Registre national des cancers
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers, présentée par Mme Sonia de La Provôté et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi . - C'est avec émotion que je vous présente cette proposition de loi. Je remercie mon groupe et tous ceux qui ont soutenu cette initiative, la rapporteure ainsi que la commission des affaires sociales.
Ce texte est l'aboutissement de plusieurs années de travail. Nombre d'acteurs considèrent un registre national des cancers comme un outil indispensable dans la lutte contre le cancer. Le bien-fondé de cet outil m'est apparu dans le cadre de la rédaction de ma thèse, soutenue en 1998, sur les liens entre l'exposition professionnelle à l'amiante et le risque de cancer digestif. Mon travail n'aurait pas abouti sans l'existence d'un registre des cancers digestifs dans mon département, le Calvados, qui a permis de mettre en évidence une surincidence.
L'épidémiologie n'approche de la vérité scientifique qu'adossée à l'observation rigoureuse des pathologies. Je plaide donc en faveur de la création d'un tel registre. Pour améliorer le dépistage, nous avons besoin d'identifier les nouveaux facteurs de risques dans un environnement changeant. L'accès rapide à une donnée fiable et rigoureuse est essentiel pour le suivi des patients.
Chercheurs, médecins et professeurs, associations de patients, Ligue contre le cancer, réseaux régionaux : la volonté est là. Je remercie le professeur Guilhot, auteur d'un rapport présenté en décembre 2021 à l'Académie de médecine, pour son soutien constant.
La révolution numérique et la promesse de l'intelligence artificielle laissent envisager de nouvelles perspectives, mais il faut un contrôle public ferme et exclusif sur les données recueillies, qui alimentent de nombreux appétits - des manipulations aux usages mercantiles. Sur ces sujets, la start-up nation avance, mais le contrôle humain est encore plus indispensable qu'hier.
Le registre serait hébergé par l'Institut national du cancer (INCa), ce qui garantirait la protection des données collectées.
J'ai l'intime conviction de la nécessité d'un registre national des cancers. Il est temps de mettre un terme aux tergiversations. Les outils et les compétences sont là. Vous pouvez compter sur ma détermination, qui trouve sa force dans votre soutien et dans celui de la société civile. (Applaudissements)
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains) N'étant ni médecin ni chercheur, je pensais naïvement qu'un registre national des cancers existait depuis longtemps. Or nous ne disposons que d'estimations fondées sur l'extrapolation de données datant de 2018 et portant sur 24 % de la population.
Un registre est un recueil de données nominatives repérées auprès de divers acteurs : laboratoires, établissements de santé, acteurs administratifs de la santé, assurance maladie, etc. Le travail effectué sur le terrain conditionne la qualité des données. Actuellement, le parcours de soins est haché : les recherches prennent du temps.
Il existe 19 registres couvrant 24 départements, dont 5 ultramarins, et 12 registres spécialisés sur certains types de cancer, des registres nationaux pour les cancers des enfants et des adolescents, ainsi que pour les mésothéliomes et pour les tumeurs rares du péritoine.
Cependant, les modalités d'organisation du système sont complexes. Le réseau Francim est hébergé par les Hospices civils de Lyon et financé à hauteur des deux tiers par l'INCa et Santé publique France.
Pour être efficace, le registre doit être interopérable et souple, avec des possibilités de croisement, notamment avec les données de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Or ce croisement ne se fait que de manière probabiliste.
L'autorisation par voie réglementaire d'utiliser un identifiant national du NIR (numéro de sécurité sociale) améliorerait grandement la qualité du registre. L'utilisation de données pseudonymisées et encodées déconnecte le registre des patients. L'accès aux certificats de décès nominatifs serait une avancée.
Une forte demande émane du monde associatif et des patients. Un rapport de 2017 préconisait des registres nationaux pour certaines molécules afin d'exploiter tout le potentiel des données de vie réelle. En 2020, dans son évaluation du troisième plan Cancer, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) demandait des données à une échelle géographique plus fine. En 2021 enfin, l'Académie de médecine proposait un registre national du cancer, adossé à une déclaration obligatoire de la maladie.
J'ai été maire d'une commune à 2 kilomètres d'une centrale nucléaire : la population attend de tels registres dans des sites sensibles. Cela permet aussi de tordre le cou aux théories du complot.
Certains ont exprimé des réserves sur le rapport coût-efficacité de cette opération. En effet, le monde de la recherche se plaint d'un accès difficile aux crédits et d'un manque de visibilité. La création d'un registre national devrait s'accompagner d'une ligne budgétaire dédiée. Les moyens financiers des registres sont stables depuis quinze ans, malgré l'augmentation des cancers.
Il serait regrettable que le monde de la recherche s'autocensure et se contente de données parcellaires. Bien sûr, tout cela a un coût, notamment en raison du travail de fourmi de recueil des données. Mais la généralisation d'une base nationale rendra du temps à la recherche, évitera les doublons, améliorera le suivi des patients. L'enregistrement en continu des données réduira les délais de production des rapports.
Les données ont un coût, mais aussi un prix : si les industriels ne trouvent pas de données en France pour mettre au point leurs traitements, ils iront les chercher ailleurs, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni. C'est en enjeu de compétitivité.
La recherche avance chaque jour. Le niveau de connaissance de chaque pathologie s'affine : on ne parle plus du cancer mais bien des cancers, que l'on individualise de mieux en mieux.
En poussant le raisonnement, on peut considérer que chaque cancer sera bientôt un cancer rare, d'où l'intérêt des cohortes européennes. Après la création de l'INCa, un modèle envié, il y a une vraie logique à le doter d'un registre national. Nous savons ce que nous en attendons : sauver le plus de vies possible. Donnons-nous les moyens de le faire. (Applaudissements)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - « Notre combat contre le cancer est juste, notre combat pour les personnes atteintes du cancer est éminemment juste. » Ces mots du regretté Axel Kahn, président d'honneur de la ligue contre le cancer, soulignent ce qui nous rassemble.
Je salue votre engagement, Mme la rapporteure et Mme de La Provôté, pour faire avancer cette cause. Derrière le diagnostic toujours difficile, il y a des vies et des familles. Désormais, grâce aux progrès de la science, on peut guérir du cancer ou mieux vivre avec. Dépistage, prises en charge innovantes, nouvelles thérapies augmentent les chances des malades. Nous touchons à l'espoir de vaincre cette maladie au XXIe siècle.
La collecte et l'analyse des données progressent chaque jour. La bioinformatique, la biostatistique, la data sont à la base de nos avancées dans la connaissance de la centaine de maladies regroupées sous le terme de cancer.
Il faut se donner les moyens d'observer et de suivre la prévalence et l'évolution des cancers. Notre pays est en avance en matière de données de santé. Le système national des données de santé (SNDS) est un ensemble unique au monde, notamment composé de toute la base médico-administrative de l'assurance maladie. Il y a aussi les initiatives complémentaires que sont les registres spéciaux déjà cités ou l'Onco Data Hub.
Le cancer nécessitant des soins coûteux et prolongés, les patients relèvent de droit du régime d'affection de longue durée (ALD). Les données relatives à chaque patient pris en charge pour un cancer sont donc déjà répertoriées dans nos bases avec le Health Data Hub. « Mon espace santé » et le carnet de santé numérique ouvrent de nouvelles perspectives en matière de vision des évolutions.
La croissance des données émises et échangées est exponentielle. Le débat n'est pas tant de créer une base nationale des cancers, que de mettre cette ressource précieuse au service de la recherche, avec le défi à venir du traitement algorithmique des données de santé.
C'est l'objet de la plateforme des données de santé créée en 2019. La création d'entrepôts de données de santé hospitalières vient soutenir cette dynamique. Dans le cadre du plan France 2030, avec un budget de 42 millions d'euros, six projets ont été identifiés pour constituer la première pierre d'un réseau national de partage des données hospitalières. Les données de vie réelle sont les plus pertinentes. Les entrepôts hospitaliers ont bénéficié d'une enveloppe supplémentaire de 25 millions d'euros.
La valeur de la donnée n'est pas intrinsèque : elle dépend de son utilisation. Les nouveaux outils technologiques décupleront les facultés d'analyse de ces données. C'est l'objectif de l'INCa et le nôtre, quand nous développons les instituts hospitalo-universitaires (IHU) et les bioclusters, comme celui de Paris-Saclay.
Il est important d'adopter une vision globale fondée sur la mise en perspective et le croisement des données à l'échelle internationale.
La France fait figure de leader dans ce domaine. L'implantation en France du centre international de recherche contre le cancer de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) enrichit notre panel scientifique.
Si je salue votre démarche transpartisane, en 2023, l'heure n'est plus à la constitution de registres. Nous disposons déjà de données exhaustives. Le défi est de continuer à en explorer les possibilités. Malgré les réserves exprimées sur l'opérationnalité de la mesure, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat ; si la navette devait se poursuivre, le texte nécessiterait un travail collectif soutenu.
M. Alain Duffourg . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi a été cosignée par la quasi-totalité des membres de notre groupe et, au-delà, par une centaine de signataires.
Le cancer est la première cause de mortalité pour les hommes et la deuxième pour les femmes. Avec 150 000 décès par an, le registre national du cancer est une priorité, malgré les réserves sur son coût émises par l'INCa qui sera chargé de sa gestion. L'Académie de médecine préconise de mobiliser les fonds dédiés au programme national du numérique en santé.
Madame la ministre, pourriez-vous rassurer l'INCa à ce sujet en augmentant ses crédits dans le projet de loi de finances ? La prise en charge du cancer aurait représenté 5,9 milliards d'euros de dépenses hospitalières en 2020. Un registre national doit être une priorité majeure, alors qu'en trente ans, l'incidence de la maladie a augmenté de 65 % chez les hommes et de 93 % chez les femmes.
Il existe 33 registres des cancers, 19 généraux et 14 spécialisés, mais ils ne couvrent que 22 % de la population française : c'est par extrapolation que les données sont établies.
Le corps n'est pas une formule mathématique. C'est l'environnement, et ses mutations induites, qui nous ont fait passer de l'homo erectus à l'homo sapiens. Chaque territoire induit des expositions différentes, et la recherche en santé ne se satisfait pas des extrapolations, porteuses de biais et de lacunes.
Ce texte répond à une forte demande. La commission d'enquête du Sénat sur la pollution des sols a rendu des conclusions en ce sens. L'Igas a préconisé en 2020 de recueillir des données géographiques plus précises. Enfin, l'Académie de médecine a appelé en 2021 à la création d'un tel registre.
L'INCa serait l'hébergeur et le gestionnaire de ce registre, qui s'appuierait sur le réseau Francim. Nous ne ferions que rattraper notre retard, puisque 22 pays européens se sont déjà dotés d'un registre. Il pourrait s'intégrer dans une base de données européenne.
L'ensemble du groupe UC votera en faveur de ce texte. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Requier . - Le cancer est une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés. Il frappe sans discernement. Selon l'OMS, il est l'une des principales causes de décès dans le monde. En France, chaque année, on enregistre 382 000 nouveaux cas et 175 000 décès.
Le RDSE salue l'auteure et le rapporteur de ce texte qui nous donnera les outils nécessaires pour améliorer la surveillance et l'épidémiologie. La couverture du territoire par les 33 registres existants reste partielle - les registres nationaux ne couvrent que 22 % de la population.
La demande de création d'un registre national est récurrente depuis plusieurs années ; elle émane, entre autres, de l'Académie nationale de médecine.
Cet outil marquerait une étape importante en vue d'une prochaine harmonisation européenne : l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède ont déjà des registres nationaux. La centralisation des données est nécessaire pour améliorer la prévention et le dépistage.
Ce registre serait essentiel pour étudier la maladie et sauver des vies. Les premiers résultats de l'étude Cascade montrent qu'à consommation égale de tabac, les femmes seraient plus sensibles au cancer du poumon que les hommes. Cela expliquerait la très forte augmentation de l'incidence du cancer chez les femmes, qui est en passe d'en faire la première cause de mortalité. C'est le cancer avec le pronostic le plus mauvais : le détecter à un stade précoce permettrait d'augmenter les chances de guérison. Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Florence Lassarade . - Le cancer est un ennemi à combattre. Depuis les années 1970, des registres spécialisés permettent une surveillance de la maladie. Ils sont indispensables à la surveillance des cancers, mais aussi à l'observation de leur prise en charge. Les données populationnelles contribuent à l'élaboration des politiques publiques, ainsi qu'aux actions préventives, curatives et de recherche.
Le dispositif national existant couvre 22 % de la population métropolitaine et trois départements et régions d'outre-mer (Drom). En revanche, le registre dédié aux enfants est exhaustif depuis 2011.
Le dispositif mis en place par l'INCa et Santé publique France, en partenariat avec les registres des cancers et le service de biostatistique des hospices civils de Lyon, permet des estimations nationales tous les cinq ans.
La couverture du territoire reste cependant partielle, les difficultés financières sont réelles et la récolte des données prend du temps.
Malgré l'évidente utilité de ces registres, nous nous interrogeons sur l'efficience du système actuel. La complexité de la collecte ne doit pas être un obstacle dirimant à la constitution d'un registre national.
Je suis donc favorable à la constitution d'un tel registre, dont des pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni se sont dotés. L'Allemagne a rendu ces registres obligatoires dès 1995 dans les Länder, avec un budget de 7,2 millions d'euros porté par la ligue allemande contre le cancer. Les frais courants représentent 140 euros par cas ; ils sont couverts par la caisse d'assurance maladie à 90 %, et à 10 % par les Länder.
En France, 8 millions d'euros sont consacrés au seul recueil des cas - il faut y ajouter les coûts d'exploitation et ceux des études. La création d'un registre national doit s'accompagner d'un financement à la hauteur : nous attendons des engagements du Gouvernement.
Un registre national peut être articulé avec d'autres sources, notamment les données d'exposition : c'est ainsi que la Suède a pu établir un lien entre le tabagisme pendant la grossesse et cancer des enfants.
Je salue le travail de Mmes de La Provôté et Sollogoub. Ce texte ajoute aux missions de l'INCa la mise en oeuvre d'un registre national afin d'améliorer le dépistage et le diagnostic thérapeutique, tout en facilitant l'appariement avec le SNDS.
Il autorise également l'INCa à labelliser des entités de recherche en cancérologie et à développer et héberger des systèmes d'information, pour faciliter l'hébergement des registres existants.
Ce registre sera un outil précieux dans la lutte contre la maladie ; mais pour être efficace, il aura besoin de financements. (Applaudissements)
Mme Colette Mélot . - En 2018, 382 000 nouveaux cas de cancer étaient enregistrés. L'incidence des cancers du foie, du poumon ou du pancréas ne cesse de progresser, y compris chez les moins de 50 ans. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que la France ne disposait pas d'un registre national !
Il existe déjà une vingtaine de registres généraux et une douzaine plus spécialisés sur certains types de cancers, mais ne couvrant que 24 % de la population. Le calcul de l'incidence et de la prévalence au niveau national se fonde sur des extrapolations. Collecter ces données est un travail de fourmi, nécessitant de croiser les données des hôpitaux et de l'assurance maladie. Cela varie d'un registre à l'autre, d'où un manque d'exhaustivité ou des doublons et un rendu tous les cinq ans.
Cela empêche de tenir compte des spécificités des territoires. En 2010, des manifestants accusaient l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) de dissimuler des données sur les cancers autour de l'étang de Berre et de Fos-sur-Mer, or ces chiffres n'existaient tout simplement pas !
Quelque 100 000 cancers de la peau seraient dépistés en France chaque année, chiffre doublant tous les dix ans. Vendée et Loire-Atlantique seraient les plus touchés, mais ces deux départements disposent de registres.
Mme Sonia de La Provôté. - C'est vrai.
Mme Colette Mélot. - Un registre national permettrait de comparer les données et détecter les facteurs de risque. Les opposants en dénoncent le coût, non l'intérêt. Ce n'est pas opposable face à l'une des premières causes de mortalité en France.
Je salue l'avis de sagesse de la ministre. Notre groupe votera le texte. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Laurence Cohen et Angèle Préville applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Le papyrus chirurgical, 1 500 ans avant notre ère, faisait déjà référence à un cancer du sein. Les registres sont de précieux outils en cancérologie.
On estime que 382 000 cancers ont touché de nouveaux patients en 2018, extrapolation basée sur les données d'un quart de la population - à supposer que les zones couvertes soient représentatives. De nouveaux registres, notamment en région parisienne et sur des sites sensibles, non couverts, tendent à corriger ces biais.
Comme en Allemagne et en Scandinavie, il faut un registre national populationnel pour mieux analyser les risques environnementaux et socioprofessionnels, harmoniser les systèmes informatiques et homogénéiser les données tout en pérennisant les financements.
Cela permettra de dépister rapidement de nouveaux clusters à partir de signaux faibles, et la France améliorera sa participation au registre européen des cancers, pour mieux appréhender les risques multifactoriels. Ainsi, le risque de cancer du sein chez les femmes augmente de 26 % lorsqu'elles travaillent de nuit. En Suède, un lien avec la manipulation de papier journal a été établi.
L'Académie de médecine souligne l'intérêt de ce registre pour la prévention, la veille sanitaire et la santé publique. La principale objection est le coût économique : nous ne la partageons pas. La maîtrise des dépenses de santé réside dans la prévention.
Le GEST remercie le groupe UC pour sa proposition de loi, et approuve la création du registre. (Mmes Laurence Cohen, Angèle Préville et Sonia de La Provôté applaudissent.)
M. Julien Bargeton . - Le cancer touche toutes les familles, et chacun d'entre nous. Je salue le travail de Sonia de La Provôté et de Mme la rapporteure. Nous partageons tous votre objectif d'améliorer le suivi des cancers. Toutefois, je m'interroge, et l'INCa a exprimé des doutes.
Depuis 1975, des registres nationaux couvrent une partie du territoire, et une coordination a été instaurée entre les opérateurs.
Vous attendez du registre une meilleure représentativité, mais un atlas métropolitain devrait être opérationnel en 2025. Vous souhaitez un registre national, mais une meilleure exploitation et coordination des données existantes ne rempliraient-elles pas cet objectif ? (Mme Sonia de La Provôté se récrie.)
C'est pourquoi nous opterons pour une abstention constructive et bienveillante pour la suite de la navette, afin de compléter le dispositif ou atteindre votre objectif par des voies différentes.
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Le registre confié à l'INCa orientera l'offre de soins et la prise en charge thérapeutique, sans oublier la prévention. Aux Pays-Bas, le registre a contribué à réduire la mortalité postopératoire du cancer du pancréas de 24 à 4 %.
Ce registre permettra une meilleure prise en charge et serait une base de données pour les chercheurs. Il s'inscrit dans un mouvement européen d'harmonisation. Le groupe SER partage ces objectifs.
Néanmoins, les acteurs auditionnés soulignent qu'il faut avant tout soutenir les registres existants ; le recueil même des données pose problème, car beaucoup reposent sur des estimations.
De plus, le règlement européen sur la protection des données (RGPD) freine le croisement de ces données avec celles du SNDS et des certificats de décès. (Mme Nadia Sollogoub acquiesce.) Je me réjouis toutefois de l'amendement de la commission facilitant ce point.
Par ailleurs, la nature des données doit être élargie : les données environnementales sont insuffisamment prises en compte, alors que selon l'Agence européenne pour l'environnement (AEE), les risques environnementaux et professionnels sont responsables de 10 % des cancers. En France, on estime à 40 % les cancers pouvant être évités en améliorant les environnements et comportements. Il faut donc incrémenter le registre de données environnementales, ce que demandaient Nicole Bonnefoy dans son rapport issu de la commission d'enquête sur les risques industriels, et Gisèle Jourda pour la commission d'enquête sur la pollution des sols. Cela permettrait d'évaluer le lien entre certains cancers et l'exposition à l'arsenic dans l'Aude, aux métaux lourds dans le Gard.
Enfin, l'INCa souligne que les financements stagnent depuis dix ans alors que le nombre de cancers augmente. Les universités, les associations et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) alimentent ces registres. Le coût de traitement est pris en charge par différents opérateurs. Madame la ministre, je vous appelle à allouer les ressources nécessaires à ces objectifs. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mmes Colette Mélot, Sonia de La Provôté et Évelyne Perrot applaudissent également.)
Mme Laurence Cohen . - En France, les cancers sont la première cause de décès de l'homme et la deuxième de la femme, avec respectivement le cancer de la prostate et du sein. Les inégalités socio-économiques pèsent lourd : les personnes les moins éduquées en souffrent plus. Les études européennes le confirment. Ce n'est pas surprenant, sachant que le dépistage est une pratique sociale inégalitaire. Ainsi, 75 % des femmes les plus modestes ont recours au dépistage du cancer du col de l'utérus, contre 87 % pour les plus aisées - 61 et 76 % respectivement pour le cancer du sein. Le risque professionnel est sous-estimé : ainsi, 20 % des cancers au moins sont imputables à l'activité professionnelle chez les ouvrières et ouvriers.
L'attribution à des causes professionnelles suppose de complexes investigations. Dès lors, le registre national est pertinent pour fournir les données populationnelles nécessaires à l'orientation des politiques de santé publique, mais aussi pour améliorer la prévention des cancers et leur traitement, et évaluer les facteurs de risque.
Je regrette que le comité national des registres, créé en 1996, ait été supprimé en 2013 et que les 33 registres des cancers territoriaux ou spécialisés ne recouvrent que 22 % de la population. Nous espérons que la gestion par l'INCa du registre national comblera ce retard, avec un soutien financier, madame la ministre.
Enfin, n'oublions pas la protection des données personnelles.
Le groupe CRCE votera la proposition de loi et en remercie les auteurs et rapporteur. (Applaudissements)
Discussion de l'article unique
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Pellevat et Karoutchi, Mmes V. Boyer et Estrosi Sassone, MM. Tabarot, Paccaud et Saury, Mme Micouleau, MM. Lefèvre et Cadec, Mme Belrhiti, MM. Klinger et D. Laurent, Mme Dindar, MM. Pointereau et Bouchet, Mme Gosselin, M. Charon, Mmes Jacquemet, Billon et Tetuanui, MM. Détraigne, Duffourg, Moga, Folliot et Longeot, Mmes Perrot et Bellurot, M. Genet, Mme Muller-Bronn, M. Longuet, Mme Dumont, MM. Allizard, E. Blanc, Cambon et Anglars, Mmes Vermeillet et Férat, M. H. Leroy, Mmes Goy-Chavent et Drexler et MM. C. Vial, Rapin, Belin et P. Martin.
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que les données relatives aux cas détectés d'anomalies génétiques prédisposant aux cancers
M. Antoine Lefèvre. - Le registre national devant améliorer la prévention, il est opportun de collecter les données relatives aux prédispositions génétiques au cancer. Cet amendement le précise donc.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Il s'agit bien d'un registre des cancers déclarés. Ce serait un tout autre travail que de recenser les prédispositions génétiques.
En revanche, une fois le cancer déclaré, ces données seront intégrées au dossier et donc votre amendement serait satisfait. Retrait.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié bis est retiré.
Intervention sur l'ensemble
M. Mickaël Vallet . - Nous entendons les réticences organisationnelles et budgétaires, mais il faut les dépasser. À proximité de La Rochelle, dans la plaine d'Aunis, entre 2009 et 2018, au moins six enfants ont développé des cancers.
Les médecins ont objectivé la situation grâce au registre des cancers, sans lequel un temps précieux aurait été perdu. Il n'est pas pour autant suffisant : déterminer les causalités et les facteurs de risque suppose encore un travail long et laborieux.
L'agglomération de La Rochelle joue un rôle volontariste qui devrait être celui de l'État, lequel rase les murs : réunions publiques, mesures de la qualité de l'air, communication entre acteurs, entre autres. Madame la ministre, demandez à votre collègue de l'agriculture l'étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qu'il nous avait promise pour septembre 2022, et toujours repoussée ! Cela devient indécent, voire suspect. Pour un débat constructif, il faut des données ouvertes et accessibles.
Ne privons pas 75 % du territoire national de cette première étape. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Laurence Cohen et Raymonde Poncet Monge applaudissent également.)
À la demande du groupe UC, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°307 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l'adoption | 321 |
Contre | 0 |
L'article unique est adopté.En conséquence, la proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements ; Mme Sonia de La Provôté remercie ses collègues pour leur vote unanime.)
La séance est suspendue quelques instants.