« Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme France »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme France », à la demande de la commission des affaires économiques.
M. Pierre Louault, au nom de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements au banc des commissions et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre, vous êtes aussi le ministre de la souveraineté alimentaire, nous vous le rappellerons ce soir, car la France est en train de perdre cette souveraineté. Nous en exposons les raisons dans notre rapport, avec Laurent Duplomb et Serge Mérillou.
En agriculture comme dans le nucléaire, à force de maudire un système et de voter des lois doctrinaires, nous glissons vers une impasse. Les agriculteurs baissent les bras, comme les agents d'EDF.
En vingt ans, nous sommes passés de deuxième exportateur mondial à importateur, si l'on excepte les vins et spiritueux. Longtemps qualifiée de grenier de l'Europe, la France perd des parts de marché.
Notre rapport tire la sonnette d'alarme. Les constats ne sont pas originaux. Cela fait des années que le Sénat alerte. En 2015 déjà, Jean-Claude Lenoir avait déposé une proposition de loi sur la compétitivité de notre agriculture. Pourtant, les déséquilibres s'aggravent. Il est impérieux d'agir.
Notre modèle voit sa compétitivité minée par la hausse des charges des producteurs en raison des coûts de main-d'oeuvre, des surtranspositions et d'une fiscalité trop lourde, mais aussi par une productivité en berne, en raison d'un manque d'investissement.
Nos importations explosent et nos paysans désespèrent : un tiers de nos légumes et deux tiers de nos fruits sont importés, un poulet sur deux consommé en France n'est pas français.
Monsieur le ministre, vous partagez un certain nombre de nos constats. Travaillons ensemble pour enrayer cette logique mortifère.
Nous devons être vigilants face aux surtranspositions - je pense aux betteraviers. Quand pérenniserez-vous les TODE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi) pour sauver la filière des fruits et légumes ?
Je compte sur vous pour inverser la tendance. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - La question de la souveraineté traverse toute notre action politique ; la souveraineté alimentaire est donc essentielle. Nous devons poser la question aux niveaux français et européen.
Il faut avoir à la fois la capacité à subvenir aux besoins de notre population et la capacité à reconquérir notre place d'exportateur.
Pour les TODE, nous avons déjà fait un premier pas, avec davantage de visibilité à moyen terme.
Nous devons repenser globalement la fiscalité à l'aune des besoins des agriculteurs.
Le génie français aime surnormer, via la surtransposition. Nous devons y être collectivement attentifs. Une grande partie de la concurrence s'exerçant au sein de l'Union européenne, les normes ne doivent pas freiner la ferme France.
M. Serge Mérillou, au nom de la commission des affaires économiques . - (Mme Sophie Primas, MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent.) La situation de l'agriculture française est préoccupante. Les éleveurs laitiers sont un exemple probant : 61 % d'entre eux n'atteignent pas le salaire médian et un sur deux part à la retraite sans être remplacé, ce qui aboutit à une décapitalisation du cheptel depuis 2005.
Le prix moyen du lait payé aux producteurs a augmenté de 40 % en un an dans l'Union européenne, et même de 46 % en Allemagne, contre 22 % seulement en France. Or les charges se sont considérablement accrues. L'éleveur français est celui qui a le plus de difficulté à capter la valeur, et manifestement, la loi EGalim n'a pas apporté les résultats escomptés.
Le miracle laitier français, celui de la ferme familiale, nous est cher. Il faut le préserver face à la concurrence européenne d'une agriculture toujours plus intensive. La France est désormais le quatrième importateur mondial de lait. Quand l'Allemagne bâtit son modèle sur ses performances techniques, la France le fait sur la faiblesse de la rémunération de sa main-d'oeuvre.
L'Italie opère une vraie promotion de ses produits agricoles à l'international - qui n'a pas de la mozzarella ou du parmesan dans son frigo ? Les Français les cuisinent peut-être avec des tomates italiennes ! (Mme Sophie Primas s'en désole.) Les Italiens, eux, ont-ils de la tomme ou du comté dans leur frigo ?
Idem pour le prosecco, dont les ventes sont en constante augmentation. Qu'en est-il de notre stratégie à l'export de nos produits coeur de gamme ?
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à travailler avec le Sénat pour soutenir le marché français face aux produits importés à l'impact environnemental et social trop souvent catastrophique ? Voyez l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Chili, sans clause miroir, alors que ce pays utilise des antibiotiques interdits en Europe : nous sacrifions encore notre souveraineté alimentaire sur l'autel de notre souveraineté énergétique, le Chili disposant de métaux rares.
En outre, je déplore que la Commission européenne, peu démocrate, contourne les parlements nationaux sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre. - La France est une grande puissance exportatrice de lait. La question est davantage celle de la rémunération de la filière en amont. EGalim I et II ne sont pas parfaites, mais ont apporté des avancées, et les rattrapages sont en cours. Le risque principal de la filière laitière, avec une activité 365 jours par an, est une décapitalisation. Il faut en réduire la pénibilité.
J'en viens à l'accord avec le Chili : l'agriculture n'est pas une variable d'ajustement. La France a essayé d'introduire les clauses miroir au cours de sa présidence de l'Union européenne. Nous devons aller plus loin pour les imposer.
M. Fabien Gay . - Les syndicats paysans sont unanimes : difficile de savoir si nos agriculteurs pourront vivre de leur travail en 2023. Les crises montrent combien il est important de les protéger.
La hausse des intrants a été considérable en 2021 : 10 % pour les engrais, l'énergie, les lubrifiants, 11 % pour l'alimentation du bétail. Certes, il y avait un contexte, avec des aléas climatiques. Mais il y a aussi une inflation artificielle sur l'énergie provenant de la spéculation sur les marchés boursiers. Les profiteurs de crise, les traders, sévissent. Cette dépense a crû de 370 % entre 2021 et janvier 2022.
Là encore, un marché financier impose les lois de la spéculation à des gens qui veulent simplement vivre de leur travail : le Gouvernement le cautionne. Vous avez refusé de rétablir les tarifs réglementés de l'électricité pour les TPE et PME, dont les exploitations agricoles ; or, passer de 42 euros à 280 euros le kilowattheure entre 2021 et 2023, voilà de quoi vous faire mettre la clé sous la porte !
Les agriculteurs vous attendent sur toutes ces questions lors de votre prochaine loi.
En un an, deux traités de libre-échange supplémentaires ont été conclus, avec le Chili et la Nouvelle-Zélande. Pas moins de 12 000 tonnes de viande bovine arriveront dans l'Union européenne, dopées à des substances interdites.
Ce qui attend les éleveurs, ce n'est pas la retraite - si vous leur en laissez une - , c'est le chômage à 50 ans. Vous défendez des importations venues du bout du monde. Assumez ! Vous soutenez des produits qui font 20 000 km avant d'atterrir dans nos assiettes.
La France assurait la présidence de l'Union européenne lors de la négociation avec la Nouvelle-Zélande ; elle s'est empressée de ratifier l'accord, trois semaines avant la fin de son mandat.
Ces accords sont antidémocratiques. Le Parlement n'y est même pas associé. Pas moins de 90 % du Ceta, l'Accord économique et commercial global, s'appliquent sur notre économie, sans que le Sénat se soit penché dessus. Voilà sept ans d'application, sans vote, sans bilan, sans recul, sans rien. Vous dites que c'est positif pour l'agriculture : je suis prêt à visiter avec vous une exploitation qui en profite, si vous en trouvez une...
Agriculteurs et agricultrices méritent mieux que ce mépris. Il est temps d'avoir un vrai débat sur votre politique agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous devons récupérer une forme de souveraineté énergétique, en allant vers des énergies moins carbonées. Les dispositifs de protection contre l'inflation ne sont pas parfaits, mais c'est déjà un premier pas.
J'assume la vocation exportatrice de la France pour la filière porcine, les vins et spiritueux... Il faut donc aussi assumer les importations : telle est la règle du jeu.
Le Gouvernement ne fait qu'appliquer les règles internationales. Concernant le Ceta, je vous emmènerai dans des exploitations : vous verrez que c'est positif.
M. Fabien Gay. - Les adversaires des accords de libre-échange se voient toujours reprocher de vouloir se replier sur eux-mêmes. Le commerce existe depuis la nuit des temps. Les traités de libre-échange sont récents. Nous voulons simplement commercer avec des règles du jeu justes, qui soient les mêmes pour tous. Ce que nous n'acceptons pas de nos agriculteurs, nous ne devons pas l'accepter d'autres.
Je viendrai avec vous dans une exploitation. J'espère que vous tiendrez votre parole. Après MM. Denormandie et Riester, c'est la troisième fois que l'on me fait cette promesse.
Mme Amel Gacquerre . - Depuis près de vingt ans, des rapports mettent en exergue la dégradation de la compétitivité de notre agriculture. En vingt ans, la France est passée de deuxième à cinquième exportateur mondial. En parallèle, les importations ont doublé, jusqu'à représenter la moitié de nos assiettes. Chaque jour, la détresse de nos agriculteurs s'amplifie.
Or il s'agit là de notre souveraineté alimentaire, de notre capacité à produire notre propre nourriture, en toute autonomie. La compétitivité de la ferme France est mise à mal par un coût de la main-d'oeuvre plus élevé que chez nos concurrents, qui a augmenté de 55 % entre 2000 et 2020 - deux fois plus rapidement qu'en Allemagne -, par une surtransposition des normes - la France n'autorise que 309 substances actives, contre 454 en Europe - et une stratégie haut de gamme, pour des marchés de niche, qui réduit notre potentiel productif et oriente notre production vers des prix inaccessibles à beaucoup. Nous perdons des parts du marché coeur de gamme et devons importer : un non-sens !
Je ne vois aucun sursaut. Ma question sur la filière endivière, malheureusement restée sans réponse, illustrait les problématiques de notre agriculture. Ce secteur voit sa compétitivité se dégrader face à une concurrence qui ne s'embarrasse pas des normes que nous imposons à nos agriculteurs.
Lors du dernier projet de loi de finances, nous vous avions alerté, monsieur le ministre, sans réponse.
Un cap, une méthode et des moyens, voilà ce que nous voulons.
Notre cap : faire de la compétitivité prix de notre agriculture une priorité nationale par une réduction des coûts de main-d'oeuvre en s'appuyant sur une montée en charge du TODE.
Notre agriculture est la plus propre du monde. Nous devons en faire un atout compétitif et doper nos investissements environnementaux afin de faire de la ferme France une référence éco-agricole.
Nous devons stopper l'inflation normative, et appliquer le principe de pas d'interdiction de produit sans alternative.
Agissons maintenant, ensemble, avant qu'il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Le cap, c'est la reconquête de la souveraineté. On a laissé la ferme France perdre sa compétitivité depuis plus de vingt ans.
La méthode, c'est la planification : quelles sont les alternatives pour éviter une interdiction sans solution ? C'est valable sur tous les sujets.
L'idée n'est pas de reculer devant les obstacles - comme nous l'avons trop longtemps fait depuis vingt-cinq ans, comme sur la betterave. Je crois beaucoup à la recherche et à l'innovation. C'est ainsi que par la mécanisation, au sortir de la guerre, puis par l'emploi des produits phytosanitaires, l'agriculture s'est développée en France.
Un tiers des exploitations françaises sont sous label de qualité - et elles trouvent une rémunération. Par pitié, n'opposons pas les besoins ! Le problème, ce n'est pas d'être monté en gamme pour certaines exploitations, c'est d'avoir laissé trop de place aux concurrents.
Mme Amel Gacquerre. - Je ne suis pas contre la montée en gamme. Mais n'oublions pas tous ceux qui n'ont pas accès à ces produits. Ce choix était sans doute démesuré, car trop de Français n'ont plus les moyens de consommer des aliments produits en France.
M. Henri Cabanel . - Qualité contre quantité : je me refuse d'entrer dans ce débat. Notre agriculture est plurielle et il y a de la place pour tous.
Nous ne sommes plus compétitifs et la ferme France s'appauvrit : 100 000 exportations perdues en dix ans, une part des agriculteurs dans la population active passée de 7 % en 1982 à 1,5 % aujourd'hui. Qui serait tenté par la seule activité qui ne décide pas du prix de sa production ? Les agriculteurs subissent la volonté de la grande distribution. Certaines filières n'ont pas su s'adapter. Les Espagnols ont structuré leurs filières, adoptant des stratégies collectives très efficaces. En France, on se concurrence les uns les autres. La filière viticole occitane n'est pas capable de s'organiser pour résister aux négociants, qui fixent les prix et les rendent dépendants.
Il est urgent de fixer des enjeux nationaux et régionaux, car la concurrence mondiale est exacerbée. Mais nous ne partons pas à armes égales : les charges sociales, les normes diffèrent.
Les lourdeurs administratives prennent une large part d'un temps de travail déjà très long. Les dossiers sont là. Le dernier date de la semaine dernière : un jeune agriculteur se voit refuser 20 000 euros car il n'a pas coché une case dans un formulaire... La bienveillance devrait s'imposer.
Monsieur le ministre, je vous invite à remplir un dossier PAC et à compter les arbres. (M. le ministre assure qu'il connaît cet exercice.) Une fonctionnaire de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l'Hérault m'a aidée. Chaque pays a son propre logiciel ; en Italie, il est bien plus simple. Pourquoi ?
EGalim a imposé 50 % de produits de qualité dont 20 % de bio à la restauration collective. Quel est le bilan ? Il faut travailler suivant une stratégie globale.
Avec Françoise Férat, nous avions proposé de nommer l'agriculture grande cause nationale en 2023. Ce n'est pas symbolique mais primordial.
Le coup par coup nuit à l'efficacité. Les solutions doivent être transversales. (M. Pierre Louault applaudit.)
M. Marc Fesneau, ministre. - EGalim n'est pas parfaite mais apporte une réponse partielle au problème de la rémunération ; je vous présenterai un texte complémentaire. Même les Canadiens se disent intéressés par notre construction du prix par l'amont et non par l'aval. De plus, n'opposons pas inflation à rémunération. Depuis cinquante ans, on nous explique que ceux qui luttent contre l'inflation ne peuvent le faire qu'au détriment du revenu agricole. Ce qui a un coût a un prix : voilà ce que nous devons répéter.
Je regrette, comme vous, l'absence de coopération, dont profitent les tiers.
Je ne défends pas les administrations par principe, parce que je ne veux pas me défausser. Mais elles suivent le législateur. Or face à chaque problème, nous créons une réglementation. C'est vrai que le système de la PAC est beaucoup plus compliqué en France qu'ailleurs - mais c'est ce que nous avons créé pour tenir compte de toutes nos différences. Nous avons besoin de bienveillance et de meilleures explications sur la PAC qui se déploie en 2023.
M. Henri Cabanel. - J'insisterai sur la complexification. L'administration est là pour nous contrôler et les agriculteurs l'acceptent, mais aussi pour nous aider.
Face au désespoir de certains agriculteurs, nous avons besoin de bienveillance. Les agriculteurs ne sont pas que des chiffres dans les comptes de la Mutuelle sociale agricole (MSA), mais des femmes et des hommes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC ; M. Laurent Somon applaudit également.)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'agriculture est une chance pour la France. La crise du covid en a rappelé l'importance. À l'heure des grands déséquilibres internationaux, la souveraineté alimentaire est une nécessité. La France doit retrouver sa place de grande nation agricole.
Pour y parvenir, il faut un regard critique - c'est tout l'objet du rapport d'information de la commission des affaires économiques.
Comment ne pas s'inquiéter, lorsque la France est le seul grand pays agricole dont les parts de marché reculent ? En vingt ans, elle est passée du deuxième au cinquième rang des exportateurs de denrées alimentaires. Dans le même temps, les importations ont doublé, et représentent parfois la moitié des denrées consommées. La France a perdu 837 000 vaches en dix ans, soit 11 % du cheptel. En Mayenne, nous en avons perdu 70 000. Les importations de viande bovine ont augmenté de 15 % en un an !
Les facteurs sont nombreux : il y a notamment le non-renouvellement générationnel - le nombre d'agriculteurs a été divisé par quatre entre 1982 et 2019.
Quelles sont les solutions ? Il faut d'abord créer un choc de compétitivité avec la simplification des normes, pour plus de clarté et de visibilité.
L'Union européenne se penche sur une révision des règles d'étiquetage des modes d'élevage de volailles, qui menace nos productions fermières, en particulier dans l'ouest de la France. Dans le même temps, les accords de libre-échange autorisent l'importation d'aliments qui ne sont pas soumis à nos standards.
On asphyxie ainsi les agriculteurs sous des normes qui ne s'appliquent pas aux concurrents, tout en séparant les deux France : celle qui peut se permettre de consommer européen, et celle qui n'en a pas les moyens.
Le défi du renouvellement générationnel, c'est aussi renforcer l'accompagnement des jeunes agriculteurs, faire en sorte que les banques mettent à leur disposition des interlocuteurs à l'écoute.
Enfin, l'agriculture doit être adaptée au réchauffement climatique. Grâce à la dotation Jeunes agriculteurs (DJA), soutenons les agriculteurs qui investissent dans des systèmes d'irrigation moins gourmands en eau, et soutenons ceux qui subissent des pertes dues aux aléas climatiques, grâce à notre système réformé d'assurance récolte.
Il faut une législation plus équilibrée et des accords internationaux plus justes. Monsieur le ministre, il y a du pain sur la planche.
M. Marc Fesneau, ministre. - L'étiquetage des volailles est un sujet intra-européen. Nous défendons le label plein air - la France est en avance en la matière. En pleine négociation, je ne peux pas vous en dire plus.
Nous cherchons aussi à continuer à assumer notre vocation exportatrice, appliquer des clauses de réciprocité et être plus agressifs dans la conquête de marchés extérieurs, notamment dans les pays émergents.
Plus de la moitié des jeunes qui s'installent ne bénéficient pas de la DJA. De plus, quel que soit son montant, il faut rassurer les jeunes sur leur capacité à rembourser et à faire face au dérèglement climatique.
M. Franck Menonville . - Notre agriculture façonne le paysage français ; elle est la base de notre patrimoine culinaire. Mais, comme le relevait Laurent Duplomb dans son rapport de 2019 intitulé « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? », elle est en déclin.
Notre production d'élevage stagne depuis les années 1990, voire recule dans certains secteurs. Notre compétitivité s'effrite. Nous perdons des parts de marchés à l'export et les importations ont doublé en vingt ans, pour atteindre 63 milliards d'euros.
Pourtant, la France reste le principal producteur européen. Il est urgent d'agir. Je salue le travail de nos trois rapporteurs, qui présentent 24 propositions.
Notre autonomie alimentaire est mise en péril. Comme l'a dit Mme Gacquerre, la montée en gamme, défendue par le Président de la République dans son discours de Rungis, ne peut définir à elle seule notre stratégie. Nous devons être présents sur toute la gamme : le recul du bio est un signe plutôt clair.
Les surtranspositions et les lois trop strictes paralysent l'agriculture française : 454 substances actives sont autorisées au niveau européen, 309 en France. Pourquoi s'imposer des règles que nos voisins ne s'imposent pas eux-mêmes ?
Nous devons poursuivre l'harmonisation au niveau européen pour éviter la concurrence. La recommandation n°2 est très intéressante à cet égard : il s'agit de donner corps au principe « stop aux surtranspositions ».
La filière betteravière en est une bonne illustration : la Cour de justice de l'Union européenne a interdit la dérogation française pour l'usage de néonicotinoïdes, privant la filière des moyens de lutter contre le puceron vert et la jaunisse. Notre souveraineté est mise en péril par un cadre législatif inadapté.
Il est indispensable de mener des études d'impact pour explorer les solutions alternatives avant toute interdiction. Monsieur le ministre, vous n'êtes pas comptable de cette situation : nous serons à vos côtés. Ne faisons pas de notre agriculture ce que nous avons fait de notre industrie.
Redonnons du sens à nos agriculteurs passionnés. Comment utiliserez-vous les recommandations de ce rapport ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Marc Fesneau, ministre. - Aucun ministre de l'agriculture ne recherche les surtranspositions... Mais c'est une tendance nationale : cela fait 25 ans que cela dure. Nous pensons qu'en surtransposant, nous entraînons les autres, mais le temps qu'ils le fassent, nous avons perdu en compétitivité.
Pour autant, les principes de précaution et de non-régression ne relèvent pas du Gouvernement, mais de la Constitution. Portons les sujets au niveau européen.
Nous devons assumer notre montée en gamme - un tiers des exploitations en profitent - mais nous devons aussi retrouver une forme de souveraineté, par exemple sur le marché de la volaille, grâce à une harmonisation des règles : c'est un enjeu de souveraineté.
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il faut se mettre d'accord sur le terme de compétitivité, car ses dimensions sont multiples. On ne peut continuer à occulter, derrière les prix du marché, le coût caché des pesticides - entre 370 millions et quelques milliards d'euros pour la France - l'impact des engrais azotés, celui des pratiques agricoles sur les pollinisateurs...
On ne peut ignorer les subventions publiques qui mettent sous perfusion le système agro-industriel : 23,2 milliards de fonds publics, dont 1 % ont un effet sur la consommation de pesticides... Certes, on ne peut s'affranchir en un jour du marché mondial, mais on peut agir pour imposer des clauses miroirs dans les accords de libre-échange et relocaliser notre production alimentaire.
Chacun doit avoir accès à des produits sains et durables. La solution, ce n'est pas d'accorder toujours plus de subventions, mais de construire une vraie compétitivité intégrant externalités positives et négatives. Voilà comment nous pourrons soutenir une compétitivité durable. Avec quelle agriculture ? L'agriculture biologique. Elle stocke de l'eau, est produite et consommée localement, respecte la saisonnalité, se passe d'engrais azotés à l'heure de l'explosion des coûts...
Or le Gouvernement laisse ce modèle agricole en difficulté avec des politiques inadaptées : promotion de la haute valeur environnementale (HVE) qui n'apporte aucune garantie, fin de l'aide au maintien dans la nouvelle PAC, absence de rémunération du service rendu à l'écosystème... Un rapport de la Cour des comptes détaille toutes ces mesures qui pénalisent l'agriculture biologique.
Pendant ce temps, 489 millions d'euros d'aide à l'achat pour l'alimentation animale ont été débloqués dans le cadre du plan de résilience, ainsi que 270 millions d'aide d'urgence pour la filière porc.
M. Marc Fesneau, ministre. - Que fallait-il faire ? Rien ?
M. Daniel Salmon. - Depuis un an, rien n'est fait pour soutenir le secteur du bio : des outils de transformation se perdent, nous laissons une filière entière se déstructurer. Il faut des aides d'urgence et un plan ambitieux de communication.
Des leviers existent, actionnez-les. Allons-nous mettre la tête dans le sable pendant quarante ans, comme nous l'avons fait face à l'effondrement de la biodiversité ?
Il y a ici des gens qui pensent qu'il y a encore trop d'insectes... Mais ce n'est pas le cas. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Marc Fesneau, ministre. - C'est ainsi que vous avez présenté le débat sur le nucléaire : la solution, c'étaient les EnR, mais personne ne disait comment y arriver... Vous faites de même pour le bio. (M. Ronan Dantec proteste.) Cela ne veut pas dire que je ne veux pas soutenir le bio. Par pitié, n'opposons pas tout.
Le bio a un problème : c'est la demande.
M. Laurent Duplomb. - Mais oui !
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous avons un problème de segment de marché. Comment intéresser les consommateurs à la filière ? On peut toujours vivre sur une île déserte... (Protestations sur les travées du GEST) Il faut rester dans le réel.
M. Ronan Dantec. - Absolument !
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous, monsieur Salmon, élu de la Bretagne, vous voulez supprimer les aides à la filière porcine, à l'alimentation animale ? Il faut assumer les transitions, mais ne pas imposer un modèle unique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Guillaume Gontard. - C'est vous qui le faites !
M. Daniel Salmon. - La plus grande réalité, c'est la biosphère.
M. Marc Fesneau, ministre. - Mais je le sais !
M. Daniel Salmon. - En Ille-et-Vilaine, seuls 3 % des masses d'eau sont en bon état. On ferme captage après captage.
À force de placer l'économie au-dessus de la biosphère, on va se faire rattraper par la patrouille. Malgré les rapports qui s'empilent sur la baisse de la biodiversité, nous fonçons dans le mur, pour préserver le sacro-saint marché. (Mme Sophie Primas manifeste son exaspération.) Posons-nous les bonnes questions. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.) Avec 70 milliards d'euros d'exportations dans l'agricole et l'agroalimentaire, la France reste une grande nation agricole, le principal producteur européen.
Pour autant, le constat du rapport est alarmant. Il accuse la montée en gamme de mettre en péril notre potentiel productif, de faire exploser nos importations. La France serait ainsi coupable d'y avoir sacrifié sa compétitivité, d'avoir préféré la qualité à la quantité.
En filigrane, se pose la question de l'opposition dépassée entre production de masse et production de qualité. Nous devons aujourd'hui concilier ces deux impératifs. Des pratiques plus durables, c'est ce que la société demande, mais aussi ce qui conditionne la survie de la ferme France.
Des transitions ont été engagées, nous ne pouvons revenir dessus sans mettre en péril notre modèle agricole même. Tout cela suppose d'importants efforts aux agriculteurs, qui ne peuvent être consentis sans accompagnement.
La survie et la pérennité du modèle agricole sont au coeur de l'action du Gouvernement. Ainsi nous avons réformé l'assurance récolte, avec à la clé 560 millions de nouveaux crédits. Les agriculteurs sont aussi accompagnés au niveau européen, qui leur permet d'aborder la transition sans perdre en compétitivité. La nouvelle PAC apporte au bio 340 millions d'aides par an. L'Union européenne établit les bases d'une concurrence équitable entre États membres.
Depuis 2017, nous avons pris un tournant pour préparer la ferme France et soutenir nos agriculteurs ; le rapport l'occulte.
Préparer la ferme France de demain, c'est d'abord investir pour innover, avec 4 milliards d'euros engagés par les plans France Relance et France 2030.
C'est aussi investir pour produire, avec 150 millions d'euros dans le cadre du plan protéines, ou le plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes.
Depuis EGalim I et II nous mettons la question de la rémunération des agriculteurs au coeur de nos réflexions, tout comme l'accès de tous à une alimentation de qualité.
Nous anticipons le renouvellement des générations, car il n'y a pas de ferme France sans agriculteurs.
Voilà l'action de la majorité gouvernementale. Oui à la compétitivité et à l'export, mais sans renier nos ambitions pour une agriculture innovante et durable. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault et Mme Daphné Ract-Madoux applaudissent également.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Le chemin est long pour retrouver la productivité. L'innovation et la recherche occupent en effet une place centrale, par exemple pour la substitution des produits.
Le système assurantiel est aujourd'hui solide. Nous donnons aux agriculteurs une garantie de résilience de leur exploitation face au changement climatique, par l'irrigation et la modification des pratiques. L'enjeu est crucial car un degré de différence, c'est ce qui sépare Toulouse de Rennes... Ce ne sera pas facile. Nous avons besoin de transition, assumons-le ; cela demandera du temps.
Enfin, le débat à l'aune de la guerre en Ukraine et du covid doit être porté au niveau européen.
M. Serge Mérillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il m'échoit de reprendre l'intervention de Jean-Claude Tissot, notre chef de file sur les questions agricoles, absent pour des raisons personnelles. J'ai une pensée pour lui.
Les chantiers de l'attractivité sont nombreux. Les agriculteurs nous interpellent, et nous font part de leurs difficultés insurmontables. Notre agriculture jouit d'une réputation inégalée, mais nous ne sommes pas au rendez-vous, à cause des pertes de parts de marché, de l'explosion des importations. L'excédent commercial n'est tiré que par l'effet prix des vins et spiritueux. Voilà qui nous inquiète.
Les prix des denrées alimentaires s'envolent, certaines manquent. Nous devons repenser notre modèle agricole à l'aune de la souveraineté. Rien n'est pire qu'un peuple qui a faim.
Notre pays, grenier de l'Europe, doit montrer une réelle volonté politique, en réarmant la ferme France. Nous devons redevenir attractifs. Précarité et agribashing n'incitent pas à l'installation. Les chantiers sont nombreux, et les réponses encore peu satisfaisantes.
La montée en gamme, promue dans le discours de Rungis du Président de la République, ne peut être l'alpha et l'oméga de notre politique agricole. Faute d'accompagnement adapté, cette stratégie risque d'entraîner le pays dans une crise de souveraineté alimentaire et de pouvoir d'achat. Il faut donc réinvestir le coeur de gamme et booster notre productivité.
Faisons confiance aux agriculteurs, et donnons-leur un cadre pour les accompagner mieux : environnement, gestion de l'eau, concurrence déloyale... autant de domaines d'action pour préserver notre souveraineté alimentaire.
Il faut reconquérir notre appareil productif : ne cédons pas aux sirènes de la mondialisation.
Ce rapport n'entend pas opposer les modèles agricoles, le conventionnel et le bio, les céréaliers et les éleveurs.
Il faut produire pour tous et toutes, pour que chacun ait une alimentation sûre et accessible, que chacun puisse manger français tous les jours, et pas seulement le dimanche. Le contenu de l'assiette est le premier révélateur des inégalités. Il faut donc changer de cap, mais préservons les garde-fous.
J'ai des réserves vis-à-vis de certaines propositions du rapport, mais c'est la richesse de la confrontation d'idées. (Mme Sophie Primas sourit.) Je songe notamment au rôle de l'Anses : la compétitivité de la ferme France ne doit pas entraîner des risques pour la santé de nos concitoyens. Quant à la réduction des coûts de production, elle ne saurait détériorer les conditions salariales. Autant de sujets sur lesquels nous avons débattu et trouvé des solutions.
Privilégier le bio, les labels, est un bel objectif, mais il faut que l'agriculture française soit présente dans tous les segments d'activité. Ma famille politique a eu de nombreuses initiatives en la matière. Ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll s'était engagé pour le bio, et les sénateurs de mon groupe ont porté le paiement pour services environnementaux.
Un accompagnement fort et massif des agriculteurs est nécessaire pour soutenir la montée en gamme et limiter les différences de prix. La priorité reste de nourrir tous les Français.
Rendons à nos agriculteurs la fierté de produire. Dans nos départements ruraux, l'agriculture joue un rôle essentiel d'aménagement de l'espace : ne l'oublions pas. (Mme Sophie Primas et M. Pierre Louault applaudissent.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous avez raison : il n'y a rien de pire que de ne pas pouvoir nourrir sa population. C'est une question de souveraineté essentielle. En 1789 ou plus récemment de l'autre côté de la Méditerranée, les grandes crises sociales ont eu pour origine des crises alimentaires. C'est un sujet de stabilité, pour nous et pour les pays à nos frontières.
Oui nous devons poursuivre notre travail sur l'accès de tous à une alimentation diversifiée et de qualité, via le chèque alimentation.
Il faut répondre à la diversité des attentes en termes de gammes. Les labels de qualité existent depuis des décennies. Nous les avons fait reconnaître dans les accords internationaux. Nous avons beaucoup exporté grâce à cette marque France, qui a une image de qualité.
Mme Françoise Férat . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il faut se rendre à l'évidence : l'excédent commercial agricole s'érode. La France garde son rang de premier producteur européen, mais en vingt ans, elle est passée du deuxième au cinquième rang mondial.
M'en satisfaire serait nier vingt ans de travail au Sénat, le rapport rédigé avec Henri Cabanel sur le suicide des agriculteurs, six années de rapports budgétaires à dénoncer les surtranspositions et autres contraintes « administrativo-paperassiales ». En 2021, le solde commercial est de 8 milliards d'euros ; c'est mieux qu'en 2019, mais uniquement grâce aux vins et spiritueux. Sans eux, nous serions déficitaires. Cela me choque.
À quoi attribuer cette perte de compétitivité ? Peut-être à la stratégie de montée en gamme menée depuis 2017. Le marché du poulet standard est ouvert aux importations, et la moitié du poulet consommé est étranger, contre 20 % en 2000. La betterave est victime de la justice européenne ? Le Brésil nous vendra du sucre pour pas cher, et tant pis pour l'environnement ou le droit social !
Le coût de la main-d'oeuvre est deux à trois fois plus élevé qu'en Espagne, en Pologne ou en Allemagne. L'arbitrage politique l'emporte trop souvent sur une transposition mesurée des normes européennes. La part des normes d'origine européenne n'est que de 14 % au Danemark, de 10 % en Autriche ; l'Allemagne, elle, a adopté le principe du « one in, one out », économisant 3,5 milliards d'euros depuis 2015 !
Monsieur le ministre, il vous faut faire le bilan de trente années de stratégie agricole. Il est encore temps d'inverser la tendance ! Écoutez le Sénat, il est l'écho de la ruralité et des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)
M. Marc Fesneau, ministre. - Je suis moi aussi élu d'un territoire rural. Vous ne vous satisfaites pas de la situation ? Moi non plus. Des dizaines d'années durant, on a laissé les choses se faire, progressivement. Nous avons besoin de reconstruire patiemment la souveraineté perdue.
Vous avez parlé du fleuron qu'est la viticulture. Mais nos fleurons sont nombreux - l'élevage pourrait en être un. La viticulture est le secteur qui exporte le plus ; c'est aussi le seul secteur intégralement sous label et signe de qualité.
Nous avons besoin de réfléchir en Européens sur les normes que nous nous infligeons, mais aussi en tant que Français sur la surtransposition et la suradministration. Merci pour vos propositions de simplifications concrètes.
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En septembre 2022, Le Point écrivait : « la commission des affaires économiques du Sénat tire une énième fois le signal d'alarme ».
Notre pays aux terres fertiles et au climat tempéré a de nombreux atouts. Pourtant, notre agriculture va mal. En cause, les changements réglementaires permanents et une pression concurrentielle croissante.
Certains succès cachent bien des problèmes. Deuxième producteur de lait d'Europe, la France exporte 40 % de sa collecte. Si les éleveurs laitiers maintiennent leur place, c'est au prix de leurs revenus, pour répondre à la guerre des prix : le « miracle » laitier, c'est une filière en danger. Les exploitants, découragés par les revenus trop faibles pour investir, renoncent : moins 32 % en Normandie. La Manche voit son cheptel diminuer de manière importante.
Se pose alors le problème de la transmission, sachant qu'un éleveur sur deux a plus de 50 ans.
Le nombre d'élevages de porcs a chuté de 40 % en dix ans, tant la production est à la fois exigeante et aléatoire ; le prix de vente fluctue alors que les charges augmentent. Pendant ce temps, l'Espagne abat 58 millions de porcs.
La production française de pommes a été divisée par deux en trente ans ; on exporte deux fois moins qu'il y a sept ans, alors qu'une pomme sur trois est importée pour être transformée.
La France impose des normes plus contraignantes que les directives, ce qui augmente le coût de production : recyclage des eaux issues de l'élevage laitier, interdiction de 145 produits phytosanitaires utilisés ailleurs. D'où une distorsion de concurrence évidente.
Les produits issus de l'agriculture française sont souvent plus chers. Dès le discours de Rungis en 2017, le Président Macron plaidait pour la montée en gamme. Mais le positionnement français haut de gamme ne justifie pas un tel écart de prix ! Résultat, les ménages achètent moins. La pomme bio, deux fois plus chère, n'est achetée que par 21 % des consommateurs. Les producteurs doivent écouler leur production sur le marché conventionnel, avec plus de 800 euros de perte par tonne !
Je salue la qualité du travail des rapporteurs et souscris à leurs recommandations. Il faut engager au plus vite le choc de compétitivité - ce doit être un objectif politique clair.
Nous le devons à notre agriculture, qui est au coeur de l'avenir de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Marc Fesneau, ministre. - Il faut rompre avec l'élevage-bashing permanent. Nous avons besoin d'élevage en France. Notre modèle est vertueux à bien des égards. Certains parlent de fermes-usines : qu'ils aillent au-delà de nos frontières - et pas très loin - pour en voir !
Pour le lait, se pose la question de la rémunération et des conditions de travail, mais aussi du portage des capitaux. Nous avons pensé l'élevage différemment pour la Normandie, la Bretagne, le Massif central, car les climats, les terres sont différentes.
La souveraineté doit être au coeur de notre réflexion, secteur par secteur. Ainsi, le plan de souveraineté fruits et légumes portera sur les alternatives au phytosanitaire, sur les investissements, la main-d'oeuvre, les filières d'excellence.
M. Christian Klinger . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'école, nous apprenions que la France était le grenier à blé de l'Europe, un pays de Cocagne. Dans les années 1980, on comptait 1,2 million d'exploitations agricoles ; aujourd'hui, moins de 440 000. En 2023, la France est le seul grand pays dont les parts de marché reculent alors qu'elle importe toujours plus. Le potentiel productif s'érode, la productivité de l'agroalimentaire est en berne, faute d'investissements.
Nos collègues ont dressé un tableau exhaustif, mais ont aussi recherché les causes et interrogé les réformes qui nous ont menés là.
Depuis des décennies, une petite musique remet en cause notre modèle agricole, pourtant l'un des plus vertueux. Dans ce contexte, le président Macron a plaidé, en 2017, pour la montée en gamme et le bio, en ouvrant « en même temps » le coeur de gamme aux importations. Hélas, comme Perrette et son pot de lait, il a trébuché sur la réalité. Adieu pommes, tomates, lait et poulet ! (Sourires)
Il y a dix ans, nous exportions 700 000 tonnes de pommes et en importions 100 000 ; aujourd'hui, c'est respectivement 350 000 et 200 000 tonnes... Pour s'adapter aux contraintes et produire la pomme parfaite, il faut augmenter les coûts : 1,18 euro, contre 53 centimes en Pologne. La pomme française devient un produit de luxe, laissant les pommes bourrées d'intrants aux moins aisés, et aux produits transformés.
La guerre russo-ukrainienne nous a rappelé l'importance géostratégique de l'arme agricole. Certes le ministère a changé de nom, mais il faut maintenant corriger le tir.
La stratégie Farm to Fork qui nous mène à la décroissance va à rebours de nos besoins et se heurte à la situation géopolitique. Nous ne pouvons plus nous acheter une bonne conscience environnementale sur le dos des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre. - Le Président de la République n'a pas plaidé pour le tout montée en gamme, ne caricaturons pas. (M. Laurent Duplomb le conteste.) La tendance collective, depuis trente ans, est la montée en gamme.
Nous avons un défaut de rémunération car nous avons un défaut de modernisation, faute d'investissements dans les industries agroalimentaires. Nous travaillons à combler ce retard.
La crise en Ukraine a montré que l'alimentation est une arme, et que la souveraineté alimentaire est la première des souverainetés. Nous avons besoin de le poser dans le débat public.
Je ne suis pas sûr qu'on puisse délier cette question du défi environnemental, tant le modèle agricole est dépendant du climat. Si nous ne luttons pas contre le changement climatique, c'est ce modèle - et notre souveraineté alimentaire - qui seraient remis en cause.
M. le président. - Vous avez la parole pour conclure, monsieur le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - J'ai été très heureux de débattre avec vous de la reconquête de notre souveraineté alimentaire.
Je salue le travail du Sénat sur les questions agricoles, qui sont complexes : il sait prendre du recul et éviter la caricature. Votre rapport est utile pour penser l'avenir de notre agriculture, alors que le conflit en Ukraine démontre combien produire pour nourrir est essentiel.
La perte de compétitivité n'est pas un sujet nouveau. Nous pouvons nous retrouver sur de nombreux constats et de nombreuses solutions. Mais n'opposons pas production de masse et montée en gamme : il faut faire les deux ! On ne peut prétendre tout produire sur notre sol : à l'heure du dérèglement climatique, l'alimentation repose sur un équilibre entre différentes régions du monde. Il nous faut combiner production de masse et montée en gamme pour maintenir la diversité de nos systèmes agricoles.
Les transitions sont nécessaires à l'agriculture pour l'adapter au défi climatique, à la perte de biodiversité, au stockage du carbone. Un haut niveau d'exigence sera essentiel pour conquérir de nouveaux marchés.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 8 février 2023
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Valérie Létard, vice-présidente, M. Alain Richard, vice-président
Secrétaires : M. Dominique Théophile - Mme Corinne Imbert
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Débat d'actualité sur le thème « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
3. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro?Chaldéens de 1915-1918, présentée par Mme Valérie Boyer, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (n°227, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)
4. Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean-François Rapin et François-Noël Buffet (texte de la commission, n°298, 2022-2023) (demande du groupe SER et du GEST)
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Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 8 février 2023
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Valérie Létard, vice-présidente, M. Alain Richard, vice-président
Secrétaires : M. Dominique Théophile - Mme Corinne Imbert
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Débat d'actualité sur le thème « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
3. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918, présentée par Mme Valérie Boyer, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (n°227, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)
4. Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean-François Rapin et François-Noël Buffet (texte de la commission, n°298, 2022-2023) (demande du groupe SER et du GEST)