Conclusions du rapport « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » à la demande de la mission d'information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française ».
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d'information . - La crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont mis en relief les fragilités de notre économie. La patrie de Pasteur n'a pas su trouver un vaccin contre la covid.
Nous ne faisons plus partie des États leaders de l'innovation. Serions-nous donc condamnés à fournir à d'autres des innovations bon marché qui nous reviennent sous forme d'importations dégradant notre balance commerciale ? Ce n'est pas ce que nous souhaitons.
Pour sortir de l'impasse, le groupe INDEP a demandé la création de cette mission d'information, dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité.
Cherchez l'erreur française : le titre était volontairement provocateur, mais très peu l'ont trouvé impertinent. En effet, nous comprenons tous le drame industriel qui s'est joué dans notre pays.
Nous avons constaté un paradoxe : notre pays investit massivement pour l'innovation, mais nos performances industrielles ne sont pas à la hauteur. Il n'y a pas de fatum, car nous disposons d'atouts majeurs pour redevenir une nation industrielle innovante et souveraine, si nous parvenons à transformer l'essai de l'innovation industrielle.
Nous nous sommes efforcés de veiller à l'efficacité de la dépense publique et au caractère opérationnel des mesures.
Seule une action coordonnée de l'exécutif, du Parlement et des acteurs privés nous permettra de relever les défis. Le Parlement, en particulier, a un rôle majeur à jouer, s'agissant notamment des incitations fiscales, qui représentent deux tiers des dépenses de soutien à l'innovation.
Le crédit d'impôt recherche (CIR), qui s'élève à 6,6 milliards d'euros, est d'une efficacité inversement proportionnelle à la taille des bénéficiaires : le même euro dépensé produit une dépense de recherche et d'innovation de 1,40 euro dans une PME, mais de seulement 0,40 euro dans un grand groupe.
Or le CIR est accaparé par les grandes entreprises : les 10 % de bénéficiaires les plus importants en captent 77 % et les 100 plus importants à eux seuls 33 %. Cette situation de rente n'est plus tenable. Après le « quoi qu'il en coûte » et le « combien ça coûte », monsieur le ministre, je suggère que nous passions au « mieux qu'il en coûte ».
Nous proposons de renforcer l'efficacité du CIR par des ajustements à la marge. Ainsi, la suppression du taux de 5 % au-delà de 100 millions d'euros de dépenses permettrait, selon l'économiste Xavier Jaravel, de réorienter 750 millions d'euros vers les PME, PMI et ETI.
On nous opposera peut-être le risque de délocalisation de grands groupes. Je m'insurge contre ce chantage à l'emploi. Les investisseurs ont d'autres très bonnes raisons de choisir la France : nos entreprises s'inscrivent dans des écosystèmes innovants et peuvent s'appuyer sur une recherche de qualité et - faut-il s'en réjouir ? - bon marché.
Nous proposons aussi de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes intégrés. C'est une question d'équité fiscale. L'économie réalisée serait supérieure à 500 millions d'euros par an, selon le Comité Richelieu.
Si nous proposons ces ajustements au nom de l'efficacité de la dépense publique, je tiens à lever tout malentendu : nous soutenons la sanctuarisation du CIR.
D'autres leviers d'action existent, à la main du Gouvernement : préférer le chiffre d'affaires à la subvention, mobiliser la commande publique, simplifier les démarches administratives, raccourcir les délais. Quand la volonté politique est là, c'est possible - le délai de construction du terminal méthanier flottant du Havre le montre.
Mme la présidente. - Il vous faut conclure, madame le rapporteur.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Les acteurs privés aussi doivent s'impliquer.
Les crises actuelles sont une opportunité pour réindustrialiser le pays et optimiser la dépense publique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie . - La mission d'information a mené un travail d'analyse extrêmement complet.
Nous partageons le constat : nous avons du mal à relier la paillasse à l'entrepôt. Alors que, il y a deux jours, un nouveau Français a reçu un prix Nobel scientifique, nous peinons à transférer nos innovations vers nos entreprises et nos processus de production.
Je vous trouve toutefois un peu sévères - c'est de bonne guerre - sur les performances de la France. Cette année, nous figurons à la douzième place dans le Global Innovation Index, alors que nous étions dix-neuvièmes voilà trois ans. J'ai la faiblesse de penser que l'action de la majorité n'y est pas étrangère.
Reste que les freins à lever sont encore nombreux. Nous convergeons sur un grand nombre de vos propositions, en dépit de quelques divergences sur le CIR.
Plutôt que de répondre à chaque orateur, je ferai une réponse globale à l'issue de vos interventions.
Mme Patricia Schillinger . - Le travail mené par la mission est rigoureux et exhaustif.
Notre pays paie les conséquences de la croyance à l'oeuvre dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix selon laquelle conception et production devaient être décloisonnées - le mythe de l'entreprise sans usine. Nous avons ainsi perdu trois millions d'emplois industriels entre 1975 et 2015.
En dépit d'un soutien public massif à l'innovation, nous sommes incapables de faire émerger des champions industriels. Réindustrialisation et innovation sont deux combats à mener de front. Depuis 2017, différents plans ont été lancés, mais les crises extérieures nous ont bousculés.
L'Europe a pris conscience qu'il nous faut réduire nos dépendances et construire une souveraineté commune. En particulier, nous devons diversifier notre mix énergétique : le potentiel technologique est immense en la matière, car le changement climatique est un accélérateur d'innovations.
Faisons preuve d'audace, ayons l'ambition de construire nos rêves pour répondre aux défis environnementaux, sociaux et économiques.
Nous devons mettre les bouchées doubles en matière de formation et d'apprentissage, aider les start-up à monter rapidement leurs prototypes et encourager les jeunes pousses dans nos territoires.
La réindustrialisation de nos territoires a commencé et va se poursuivre : le site STMicroelectronics de Crolles en est le symbole, avec 6 milliards d'euros investis et près de 1 000 emplois supplémentaires créés dans les semi-conducteurs.
Le RDPI se tiendra au côté du Gouvernement, pour que notre pays retrouve sa pleine souveraineté économique. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE, ainsi que des groupes INDEP et UC)
Mme Gisèle Jourda . - Ce rapport, d'une grande précision, traduit une parfaite connaissance du milieu de la recherche. L'humble membre de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes que je suis a eu l'impression de tomber, comme Obélix, dans la marmite... (Sourires) De fait, je me suis ouverte à un monde au carrefour de mes préoccupations dans les deux commissions où je siège.
Nous devons entendre vos propositions pour que l'innovation devienne une priorité française. N'oublions pas non plus la dimension européenne : l'Europe doit reprendre le leadership sur les innovations de rupture.
Voyez le cas de la 5G : la législation française est adaptée, mais il faut rester attentif à l'évolution des risques en Europe. Nous devons soutenir la mise en oeuvre de la boîte à outils européenne, pour trouver des solutions nationales et prévenir les risques.
Encourager l'innovation, ce n'est pas qu'une question d'argent. Il faut identifier les bonnes thématiques pour faire émerger des géants européens. C'est ainsi que nous garantirons notre souveraineté.
L'Europe doit rester un acteur majeur du spatial. L'espace est un théâtre de conflits, avec pour enjeu la course à la première place mondiale entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière est en train de devenir une grande puissance spatiale et prévoit de se doter de sa propre station.
Nous devons faire preuve d'une grande prudence à l'égard des transferts de technologies, accroître le soutien public à l'innovation et nous doter d'une constellation européenne de connectivité. La recherche publique ne peut s'accommoder d'un enseignement supérieur en berne, comme il l'est depuis de trop nombreuses années. La commande publique est un levier de croissance pour les entreprises qui innovent.
Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur doit jouer un rôle central dans la définition des orientations nationales en matière d'innovation. Faute d'une culture de l'évaluation suffisante, nous favorisons les acteurs en place, qui ne sont pas incités à innover.
S'agissant du CIR, il faut mettre un terme aux pratiques d'évasion et d'optimisation fiscales. (Mme Marie-Noëlle Lienemann renchérit.)
Enfin, le Parlement a toute sa place dans le travail d'évaluation à mener, s'agissant du suivi des crédits comme des textes - je pense à la loi de programmation de l'innovation que nous appelons de nos voeux -, sur le modèle de la Darpa, l'agence américaine chargée de la recherche militaire, qui rend compte au Sénat américain.
Soyons ambitieux pour favoriser l'innovation et garantir notre souveraineté !
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je remercie la rapportrice et le président de la mission d'information pour cet excellent rapport, qui met en lumière la nécessité d'un sursaut en matière d'innovation ; puisse le Gouvernement se saisir de leurs préconisations, qui complètent celles développées hier soir dans le débat sur la souveraineté économique.
Il s'agit de mettre l'innovation au service de la réindustrialisation pour retrouver la maîtrise de notre destin. J'observe que, dans la French Tech, l'essentiel des start-up opère dans les services : la part de l'industrie est extrêmement faible.
D'énormes retards ont été accumulés, et inverser la tendance exige une mobilisation générale et des interventions publiques massives et mieux orientées.
Le terreau de l'innovation s'est appauvri : l'appétence pour la science et la culture scientifique et technique se dégradent de façon alarmante, contribuant à la spirale dépressive qui mine le projet républicain. Dans les classements internationaux, nous sommes désormais le dernier pays d'Europe et l'avant-dernier de l'OCDE pour le niveau des jeunes en mathématiques. Les mesures prises en 2018 ne suffisent pas.
Avec la réforme du désastreux M. Blanquer, seuls 58 % des élèves de terminale ont encore un cours de mathématiques, et seulement 14 % ont pris l'option maths expertes - la filière scientifique. Il faut un plan complet et rapidement opérationnel pour retrouver un haut niveau de formation en mathématiques, du primaire à l'université.
La situation de la recherche est alarmante. Nous approuvons le principe d'une loi de programmation, à condition qu'elle ne soit pas une nouvelle tartufferie. Les montants précédents étaient insuffisants et ne permettaient pas d'atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche. L'obsédante course à la baisse du coût du travail est aussi en cause. À cet égard, il est singulier que ceux qui louent la valeur travail cherchent en permanence à en baisser le coût...
Le rapport Darcos-Piednoir montre que la loi de programmation de la recherche (LPR) ne suffit pas. En particulier, la situation des doctorants est inadmissible : un quart d'entre eux ne subviennent pas à leurs besoins, et certains doctorants qui enseignent ne sont même pas payés au niveau du Smic...
Il est essentiel de mettre en oeuvre les propositions de ce rapport et de revivifier le terreau de l'innovation, mais aussi de réformer radicalement le CIR.
M. Jean-Pierre Moga . - Permettez-moi de féliciter notre nouveau Prix Nobel de physique, Alain Aspect : il est natif de mon département et nous avons le même âge à quelques jours près... (Sourires)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Nous tenons un sénateur nobélisable ! (Nouveaux sourires)
M. Jean-Pierre Moga. - Je remercie notre rapporteur pour la qualité du travail accompli. C'est de l'innovation que découlent la vitalité de nos territoires et la bonne santé des entreprises.
Nous devons changer nos modes de production pour répondre aux exigences de la crise climatique. À cet égard, la production électrique quasiment décarbonée dont nous héritons de prédécesseurs visionnaires est un fruit inestimable.
Nous payons toujours le prix de la saignée industrielle extrêmement douloureuse que nous avons connue à partir des années quatre-vingt, en termes d'emploi, de cohésion territoriale et de prospérité.
Un puissant effort est nécessaire pour la recherche et l'innovation. La France a accru son soutien depuis les années 2000 : au total, 110 milliards d'euros seront dépensés entre 2010 et 2030. L'écosystème de l'innovation a également été modifié : crédit d'impôt recherche, programmes d'investissements d'avenir, création de BPI France.
La France compte 20 000 start-up et 27 licornes, mais, parmi ces dernières, une seule est industrielle ; l'innovation bénéficie donc avant tout au numérique.
Notre vision de l'innovation est trop linéaire, alors que les appels à projets ne permettent pas de construire des feuilles de route industrielles.
Il faut répondre aussi à la problématique de l'enseignement scientifique : nous avons besoin de 50 000 à 60 000 ingénieurs par an, alors que nos écoles n'en forment que 33 000. Selon les statistiques du ministère de l'éducation nationale, le niveau en mathématiques d'un élève de quatrième était en 2019 celui d'un élève de cinquième en 1995. Revaloriser la rémunération des enseignants et des chercheurs est indispensable pour relever le niveau de l'enseignement, susciter des vocations et conserver nos talents.
Le lien entre innovation et industrie est fondamental. Nous devons favoriser les partenariats entre centres de recherche publics et privés, en permettant aux PME de se saisir des dispositifs existants.
En ce qui concerne le CIR, je partage les propos de Mme la rapporteure.
L'impôt sur les sociétés ayant fortement baissé, le CIR peut être recalibré au bénéfice des entreprises qui en ont le plus besoin. Il faut également instaurer un coupon recherche-innovation pour les PME.
Nous devons aussi lever les contraintes administratives qui rendent de plus en plus difficile la vie des entreprises. En Suisse, un laboratoire de thérapie génique peut démarrer son activité dès le dépôt de la demande d'autorisation, alors qu'en France il faut attendre un an...
Les entreprises innovantes doivent être accompagnées. La puissance publique dispose pour cela de nombreux leviers : commande publique, dispositifs fiscaux, simplification des procédures, financement privé de l'innovation.
Notre groupe sera à vos côtés. La France dispose de tous les atouts pour relever le challenge de l'innovation ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Guylène Pantel . - Je salue le travail du président et de la rapporteure de cette mission d'information.
Paradoxe à la française, notre pays ne traîne pas des pieds pour financer l'innovation, mais cela n'encourage pas la spécialisation de la production dans des secteurs particuliers, ce qui nous pénalise dans une économie mondialisée.
L'une des raisons avancées pour expliquer les difficultés est le recrutement et l'accès aux compétences. À cet égard, le rapport relève que nous avons trop tendance à considérer l'éducation et la recherche comme un coût. Il faut changer de vision et envisager l'enseignement et la recherche comme des investissements d'avenir.
En Européens convaincus, nous souscrivons à la proposition consistant à mieux coordonner les politiques d'innovation à l'échelle européenne. Nos laboratoires doivent être complémentaires de ceux de nos voisins, et non concurrents. La dépendance vis-à-vis de nos voisins serait ainsi moins asymétrique.
Il nous faut augmenter le nombre de sites industriels en nous appuyant sur les savoir-faire locaux. Comme élue de la ruralité, j'insiste : cette politique doit concerner l'ensemble du territoire. La ruralité est un gisement d'emplois et un facteur d'attractivité.
Enfin, l'intégration dans la responsabilité sociale des entreprises de la collaboration des grands groupes avec les start-up et les PME doit être expérimentée, éventuellement de manière plus coercitive - car nous doutons de la générosité de certains grands groupes.
M. Serge Babary . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rôle singulier des PME et des ETI dans l'innovation est essentiel.
Il importe de renforcer la culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat, dès l'école. Il faut mettre fin à la peur de l'échec et encourager la créativité, relancer l'esprit d'entreprise dans un pays livré à la pente dangereuse de l'assistanat.
Nous devons aussi faire converger temps administratif et temps économique, sécuriser l'environnement des entreprises par des lois pluriannuelles et mobiliser la commande publique à travers un Small Business Act européen. Le triplement du plafond de l'achat innovant va dans le bon sens.
Les procédures administratives doivent être simplifiées. En 2010, les charges administratives représentaient 3 % du PIB de la France, soit 60 milliards d'euros ; aujourd'hui, ce serait plus de 75 millions d'euros, selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP). En 2017 déjà, la délégation aux entreprises, alors présidée par notre ancienne collègue Élisabeth Lamure, avait publié un rapport sur les moyens d'alléger le fardeau administratif des entreprises.
Les aides fiscales et financières sont aussi importantes. Le CIR est inéquitable, car il laisse de côté la plupart des PME : 77 % du dispositif bénéficie à 10 % des entreprises.
Les acteurs privés et leurs investissements doivent compléter la commande publique. Or les grands groupes n'aident pas les petites entreprises. Inscrire cette collaboration dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises est intéressant.
Enfin, il faut des débouchés pour nos chercheurs, sans quoi nous subirons la fuite de nos cerveaux et le déclassement de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Laure Darcos . - La France est-elle en train de décrocher en matière de recherche et d'innovation ? La situation est inquiétante, car notre pays n'investit pas assez : 2,2 % du PIB seulement depuis plusieurs années. Nos gains économiques sont plus faibles que ceux de nos voisins, qui ont fait de l'innovation un enjeu majeur.
La loi de programmation pour la recherche (LPR) promettait un investissement majeur dans la recherche publique et une attractivité renforcée des métiers scientifiques. J'avais été dubitative. L'intensité de l'effort a heureusement été renforcée par le Sénat, mais les chercheurs ne bénéficient pas d'une vision à long terme sur la politique de recherche. Notre rapport sur la mise en oeuvre de la LPR montre la nécessité d'une meilleure application sur le terrain. En outre, l'effort réalisé est largement absorbé par l'inflation.
La recherche est un investissement de long terme, non un coût ou une variable d'ajustement budgétaire. La recherche fondamentale, en particulier, est au coeur de l'innovation : elle doit bénéficier d'un puissant soutien financier. La rémunération des chercheurs doit être plus attractive. Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de chimie partie de France, n'est pas un cas anecdotique : elle a quitté notre pays avec son aura, ses compétences et ses financements.
Le réinvestissement dans la recherche est engagé. De ce point de vue, l'année 2021 a été exceptionnelle : les financements ont augmenté, les missions ont été confortées. Les premiers résultats sont là : le taux de succès aux appels à projets génériques atteint désormais plus de 23 %, et le taux de préciput est passé en un an de 19 à 25 %.
Mais le paysage français de la recherche doit être clarifié, et les missions des différents acteurs mieux définies. Il faut aussi une programmation stratégique : l'absence de cap explique en partie que la communauté scientifique ait modérément adhéré à la LPR. Enfin, il faut mieux articuler la recherche publique et le secteur privé.
En redevenant un grand pays innovant, la France renouera avec un brillant destin collectif ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur le banc des commissions)
M. Claude Malhuret . - Le sujet n'a rien de nouveau, et c'est bien le drame. La France est engagée dans la voie de la désindustrialisation depuis plusieurs décennies, nous avons laissé partir nos usines : c'était le rêve de la mondialisation heureuse. Résultat : nous exportons nos cerveaux et importons les produits que ces cerveaux, formés sur deniers publics, fabriquent à l'étranger.
Ce qui est heureux, c'est que nous en sommes désormais conscients. Nous avons compris, à cause de la pandémie et de la guerre en Ukraine, que nous avons perdu notre souveraineté industrielle.
Le consensus est désormais là, ce qui est bon pour la cohésion sociale : nous devons réindustrialiser notre pays, chacun le sait. La bataille théorique est gagnée. Nous devons désormais passer à la pratique.
Il faut identifier les remèdes pour guérir le mal. Et c'est là où le bât blesse.
La mission d'information visait à identifier les blocages affectant notre pays. Je salue l'engagement de Vanina Paoli-Gagin, son travail approfondi a porté ses fruits et toutes les recommandations ont été adoptées à l'unanimité. C'est dire combien le consensus est grand.
La première leçon du rapport porte sur la relation entre science et entreprise. Il faut faire le lien entre recherche fondamentale et production. Notre université fait preuve de trop de conservatisme. Trop d'universitaires considèrent que pour rester pure, la recherche ne devrait pas mener à l'entreprise, ni même faire l'objet de brevets, regardés comme une compromission avec le grand capital. Le passage par l'entreprise est perçu comme un égarement de carrière, cela décourage bien des initiatives.
Pourtant, il faut mieux appréhender ces trajectoires enrichissantes. J'espère que le prix Nobel d'Alain Aspect, professeur à l'Université de Paris-Saclay et grand entrepreneur, saura les convaincre.
La deuxième leçon est la nécessité de simplifier notre bureaucratie. La France est un Absurdistan où le formulaire est la norme et l'administration l'arbitre de tout. Pour déterminer la qualité d'un laboratoire de thérapie génique, il faut dix mois en France tandis qu'en Suisse, la production peut démarrer pendant l'enregistrement de son dossier. L'administration doit se mettre au service des usagers, et non l'inverse.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place des instruments efficaces, immédiatement opérationnels. J'espère que nous saurons capitaliser sur ces réussites récentes pour stimuler l'innovation et réindustrialiser le pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)
M. Roland Lescure, ministre délégué . - Merci pour ce débat stimulant ! Nous regardons tous vers l'avant. Innovation et industrie vont de pair. Depuis cinq ans, notre politique se fonde sur l'accélération de la recherche et développement, l'accélération du transfert de la recherche vers l'industrie et l'accélération de l'innovation industrielle.
Les trois composantes de cette accélération sont le gage d'une vraie culture de réindustrialisation. Le mythe funeste du Fabless, de la France sans usine, nous en sommes revenus. Un pays moins innovant, c'est un pays avec moins de croissance. Du reste, nous devons accélérer notre transition écologique.
C'est le tandem innovation-industrie qui dynamise les territoires. Là où l'industrie recule, l'extrémisme et la colère progressent. Si l'industrie avance, ils reculeront.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est vrai...
M. Roland Lescure, ministre délégué. - En matière d'innovation, rendons à Nicolas Sarkozy ce qui lui revient...
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Le mouvement a été initié dès 2010, avec un premier plan d'investissements suite aux recommandations d'Alain Juppé et Michel Rocard. Mais c'est ce gouvernement qui a accéléré la réindustrialisation, avec le soutien à la French Tech, qui représente désormais un million d'emplois directs et indirects.
Notre effort de financement des start-up paie. Elles ont levé 8 milliards euros sur les six premiers mois de l'année, soit dix fois plus qu'en 2017. Nous avons 25 licornes en France.
L'initiative Scale-up vise à lever des fonds européens, le Président de la République s'est fortement mobilisé pour la rendre possible.
La France compte 1 500 start-up industrielles. C'est certes insuffisant, sur 20 000 start-up. Mais il faut treize ans pour créer une véritable entreprise de biotech, ou dix ans pour la deep tech. Les développements sont longs.
Une première génération de sites industriels est en train d'émerger ; c'est le cas d'Exotech dans le Nord, avec des robots made in France qui révolutionnent la logistique.
Nous allons encore accélérer avec le plan Start-up et PME industrielles, qui mobilise 2,3 milliards d'euros pour une centaine de projets par an. France 2030 va amplifier cette dynamique puisque 50 % de ces financements iront à des PME innovantes.
Notre cap, madame Darcos, c'est France 2030.
J'en viens à notre point de désaccord : le CIR. On peut sans doute faire mieux et l'optimiser davantage. Mais ne le touchons qu'avec une main tremblante, car il est extrêmement bien identifié à l'international. Beaucoup d'entrepreneurs français qui réussissent en Amérique du Nord viennent installer leur laboratoire en France grâce au CIR.
Modifier les modalités du CIR au-delà de 100 millions d'euros, ce n'est pas la solution. Le CIR fait partie de l'image de marque de la France dans le monde entier, il faut de la stabilité.
La commande publique doit être un vrai levier d'innovation et d'industrialisation. Nous avons avancé grâce à la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, dite loi Asap et à la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Nos acheteurs publics peuvent acheter durable, innovant et français sans tomber sous le coup du code des marchés publics. Protection oui, protectionnisme non.
J'ai eu une longue conversation avec Mme Retailleau : nous sommes parfaitement alignés sur la volonté d'une recherche et innovation de niveau mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d'information . - Cette mission d'information s'est penchée sur un sujet qui nous préoccupe tous, quelle que soit notre couleur politique.
Le CIR a été au coeur des débats. Faut-il maintenir une rente de situation que nous avons dénoncée et qui fait l'objet de critiques régulières ? Nos propositions ne le modifieront qu'à la marge, il restera le dispositif fiscal le plus généreux en Europe pour financer la R&D. Il sera encore plus généreux à l'avenir, et plus efficace, grâce au nouveau calcul du plafond pour les entreprises qui pratiquent l'intégration fiscale.
L'argument de la stabilité fiscale ne tient pas. Non seulement le contexte fiscal des entreprises a changé, mais le CIR n'a pas évolué depuis quatorze ans.
Les études économétriques montrent qu'une révision du CIR s'impose pour garantir l'efficacité de la dépense publique.
Vanina Paoli-Gagin et moi-même vous proposerons des amendements en loi de finances que j'espère vous voterez.
Nous proposons un coupon recherche et innovation de 30 000 euros dans la limite d'une enveloppe de 120 millions d'euros. Bien des chefs d'entreprise se plaignent de n'avoir ni le temps ni les ressources humaines pour remplir les dossiers d'appel à projets. Ce sont les mêmes qui récupèrent, année après année, les appels à projets, grâce aux services juridiques et administratifs dont ils disposent. Nous avons été choqués de constater que 15 % des montants des appels à projets servent à financer des cabinets de conseil chargés de monter les dossiers...
Ce coupon recherche et innovation aidera les PME innovantes à accéder aux aides publiques. Sa mise en oeuvre sera simple.
Le Gouvernement, ensuite, doit mobiliser la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Elle représente 111 milliards d'euros chaque année... Les règles communautaires ne nous empêchent pas d'utiliser la commande publique, comme on le dit trop souvent, la réalité, c'est que nous nous mettons des bâtons dans les roues en interprétant de façon trop rigide les règles des marchés publics.
La France dispose des atouts nécessaires pour faire partie des grandes nations innovantes. Je suis optimiste. Il nous faut désormais agir politiquement, au service de la réindustrialisation des territoires, de tous nos territoires.
Je salue une fois de plus le travail de Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et SER)
La séance est suspendue quelques instants.