augmentent.
Le sujet de l'eau est essentiel. Au 31 décembre 2023, nous aurons mis 100 millions d'euros sur la table pour aider Mayotte. Alors que ces compétences sont normalement exercées par les collectivités, nous investissons. Nous avons contractualisé avec la Guadeloupe et l'OFB augmente sa participation sur les cinq prochaines années.
Les sargasses sont un problème réel. Une initiative internationale a été lancée avec le Costa Rica et la République dominicaine, notamment.
Le Pacte des solidarités prévoit 50 millions d'euros, pour les petits-déjeuners des enfants à l'école, les manuels scolaires... C'était une promesse du Ciom, qui a été tenue. La contractualisation est en cours.
Le Corom est une belle création : c'est un rapport gagnant-gagnant avec les collectivités. Oui, il faut aider les collectivités ultramarines, qui souffrent parfois d'un manque de compétences techniques - mais c'est aussi le cas parfois dans l'Hexagone.
Le soutien à l'ingénierie passera de 10 à 20 millions d'euros. Nous innovons : avec l'ensemble des organismes, les préfectures veilleront à créer des pools dédiés.
Je salue l'engagement de tous en faveur de la continuité territoriale, notamment celui de Mmes Jacques et Conconne, et de M. Théophile. Vous avez tous souligné que nous passions à 93 millions d'euros, soit une hausse de 40 %.
Sur l'article 55, je vous remercie d'avoir participé à nos travaux. La rédaction initiale du Gouvernement n'a pas été comprise : nous y retravaillerons ensemble. (M. Jean-François Husson murmure.)
Une expérimentation est une bonne idée. Nous pourrons ainsi rectifier le tir en cas de besoin. Veillons cependant au caractère constitutionnel des mesures. Si le dispositif était jugé anticonstitutionnel, comment ferions-nous ? Le Gouvernement vous suivra sur un chemin d'écoute partagée.
J'en viens au développement économique et à la création d'emplois. Madame Girardin, vous êtes à l'origine de la création des aides fiscales, qui sont un dispositif puissant de soutien à l'activité, même si les productions locales sont insuffisantes et la dépendance aux importations forte. Nous les maintenons.
Sur les niches fiscales, le travail de coconstruction entre le Gouvernement et la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) s'est montré efficace. Une nouvelle méthode sera déployée en 2024, pour évaluer les choses plus en amont.
Les contrats de convergence et de transformation (CCT) sont un bel exemple de réussite. Quelque 400 millions d'euros de plus ont été prévus pour la période qui s'ouvre.
Concernant la sécurité, les effectifs de gendarmerie et de police ont augmenté de 17 % en trois ans. Ces efforts sont notables, même si les problèmes sont toujours nombreux. Nous ne lâcherons rien !
La santé fait aussi partie de nos préoccupations. Nous avons effectivement remonté le coefficient géographique à La Réunion et répondu présents pour la reconstruction du CHU de la Guadeloupe. Il faut un plan santé puissant pour les territoires ultramarins, car il n'y a pas deux France, mais une seule.
En matière de coopération régionale, nous ne travaillons pas assez avec les régions voisines. Les normes spécifiques aux RUP s'appliqueront dès le printemps prochain : cela fera baisser le coût des matériaux.
Concernant les normes, nous avançons.
Le Gouvernement a fait un effort particulier pour le logement. Action logement pourra intervenir rapidement à Saint-Martin et nous irons plus loin en 2024 pour lutter contre l'habitat indigne. Le syndicat de l'eau en Guadeloupe sera aidé à hauteur de 27 millions d'euros en 2024, en plus des aides déjà évoquées.
Monsieur Mohamed Soilihi, merci d'avoir rappelé le rôle majeur du SMA et de la continuité territoriale. Comptez sur moi pour que cet effort perdure. Nous aurons à bâtir ensemble une loi pour Mayotte.
Concernant le vieillissement observé à la Martinique, La Réunion et en Guadeloupe, nous sommes conscients du sujet, comme de celui du handicap et de la dépendance. Nous y répondons, madame Malet, avec notamment 47 millions d'euros pour aider les personnes handicapées.
M. Szczurek a parlé d'immigration : la loi est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, chacun prendra ses responsabilités.
Concernant la réforme de l'octroi de mer, la méthode définie au Ciom sera respectée. Vous ne découvrirez pas une réforme écrite sur un coin de table...
Madame Tetuanui, nous avons sauvé le stock des ITR. La clause du grand-père est respectée. Près de 4 000 euros sont garantis, à vie, pour tous ceux qui entrent dans le dispositif.
Monsieur Mellouli, madame Corbière Naminzo, merci pour vos discours vibrants. Nous essayons de porter la réponse républicaine aux outre-mer, avec ambition. La continuité territoriale est un sujet majeur. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Annick Girardin applaudit également.)
M. le président. - Compte tenu du temps alloué par la conférence des présidents à l'examen de cette mission, je vous invite à la concision. Évitons-nous - ce serait catastrophique - une séance de nuit vendredi.
La séance est suspendue quelques instants.
Examen des crédits et des articles rattachés
Article 55 (appelé en priorité)
M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances . - L'article 55 instaure trois nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale : un pour financer le déplacement des salariés en vue d'une formation professionnelle ; un autre pour prendre en charge les déplacements professionnels des entreprises ultramarins innovantes ; le dernier pour accompagner les projets individuels d'installation outre-mer.
Or le troisième a suscité de nombreuses réactions des élus ultramarins, de tous bords. La commission ne souhaite pas la suppression de l'article, qui renforce la continuité territoriale. Mais l'aide à l'installation professionnelle doit être modifiée.
Le nombre d'amendements déposés témoigne des craintes et des attentes. Certains nous paraissent propres à y répondre, notamment ceux qui prévoient une expérimentation de l'aide à l'installation professionnelle. La prise en compte des centres d'intérêt matériels et moraux est aussi indispensable. En revanche, nous vous alertons sur le risque d'inconstitutionnalité associé à d'autres.
Nous solliciterons le retrait de certains amendements pour favoriser ceux qui peuvent le mieux nous réunir. Faisons preuve d'ouverture et de raison.
Mme Annick Petrus . - Vous connaissez le combat des sénateurs ultramarins pour le retour au pays, afin d'enrayer le déclin démographique de nos territoires - je pense notamment à Catherine Conconne et son association Alé Viré. Nous menons ce combat dans plusieurs domaines : l'administration, pour que nos territoires soient gérés par des locaux, mais aussi le privé.
J'ai donc été surprise en prenant connaissance de l'article 55, qui prévoit une aide à l'installation pour les résidents de l'Hexagone. C'est une aide au retour que nous voulons !
Je ne voterai pas cet article en l'état, ni aucun amendement ne tenant pas compte, avant toute autre considération, des intérêts des territoires ultramarins.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
Mme Catherine Conconne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce sujet devrait nous réunir. En effet, qui peut-être contre une aide destinée à contrebalancer les dégâts de certains dispositifs, à commencer par le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom), que nous avons tous décrié ?
Avec 2 millions d'euros, nous sommes loin du compte, mais c'est une sorte d'acte de réparation de l'État. Nul ne peut être contre, mais tout dépend de la manière dont le dispositif est amené : l'enfer est parfois pavé de bonnes intentions...
J'en appelle à la sagesse et à la raison du Sénat. Je n'ai pas bien compris la levée de boucliers au sein de notre assemblée soeur de la rue de l'Université. Lors de l'entrée de certains pays dans l'Union européenne, d'aucuns craignaient que des populations entières de Polonais, par exemple, n'investissent nos territoires : c'était « Voilà le loup ! », comme dit la chanson, et celui-ci allait nous manger... Il n'en a rien été.
Préservons l'essentiel : l'aide de 2 millions d'euros. Mon association regroupe près de mille Martiniquais qui, tous, auraient aimé être accompagnés financièrement pour leur retour au pays, car celui-ci a un coût. Il faut « tenir le pas gagné ». (Mme Solanges Nadille applaudit.)
M. Victorin Lurel . - Je parle peu sur cette mission. Ancien ministre, je reste un homme responsable. Et je m'efforce de peu critiquer mes successeurs.
Mais enfin, voici un article qui n'a pas été annoncé lors du Ciom, n'a pas été demandé par les élus et n'a fait l'objet d'aucune concertation. Il a déclenché un fort émoi dans tous les outre-mer.
Le Gouvernement est fondé à faire des propositions, mais vouloir, en réciprocité du Bumidom, aider les métropolitains à s'installer en outre-mer et même aider des entreprises au nom de la continuité territoriale relève d'une maladresse politique insigne.
La continuité territoriale, constitutionnellement garantie, c'est le droit pour les particuliers d'aller et de venir. Mme Jacques a reçu tous les députés et nous avons trouvé un terrain d'entente pour une politique en faveur de celles et ceux qui veulent revenir, autour de trois critères : naissance, résidence, ascendance. Le plus logique, le plus cohérent, serait de supprimer cet article !
M. Laurent Somon . - La France doit à ses outre-mer d'avoir le deuxième espace maritime au monde. Nos territoires ultramarins nous ouvrent le monde et l'espace ; ils concourent à notre force et notre grandeur.
Nous voterons les crédits de la mission, en augmentation. Je salue les travaux menés au Sénat sous la houlette de Micheline Jacques, présidente de la délégation aux outre-mer, qui a échangé avec de très nombreux élus ultramarins.
Les spécificités démographiques, historiques et sociales de ces territoires sont nombreuses, et leurs difficultés multiples. Assurer la continuité territoriale est une priorité.
Le groupe Les Républicains vous invite à soutenir l'amendement n°II-1131 de Mme Jacques, qui vise à faciliter les déplacements depuis et vers les outre-mer et à élargir à l'installation professionnelle les aides existantes.
M. le président. - Amendement n°II-1107 rectifié, présenté par MM. Lurel et Pla et Mme G. Jourda.
Supprimer cet article.
M. Victorin Lurel. - Nous plaidons pour la suppression de ce dispositif pour le moins étonnant, ni annoncé ni discuté.
Soyons clairs : il ne s'agit pas d'empêcher quiconque de s'installer outre-mer. Mais une telle mesure doit donner lieu à concertation.
On nous a annoncé que le Gouvernement supprimerait l'article, puis que les députés allaient le réécrire. Mais le Parlement comporte deux chambres, et nous ne sommes pas les supplétifs des députés.
Nous nous alignerons sur la proposition de Mme Jacques. Mais, je le redis, le plus logique, le plus respectueux du Parlement et aussi le meilleur moyen d'amener le Gouvernement à nous présenter une politique cohérente, ce serait de supprimer l'amendement.
M. le président. - Amendement identique n°II-1151, présenté par Mme Corbière Naminzo et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Robert Wienie Xowie. - Vous vous décidez enfin à agir pour les plus précaires - en tout cas, pour ceux en manque de vitamine D, d'aventure ou d'exotisme !
Le Gouvernement fait tout à l'envers : pour améliorer le droit du travail, il fait des cadeaux aux actionnaires et aux patrons ; pour préserver le climat, il protège les gros industriels et les grands pollueurs. Voici que, pour faciliter le retour outre-mer, il crée une nouvelle discontinuité territoriale pour ceux qui n'y ont jamais posé les pieds !
Cet article est une aberration. Notre histoire coloniale, c'est celle d'ultramarins importés comme main-d'oeuvre bon marché dans l'Hexagone et de métropolitains bénéficiant de passe-droits et de primes. Quoi de plus beau que la vie de colon en République... Cette époque est révolue, n'y revenons pas !
Nos territoires connaissent un véritable exode des jeunes diplômés. En raison du manque d'opportunités locales, nos cerveaux et nos forces vives grossissent les rangs de la métropole au lieu de contribuer au développement de nos territoires. Nos enseignants sont poussés à l'exil, tandis que nos postes sont pris par ceux qui viennent de l'extérieur. Il semble que la misère de vivre sous votre gouvernement soit moins pénible au soleil...
Nous demandons la suppression de cet article. Vous l'avez annoncée, monsieur le ministre : tenez votre promesse !
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - Il serait dommage de priver nos territoires de ces nouvelles opportunités. Trouvons plutôt une solution de compromis pour le volet de l'article qui ne fait pas consensus. Retrait ?
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Avis défavorable. Il est normal que cet article suscite un débat essentiel.
Monsieur Lurel, j'ai reçu au ministère tous les parlementaires - je communiquerai la date précise de cette réunion et toutes les questions qui ont été abordées. Les députés ont demandé à nous rencontrer, Gérald Darmanin et moi-même. Comme l'article 55 suscitait des interrogations, nous leur avons proposé une nouvelle rédaction. Le président de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale nous a indiqué qu'il n'y avait pas de terrain d'entente. Ensuite, les sénateurs ont travaillé.
Supprimer l'article 55 reviendrait à tout supprimer, y compris le soutien à la formation des salariés et à la mobilité des entreprises innovantes. Les financements prévus disparaîtraient alors. (M. Victorin Lurel le conteste.)
En outre, monsieur Lurel, le Ciom a bien évoqué cette question. Je vous renvoie à sa proposition n°47, Faciliter l'installation en outre-mer des porteurs de projets professionnels : « L'État accompagnera les porteurs d'un projet professionnel résidant dans l'Hexagone et qui les conduit à s'installer en outre-mer. Les critères de sélection permettront de prioriser les candidats justifiant d'un centre d'intérêts matériels et moraux. Cette mesure sera déclinée dans le cadre d'un partenariat proposé aux collectivités locales. » Cette orientation a été validée le 18 juillet dernier, sous l'autorité de la Première ministre.
Madame Jacques, j'entends vos arguments, mais réserver une aide à des personnes en fonction de leur origine géographique me semble inconstitutionnel - le droit sera dit en temps voulu, mais la mesure risque d'être complètement supprimée.
Mon objectif est simple : aboutir à des dispositifs efficaces. Il y a quelques années, des mesures encourageaient le départ des jeunes vers l'Hexagone : ce n'est pas notre orientation. Nous développons des mesures efficaces et puissantes au profit des jeunes et des territoires d'outre-mer.
Mettez-vous d'accord sur une rédaction, le Gouvernement vous accompagnera. Mais ne prenons pas le risque de supprimer l'article ou de l'amputer d'une partie de sa substance.
M. Akli Mellouli. - On nous vend un article 55 avec deux mesures intéressantes, mais une troisième qui ne l'est pas. Comment cela sera-t-il perçu par nos compatriotes ultramarins ? Ils ont un sentiment d'injustice, notamment dans l'accès à l'emploi. Nous voterons la suppression de l'article.
M. Victorin Lurel. - Je ne prétends pas que vous ne m'ayez pas invité, monsieur le ministre.
Sur des politiques qui existent, vous en greffez une autre, toute différente. Mais la continuité territoriale s'adresse aux individus, pas aux entreprises !
Votre petit chantage à la disparition des crédits ne repose sur rien, puisque les dispositifs de soutien aux travailleurs et aux entreprises existent. Présentez-nous une politique cohérente de lutte contre la déprise démographique. Quand les ultramarins viennent en métropole, ils ne reçoivent ni billet d'avion ni prime. La logique serait de supprimer l'article.
Mme Annick Girardin. - Nous ne serons pas d'accord, car les outre-mer sont différents.
Je suis favorable à l'article 55 dans la rédaction du Gouvernement, car mon territoire souffre d'une baisse démographique catastrophique et d'un manque de ressources humaines. J'ai besoin de ces aides.
L'aide au retour de nos étudiants, nous la demandons depuis toujours. J'appelle de mes voeux une aide globale, ouverte à tous.
Je suis pour une expérimentation, si cela peut rassurer tout le monde - de trois ans minimum, car nous savons que c'est le temps nécessaire. Mais je me méfie des arrangements censés mettre tout le monde d'accord.
Voilà des années que nous nous battons : pour une fois que l'argent est là, prenons-le !
Mme Catherine Conconne. - Je ne voterai pas la suppression de l'article, car nous avons besoin de l'aide au retour, que nous réclamons depuis longtemps.
La délégation sénatoriale aux outre-mer a établi un rapport d'information sur la continuité territoriale en mars dernier : elle propose de « soutenir et amplifier, en partenariat avec les collectivités territoriales ultramarines, les dispositifs accompagnant ou encourageant le retour des jeunes actifs sur les territoires et [de] placer cette priorité au coeur de Ladom 2024 ».
J'ai mené plus d'une centaine d'auditions, avec tous les territoires d'outre-mer : tous les élus ont réclamé cette aide.
Cette aide, j'en ai besoin pour mon territoire. Je pense à Marie-Claude, mère seule avec quatre enfants qui veut rentrer au pays mais ne peut pas payer les cinq billets d'avion ; ou à Joël, logisticien qui vient d'obtenir un emploi à Carrefour en Martinique mais n'a pas les moyens de rentrer avec ses trois enfants. C'est pour eux que je suis là, rien que pour eux et toujours pour eux.
Mme Lana Tetuanui. - Le sujet est explosif. En Polynésie, je lisais dans la presse locale : Eurêka ! Le Gouvernement retire l'article 55...
Il y a outre-mer et outre-mer. (Mme Annick Girardin renchérit.) Mais nous rencontrons tous de nombreuses difficultés pour que nos jeunes diplômés reviennent occuper des emplois qualifiés dans nos territoires. (Mme Catherine Conconne approuve.) Pourtant, la loi pour l'égalité réelle outre-mer reconnaît le caractère prioritaire : en vain...
J'ai déposé une proposition de loi visant à supprimer les primes accordées depuis 1958 - l'âge de notre Constitution - aux fonctionnaires métropolitains qui s'expatrient dans nos territoires, car, en sens inverse, rien n'est prévu !
Je ne veux pas mettre le feu aux poudres, mais il y a peut-être des dispositions intéressantes pour certains territoires qui ne le sont pas pour d'autres. Je redoute l'adoption d'un dispositif trop général, qui ne nous soit d'aucune utilité.
M. Frédéric Buval. - L'article 55 a déjà suscité de nombreux débats. Il pose une question cruciale : l'attractivité de nos territoires - c'est elle qui doit guider nos votes.
Passons d'une logique nationale, uniforme, à une vision plus différenciée qui tient compte des réalités de chaque territoire. Mon amendement en ce sens a malheureusement été déclaré irrecevable au titre de l'article 40.
Je soutiens les actions locales créées en Martinique, notamment l'association Alé Viré de Catherine Conconne. Je voterai son amendement et ceux allant dans le sens d'une approche territorialisée. (Mme Catherine Conconne remercie l'orateur.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - L'article 55 vise à favoriser le retour au pays, mais ce n'est pas dit ainsi.
Un territoire est attractif s'il est dynamique économiquement, s'il offre des emplois. Favoriser l'aide au retour, c'est d'abord veiller à ce que les centres des intérêts matériels et moraux soient mis en place et respectés quand nos compatriotes demandent à rentrer outre-mer. Il fait aussi revoir les zonages de la gendarmerie et de la police nationale, pour toucher directement nos compatriotes qui travaillent dans l'Hexagone.
Quand on présente un tel article, on oublie que La Réunion, par exemple, compte 18 % de chômeurs. Les jeunes qui partent le font en raison de la pauvreté, de l'injustice sociale et du manque d'opportunités. C'est deux poids, deux mesures : on fait partir les plus pauvres d'entre nous et on fait revenir on ne sait qui...
Nous voterons la suppression de l'article.
M. Victorin Lurel. - Je demande la parole !
M. le président. - Je regrette, mon cher collègue, mais vous avez déjà expliqué votre vote. (M. Victorin Lurel proteste.)
Les amendements identiques nosII-1107 rectifié et II-1151 ne sont pas adoptés.
La séance est suspendue à 12 h 50.
Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 30.