Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
Discussion générale
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Voici notre premier texte relatif au plein emploi, ce ne sera sans doute pas le dernier.
La France n'a plus connu le plein emploi depuis 45 ans. Une partie du chemin est déjà accomplie, avec la création d'1,7 million d'emplois en cinq ans, dont la moitié - 830 000 - depuis mars 2020, ce que nul n'aurait imaginé au début de la période covid.
La décentralisation de la négociation collective, le compte personnel de formation (CPF), le plan d'investissement dans les compétences (PIC) et le développement de l'apprentissage ont favorisé ces créations, sans se faire au détriment des salariés et des entreprises. Loin des fausses oppositions, l'emploi et les compétences deviennent une composante de la compétitivité.
Le projet de loi est resserré sur les mesures les plus urgentes et les plus importantes. Notre taux de chômage reste deux fois plus élevé que celui de nos voisins, alors même que 60 % des entreprises ont des difficultés à recruter et que 30 % des entreprises industrielles réduisent leur activité faute de main-d'oeuvre.
Il faut donc poursuivre nos efforts pour libérer le travail. Ma première idée est que le plein emploi passe par la création d'une envie, d'un goût du travail. Il faut donner le goût de l'artisanat, de l'industrie, du bâtiment dès l'école. C'est un axe de notre action avec ma collègue Carole Grandjean. Ces secteurs sont porteurs, en phase avec le progrès technologique, mais leur image s'est dégradée.
Ma deuxième idée est l'emploi pour tous : attaquons tous les freins périphériques à l'emploi pour les plus fragiles, dont la garde d'enfants et la mobilité. C'est le chantier de France Travail et du PIE qui doit passer à une nouvelle échelle. Nous devons aussi accompagner de façon plus intensive les bénéficiaires des minima sociaux. L'État n'est pas quitte de son devoir de solidarité par le seul versement de la prestation : il a aussi le devoir de donner une véritable chance de retrouver un travail. La formation professionnelle doit se transformer pour faire face aux enjeux de transition numérique, écologique et démographique. Enfin, ce projet de loi donne une première impulsion en matière de validation des acquis de l'expérience (VAE), Mme Grandjean y reviendra.
Troisièmement, le plein emploi passe par de meilleures conditions de travail : nous avons d'importantes marges de progrès. Les entreprises devront mieux faire évoluer les métiers et accompagner leurs salariés. Nous les accompagnerons pour cela.
Le texte apporte des réponses, dont la première concerne l'assurance chômage, bâtie au fil du temps par les partenaires sociaux au service de la mobilité et de la protection des actifs. Elle reste au coeur de notre modèle de sécurité sociale et professionnelle. Il faut garantir son caractère protecteur et universel - nous l'avons d'ailleurs élargie à certaines démissions et aux travailleurs indépendants -, mais elle doit être mise au service d'un retour rapide et durable à l'emploi.
Une première réforme a eu lieu en 2019, pour répondre à l'explosion en vingt ans des contrats courts, tout en répondant au déficit structurel de l'assurance chômage - 2,9 milliards d'euros par an en moyenne entre 2009 et 2019. Un nouveau mode de calcul des allocations garantit qu'il est plus rémunérateur de travailler. Et depuis le 1er septembre 2022, 6 000 entreprises ont subi un malus et 12 000 un bonus.
La commission a réécrit l'article 2. Mais permettez-moi de rappeler que les contrats courts coûtent plus de 2 milliards d'euros par an à l'assurance chômage. Il était juste d'en faire payer une partie aux entreprises qui en sont responsables. Les sept secteurs concernés doivent modifier leur approche : le CDI intérimaire ou le groupement d'employeurs sont des alternatives.
Le décret du 28 juillet 2019 définit les règles de l'assurance chômage, faute d'accord des partenaires sociaux. Son échéance au 1er novembre justifie l'urgence de ce texte : nous entendons prolonger les règles en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023. Les partenaires sociaux devront se saisir de ces questions.
Les règles doivent aussi être plus réactives face à la conjoncture. Il y a quinze ans, quand le chômage dépassait les 10 %, 55 % des demandeurs d'emploi étaient indemnisables, contre 61 % en 2019 alors que le taux de chômage n'était plus que de 8 %. C'est le contraire qu'il faudrait faire. Notre régime d'assurance chômage est construit pour faire face à un chômage de masse et non pas pour un retour rapide à l'emploi, comme en témoigne sa générosité. (M. François Patriat approuve.) Nous discutons de la contracyclicité avec les partenaires sociaux.
Nous n'ouvrons cependant pas de consultation sur le montant des indemnisations, déjà modifié par la réforme de 2019.
M. Michel Savin. - Cela ne sert à rien !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Le système doit devenir plus incitatif, sans toutefois devenir aussi strict que dans d'autres pays. Je rappelle que la durée d'indemnisation est de douze mois en Allemagne.
Le taux de conversion - rapport entre la période de calcul des droits et la durée d'indemnisation - est de 1 en France, contre 0,5 en Allemagne, en Italie et en Irlande et même 0,4 aux Pays-Bas, en Espagne et au Portugal. Nous travaillons donc à la modulation des règles d'indemnisation en fonction de l'état du marché du travail : nos discussions avec les partenaires sociaux aboutiront dans six à huit semaines.
Enfin, la négociation interprofessionnelle s'ouvrira sur la gouvernance de l'assurance chômage, avec la recherche d'un accord national interprofessionnel majoritaire. C'est pourquoi nous limitons l'application du projet de loi à quatorze mois, soit au 31 décembre 2023.
D'autres dispositions concernent la définition du collège électoral des élections professionnelles, la ratification d'ordonnances ainsi que la formation professionnelle.
Je remercie les membres de la commission des affaires sociales, au premier rang desquels les rapporteurs, qui ont enrichi le texte.
M. Michel Savin. - Très bien.
M. Olivier Dussopt, ministre. - Je suis plus réservé sur le déplafonnement de la durée maximale des contrats intérimaires ou sur vos restrictions au système de bonus-malus.
M. Michel Savin. - Dommage !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels . - La validation des acquis de l'expérience s'inscrit dans notre mission de développement des compétences pour le plein emploi. Beaucoup de nos concitoyens connaissent ce concept qui reste cependant peu utilisé dans les parcours professionnels.
La VAE doit redevenir un outil au service de tous les actifs et s'adapter aux expériences de chacun, y compris associatives, syndicales et familiales.
L'article 4 fonde ainsi une VAE de nouvelle génération. Trop longue, trop administrative, inadaptée, un parcours du combattant : nous avons tous entendu ces critiques. Seuls 30 000 parcours ont été réalisés l'an dernier, deux fois moins qu'il y a dix ans. Et pour cause : la durée moyenne d'un parcours est de dix-huit mois, avec moult statuts, financeurs, certificateurs, référentiels... La VAE est pourtant un appui efficace dans un parcours d'emploi.
Cela justifie notre approche universaliste : nous visons 100 000 parcours avant la fin du quinquennat.
En premier lieu, pour ceux qui interrompent leur carrière afin de prendre soin d'un proche, nous voulons reconnaître sur le marché du travail les compétences d'aidance ainsi acquises.
Votre commission des affaires sociales fixe le principe d'un accès universel à la VAE : l'approche est séduisante, mais on risque de mal identifier certains publics. Certaines associations d'aidants s'inquiètent aussi d'une approche trop adéquationniste : je les rassure, tous les proches aidants pourront obtenir des certifications relevant d'autres secteurs.
Les rapporteurs ont confirmé l'importance de la simplification : le principe de VAE est fixé dans la loi, sa mise en oeuvre fera l'objet de textes réglementaires.
La VAE doit maximiser les chances de succès des candidats aux certifications. Ainsi, nous proposons le doublement du congé VAE pour les salariés.
M. François Bonhomme. - Quelle audace !
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - La durée des parcours est aussi un facteur réussite : il n'est pas acceptable d'attendre huit mois pour un jury. C'est pourquoi nous simplifions l'organisation et la composition des jurys.
Ce texte fera entrer la VAE dans la modernité. Nous voulons créer un service public national de la VAE, pour optimiser les parcours et les chances de réussite. C'est pourquoi nous allons créer un espace de coordination qui combine les expertises des acteurs, pour redorer le blason de la VAE. Cela suppose une gouvernance agile et adaptable, dans le cadre d'un groupement d'intérêt public.
Je salue l'engagement des régions qui auront leur rôle à jouer.
Le texte assoit ce service public avec un espace numérique dédié comme point d'entrée unique pour les usagers.
La VAE inversée rend concomitantes l'acquisition de l'emploi et de la formation, d'une part, et la validation des compétences d'autre part. Cela fera de ces périodes un tremplin vers la certification et l'emploi durable, notamment dans les métiers en tension.
Nous avons l'occasion de donner un nouveau souffle à la VAE : c'est un progrès social et un bond culturel pour notre pays. Je compte sur vous pour faire du droit à la reconnaissance des compétences un droit réel et tangible. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)