Favoriser les travaux de rénovation énergétique (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le Sénat de la CMP . - Je me réjouis de l'accord intervenu en CMP sur cette proposition de loi ; le texte qui en est issu est équilibré et reprend largement les apports du Sénat.
Il offre un nouvel outil de financement pour relever l'immense défi de la transition écologique des bâtiments publics - pour un coût de 500 milliards d'euros d'ici à 2050. Il convient d'accompagner les collectivités territoriales dans la réalisation des travaux nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés par la loi.
Le mécanisme prévu débloquera nombre de projets locaux en faisant partiellement reposer le financement des travaux sur les économies d'énergie qui en résulteront, le coût initial étant pris en charge par un tiers-financeur.
Nous avons tenu à encadrer cette dérogation au code de la commande publique. En particulier, nous étions attachés au principe d'une évaluation, qui prendra fin au bout de cinq ans. Il importe de prévenir tout accident financier, étant entendu que le tiers-financement représente, au total, un coût supérieur pour l'acheteur public.
Il ne s'agit pas d'une solution miracle, mais d'une solution complémentaire bienvenue, qui ne nous dédouanera pas d'une réflexion d'ensemble sur la transition environnementale à l'échelle locale. Nous insistons pour que l'évaluation prévue soit effective.
Le texte adopté par la CMP à l'unanimité est presque identique à celui que nous avons voté le mois dernier ; il prévoit en outre la transmission de l'étude préalable aux autorités délibérantes et un encadrement de la durée des marchés.
Je vous invite à voter ce texte pourvoyeur de solutions locales pour améliorer le quotidien des usagers et respecter nos engagements de décarbonation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - La synthèse du sixième rapport du Giec nous rappelle l'urgence d'accélérer notre transition en avançant sur la décarbonation. Les bâtiments, responsables de 23 % de nos émissions de gaz à effet de serre, sont un enjeu crucial.
Le chantier est colossal pour l'État et les collectivités territoriales, dont le bâti représente 30 % du parc tertiaire national. Avec 75 % du parc public, les collectivités territoriales sont en première ligne.
Cette proposition de loi ouvre le tiers financement pour faciliter les travaux de rénovation énergétique. Alors qu'ils représentent un investissement important pour les collectivités territoriales, le code de la commande publique interdit tout paiement différé dans les marchés globaux passés par les établissements publics. Il s'agit donc d'une avancée concrète, à titre expérimental.
Je salue l'esprit dans lequel ce texte a été conçu, dans le dialogue avec les élus locaux, ainsi que l'apport décisif du Sénat. Le texte élaboré en CMP est un bel exemple de compromis dans l'intérêt général. Je remercie la rapporteure pour son engagement.
Il ne s'agit ni d'une réforme du code de la commande publique ni d'un désengagement de l'État, qui se mobilise à travers d'autres dispositifs : dotation de soutien à l'investissement local Rénovation, appels à projets des certificats d'économie d'énergie, fonds chaleur de l'Ademe, fonds vert. À ce jour, nous avons reçu 5 000 demandes de subvention dans le cadre du fonds vert, dont 2 150 portent sur la rénovation thermique de bâtiments. Par ailleurs, le plan de rénovation des écoles pourra s'appuyer sur le tiers-financement, aux côtés d'un dispositif mis en oeuvre par la Banque des territoires.
N'opposons pas l'environnement aux enjeux économiques et sociaux. La rénovation du bâti ouvre des perspectives concrètes de réduction des dépenses et d'amélioration de la vie des usagers et des agents.
Ce texte est le fruit d'un consensus. Il favorisera la mobilisation de tous les acteurs du bâtiment au service de la décarbonation du secteur. Je ne doute pas qu'il sera largement adopté et vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Louis Lagourgue applaudit également.)
M. le président. - Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Explications de vote
M. Éric Bocquet . - Comme chacun ici, nous sommes très attachés au débat sur la transition écologique.
Les dépenses en fluides constituent une part importante du budget des collectivités territoriales. Les bâtiments publics s'étendent sur près de 400 millions de m2, dont les trois quarts relèvent des collectivités territoriales. L'énergie nécessaire pour les chauffer représente 2,6 % de notre consommation d'énergie finale.
Nous saluons ce texte, mais restons dubitatifs sur l'effet de levier attendu. Nous reconnaissons que le tiers financement apparaît comme un outil adapté pour accompagner la rénovation énergétique, surtout pour les communes rurales. Toutefois, la CMP n'a pas apporté de réponse à nos interrogations sur les dépenses de mise aux normes électriques ou de mise en conformité avec les normes PMR (personnes à mobilité réduite), mais aussi sur la pénurie de main-d'oeuvre dans le bâtiment et l'impact du dispositif sur l'emploi des TPE-PME. Nous le regrettons.
Nombre d'élus ont dû faire des choix en matière de rénovation sans visibilité réelle, alors que la crise de l'énergie met en difficulté les finances locales.
Le groupe CRCE maintient sur ce texte sa position d'abstention bienveillante. Il ajustera éventuellement sa position en fonction des résultats de l'évaluation.
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC se réjouit de l'accord trouvé en CMP, sur un texte presque identique à celui que le Sénat a adopté à l'unanimité - moins l'abstention bienveillante du groupe CRCE.
Respecter les objectifs ambitieux des lois de 2009 et 2018 supposera de dégager 400 milliards d'euros d'ici à 2050. Nul besoin d'insister sur la nécessité de nouvelles ressources pour réduire les factures énergétiques des collectivités.
Ce texte instaure un nouvel outil au service de la stratégie de transition énergétique : un outil complémentaire, qui facilitera l'accès aux financements publics en les faisant partiellement reposer sur les économies d'énergie qui résulteront des rénovations.
Ce texte ne s'écarte de celui du Sénat que sur des points mineurs. Il instaure une expérimentation de cinq ans permettant aux contrats de performance énergétique (CPE) de déroger à certaines dispositions du code de la commande publique. La CMP a retenu l'extension défendue par le Sénat à la prise en charge de travaux par les EPCI et les syndicats d'énergie pour le compte de leurs membres.
Il conviendra de procéder à une évaluation rigoureuse de ce dispositif soutenu par l'ensemble des associations d'élus. Nous voterons les conclusions de la CMP.
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce texte tombe à point nommé, alors que les crises auxquelles l'État et les collectivités territoriales font face sont multiples.
Il y a d'abord la crise écologique, face à laquelle il est nécessaire d'agir. Les constructions représentent un quart de nos émissions de CO2. Les bâtiments publics représentant 37 % du parc tertiaire, leur rénovation énergétique doit être une priorité. Elle doit aussi permettre aux Français de mieux vivre, malgré la répétition des aléas climatiques.
La crise est aussi géopolitique : alors que la guerre en Ukraine fait s'envoler le coût des énergies, nous payons notre dépendance au prix fort.
Enfin, il y a la crise économique, avec la multiplication par deux ou trois des factures des collectivités territoriales.
Dans ce contexte, les travaux de rénovation sont trop peu mis en oeuvre, en raison de coûts d'investissement très élevés - près de 500 milliards d'euros d'ici à 2050 pour respecter les obligations de la loi.
Le texte issu de la CMP ne diffère presque pas de celui du Sénat. Il autorise le tiers financement pour les travaux de rénovation énergétique, par dérogation au code de la commande publique, qui proscrit tout paiement différé. Ce mécanisme permettrait aux administrations de lisser dans le temps le coût des travaux.
Évitons l'émergence de mauvaises pratiques et de mauvaises dettes : la proposition de loi y veille, en encadrant le dispositif dans une expérimentation de cinq ans et en prévoyant un contrôle accru via l'étude de soutenabilité.
C'est un compromis satisfaisant, qui répond au devoir d'exemplarité de l'État et des collectivités territoriales à l'heure où beaucoup d'efforts sont demandés aux Français. Il améliorera les conditions d'accueil des usagers et les conditions de travail des agents. Le RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Catherine Di Folco . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le législateur a, dès la loi Grenelle I de 2009, fixé des objectifs de réduction de la consommation d'énergie. Ces objectifs ont été amplifiés par la loi Élan : réduction de 60 % de la consommation d'énergie des bâtiments publics d'ici à 2050. Le défi est de taille.
Les collectivités territoriales, qui possèdent une bonne partie du bâti public, sont les premières concernées. Or leur foncier est aussi abondant que vieillissant ; dans le contexte actuel, les rénovations sont à la fois plus nécessaires et plus délicates. Nos auditions ont mis en évidence l'ampleur de la problématique.
Sans financements supplémentaires, les objectifs ne pourront pas être atteints. Les CPE demeurent rares : 380 signés entre 2007 et 2021 ; l'État lui-même n'y a eu recours que 24 fois.
Il fallait donc une réponse. C'est pourquoi le Sénat a accueilli favorablement cette proposition de loi et l'a enrichie grâce au travail de notre rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio.
Le recours au tiers-financement doit rester un complément : la politique de rénovation énergétique ne saurait se limiter à la recherche de fonds privés, et il ne s'agirait pas de risquer une fragilisation supplémentaire des finances locales. De ce point de vue, l'évaluation préalable au recours à ce mécanisme nous paraît essentielle.
La CMP est parvenue sans difficulté à un accord, en reprenant l'extension du dispositif aux EPCI et aux syndicats. La prise en compte de la durée d'amortissement des investissements dans la durée du marché global de performance est bienvenue.
Il conviendra d'évaluer soigneusement l'expérimentation après trois ans, puis après cinq, notamment pour observer les progrès réalisés dans la mise en oeuvre des objectifs nationaux.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je me réjouis de l'accord trouvé en CMP. Grâce à cette proposition de loi, l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront recourir au tiers financement : c'est une avancée majeure.
Le texte a bénéficié d'apports constructifs des deux chambres, dans le sens de la souplesse et de la simplicité. Il en résulte un outil facilitateur dont les collectivités sauront se saisir.
Le Sénat a voulu améliorer la transparence sur les engagements financiers. De fait, il importe d'anticiper précisément les conséquences de ce dispositif. Les contrats seront bien encadrés et faciliteront les projets de territoire pour réduire notre empreinte carbone.
Le Gouvernement remettra un rapport d'évaluation, ce qui sera très utile. Nous serons attentifs à la nature des projets accompagnés et aux catégories d'entreprises concernées.
Les effets du réchauffement se font ressentir, notamment à travers la sécheresse dramatique que nous connaissons. C'est pourquoi tous les outils sont les bienvenus. Faisons confiance aux élus locaux pour créer de nouvelles politiques vertueuses.
Le groupe Les indépendants soutient cette avancée concrète pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Guy Benarroche . - Le Giec nous implore à nouveau de prendre la mesure du changement climatique.
Le GEST et, plus largement, les écologistes, alertent de longue date sur les conséquences des passoires thermiques, pesant notamment sur les plus modestes.
La commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, dont nous avons été à l'initiative, rendra ses conclusions d'ici au mois de juillet. Nous considérons en particulier qu'il faut un reste à charge zéro pour les plus modestes.
Ces difficultés touchent le milieu rural et le milieu urbain. Les bâtiments des collectivités territoriales sont responsables de 76 % de leur consommation énergétique. Le secteur du bâtiment résidentiel et tertiaire est un enjeu majeur pour la stratégie bas-carbone.
L'effort de rénovation sur les écoles a été trop longtemps repoussé. Or le coût de la dette climatique est bien présent, lui ! C'est une double peine et un cercle vicieux : le renoncement aux travaux de rénovation maintient un niveau abyssal de dépenses énergétiques.
Le texte prévoit une expérimentation de cinq ans. Nous voterons cette expérimentation, mais non sans prudence : il ne faudrait pas que le secteur privé capte l'essentiel des bénéfices de ces opérations - souvenons-nous des abus des partenariats public-privé (PPP).
Plus largement, c'est bien la question du financement de la transition énergétique qui se pose. Ce mécanisme ne saurait être l'unique solution. Mettons en oeuvre le principe du pollueur-payeur, qui dégagera des financements importants.
Nos objectifs de rénovation ne pourront être atteints sans mécanismes d'accompagnement à la hauteur. Ce texte n'apporte que des réponses limitées : nous sommes loin d'une grande stratégie globale. Toutefois, le GEST le votera, tout en restant attentif aux dérives des marchés de rénovation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Claude Tissot applaudissent également.)
Mme Nadège Havet . - Cette proposition de loi issue du groupe Renaissance a été adoptée par l'Assemblée nationale le 19 janvier, puis par le Sénat le 16 février ; d'où la CMP conclusive. Je remercie les deux rapporteurs.
Ainsi, en moins de quatre mois, le tiers-financement aura été adopté par le Parlement en vue de soutenir la réalisation de travaux énergétiques. Il y a urgence, si nous voulons tenir les objectifs fixés par la loi Élan en 2019.
Quelque 500 milliards d'euros doivent être engagés dans les 25 prochaines années pour les bâtiments publics, qui représentent 400 millions de m2 à rénover.
Le groupe RDPI est à l'origine de la mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique ; 12 millions d'élèves sont concernés.
Le dispositif proposé est une réponse innovante pour faire face à ces défis. Par dérogation au code de la commande publique, le paiement des travaux pourra être lissé, un tiers-financeur assumant le paiement immédiat. Il s'agit d'un nouvel outil au service de la transition énergétique, au côté des PPP - quasiment jamais utilisés par les collectivités territoriales en matière de rénovation - et des marchés globaux de performance.
Le compromis trouvé en CMP est très proche de la version votée par le Sénat.
En ce qui concerne l'article 1er bis, l'étude préalable devra démontrer qu'un tel contrat est plus favorable - et non pas au moins aussi favorable - que d'autres solutions. Mon groupe soutient cette formulation. La CMP a également précisé que la durée du marché global serait déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements : là aussi, nous y sommes favorables.
Le groupe RDPI votera ce texte, qui instaure un nouvel outil au service de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le sujet est majeur. Certes, nous n'allons pas résoudre le problème du réchauffement climatique avec ce texte. Mais le Parlement s'apprête à offrir un nouvel outil à l'État et aux collectivités territoriales pour répondre à un objectif majeur.
Beaucoup ont évoqué la loi Élan, je mentionnerai aussi le paquet Fit for 55. Le trilogue s'est conclu en décembre avec la création d'un marché carbone pour les bâtiments, ce qui renchérira le coût du chauffage. Les marchés carbone permettront d'abonder le fonds social pour le climat à hauteur de 25 %. Quelque 210 milliards d'euros sur 2027-2032 pourront ainsi être affectés aux efforts en faveur de la rénovation énergétique.
De nouveaux outils sont nécessaires pour rénover les 400 millions de mètres carrés des bâtiments publics. Recourir à un tiers-financeur peut être utile : le groupe SER votera ce texte, même si nous avons quelques inquiétudes.
Premièrement, l'effet rebond : on consomme davantage après une opération de rénovation énergétique. Or il faudra payer les travaux, ce qui peut conduire à fragiliser les finances des collectivités territoriales.
Deuxièmement, d'autres rénovations sont elles aussi indispensables, notamment en matière de sécurité ou pour conserver notre patrimoine. Ne restreignons pas trop le champ des rénovations.
Troisièmement, quels opérateurs auront recours à ces opérations ? Sans doute les plus grosses entreprises, et non les TPE-PME.
Monsieur le ministre, n'oublions pas nos établissements d'enseignement à l'étranger ! Ils sont gérés par une agence qui n'est pas autorisée à recourir à l'emprunt. J'espère donc que le mécanisme du tiers financement pourra jouer.
M. le président. - Conformément à l'article 42, alinéa 12, du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
La proposition de loi est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.