Déroulement des élections sénatoriales (Procédure accélérée)
Mme le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Marseille applaudit également.) La proposition de loi déposée par le président François-Noël Buffet vise un objectif clair : remédier aux difficultés constatées lors des élections sénatoriales de 2020.
La loi de 2019 a étendu l'ensemble des règles de propagande électorale aux élections sénatoriales. Les élections du 27 septembre 2020 ont été le premier scrutin concerné. Deux difficultés ont émergé, sur la communication des résultats et la propagande électorale.
En effet, le code électoral interdit toute propagande la veille et le jour du scrutin et la communication de tout résultat avant la fermeture du dernier bureau de vote en métropole.
Or lors des élections sénatoriales, deux tours de scrutin peuvent avoir lieu le même jour de scrutin, dans les 52 départements concernés par le scrutin majoritaire. Le premier tour est alors ouvert de 8 h 30 à 11 h et le second de 15 h 30 à 17 h 30. Les candidats qualifiés pour le second tour se sont vus interdits de faire campagne pour le second tour.
L'embargo sur les résultats, imposé jusqu'à 17 h 30, est apparu incompatible avec le fait de communiquer les résultats du premier tour avant l'ouverture du second.
Même si l'élection était acquise dès le premier tour, les résultats ne pouvaient pas être communiqués... Or des fuites sur les résultats ont eu lieu avant 17 h 30, sur des sites internet, dans la presse locale ou sur les réseaux sociaux.
La commission des lois juge donc bienvenus les aménagements ponctuels auxquels procède cette proposition de loi en matière de propagande électorale et de communication des résultats.
D'une part, la dérogation à l'article L. 49 du code électoral sur la propagande dans l'entre-deux-tours est de bon sens : les candidats qualifiés pour le second tour pourront à nouveau mener campagne. Cette dérogation ne remet en cause ni l'interdiction de toute propagande électorale le matin du jour du scrutin ni l'interdiction d'introduire tardivement des éléments nouveaux de polémique électorale.
D'autre part, il doit être possible de communiquer les résultats des élections au fil de l'eau, comme avant 2020.
Enfin, la commission a souhaité clarifier le statut des dépenses électorales engagées dans l'entre-deux-tours, en garantissant leur éligibilité au remboursement. Il reviendra à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de s'assurer que ces dépenses revêtent bien un caractère électoral.
Ainsi, ce texte garantit le bon déroulement des élections sénatoriales de septembre prochain, qui verront le renouvellement des 170 sénateurs de la série 1. Nous souhaitons qu'il soit adopté à temps pour s'appliquer à ce scrutin. La commission des lois recommande l'adoption de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité . - J'attache une grande importance à la qualité de nos relations au service des collectivités territoriales et à la discussion entre nous pour dégager des consensus.
Cette proposition de loi nous en offre une bonne occasion. Sur un sujet sensible, touchant à la mécanique de notre démocratie, elle corrige l'inadéquation de certaines modifications introduites par la loi de 2019 aux particularités du scrutin sénatorial, notamment lorsque deux tours se tiennent le même jour. Le Gouvernement y est favorable.
Le texte autorise d'abord les candidats qualifiés à mener campagne entre les deux tours. Il s'agit d'une mesure de bon sens qui corrige des ambiguïtés et difficultés apparues en 2020. La communication des résultats avait été longuement repoussée, malgré des fuites dans les médias. Par ailleurs, l'impossibilité de faire campagne insécurisait le résultat des élections, comme le montre la jurisprudence récente.
Nous n'avons aucune réserve sur la levée de l'interdiction de communiquer les résultats, qui ne crée pas de précédent pour d'autres scrutins. En revanche, lever l'interdiction prévue à l'article L. 49 du code électoral ne doit pas conduire à politiser à l'excès l'entre-deux-tours : c'est pourquoi nous proposons de reconduire les consignes antérieures de mesure et de retenue au niveau infraréglementaire.
Cette proposition de loi va dans le sens de l'intérêt général de notre démocratie et de la prise en compte des particularités de la chambre des territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. Hervé Marseille . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En matière électorale, notre Haute Assemblée présente quelques spécificités. Ainsi, deux modes de scrutin coexistent, même si les départements où le scrutin majoritaire s'applique sont de moins en moins nombreux.
Rappelons que, jusqu'en 2014, les élections sénatoriales n'étaient pas soumises aux règles relatives aux comptes de campagnes : depuis, nous sommes rentrés dans le droit commun. En matière de propagande électorale, la loi du 2 décembre 2019 rend applicables aux élections sénatoriales les règles de droit commun. Les particularités de ce scrutin se raréfient, mais certaines subsistent.
Notre rapporteur a rappelé que la loi de 2019, fruit d'une initiative de notre collègue Alain Richard, présentait certaines difficultés d'application dans les départements soumis au scrutin majoritaire. Grâce à cette proposition de loi du président Buffet, les candidats qualifiés pour le second tour pourront mener campagne, et l'embargo sur la publication des résultats sera levé. Souvenons-nous de la séquence lunaire de septembre 2020 : presque tout le monde connaissait les résultats, mais, au Sénat, rien ne pouvait être annoncé - vaste hypocrisie !
Je salue cette initiative et la qualité du travail mené par la commission sous l'égide de M. Le Rudulier.
Le texte ajoute une précision sur l'éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours. Il s'agit des traditionnels déjeuners républicains. Madame la ministre, n'exagérons rien : au Sénat, on ne fait pas de politique, surtout entre les deux tours... (Sourires)
Le groupe UC votera la proposition de loi et attire l'attention du Gouvernement sur la nécessité de l'inscrire au plus vite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Il est utile à la démocratie de corriger ou d'adapter les règles électorales lorsqu'apparaissent des difficultés. Certes, les ajustements techniques ne suffiront pas à redynamiser la culture citoyenne, mais ils sont indispensables.
La loi du 2 décembre 2019, issue d'une initiative de notre collègue Alain Richard, a comblé de manière bienvenue des lacunes dans l'organisation des élections sénatoriales. Toutefois, certaines limites sont apparues lors des élections de 2020 - même si je n'étais pas directement concernée.
Ainsi, la diffusion de tracts et la publicité ont été interdites entre les deux tours, et un embargo sur les résultats a été observé jusqu'à 17 h 30, contradictoire avec la nécessité de communiquer les résultats du premier tour dès la fin de la matinée.
Nous sommes donc favorables aux corrections opérées.
La commission des lois a complété le dispositif par une mesure sur le financement de la campagne, rendant éligibles au remboursement les dépenses engagées entre les deux tours du scrutin.
La singularité du scrutin sénatorial fonde l'essence de notre chambre, moins exposée aux fluctuations politiques. Si nos désaccords peuvent être profonds, nous travaillons avec sérieux et rigueur au service de l'intérêt général.
Permettez-moi de citer, pour conclure, un rapport d'Antonin Lefèvre-Pontalis sur le texte qui allait devenir la loi de 1875 instituant le Sénat : « Une nation est livrée à toutes les surprises et à toutes les aventures, quand les volontés de la majorité numérique des citoyens peuvent faire la loi [...]. Il ne faut pas que, si le suffrage universel est tenté de sacrifier les intérêts de la stabilité et de la conservation nécessaires à l'existence d'une société, il puisse faire tout ce qu'il veut. [...] Telle est dans une société démocratique comme la nôtre l'importance ; il y a plus, telle est la nécessité d'un Sénat. » (Applaudissements)
Mme Agnès Canayer . - La proposition de loi du président Buffet adapte le code électoral aux spécificités des élections sénatoriales.
Le bicaméralisme est au coeur de l'équilibre des pouvoirs de la Ve République. Il est lié aux particularités du mode de scrutin sénatorial, dont le principe du renouvellement partiel, gage de continuité de nos institutions.
Or certaines dispositions du code électoral sont peu adaptées aux 52 circonscriptions dans lesquelles l'élection des sénateurs procède du scrutin majoritaire : l'interdiction de faire campagne le jour de l'élection et l'embargo sur l'annonce des résultats.
Cette situation est révélatrice de la complexification du code électoral. En 2010 déjà, notre commission des lois avait regretté la sédimentation des textes et une perte de cohérence. Le travail de recodification entrepris en 2007 est resté inabouti.
Cette proposition de loi tend à garantir la bonne tenue des prochaines élections sénatoriales, en prévoyant la communication progressive des résultats et la levée de l'interdiction absurde de mener campagne entre les deux tours. L'ajout par le rapporteur de l'interdiction d'introduire entre les deux tours de nouveaux éléments de polémique est bienvenu. Enfin, la prise en compte des dépenses engagées entre les deux tours sécurise le scrutin.
Si les élus municipaux ont un savoir-faire en matière de tenue des élections sénatoriales, il n'en est pas toujours de même des services de l'État, qui font régulièrement montre d'insuffisance organisationnelle. Madame la ministre, n'hésitez pas à transmettre aux préfectures concernées par le prochain scrutin un guide électoral simple et empreint de bon sens.
Le groupe Les Républicains votera la proposition de loi. (Applaudissements)
M. Alain Marc . - Alors que les prochaines élections sénatoriales approchent, nous nous penchons cet après-midi sur ce scrutin trop méconnu de nos concitoyens, mais aussi des pouvoirs publics eux-mêmes.
Fait singulier, le Sénat est élu selon deux modes de scrutin, majoritaire et proportionnel, ce qui s'explique par la diversité des territoires : les Hauts-de-Seine, monsieur Marseille, ont peu en commun avec l'Aveyron... En outre, c'est la seule élection lors de laquelle un premier et un second tours se tiennent dans la même journée.
S'il faut saluer le travail d'Alain Richard dont est issue la loi de 2019, des difficultés sont apparues lors du scrutin de 2020. Ainsi, un déjeuner avec des élus a été assimilé par le Conseil constitutionnel à une réunion électorale. Il faut sécuriser cette situation, alors que faire campagne entre les deux tours n'était pas interdit avant 2019. Cette proposition de loi y pourvoit.
Ensuite, la loi de 2019 impose d'attendre la fermeture de l'ensemble des bureaux de vote métropolitains avant toute communication de résultats. Or, en 2020, les fuites dans les réseaux sociaux et la presse étaient nombreuses. La proposition de loi prévoit en la matière le retour à la situation antérieure, ce qui emporte l'assentiment général.
Il revient au Gouvernement d'inscrire ce texte au plus vite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Ce débat est aussi l'occasion d'une réflexion plus profonde : Alain Richard a, maintes fois, attiré l'attention sur le caractère de moins en moins praticable du code électoral. Une refonte est nécessaire, qui améliorera sa lisibilité et diminuera le nombre de contentieux. (Applaudissements)
M. Guy Benarroche . - Je salue le brio des orateurs qui m'ont précédé, et plus encore celui de ceux qui me suivent. (Sourires) Notre dream team fera avancer profondément la démocratie, dans l'art de la paraphrase... (L'amusement redouble.)
Vous connaissez la position du GEST sur l'importance des temps démocratiques. Les élections sénatoriales, qui nous ont amenés ici, s'organisent selon deux modes d'élection différents. Ainsi, le scrutin à deux tours se déroule sur une journée, pour les départements désignant un ou deux sénateurs ; le premier tour est généralement clos vers 11 heures, le second dans l'après-midi. Dans les autres départements, le scrutin est proportionnel.
L'interdiction de l'utilisation du matériel de campagne entre les deux tours sera désormais levée, ce qui sécurisera le scrutin. Les dépenses d'entre-deux-tours seront éligibles au remboursement, mais elles ne sauraient se limiter à des agapes... (Sourires)
Ensuite, l'interdiction de communication des résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote est contraire au bon sens. Le texte autorise donc la publication au fur et à mesure de la proclamation des résultats dans les départements.
Cette proposition de loi consolide notre démocratie. Le GEST la votera. (Applaudissements)
M. Thani Mohamed Soilihi . - En mars 2019, sur la proposition d'Alain Richard, le Sénat a adopté une proposition de loi clarifiant certaines dispositions du code électoral. Celui-ci avait été rendu incohérent à force de sédimentation. La loi promulguée en décembre 2019 laissait néanmoins subsister deux difficultés, relevées par notre président Buffet.
L'application aux élections sénatoriales des règles relatives à la propagande électorale et à la communication des résultats a montré ses limites, notamment dans les départements qui élisent leurs sénateurs au scrutin majoritaire, où les deux tours se déroulent le même jour. Ainsi, les qualifiés pour le second tour ne peuvent mener campagne entre les deux tours, car l'article L. 49 du code électoral interdit toute campagne la veille et le jour de l'élection. Or les déjeuners de grands électeurs ont été considérés comme des réunions électorales par le Conseil constitutionnel.
Ce texte permettra donc aux candidats de faire campagne entre les deux tours. En outre, il prévoit le remboursement possible des dépenses engagées. Il supprime également l'embargo sur les résultats applicable jusqu'à la fermeture du dernier bureau de vote en métropole.
L'application du texte dans les cinq collectivités territoriales relevant de l'article 74 de la Constitution est bienvenue. Un cadre clair est ainsi fixé.
Le RDPI votera ce texte, mais je rappelle les propos d'Alain Richard sur la liberté d'expression des candidats, sous le contrôle du juge. Il faut être prudent en la matière. Entre les deux tours, toutes les dépenses engagées au profit d'un candidat sont considérées comme des dépenses de campagne, qu'elles soient engagées ou non par le candidat lui-même.
Parfois critiqué, le Sénat a un rôle de stabilisateur et de contre-pouvoir. C'est un des grands lieux de notre République. Donnons les moyens aux candidats de faire campagne avec humilité, responsabilité et dans le respect des valeurs républicaines, partagées dans cet hémicycle. (Applaudissements)
M. Éric Kerrouche . - - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « Un sénateur, c'est un député qui s'obstine », disait Robert de Jouvenel. Le président Buffet le montre : il est possible sans s'obstiner, de corriger les défauts de nos textes.
Ce texte, utile, est purement technique. La loi de décembre 2019 visait à clarifier les articles 49 et 52-2 du code électoral ; elle était de bon aloi. En effet, comment comprendre que l'on puisse tenir une réunion électorale le samedi, mais sans tracts, circulaires, ni communications électroniques ? Il était aussi légitime de clarifier et de normaliser les règles.
En effet, l'application de la loi aux sénatoriales s'était faite par voie d'amendement, sans qu'il soit possible d'en mesurer les effets. Or, comme pour les élections municipales, nous avons deux modes de scrutin : l'un à la proportionnelle, l'autre au scrutin uninominal majoritaire. Dans ce dernier cas, la loi est dysfonctionnelle, et il ne s'agit pas d'une difficulté purement théorique : la décision du Conseil constitutionnel du 26 février 2021 laissait planer la possibilité d'annulations d'élections.
Il convenait donc, dans la perspective des élections sénatoriales de septembre 2023, de pallier ces difficultés. D'abord avec un ajustement apporté par le rapporteur, qui adapte les règles de propagande et de financement de la campagne aux circonscriptions soumises au scrutin majoritaire. Quant à la communication des résultats, on a du mal à comprendre qu'il faille attendre 17 h 30 pour diffuser au niveau national des résultats proclamés localement dès l'issue du décompte.
Nous comptons sur le Gouvernement pour que ce texte entre en vigueur avant les prochaines élections sénatoriales.
Peut-être faudrait-il légiférer plus souvent ainsi, pour corriger les effets pervers de nos lois. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - Ce texte ne vise pas à repenser l'organisation des élections sénatoriales ou à remettre en cause la pertinence de l'existence simultanée de deux types de scrutins pour une même élection.
Il ne s'agit pas d'un texte révolutionnaire : il a simplement vocation à améliorer le déroulement des élections sénatoriales dans les départements où le scrutin est uninominal.
La réforme de décembre 2019 a procédé à une louable harmonisation, mais en oubliant les spécificités sénatoriales. Ainsi, alors que les deux tours se déroulent le même jour, les candidats ne sont pas autorisés à faire campagne dans l'entre-deux... La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a montré l'insécurité née de ce dispositif.
Or faire campagne, par la tenue de réunions électorales entre les deux tours, est nécessaire. Cela contribue à la richesse de notre vie démocratique. L'entre-deux tours est un moment charnière : à chacun des candidats de faire vivre ce temps politique comme il l'entend. Cependant, il faudra mieux formaliser les campagnes sénatoriales, pour sécuriser les candidats.
Nous approuvons également le remboursement des dépenses de campagne entre les deux tours ; c'est une question d'égalité.
La suppression de l'interdiction de proclamation des résultats avant 17 h 30 va aussi dans le bon sens, alors que la presse locale les diffuse dès qu'ils sont connus.
Toute dérogation au code électoral doit cependant se faire avec parcimonie, car ce code garantit la sincérité du scrutin et, partant, la confiance entre électeurs et élus.
Le groupe CRCE votera ce texte. Je souhaite bon courage aux dix-huit départements qui seront concernés par ce mode de scrutin l'an prochain... (Applaudissements)
La proposition de loi est adoptée.
La séance, suspendue à 18 h 45, reprend à 21 heures.