Référendum d'initiative partagée
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée (RIP), présentée par M. Yan Chantrel et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Notre pays traverse une crise démocratique. Au second tour de l'élection présidentielle de 2022, l'abstention a atteint 28 %, un record depuis 1969. Plus d'un Français sur deux ne s'est pas déplacé pour voter aux législatives de 2017, deux sur trois aux régionales de 2021 et, pour la première fois de notre histoire, plus de 50 % aux municipales de 2020.
On a beaucoup disserté sur les causes de ce désamour, parfois présenté comme une fracture démocratique qui touche les jeunes, les plus précaires, les moins diplômés. Mais en réalité, tous les Français sont concernés. Le politiste Rémi Lefebvre s'alarmait dans l'Obs il y a quelques jours que la politique n'intéresse plus personne.
Depuis sept ans, la situation est aggravée par une pratique solitaire, brutale et autoritaire du pouvoir. Articles 44.2, 44.3, 47-1, 49.3... Les coups de boutoir constitutionnels employés à l'occasion d'une réforme des retraites rejetée par sept Français sur dix ont poussé la logique de la Ve République jusqu'à ses limites.
Le déséquilibre de nos institutions, marqué par un exécutif monarchique, n'a cessé de saper la confiance de nos concitoyens dans nos politiques. Ainsi, 64 % des Français estiment que la démocratie fonctionne mal en France - 7 points de plus en un an, 12 de plus que chez nos voisins. C'est bien la pratique actuelle du pouvoir, doublant ce déséquilibre d'un mépris pour le Parlement et les corps intermédiaires, qui les écoeure.
Patrick Boucheron indiquait dans le Monde : « Je n'ai pas l'expérience d'un gouvernement qui ait à ce point méprisé les sciences sociales, l'université, l'exercice collectif de l'intelligence, le mouvement social : tant de suffisance pour tant d'insuffisances. » L'exercice collectif de l'intelligence, voilà ce que je souhaite remettre à l'honneur.
Alors qu'ils n'aspirent qu'à participer davantage à la vie démocratique de notre pays, les Français se sentent dessaisis du processus de décision publique. En atteste la colère, voire la violence, qui s'exprime dans la rue à chaque nouveau passage en force. Remettons les citoyennes et les citoyens au coeur du processus démocratique ! Passons d'une démocratie gouvernée à une démocratie gouvernante.
La modernité se mesure au degré de participation des citoyens : la France est en retard. À une démocratie intermittente, préférons la délibération, le dialogue et la concertation. C'est d'autant plus urgent que nos concitoyens pourraient être poussés à confier nos institutions déséquilibrées à des forces politiques à l'agenda illibéral...
Il faut un nouveau souffle, en contraste radical avec la gestion paternaliste et la passivité populaire que produit notre Constitution.
Conventions citoyennes, tirage au sort, droit de pétition, consultations locales, droits d'initiative citoyenne : les Français doivent être plus souvent associés aux décisions qui les concernent, alors que 68 % d'entre eux pensent que la démocratie fonctionnerait mieux s'ils étaient directement associés aux décisions prises.
L'heure est venue de faire confiance au peuple ! Soyons fidèles à l'article 3 de la Constitution, selon lequel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
C'est pourquoi la révision constitutionnelle de 2008 avait introduit le référendum d'initiative partagée (RIP). Pourtant, presque dix ans après la promulgation des lois du 6 décembre 2013, aucune des cinq propositions de référendum n'a pu surmonter un parcours semé d'embûches : soutien de 185 parlementaires, puis de 4, 8 millions de citoyens inscrits sur les listes électorales, passage des fourches caudines du Conseil constitutionnel, puis bienveillance du Parlement...
Chacun le reconnaît : les concepteurs du RIP ont tout fait pour qu'il soit inapplicable. Le rapporteur reconnaît d'ailleurs que les garde-fous se sont révélés de véritables herses juridiques, et partage la nécessité de simplifier la procédure.
L'ambition de ce texte n'est pas plus grande. Sa méthode est simple : il s'appuie sur l'expérience de ces dernières années et sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour lever les verrous qui empêchent l'expression directe du peuple : élargissement du champ du référendum, abaissement du nombre de parlementaires à 93, abaissement du nombre de signatures de citoyens à 1 million, initiative aux citoyens eux-mêmes, explicitation du veto accordé au Parlement.
Difficile, pour nous parlementaires, de partager le peu de pouvoirs que nous accorde la Ve République. Mais la représentation et le référendum ont tous deux des vertus ! En démocratie, le peuple est souverain et nous n'en sommes que les modestes représentantes et représentants. Nous devons tout faire pour faciliter son expression. La démocratie ne cesse jamais de s'approfondir, sinon elle meurt.
N'ayez pas peur, faites confiance aux Français, et montrez-leur qu'ils peuvent avoir confiance dans la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; l'orateur est félicité par ses collègues en regagnant son siège.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie M. Chantrel et le groupe SER de nous donner l'occasion d'un débat sur le RIP, qui fait l'objet de nombreux travaux, dont certains autour du président du Sénat. Le Président de la République a lui-même annoncé des initiatives à ce sujet. Il n'est pas anormal, 18 ans après l'entrée en vigueur du dispositif, d'en faire une évaluation.
M. Patrick Kanner. - Pour le moment, ce n'est pas terrible !
M. Philippe Bas, rapporteur. - J'ai abordé cette question avec un esprit d'ouverture, au cours de deux longs entretiens très confiants avec M. Chantrel. J'en ai conclu que le sujet était trop important pour être traité dans le cadre de cette proposition de loi, le temps qui nous est imparti étant très court.
Il n'y a pas d'objection de principe à étendre le champ du référendum. La Constitution a été modifiée en ce sens en 1995 et en 2008. La vertu du travail parlementaire est précisément la recherche de terrains d'entente et la conciliation des points de vue. Toutefois, j'ai estimé que nous ne pouvions aboutir en raison de problèmes techniques, politiques et juridiques.
Tout d'abord, ce texte ne se borne pas au RIP, mais traite aussi du référendum inscrit à l'article 11 de la Constitution, arme confiée au Président de la République pour pouvoir, sur des sujets d'importance capitale pour le pays, donner la parole aux Français. Cet apport de la Constitution de 1958 était en rupture avec la tradition républicaine en vigueur, le référendum ayant été proscrit pendant près d'un siècle.
Dans un régime à la verticalité aggravée, il est surprenant que l'on ait logé ce RIP à l'article 11 de la Constitution, parmi les pouvoirs sans contreseing du Président de la République ! Votre texte, qui retire l'exigence que le référendum porte sur une réforme, et qui l'étend aux mesures fiscales, prête donc à discussion.
Vous estimez que le texte de la révision de 2008 a empêché plusieurs RIP de se tenir. Mais - au vu des sujets proposés depuis - est-il bon d'exposer ce référendum à un taux d'abstention considérable, compte tenu du peu d'intérêt que les Français auraient pour la question posée - faut-il privatiser les Aéroports de Paris ?
M. Patrick Kanner. - Non !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Êtes-vous sûrs de vouloir un taux de participation de 15 % ? Banaliser le RIP est la meilleure façon de le tuer !
Je suis donc circonspect : votre texte élargit les pouvoirs du Président de la République. En ce qui me concerne, je trouve qu'il en a déjà bien assez... Et vous risquez de tenir en échec une disposition encore toute jeune. Si elle n'a pas fonctionné pendant huit ans, cela ne signifie pas qu'elle ne fonctionnera jamais.
Mobiliser 48 millions d'électeurs parce que 1 million d'entre eux a estimé qu'il fallait soumettre telle ou telle question au vote des Français représente une grande prise de risque, d'autant qu'avec ce seuil, il suffit qu'un groupe de pression ou qu'une bande d'activistes se mobilisent...
J'en viens aux dispositions relatives au RIP. Un million de signataires, ce n'est pas assez, mais vous me dites que 4,8 millions, c'est trop ! Nous n'avons pas eu le temps de déterminer le nombre adéquat. Nous pourrions certainement trouver un compromis.
M. Patrick Kanner. - Il fallait amender !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Quant au nombre de parlementaires, il n'a pas été un obstacle jusqu'à présent. Pourquoi donc le modifier ?
Vous souhaitez en outre créer une procédure de RIP inversée, commençant par les signatures de citoyens.
M. Yan Chantrel. - C'est l'un ou l'autre !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il faut bien un contrôle de constitutionnalité. Or si ce dernier se fait avant les secondes signatures, on considérera qu'on ne donne pas sa chance à la procédure. S'il a lieu après, et que le Conseil devait constater une atteinte aux droits de l'homme, cela le placerait dans un profond embarras.
Vous avez enfin proposé que le référendum soit obligatoire sauf en cas de rejet du texte par le Parlement. Vous avez raison, si le Parlement rejette un texte de loi, nous ne pourrions le soumettre aux Français ! Mais vous n'avez pas envisagé le cas de l'adoption d'un texte par le Parlement, y compris après amendement. Voulez-vous donc qu'un tel texte puisse être ensuite rejeté par le pays ? Ce travail mérite d'être achevé.
Sans vous opposer une fin de non-recevoir, la commission des lois n'a pas approuvé votre texte. Je souhaite que nous en rediscutions dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. » Voilà ce qu'a tranché l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, surmontant ainsi le débat entre souverainetés nationale et populaire.
Rousseau affirmait que toute loi non ratifiée par le peuple était nulle quand Sieyès, en parfait contrepoint, estimait que le peuple ne pouvait agir que par ses représentants.
La Constitution de 1958, dont nous venons de fêter le 65e anniversaire, a choisi une voie médiane : l'article 3 dispose que la souveraineté appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et le référendum, dont son article 11 définit les conditions. Ainsi, le Président de la République pouvait soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
La révision constitutionnelle du 4 août 1995 en a étendu le champ à la politique économique ou sociale ainsi qu'aux services publics, et celle de 2008 aux questions environnementales. Surtout, cette dernière a créé le RIP : c'est une forme d'audace que de mettre entre les mains de citoyens un outil leur permettant de s'impliquer activement dans la vie citoyenne, qui porte de fortes attentes, mais aussi de la frustration.
À l'heure du premier bilan, les pistes d'amélioration sont claires.
Le législateur avait érigé de solides garde-fous pour que ce référendum ne puisse ni remettre en cause la stabilité des institutions ni être dévoyé à des fins démagogiques.
Les cinq propositions de RIP témoignent de l'intérêt des citoyens et des parlementaires, mais aucune n'a abouti. Les garde-fous ne sont cependant pas des herses infranchissables.
Si le seuil d'un cinquième des parlementaires peut être atteint, cela est plus douteux pour celui d'un dixième des électeurs. L'initiative la plus avancée n'a pu recueillir qu'un million de signatures sur les 4,7 millions requises.
Le premier alinéa de l'article 11 de la Constitution mériterait d'être clarifié. La capacité des assemblées à mettre un terme aux tentatives de référendum est critiquée. Cependant, si certains souhaitent contraindre le Parlement, veillons à ne pas le déposséder.
Réfléchissons collectivement : le dispositif est-il à la hauteur de notre ambition pour la démocratie ? Le RIP mérite clairement d'être amélioré. En ce sens, la proposition de loi du sénateur Chantrel propose des pistes intéressantes. Tout d'abord, l'abaissement du nombre de signatures de citoyens est bienvenu, mais c'est moins évident pour le seuil de parlementaires.
Ensuite, il serait intéressant que les citoyens puissent être à l'initiative.
Je suis en revanche moins convaincu par l'extension du champ référendaire à la politique fiscale, prérogative essentielle du Parlement. Les travaux préparatoires sur l'article 11 de la Constitution explicitent le refus du législateur d'intégrer la fiscalité à ce champ.
Par ailleurs, remplacer le terme « examiner » par « rejeter » pourrait poser problème. Le texte doit-il être adopté par les deux chambres ou une seule d'entre elles ? Sur ce point, la réflexion doit se poursuivre.
Vous souhaitez rendre plus efficace et accessible le RIP. À l'occasion du 65e anniversaire de la Constitution, le Président de la République, le 4 octobre 2023, s'est prononcé en faveur d'une plus grande sollicitation des citoyens. Le Gouvernement entend réformer le RIP, notamment ses seuils.
La discussion sur le champ du référendum doit se poursuivre. Je note, monsieur Chantrel, que vous n'avez pas voulu intégrer les sujets de société, comme l'avait fait le Gouvernement dans un précédent projet.
Il convient de limiter la concurrence des légitimités entre citoyens et parlementaires, et éviter que l'on puisse revenir sur une loi tout juste adoptée. Il ne faut pas opposer citoyens et parlementaires, mais les associer.
Nous devons dégager des lignes de consensus et je suis convaincu que nous les trouverons. Toutefois, à ce stade de notre réflexion, je ne peux me prononcer favorablement sur cette proposition de loi.
Le Sénat prend toute sa part dans cette réflexion, notamment à l'initiative du président Larcher. La niche socialiste d'aujourd'hui et celle du groupe CRCE-K du mois dernier, qui comprenait également un texte constitutionnel, montrent l'implication de votre assemblée. Je forme le voeu que, demain, nous nous retrouvions autour d'une réforme constitutionnelle qui soit une grande avancée pour la démocratie.
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Reconnaissons à nos collègues socialistes de nous offrir l'occasion d'une réflexion utile et d'une forme de clarification.
Démocraties participative et représentative sont des thèmes intéressants. Toutefois, le référendum est plus un outil de solution de crise qu'un mode normal de législation.
Un cinquième des membres du Parlement : le seuil est bon, inutile de le diviser par deux.
Le contrôle du Conseil constitutionnel sur les seuils, le champ référendaire et la conformité à la Constitution est satisfaisant. Il y a un risque de conflit de légitimité si les citoyens découvrent à mi-chemin de leur démarche qu'elle n'est pas constitutionnelle. Ils doivent en être informés en amont.
Recueillir sur neuf mois 4,8 millions de signatures est trop juste : peut-être qu'un seuil de 2 millions pourrait être une option satisfaisante.
Autre faiblesse, et alors qu'au Sénat, nous ne cessons d'en réclamer : ce texte ne comprend pas d'étude d'impact. Sans analyse satisfaisante, l'exercice que vous proposez est hasardeux.
Il serait important d'être plus précis sur le cas où un RIP serait refusé par une des deux chambres : le choc de légitimité apparaît dans toute sa splendeur lorsque le Parlement refuse le texte. (M. Éric Dupond-Moretti le confirme.)
Quand on dit le Parlement, dois-je comprendre Sénat et Assemblée Nationale ? Auquel cas une utilisation en miroir de l'article 89, qui mentionne les deux, est possible.
Si le Parlement doit être saisi, il est raisonnable qu'il puisse amender ou compléter le texte proposé.
Par ailleurs, intégrer la politique fiscale au champ référendaire me choque moins que le rapporteur et le ministre, bien qu'il s'agisse d'une prérogative parlementaire. Le consentement à l'impôt est une base de notre démocratie. Reconnaissons, en outre, à nos collègues socialistes le mérite de ne pas avoir étendu le champ aux questions sociétales.
Enfin, un délai de réflexion entre la décision du Président de la République de recourir au référendum et sa tenue serait souhaitable.
Moyennant ces observations, je suis moins pessimiste que les précédents orateurs. Le RIP peut être un outil utile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Francis Szpiner applaudit également.)
M. Guy Benarroche . - Cette proposition de loi concerne un processus récent, qui n'a jamais abouti à ce jour. De nombreuses interprétations jurisprudentielles du Conseil constitutionnel sont en cause. La proposition de loi a pour objet d'y remédier. Toutefois, nous savons qu'elle ne sera pas adoptée, puisque même un droit de pétition au Cese ou la désignation de membres d'une convention citoyenne par tirage au sort posent problème à la majorité sénatoriale.
Tout d'abord, le texte élargit le champ du référendum. Notre groupe reste prudent, car cela comporte des risques de manipulation et de populisme. C'est cependant une façon, pour les auteurs, de répondre à une interprétation trop stricte du Conseil constitutionnel.
Ensuite, les auteurs souhaitent supprimer le terme de réforme, qui a fait l'objet d'une interprétation trop restrictive.
Par ailleurs, il abaisse les seuils du nombre de parlementaires et de citoyens requis pour lancer la procédure. Nous y sommes favorables pour une meilleure effectivité.
Les auteurs prévoient aussi un rejet exprès par le Parlement. Notre hémicycle s'est souvent élevé, à juste titre, contre l'impossibilité de se prononcer expressément sur certaines ratifications, comme celle du Ceta. Cette modification est essentielle.
Enfin, prévoir une initiative citoyenne corrige, à juste titre, l'asymétrie actuelle.
Notre société va mal, la démocratie représentative souffre. Chambre des territoires, nous savons que citoyens et élus locaux se sentent trop éloignés des décisions. Nous n'adhérons pas à une vision concurrentielle de la souveraineté, dont le Parlement est une forme essentielle, mais pas la seule. Amplifions les nombreuses expérimentations locales pour plus de démocratie participative et locale.
Nous pensons qu'un juste équilibre de la cohésion nationale et sociale doit être maintenu : il faut prévenir les conflits de délibération entre référendum et Parlement, mais de trop grands écarts entre élus et citoyens nécessitent un moyen correctif prévu par la Constitution.
Michel Debré rappelait que le seul souverain était le peuple, et que le Président de la République faisait appel à lui en cas de conflit. Le référendum pourrait être moins soumis au bon vouloir d'un seul, fût-il le Président de la République. Nous soutenons cette proposition. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Cécile Cukierman . - Ce texte mériterait bien plus que deux heures de débat.
Nous devons nous mettre d'accord sur les constats. D'abord, nous traversons une crise démocratique. La France est malade d'une trop grande concentration du pouvoir entre les mains de l'exécutif et d'un Parlement non libre d'organiser ses travaux. Elle est malade en tous points, mais aussi en tous lieux, ceux de la démocratie communale et sociale. Dans ce contexte, il faut comprendre les appels au référendum.
Deuxième constat : la tradition césariste du référendum nous inspire la méfiance. Le RIP demeure un outil vertical, à la main du Président de la République, et une campagne référendaire est binaire : le peuple ne répond que par oui ou par non. En tant que parlementaires disposant du droit d'amendement, nous avons du mal à le concevoir. Cela va à l'inverse de la recherche de constructions communes, sans garantir une hausse de la participation électorale.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Absolument !
Mme Cécile Cukierman. - N'oublions pas le problème de concertation des médias, et l'absence de culture référendaire depuis le référendum de 2005, dont le résultat a été outrepassé.
Par ailleurs, le terme de réforme est malvenu ; il faut au moins le définir plus précisément.
Le référendum doit en outre porter sur des sujets vitaux pour la Nation, et ne doit pas être banalisé, comme cela risque d'être le cas le 12 décembre, avec la proposition de loi constitutionnelle issue de la majorité sénatoriale.
Le poids du Conseil constitutionnel dans le RIP doit être repensé, mais on ne peut s'en passer. Peut-être devrait-il se borner à vérifier les soutiens et le respect des droits fondamentaux.
Le seuil de 4,9 millions de citoyens nous semble poser problème, mais pas celui de 185 parlementaires.
Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
M. Henri Cabanel . - Michel Rocard résumait le référendum ainsi : « Un référendum, c'est une excitation nationale où on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s'en posent d'autres et viennent voter en fonction de raisons qui n'ont plus rien à voir avec la question. »
Dans C'est arrivé hier, Françoise Giroud, elle, considérait que lors d'un référendum, les gens ne répondent pas à la question qu'on leur pose, mais votent contre celui qui la pose.
On voit l'intérêt des Français pour cet outil : 88 % sont favorables aux référendums sur des sujets de société, 82 % souhaitent confier aux citoyens l'initiative d'un RIP et 71 % abaisser le seuil de signatures.
Le Président de la République a mis ce sujet au coeur des rencontres de Saint-Denis, tandis que les gilets jaunes ont mis en lumière la demande d'un référendum d'initiative citoyenne ou populaire.
La défiance du peuple s'explique par le fiasco du référendum de 2005 sur la constitution européenne, lancé par Jacques Chirac - le non l'a emporté par 54,6 % des voix - que Nicolas Sarkozy a contourné deux ans plus tard.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas le même traité !
M. Mickaël Vallet. - C'est un scandale !
M. Henri Cabanel. - C'était un vote sanction. Lorsqu'il s'agit de sujets de société, il faut raison garder. Un simple « oui » ne suffit pas à traiter de sujets sensibles. À l'heure des fake news, où iront nos concitoyens ? Une sensibilisation devra être mise en place.
Le RDSE défend une utilisation modérée des RIP, et s'oppose à l'abaissement du seuil de 185 parlementaires, que la défense de l'hôpital public, en août 2021, avait largement rassemblé.
Le seuil de citoyens doit en revanche être raisonnable et représentatif.
Nous devons travailler sur d'autres formes de démocratie et encourager les référendums locaux qui vont acculturer les citoyens. Ils contribueront aux solutions que les élus proposeront.
Il ne faut pas remettre en cause la démocratie représentative, ciment de notre République. Le groupe de travail Larcher a intégré ce sujet dans son programme.
Cette proposition de loi n'est pas la solution, mais elle ouvre le débat. La réforme des institutions doit être pensée globalement et non en silo : c'est ce qu'attendent les Français.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Si l'origine du RIP est ancienne, c'est la révision de 2008 qui a modifié l'article 11 de la Constitution pour en préciser les modalités. Nous sommes tous d'accord pour juger que les modalités de mise en oeuvre du RIP sont trop complexes. Aucun n'a pu être organisé, malgré cinq tentatives.
Le Président de la République avait envisagé une simplification de la procédure dès 2019. Je salue l'initiative de Yan Chantrel qui propose d'élargir le champ du référendum, d'abaisser les seuils, de créer une deuxième procédure symétrique, de rendre la tenue du RIP obligatoire sauf rejet du texte par le Parlement.
Mais en matière de démocratie participative, tout est une question d'équilibre, de garde-fous pour éviter le contournement du Parlement.
En l'état, ce texte n'atteint pas ces objectifs. La deuxième rencontre de Saint-Denis devait être l'occasion de réfléchir à ce sujet, or trois grandes formations politiques n'y ont pas participé. Il est apparu que la réflexion n'était pas mûre.
Plusieurs points sont susceptibles d'entraîner des conséquences dont on ne mesure pas la portée, notamment l'abaissement du seuil à un million d'électeurs, sur 48 millions. Gare au risque de manipulations ou d'abus de la part de minorités organisées.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Exactement.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Le RIP a été conçu pour des questions d'importance exceptionnelle et nationale ; gare à ne pas en diluer l'impact en y recourant pour des questions locales ou moins cruciales. Si chaque question controversée déclenchait un référendum, cela pourrait entraîner une instabilité politique et juridique. Les décisions cruciales pour la nation doivent être prises non dans l'urgence mais après une délibération approfondie.
Il me semble en outre qu'une telle modification des contours du RIP nécessite la révision d'autres articles de la Constitution, ne serait-ce que sur les compétences du Conseil constitutionnel. Le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique de 2019 proposait d'ailleurs de créer un nouveau titre, « De la participation citoyenne ».
Bien que nous soyons nombreux à défendre la démocratie participative, nous devons faire preuve de prudence et mesurer les conséquences à long terme. Trancher une telle question dans le cadre d'un espace réservé serait précipité.
Le RDPI aura une position neutre. Sauf pour certains d'entre nous, nous nous abstiendrons.
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Entre les deux tours de la présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé ne pas exclure une consultation des Français sur son projet de réforme des retraites - excellente proposition qu'il a courageusement concrétisée, comme chacun sait. (M. Éric Dupond-Moretti soupire.) Lors de son premier mandat, il avait de la même manière envisagé de soumettre au référendum les propositions de la Convention citoyenne sur le climat...
En face, Marine Le Pen proposait un référendum d'initiative citoyenne pour consulter les Français sur des sujets de société, comme la priorité nationale ou l'immigration. Toute ressemblance avec des propositions actuelles est fortuite...
Avec le talent d'un horloger, Emmanuel Macron l'a proposé en plein projet de loi Immigration - avant de rebrousser chemin. En 2019, il avait déjà proposé de modifier le champ référendaire ; il vient d'y renoncer.
En France, le référendum est un instrument essentiellement présidentiel, dont la pratique est délaissée depuis vingt ans. Dans d'autres démocraties occidentales, le recours y est plus fréquent.
Le problème a été sa dérive plébiscitaire. Pourtant, les travaux préparatoires de la Constitution de 1958 montrent qu'initialement, le champ de l'article 11 devait être bien plus étendu.
La France n'a pas connu de référendum depuis 2005, malgré six tentatives et autant d'échecs. Les prétendus garde-fous sont en réalité des murailles. Nous ne nous satisfaisons pas de ce déficit démocratique.
Il ne s'agit pas d'un outil contre la démocratie ni de considérer que « le peuple n'est pas assez intelligent », comme le disait Nicolas Sarkozy. L'article 3 de la Constitution est clair : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Si l'on n'utilise pas les outils démocratiques, ils sont remis en cause. D'où notre initiative.
Il faut que les citoyens puissent donner un avis.
J'entends qu'on ne pourrait pas étendre le RIP aux politiques fiscales, qui relèvent exclusivement du Parlement. C'est faire peu de cas des articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La proposition de loi constitutionnelle des Républicains ne s'embarrasse pas des mêmes subtilités en « donnant au peuple français la liberté de se prononcer, par référendum, sur tout projet de loi ou projet de loi organique ». Deux poids, deux mesures. Nous divergeons sur les priorités : pour la gauche, la justice fiscale ; pour la droite, l'immigration.
Les seuils proposés seraient trop bas ? Au Portugal, aux Pays-Bas ou en Italie, les seuils sont comparables à celui que nous proposons.
Une initiative citoyenne serait « trop complexe » ? En 2008, des députés de gauche et des sénateurs de droite avaient pourtant fait la même proposition - ce n'étaient pas de dangereux zadistes.
Sur le verrou technique lié à l'examen d'une proposition de loi référendaire par les assemblées, nous avons une disposition dans notre Règlement qui lève les difficultés.
Pour paraphraser Bertolt Brecht, ce n'est pas parce que les citoyens pourraient ne pas être d'accord avec le Gouvernement qu'il faut dissoudre le peuple. Nous voulons rendre la parole aux citoyens, lui reconnaître sa légitimité de constituant et donc redonner ses lettres de noblesse à notre démocratie française. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Lauriane Josende . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous connaissons tous l'histoire turbulente du référendum en France, utilisé au XIXe siècle comme un outil plébiscitaire au détriment de la démocratie - ce qui a motivé son encadrement dans Constitution de 1958.
La Constitution dispose dans son article 3 que la souveraineté nationale est exercée par les représentants du peuple et par la voie du référendum mais aussi, dans son article 39, que l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et au Parlement.
Le groupe SER souhaite altérer cet équilibre constitutionnel.
Difficile de tirer des conclusions sur le fonctionnement d'un dispositif aussi récent. La remise en question des seuils est prématurée : ils sont prévus comme des filtres pour éviter le contournement du Parlement.
L'inversion de logique sur le contrôle du Conseil constitutionnel remet en question l'articulation harmonieuse des différentes étapes.
Il faut une réflexion plus approfondie qui prenne en compte l'impact d'une révision de l'article 11 sur la cohérence globale de l'édifice juridique, et notamment l'article 89.
La proposition de loi remplace la mise en référendum contrainte par une mise en référendum obligée - sauf rejet par les chambres. Un texte voté par les deux assemblées se trouverait malgré tout soumis au référendum. Cela remet en question le rôle du Parlement bicaméral et la navette parlementaire.
Le président Larcher a lancé un groupe de travail sur les institutions. Abordons le sujet avec prudence, en prenant le temps de la réflexion.
Le RIP doit demeurer un instrument équilibré. La démocratie directe ne doit jamais être un prétexte pour dévitaliser le parlementarisme. Cette proposition de loi a le mérite de montrer la nécessité d'un débat sur l'article 11, mais elle est techniquement inaboutie et inopportune. Poursuivons les échanges et réflexions entamés, notamment au Sénat. Le groupe Les Républicains suivra l'avis du rapporteur et ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Ravier . - Alors que la démocratie représentative est piétinée par le recours abusif au 49.3 et que les Présidents n'usent plus du référendum, donnons au peuple souverain la capacité d'initier une procédure référendaire qui puisse aboutir.
Il est paradoxal de multiplier les sondages et de refuser de s'en remettre au verdict du peuple.
Le RIP actuel est un hochet donné en 2008 par un exécutif coupable d'avoir bafoué le « non » au référendum de 2005. L'usage a montré qu'il était inapplicable.
Vous ne pouvez vous réclamer du gaullisme et refuser de gouverner comme lui : quatre référendums en dix ans.
Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont oublié la voix du peuple au soir de leur élection. Voilà qui nourrit l'abstention, aggrave la crise civique, rabougrit la démocratie représentative et attise les violences urbaines.
Parlementaire, je pense qu'aux côtés de tous les Français, gilets jaunes ou bonnets rouges, nous devons nous prononcer dans les urnes lors de consultations nationales. Le débat parlementaire reprend son sens et sa vitalité quand on sort des méandres de la procédure.
Il est temps de faire un aggiornamento démocratique, en convoquant les Français sur les sujets qui les intéressent.
Lors de l'entre-soi de Saint-Denis, le plus petit dénominateur commun entre les partis politiques était le refus d'un élargissement du champ du référendum. Le monopole des partis sur la délibération politique est désespérant : les Français se sentent dépossédés, méprisés et bâillonnés.
Le RIP annoncé par le Président de la République a été abandonné juste après. Quand certains vantent la créolisation de la société, nous assistons à sa Crépol-isation... Quoi de mieux qu'un référendum pour faire peuple ? Qui mieux que le peuple peut refuser sa dislocation et sa disparition ? Sans référendum, nous revenons aux errements de la IIIe et de la IVe République - on sait comment cela finit. Sans révision constitutionnelle, notre inconséquence mènera à la guerre civile ou à la Vle république mélenchoniste - synonyme de la fin de la France. C'est pourquoi je soutiens cette proposition de loi. (Sourires à gauche)
M. Pierre Jean Rochette . - « La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par le peuple ; la souveraineté nationale, c'est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave », disait de Gaulle.
Absence d'entrave ne signifie pas absence de cadres, et l'article 11 de la Constitution fixe plusieurs conditions pour le référendum : périmètre restreint, seuils minimaux de parlementaires et de citoyens.
Le groupe SER nous invite à élargir le périmètre et abaisser les seuils pour faciliter la consultation de nos concitoyens sur les grands sujets politiques. Ils estiment qu'une telle facilitation remédierait au déclin de la participation aux élections.
Cette proposition se heurte toutefois à plusieurs obstacles.
Le Président du Sénat a relancé le groupe de travail sur les institutions, notamment sur la question du référendum. Il est prématuré de se prononcer avant d'être allé au bout de ce processus.
Jamais, en huit ans, un RIP n'a été soutenu par 4,87 millions d'électeurs. Faut-il pour autant réduire le seuil ? Nous ne l'analysons pas ainsi : huit ans, c'est court, et le seuil n'a pas été atteint car la grande majorité de nos concitoyens ne souhaitaient pas être consultés sur les sujets en cause.
Un million d'électeurs, c'est 2 % du corps électoral. Est-il légitime qu'une minorité impose une consultation aux 98% restants, qui plus est sans aucun contrôle du Conseil constitutionnel, et alors que le format binaire du référendum polarise en excluant toute nuance ?
Nous connaissons les dangers du populisme. Les auteurs appellent de leurs voeux un référendum sur les retraites mais le récusent sur d'autres sujets de société.
Nous sommes de fervents partisans de la démocratie représentative, et ne voulons pas fragiliser la légitimité du Parlement. Renforçons plutôt nos institutions et leur stabilité. Le groupe Les Indépendants votera contre ce texte.
Discussion de l'article unique
M. le président. - Je rappelle que le vote sur l'article unique vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
M. Yan Chantrel . - Monsieur le rapporteur, la création du RIP a été voulue par votre majorité, en 2008. Soit vous estimez avoir fait une erreur et vous revenez dessus, soit vous faites tout pour l'améliorer !
Allez-vous voter contre la proposition de loi constitutionnelle Retailleau-Buffet, qui élargit le champ du référendum à tout projet de loi ou projet de loi organique, y compris fiscal ?
Le seuil actuel ne serait pas un frein ? Comment le savoir, puisqu'il n'a jamais été atteint ?
Le seuil de un million serait trop bas ? Il est de 500 000 en Italie, de 50 000 en Suisse. C'est un seuil élevé, d'autant qu'il faut être inscrit sur les listes électorales. Très peu de pétitions sur Internet atteignent un million de signatures, même sans cette condition.
Nous avons prévu de nombreux verrous. Le Parlement reste dans la boucle, et peut toujours s'opposer au RIP. Ne travaillons pas les uns contre les autres, mais ensemble !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois . - La commission n'a pas établi de texte, mais invite le Sénat à rejeter cette proposition de loi.
M. Patrick Kanner. - Philippe Bas nous invite à prendre notre temps, à regarder dans le détail. J'entends cette prudence bienveillante, mais pourquoi ne pas utiliser ce même argument sur la proposition de loi constitutionnelle Retailleau-Buffet ? Elle demande à intégrer au champ de l'article 11 les questions migratoires...
M. Mickaël Vallet. - Comme s'il y avait urgence !
M. Patrick Kanner. - ... les notions d'assimilation et d'intégration, et remet en cause le droit du sol. Au canon ! Vous nous dites que nous allons trop vite, mais la majorité sénatoriale n'hésite pas à emprunter un chemin bien plus conflictuel !
Je n'oublie pas que M. Retailleau a refusé de solliciter l'avis du Conseil d'État sur son texte, comme le lui a proposé le président Larcher. C'est deux poids, deux mesures. Nous le regrettons. Soyez prudents, quel que soit le texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - C'est exact, monsieur le président Kanner : je suis très prudent, et j'aurais souhaité que vous le fussiez aussi ! Le référendum peut apporter le meilleur comme le pire. Parlementaires, nous savons ce que la délibération parlementaire est susceptible de produire comme consensus. Dans notre démocratie, souvent taxée de verticalité, le renforcement des pouvoirs du Président de la République est une question à aborder avec prudence.
M. Patrick Kanner. - Mais pas pour l'immigration...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Quand le sujet est capital, quand la question se prête à une réponse par oui ou par non, les deux principales conditions sont remplies - qu'il s'agisse d'un RIP ou d'une décision du Président de la République de faire appel au peuple pour contourner le Parlement.
Quand le Parlement est contourné, il est fort marri. L'Assemblée nationale peut s'en accommoder, car il s'y trouve - généralement - une majorité pour soutenir le Président, mais le Sénat est davantage en difficulté. Il lui faut être encore plus prudent.
La démocratie parlementaire, c'est la démocratie en couleurs : toutes les nuances sont représentées. Les textes sortent du Parlement modifiés et enrichis par le débat parlementaire. Le référendum, c'est la démocratie en noir et blanc. C'est utile pour les questions binaires...
M. Mickaël Vallet. - Comme l'immigration ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - ... comme l'indépendance de l'Algérie. J'ai une petite préférence, comme sénateur, pour la démocratie en couleurs. Mais si vous préférez la démocratie en noir et blanc, à vous de le dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Mickaël Vallet proteste.)
M. Éric Kerrouche . - Abstenons-nous de telles simplifications. Penser que seule la représentation nationale serait susceptible de représenter la démocratie en couleurs, c'est confisquer la voix du constituant. Considérer qu'une partie de la population ne serait pas qualifiée, pas assez intelligente, est dangereux. C'est ainsi que l'on s'écarte de la participation citoyenne. Représenter, c'est faire office de, ce n'est pas être ailleurs, au-dessus.
Nous proposons d'abaisser les seuils pour initier la démarche. Nous prévoyons deux préfiltres : il ne s'agit pas de seuils décisionnels, mais bien des seuils de qualification.
Mme Laurence Rossignol. - Tout à fait !
M. Éric Kerrouche. - Pour vous, le référendum serait la délibération en noir et blanc. Pour nous, c'est une délibération en 3D. Prétendre s'affranchir du peuple, c'est condamner la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol . - Je me reconnaîtrais presque dans l'intervention de Philippe Bas - mais encore faut-il en tirer les conséquences.
Deux options dans la sincérité que nous devons au peuple français : soit nous abrogeons le RIP, car nous considérons que c'est un couteau sans manche, une illusion que le peuple ne peut utiliser, soit nous votons ce texte.
Je relirai avec attention les propos de Philippe Bas dans le Journal officiel : mot pour mot, nous pourrons nous en servir lorsque nous débattrons ici de la proposition de loi constitutionnelle des Républicains sur l'immigration.
Vous dites aimer les référendums sur des questions simples.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Et capitales pour l'avenir de notre pays !
Mme Laurence Rossignol. - Le peuple peut dire ce qui est capital pour son avenir ! Qui peut croire que l'on peut répondre par oui ou par non sur une question telle que l'immigration ?
Monsieur Bas, je suivrai votre position lorsque nous examinerons l'examen de la proposition de loi constitutionnelle sur l'immigration le 12 décembre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Mathilde Ollivier applaudit également.)
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°64 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l'adoption | 102 |
Contre | 224 |
La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 20 h 15.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 22 heures.