Conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».
Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi sur quelques travées du groupe SER) Hier, le paracétamol, les masques et les puces ; aujourd'hui, la moutarde, l'huile de tournesol et le gaz. Les crises s'enchaînent, et notre pays se redécouvre vulnérable. Comment en est-on arrivé là ? Comment sortir d'une dépendance qui nous contraint ?
Notre commission, avec Sophie Primas et Franck Montaugé, a travaillé sur ces questions durant six mois. Le constat de notre perte transversale d'autonomie est alarmant, alors que la guerre touche l'Europe, que la frontière entre économies réelle et numérique se brouille, que les prix de l'énergie s'envolent et que la concurrence pour les talents fait rage. Reconstruire notre souveraineté, avec la transition écologique, doit être la priorité majeure de nos politiques publiques.
C'est pourquoi nous appelons au sursaut. Nos cinq plans reposent sur trois postulats.
D'abord, la France a besoin de l'Europe. Ainsi, nombre de nos recommandations, sur les télécommunications et l'industrie par exemple, concernent l'Europe. Quelque 99 % des câbles sous-marins de communication sont contrôlés par les Gafam : nous devons travailler à un réseau européen indépendant. De même, nos données personnelles doivent être stockées en Europe.
Ensuite, nous devons nous reposer davantage sur nos ressources plutôt que sur les importations - avec leurs pollutions induites. La France dépend entièrement de la Chine pour ses terres rares, et 80 % de notre lithium est importé d'Amérique du Sud. Recycler les biens industriels est essentiel.
La question des compétences est également fondamentale, alors qu'un tiers des employés de l'industrie partiront à la retraite d'ici à 2030 et que 50 % des emplois sont en tension - dans la mécanique ou ingénierie, par exemple. Et disposons-nous des compétences nécessaires à notre filière nucléaire ?
Pour conclure, nous appelons à poursuivre l'effort de compétitivité de nos entreprises, qu'il faut protéger, particulièrement les PME, TPE, ETI et start-up. Assurons-leur un environnement compétitif sain, en commençant par faire respecter les normes de production européennes.
Nous avons transmis ces plans au Gouvernement et l'appelons à les mettre en oeuvre : il est urgent de reconstruire notre souveraineté ! (Applaudissements)
M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et UC, du RDSE et du RDPI, ainsi que sur le banc des commissions) Quelle est la politique de souveraineté industrielle, agricole et numérique du Gouvernement ? Les premières études relatives à notre dépendance aux intrants n'ont été réalisées qu'à la faveur de la crise covid. Tirons les enseignements de ces constats : en s'appuyant sur les comités stratégiques de filière, l'État pourrait faciliter les stockages d'intrants stratégiques.
Recomposer les chaînes de valeur est un impératif. Recyclons les matières premières : c'est un levier d'emploi et de décarbonation sous-employé.
Après la désindustrialisation, la dégradation du solde extérieur de notre agriculture témoigne d'une dépendance de la France. Le cheptel français se réduit chaque année. Si l'on veut nourrir notre population, il faut veiller à la compétitivité de notre production, à l'équité de la concurrence et au juste équilibre entre protection de l'environnement et souveraineté alimentaire. Que fera votre gouvernement à ce sujet ?
Nous plaidons pour un débat sur la localisation des données sensibles sur le territoire européen, dont l'actualité récente - je pense aux hôpitaux - nous rappelle la nécessité. Songez que 80 % des données générées en France sont hébergées aux États-Unis... Sur terre, planifions l'implantation de serveurs ; en mer, dotons-nous d'un réseau de câbles sous-marins ; dans l'espace, développons une constellation de satellites à l'échelle européenne.
Les brevets logiciels français devraient faire l'objet d'une attention particulière : est-ce le cas ? Je rappelle que les solutions de cloud du Gouvernement favorisent les acteurs américains. Les sujets numériques relèvent de la souveraineté tout court. Où en est-on ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi que sur le banc des commissions)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - Je vous remercie et salue votre travail, colossal et utile. Vous cartographiez les forces et les faiblesses de notre industrie dans un rapport dense et de qualité.
Nous sommes en phase avec l'essentiel de vos préconisations, que le Gouvernement a, pour beaucoup, commencé à mettre en oeuvre.
Deux regrets, toutefois. Le premier est votre sévérité à l'égard du gouvernement actuel. Je vous cite : « Les fragilités de l'industrie sont dénoncées de longue date, mais renforcées à la faveur de l'inaction ou de la naïveté des pouvoirs publics ». Vous avez un ou deux quinquennats de retard : nous nous sommes attelés à la réindustrialisation il y a cinq ans...
Le second est que vous mentionnez peu l'attractivité de notre pays, première destination des investissements étrangers depuis trois ans. La souveraineté industrielle assure une base arrière solide pour notre indépendance, mais aussi pour conquérir le monde.
Je me réjouis de poursuivre le débat avec vous.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions ; M. Fabien Gay applaudit également.) Dans un pays, il y a deux enjeux : il faut que l'assiette soit pleine, et il faut de l'énergie pour qu'il y ait de la vie. Je salue votre travail, qui pose clairement la situation de notre économie. Le dossier énergétique, qui va bien au-delà de la crise actuelle, impacte l'ensemble des secteurs d'activité.
Quel que soit le secteur, l'énergie est un élément clé de la compétitivité. Nous vivons encore sur la stratégie énergétique bâtie par le général de Gaulle autour du nucléaire. Quelques chiffres : en 2009, le coût de l'électricité française était inférieur de 29 % à la moyenne européenne pour les entreprises, 30 % en incluant les ménages. En 2012, on était encore à 27 %, grâce au nucléaire et à l'hydraulique. En 2018, juste avant la pandémie, alors que nous étions à 0,18 euro du kWh en France, l'Allemagne était à 0,30 euro, presque le double.
Depuis 2020, l'essentiel de cet avantage s'est évaporé : sur le marché spot de lundi le MWh est à 300 euros en France, contre 243 euros en Allemagne. Tout ce que nous avons construit ces dernières années, avec des avancées sociales plus importantes que celles de nos voisins grâce à cette stratégie de l'énergie, est dans une situation de grande fragilité.
Je le redis : tous les secteurs sont concernés. Nous avons perdu des activités à cause du prix de l'énergie, qui met bien des entreprises en situation de précarité voire d'arrêt. Oui, monsieur le ministre, des mesures ont été prises, mais leurs conséquences sont très limitées et elles excluent encore énormément d'entreprises. La commission des affaires économiques ambitionne de relocaliser des entreprises dans nos territoires : nous savons que le prix de l'énergie est pour cela déterminant.
Il est temps de rassurer : quand le Président de la République annonce six EPR, il devrait en annoncer quatorze ; c'est de cela que nous avons vraiment besoin. (Mme Sophie Primas applaudit ; M. Daniel Salmon proteste.)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je reconnais la précision technique de M. Gremillet. Oui, nous faisons face à des contraintes de court terme s'ajoutant à des enjeux capacitaires de moyen terme, et nous ne produisons pas assez d'électricité en France. Non, nous n'avons pas encore fait assez pour protéger l'industrie et nous y travaillons.
L'industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Oui, notre fonds de soutien n'était pas assez ambitieux : nous espérons en doubler les plafonds à Bruxelles. Mais ce fonds corrige des pertes a posteriori. Or l'enjeu est de réduire les coûts et les prix de l'énergie en amont. Les discussions à Bruxelles n'ont pas encore abouti, mais j'espère qu'elles permettront de plafonner le prix de l'électricité. Nous examinons un dispositif « à l'espagnole » et sommes mobilisés pour accompagner les entreprises aux niveaux européen, national et local.
Adressez-nous les entreprises de vos territoires qui rencontrent des difficultés : nos commissaires au redressement et à la productivité (CRP) peuvent les aider.
M. Daniel Gremillet. - Que répondez-vous aux entreprises acculées et en rupture de contrat ?
Ensuite, il faut accélérer l'investissement. Je regrette que nous n'ayons pas un débat parlementaire sur les choix stratégiques, le nucléaire et l'hydroélectricité.
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; Mme Sophie Primas applaudit également.) Crise du covid, guerre en Ukraine, difficultés d'approvisionnement, désindustrialisation : autant de problématiques auxquelles notre pays est confronté, qui révèlent des fragilités dont nous souffrons depuis des années. Ce rapport en tire les conséquences et propose cinq corrections.
La part de l'industrie dans le PIB a été divisée par deux depuis 1974 ; 40 % de nos intrants sont importés contre 29 % il y a vingt ans. Quelque 900 produits importés sont à l'origine de 80 % de notre déficit commercial, qui va franchir les 100 milliards d'euros en 2022.
Notre agriculture est dépendante, tout comme notre industrie. La sécurisation de l'accès aux intrants est cruciale : non à la mono dépendance.
Nous souhaitons que les traités soient systématiquement ratifiés par le Parlement, avec un débat, pour des raisons de contrôle démocratique et de prise en compte de leurs conséquences. Il est nécessaire d'évaluer de manière continue dans le temps.
L'extraterritorialité de certaines législations étrangères est préoccupante, et nous ne disposons que de trop peu d'informations. Des amendes faramineuses ont été infligées à certains de nos fleurons : il n'est pas acceptable que des souverainetés étrangères empiètent sur la nôtre.
Des matériaux nécessaires doivent être importés, et ce n'est pas incompatible avec la souveraineté pourvu que nous diversifiions nos sources. Le nucléaire est une chance, mais nous avons malheureusement tourné le dos à cette énergie décarbonée que nous maîtrisions. Il est temps de réaliser les investissements essentiels nécessaires à notre souveraineté. Il faudra aussi développer les énergies renouvelables et réaliser des économies d'énergie grâce à la rénovation thermique et au développement de technologies plus sobres.
Il nous faut bâtir une souveraineté européenne conjuguant transition énergétique et défense de nos valeurs et de nos intérêts. Nous devons travailler de concert avec nos partenaires européens pour réformer le marché européen de l'énergie et revoir les règles de la concurrence pour créer des leaders mondiaux ; nous devons passer de l'innovation à la réussite industrielle. La France doit réarmer ses capacités industrielles, maîtriser les technologies de demain et développer l'ensemble des chaînes de valeur sur son territoire.
Notre modèle social n'est financé que par un haut niveau de performance économique, mais celui-ci fait défaut depuis plusieurs années. L'industrie, l'énergie et l'agriculture ont le même combat : innovation, compétitivité. Il est temps d'agir. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur le banc des commissions ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - France 2030 a cartographié cinq secteurs de vulnérabilité : alimentaire, santé, électronique, métaux et chimie. Quelque 300 millions d'euros sont disponibles dans l'alimentation. Plus de 5 milliards d'euros sont destinés à notre souveraineté numérique. Le rapport de Philippe Varin, sur les métaux, propose de créer un fonds stratégique pour sauvegarder les ressources.
Nous devons protéger nos fleurons, et nous avons peut-être été trop longtemps naïfs. C'est pourquoi les contrôles ont été accrus de 20 % en 2021 : 328 dossiers ont été examinés, 124 ont été jugés sensibles, 67 ont été délivrés sous conditions. Nos statistiques sont finalement assez similaires à celles des Américains.
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur le banc des commissions) Nos vulnérabilités et dépendances ont été révélées par la crise de la covid et la guerre en Ukraine. Les aléas climatiques et le contexte international viendront les aggraver. Il faut agir d'urgence, et nous remercions la commission de s'être saisie de ces questions.
Nous partageons une partie des éléments présentés par le rapport : la faiblesse des actions de l'État sur les secteurs stratégiques, l'indispensable développement du recyclage et des énergies renouvelables ou encore la nécessaire indépendance face aux Gafam.
Mais la crise écologique est insuffisamment prise en compte, et les préconisations du rapport ne permettent pas la résilience ou la création de systèmes vertueux, voire pérenniseront certaines de nos dépendances. La relance nucléaire n'est pas la solution pour notre souveraineté énergétique dans un monde de plus en plus incertain. Nous devons également aborder la question de l'approvisionnement en matières premières, celle des risques majeurs et celle des déchets.
Les réflexions sur la souveraineté dans un contexte de forte inflation invitent à prendre en compte la justice sociale : les tensions dont nous parlons se répercutent avant tout sur les plus pauvres.
Nous encourageons le Gouvernement à se saisir de ce rapport : il faut relocaliser l'alimentation, soutenir les projets alimentaires territoriaux et les filières de protéines végétales et renforcer la transparence sur l'origine des aliments. Mais pour contrôler les produits importés, il faut des moyens.
Rappelons le triste anniversaire du Ceta, entré en vigueur en septembre 2017 sans avoir été ratifié par notre assemblée. Il faut donner un coup d'arrêt à ces accords délétères.
Par ailleurs, remettre en cause la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » au nom de la souveraineté serait une erreur stratégique, notamment en ce qui concerne la réduction des engrais et pesticides, la biodiversité et les surfaces consacrées à l'agriculture biologique. L'agroécologie est une solution crédible pour relever les défis.
Ne remettons pas en cause le Pacte vert européen. Les engrais azotés sont une bombe climatique et les pesticides portent atteinte aux pollinisateurs, nécessaires à l'équilibre agricole. Nous attendons une prise de position forte du Gouvernement sur le Pacte vert, ainsi qu'un soutien exigeant au règlement Pesticides à l'étude au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Le recyclage des matières premières est essentiel pour une économie plus durable. Nous dépendons trop de l'étranger pour les batteries par exemple, mais nous souhaitons, avec le règlement lithium, qu'à terme, 90 % du lithium contenu dans les batteries vendues en Europe soit issu du recyclage.
Nous ne sommes pas d'accord sur le nucléaire : il s'agit d'une large part des solutions pour la production d'énergie à bas coût et bas carbone. Ce n'est pas la seule solution, et il faut défendre l'éolien et en particulier l'éolien en mer (M. Jean-François Rapin approuve), mais nous devons rendre la France autonome et accompagner les besoins futurs en électricité.
L'inflation en France est moindre qu'en Europe : la France a mieux protégé les ménages les plus modestes.
Pour ma part, j'ai voté, à l'Assemblée nationale, le Ceta. Il n'a certes pas été ratifié au Sénat, mais il l'a été à l'Assemblée nationale.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Cela ne suffit pas !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - On peut en faire un bilan provisoire : le Ceta est extrêmement favorable à l'économie française. (M. Fabien Gay proteste.)
M. Joël Labbé. - (Hors micro) Nous nous entendons sur certains points, mais pas sur d'autres !
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Plan, reconstruire, souveraineté : ces mots sont ancrés dans les politiques publiques menées depuis 2017. La main invisible chère à Adam Smith ne résout pas tout : gouverner c'est prévoir, et prévoir c'est planifier.
Des choix ont été faits dans les années 1980 à 2000, avec les entreprises sans usines : nous voyons ce que cela a donné. Il est temps de reprendre le contrôle de notre destin et de recouvrer notre souveraineté, au niveau tant national qu'européen.
Le RDPI défend cet accroissement d'une souveraineté, fil rouge du Président de la République depuis 2017. (Mme Catherine Morin-Desailly ironise.) Nous devons être non des objets, mais des sujets de l'histoire, en maîtrisant notre avenir.
Les résultats sont tangibles et réels : avec la baisse de la CVAE, la France est la première destination de l'Union européenne en termes d'investissements étrangers, et l'on ouvre plus d'usines qu'il n'en ferme. La concurrence sino-américaine est vaincue pour le site de microélectronique de Crolles, en Isère, qui générera 1 000 emplois d'ici quatre ans.
Cela ne relève pas d'un affichage politique : ces mesures conduiront à une réindustrialisation massive de la France, avec 450 000 emplois industriels à la clé en 2030.
Il serait absurde que l'Union européenne, née par l'économie, ne s'assume pas en tant que puissance et soit l'idiot utile du village global. Des mesures ont été prises grâce à des coopérations poussées et à de nouvelles règles de politique commerciale, qui font que nous ne sommes plus ouverts aux quatre vents. Réciprocité : jadis un gros mot à Bruxelles, nous l'avons remis au goût du jour avec les clauses miroir et l'instrument de réciprocité sur les marchés publics.
Pour l'avenir, les sénateurs du RDPI seront au rendez-vous des recommandations du rapport : il faut explorer notre sous-sol ; nous devons non remettre en cause la stratégie Farm to Fork adoptée six mois avant la guerre en Ukraine - comme le redoute Joël Labbé -, mais trouver des ajustements ; mais aussi maintenir et consolider notre souveraineté nucléaire. Sur l'apprentissage, on atteindra le million de contrats signés, grâce à 5 milliards d'euros libérés dans le prochain budget.
Notre démarche doit être celle de l'intelligence économique : avec Marie-Noëlle Lienemann, nous pensons qu'il faut muscler notre jeu et mieux promouvoir nos intérêts, à l'image de ce qui se fait outre-Atlantique. Nous gagnerons à mener un travail transpartisan à ce sujet.
Des actions ont déjà débuté ; il nous faut accélérer. Après les douze travaux d'Hercule, voici les cinq plans du Sénat.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Oui, nous pouvons travailler sur l'intelligence économique. Je rappelle que des actions préventives existent, avec le service de l'information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) à Bercy. En cas de montée au capital ou même d'intérêt marqué d'investisseurs étrangers, nous pouvons intervenir avec le fonds French Tech Souveraineté pour sauvegarder nos entreprises stratégiques.
Je suis prêt à suivre les efforts que vous mènerez ici. La ligne est fine entre naïveté et protectionnisme : dessinons-la ensemble.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Sur l'intelligence économique, il faut une dynamique interministérielle, au-delà de Bercy, pour donner une impulsion supplémentaire. Je salue votre ouverture à la poursuite du travail.
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions) Je salue la qualité du travail de nos rapporteurs.
La pandémie a ramené au premier plan la souveraineté économique. Pour réduire notre dépendance, il nous faut d'abord définir les biens et services stratégiques.
La question de la souveraineté numérique se pose avec acuité. Je travaille avec Mme Morin-Desailly, pionnière en la matière, pour proposer la régulation des marchés, des grandes plateformes ou le renforcement du projet de boussole numérique, qui définit la stratégie européenne jusqu'à 2030.
La dépendance aux acteurs américains et chinois est incompatible avec nos valeurs et notre vision de la démocratie. Pour assurer notre souveraineté, sécurisons nos approvisionnements.
Les aides doivent être mieux ciblées, les institutions européennes doivent mieux protéger et promouvoir les productions européennes dans les accords commerciaux, et contribuer à l'émergence d'écosystèmes sectoriels.
Nous avons besoin d'un cloud européen souverain, d'un euro numérique qui ne soit pas généré par Amazon.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien !
Mme Florence Blatrix Contat. - Comment le Gouvernement compte-t-il limiter notre dépendance vis-à-vis de ces acteurs extra-européens ?
Il n'est de richesse que d'hommes, disait Bodin. Nous devons tenir compte des difficultés de recrutement du secteur du numérique, à tous les niveaux, du bac pro et du BTS.
Le cloud, l'intelligence artificielle, l'informatique quantique : comment le Gouvernement compte-t-il agir pour fournir à ces secteurs d'avenir les moyens humains nécessaires ? La puissance publique doit montrer l'exemple, je pense notamment au cloud santé.
Enfin, les infrastructures numériques et énergétiques sont complémentaires. Nos entreprises ont besoin d'un approvisionnement électrique stable, avec une visibilité sur les prix. L'indépendance énergétique est un sujet d'actualité : sans elle, pas de politique souveraine. Nous devons flécher les investissements vers les énergies décarbonées. Le projet national d'EDF, désormais 100 % public, sera central et devra être débattu au Parlement et dans le pays.
Le rapport trace un chemin, il nous faut désormais une volonté ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je préférerais un cloud français ou européen, mais nous n'avons pas à ce stade de fournisseur non américain : Google et Microsoft sont seuls sur le marché.
Dans le cadre du projet de cloud souverain, cher à Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) dresse une véritable muraille de Chine de protection des données européennes.
Enfin, l'apprentissage des mathématiques est essentiel, car nous avons besoin de davantage d'ingénieurs et d'ingénieures.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je ne suis pas convaincue par les modalités de votre cloud souverain. Faisons confiance aux acteurs français et européens, dont beaucoup sont hélas partis à l'étranger.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien !
M. Fabien Gay . - Au début des années 1990, les libéraux entrevoyaient la fin de l'histoire avec un capitalisme triomphant. La libéralisation de l'énergie, des transports et des communications ferait baisser les prix, l'État ne devait être ni interventionniste ni régulateur. Plus de limite aux profits et à l'exploitation, plus de frontières : il fallait se spécialiser dans les produits à haute valeur ajoutée selon les préceptes de Ricardo.
Serge Tchuruk, président d'Alcatel, rêvait d'une France sans usines. Pendant trente ans, nous avons assisté à notre désindustrialisation.
Mais la crise sanitaire et énergétique nous ramène à une triste réalité : l'arrêt de l'usine du monde, la Chine, nous a privés de tout, même de biens de première nécessité. Notre affaiblissement est dans toute la chaîne de valeur. Nous dépendons de puces fabriquées à l'autre bout du monde.
Ce drame, nous nous le sommes auto-infligé ! La dérégulation a conduit à l'affaiblissement et à l'abandon de notre souveraineté.
Alors que nous avions tout pour développer le numérique, la France a vendu Alcatel Lucent à Nokia. Nous reproduisons les mêmes erreurs : le Health Data Hub aurait pu être une aubaine pour les développeurs français comme OVH, nous l'avons attribué à Microsoft, sans appel d'offres. Quel message !
Marie-Noëlle Lienemann propose un programme national d'intelligence économique. Sur les intrants alimentaires, faisons le bilan du libre-échange ! Ceta, Mercosur, Nouvelle-Zélande : on importe des produits dopés à des substances interdites dans l'Union européenne. Les efforts de nos agriculteurs ne paieront pas, car les consommateurs achèteront moins cher. Et le Ceta ouvre même la possibilité pour les investisseurs de saisir les tribunaux contre les États.
L'affaiblissement d'EDF au bénéfice d'opérateurs privés a dégradé notre parc nucléaire. Mais il n'y a pas de fatalité : nous pouvons revenir à la souveraineté en relocalisant, en investissant dans les secteurs stratégiques. Dans l'énergie, le numérique, le spatial, la santé, bâtissons, dans la coopération et la solidarité, de grands champions européens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je reprends une partie de vos reproches : oui, cela fait trente ans qu'on désindustrialise, ou plutôt qu'on désindustrialisait. Mais la tendance s'inverse ; on crée trois fois plus d'usines en 2021 qu'on en détruit, et nous avons créé 50 000 emplois industriels depuis cinq ans. Ce n'est pas rien !
Il ne faut pas jeter le bébé de la concurrence avec l'eau du bain du libéralisme exacerbé. Orange est un grand champion : grâce à la concurrence, nous payons la téléphonie cinq fois moins cher qu'aux États-Unis. Oui, la France sans usines est une chimère. Il nous faut une colonne vertébrale industrielle dans tous les territoires, pour tous.
Ma feuille de route, c'est la réindustrialisation, avec un enjeu de formation, d'attractivité, de collaboration avec les élus, avec 54 milliards d'euros d'ici 2030. Sur l'industrie, nous avons le même maillot !
M. Fabien Gay. - En tout cas, nous n'avons pas la même passion pour le libéralisme, c'est sûr !
Faisons le bilan de cette libéralisation forcée. Emmanuel Macron a présidé à la vente d'acteurs stratégiques à Nokia et à General Electric. Quant au plan de relance, nous peinons à en voir les effets réels dans les territoires. Vous dites que nous créons des emplois industriels, mais nous continuons à en perdre ! Leur facture énergétique est telle que Duralex ou Arc ne peuvent plus produire et mettent leurs ouvriers au chômage partiel ! Triste réalité du libéralisme...
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc des commissions) J'avais alerté sur la perte de la souveraineté numérique dès un rapport de 2013. Le numérique n'est pas une industrie, mais toutes les industries. Il représente un enjeu stratégique pour notre société. Or des acteurs extraeuropéens se sont imposés et présentent une menace systémique pour nos pays : ingérence, cyberattaques ou encore désinformation.
Il aura fallu la crise sanitaire pour en prendre conscience. Câbles, data centers, logiciels : le cloud représente des milliers d'emplois à très haute valeur ajoutée, mais le secteur est cannibalisé par des entreprises étrangères que nous continuons à encourager.
Du sursis au sursaut, du nom d'un autre de mes rapports sur la formation, reconquérons le numérique et régulons enfin le marché vers plus d'équité et de loyauté. Il faut protéger la donnée, actif stratégique, mais cette dimension est peu présente dans la boussole numérique. Quid du financement ? Des modalités ?
Il y a aussi les plans de relance : la commande publique doit être le premier levier vers un cloud européen. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Depuis 2013, je plaide pour un Small Business Act à la française pour soutenir les technologies innovantes. Or la doctrine de responsabilité est inexistante aujourd'hui : il faut structurer le dialogue entre l'État actionnaire et les acteurs français du cloud. Cessons de dénigrer nos entreprises, comme l'ancien secrétaire d'État Cédric O, qui a confié nos données les plus sensibles à Microsoft ! Nous avons entendu le changement de discours de M. Le Maire, mais il faut aller plus loin.
Le récit de trois décennies de retard est insupportable et inexact. Nos entreprises se rebiffent : elles ont raison. Récemment, Hexatrust et Euclidia ont porté des revendications pour un cloud européen. Passons de la start-up nation au plan d'investissement de l'infrastructure nation. (Applaudissements sur le banc des commissions)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - La start-up nation, est-ce si mal ? Cela représente tout de même un million d'employés. La French Tech est un vrai succès. En attendant un champion français, la muraille de Chine protège nos données, en suivant les observations de l'Anssi. La French Tech, c'est 8 milliards d'euros de fonds levés cette année, dix fois plus qu'en 2017 ! Ce n'est pas rien !
Nous visons un objectif de 1 500 start-up industrielles, et de 100 nouvelles usines par an. Soyons fiers de la French Tech et de la start-up nation, c'est un moteur !
Les achats publics sont un élément essentiel de ma mission. Dans le cadre de France 2030, 50 % des 54 milliards d'euros doivent aller à nos PME ; elles répondent aux appels d'offres, et nous les aidons à innover.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Oui, la start-up nation représente des emplois. Mais à quoi bon si in fine, ces start-up sont vite rachetées, faute de plan de développement et d'infrastructures ?
Je l'ai dit et je le redis : la législation américaine fait que, sans privacy shield, nos données les plus sensibles sont fragilisées, quoi que fasse l'Anssi. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Plutôt que d'acheter des licences coûteuses, investissons dans les entreprises qui existent déjà pour construire progressivement cet écosystème.
Des entreprises demandent à vous rencontrer et à jouer leur partition. (Mme Florence Blatrix Contat applaudit.)
M. Stéphane Ravier . - Je félicite les rapporteurs pour leurs propositions précises et leur travail de qualité. Pourvu que les actes suivent les rapports, monsieur le ministre !
Souveraineté vient du latin superus, qui signifie dessus : pour vous, c'est l'Union européenne qui est au-dessus, et c'est là que le bât blesse. Car pour notre Constitution, la souveraineté appartient au peuple et ne se partage pas. Le rapport aurait dû parler de la souveraineté économique française, incompatible avec le projet fédéraliste européen.
Les partisans de la mondialisation ont ridiculisé ce terme de souveraineté sans prendre la mesure de notre effondrement. Nous sommes devenus dépendants de l'étranger avec un déficit commercial de 71 milliards d'euros au premier semestre 2022. C'est la cigale et la fourmi à l'échelle de la nation !
Le rapport ne questionne pas notre soumission juridique à l'Union européenne. Sous couvert de libéralisme, à l'État stratège a succédé l'État obèse, trop impotent pour investir dans les secteurs clés. La Première ministre entend reconquérir la souveraineté : c'est l'aveu qu'elle a été perdue.
Notre pays est passé de deuxième à cinquième exportateur mondial et nous importons 50 % de nos denrées alimentaires, alors que la Chine et les États du Golfe rachètent des pans entiers de nos territoires.
Il faut un pouvoir régalien souverain pour endiguer la voracité des Gafam et combattre les vues des hyperpuissances privées sur nos données personnelles. Puisse la crise nous permettre de retrouver un véritable État stratège, indispensable à la reconquête de notre souveraineté.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Monsieur Ravier, s'il est un sujet sur lequel nous divergeons, c'est le rapport à l'Union européenne. Elle n'est pas parfaite, mais si vous aviez été élu il y a trente ans, nous n'aurions pas l'euro ; si votre candidate avait été élue il y a cinq ans, nous en serions sortis... et serions aujourd'hui dans la même situation que les Britanniques ! Sans l'Europe, pas de plan de relance européen, d'achat groupé de vaccins, de réaction unifiée à la crise ukrainienne. Je suis fier que la France s'inscrive dans ce cadre européen de coopération.
Nous défendons les libertés - sans doute plus que vous ne le feriez -, nous renforçons l'autonomie et nous protégeons les Français depuis cinq ans. Nous n'avons pas à rougir de notre réponse à l'inflation et de notre bilan face à la crise sanitaire. Heureusement que notre président était à la manoeuvre, et pas le vôtre !
M. Henri Cabanel . - Souveraineté économique en France et en Europe ; les rapporteurs ont ouvert un vaste débat. Indépendance, emploi, formation, savoir-faire, expertise sont autant d'enjeux.
La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ne sont pas à l'origine de tous les maux ! Pourtant, on accuse soit l'une, soit l'autre... Les Français ont conscience d'être bernés, alors que les décideurs n'assument pas les fautes du passé. L'absence de masque a révélé une absence d'anticipation et de culture de la prospective. Notre indépendance énergétique, industrielle et agricole s'est étiolée face à l'appel des sirènes de la délocalisation.
Nous ne voulons pas jeter la pierre, mais l'apporter à l'édifice.
En matière commerciale, l'Union européenne devra montrer sa détermination en protégeant la compétitivité de ses entreprises face aux pays émergents qui nous submergent. À quand le débat sur le Ceta ?
Ensuite, l'approvisionnement : protéines végétales, substances chimiques ou métaux critiques, la France importe plutôt que de produire. Nous le payons au prix fort.
Sur la protection de nos entreprises, notre expertise médicale et scientifique est riche, mais, découragés par la lourdeur des procédures, beaucoup d'entreprises s'expatrient. Il faut des simplifications administratives. J'ai réuni des chefs d'entreprise de différents secteurs, qui ont pointé du doigt des problèmes précis. Oublions les effets d'annonce. Sortons les sachants de leurs bureaux, qu'ils aillent dans les champs, les entreprises et les laboratoires !
Pour l'énergie, l'absence de prospective est criante. Nous votons 40 % d'énergies fossiles en moins d'ici à 2030, mais rouvrons dans l'urgence nos centrales à charbon alors que la moitié des réacteurs sont fermés...
Sur le numérique, l'Union européenne ne doit plus dépendre des Gafam.
Enfin, sur les métiers de demain, formation et orientation scolaire sont fondamentales.
Nous partageons les constats de ce rapport et attendons du Gouvernement une application attentive. Bercy ne doit pas décider seul : au politique de gouverner, sinon la France perdra le peu de souveraineté qui lui reste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Quand je me compare, je me console ! Nous avons trop tendance à battre notre coulpe. Certes, nous n'avions pas anticipé la crise sanitaire, mais nous pouvons être fiers de la façon dont nous l'avons surmontée.
Ce rapport m'a plu, car il se tourne vers l'avenir et la réindustrialisation. Chaque semaine, je visite des usines et des entreprises dans les territoires. Certaines vont bien, d'autres, comme Arc ou Duralex, souffrent. Il faut les accompagner et aider les secteurs d'avenir à se développer.
Sur les simplifications administratives, je vous rejoins. Avec Bruno Le Maire, nous réfléchissons à l'opportunité de passer par la loi pour simplifier les installations industrielles. En attendant, j'ai demandé à cartographier le foncier partout en France.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission. - Enfin !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Nous travaillons avec les collectivités territoriales pour identifier des sites industriels clé en main, partout et pour tout.
M. Henri Cabanel. - Ayons la culture de la prospective ! Il a fallu tous ces événements pour voir à quel point la France est dépendante. J'ai insisté sur la simplification, mais nous devons aussi évaluer les politiques mises en place et corriger les erreurs pour ne plus les répéter.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - C'est vrai.
M. Serge Babary . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions) Le constat alarmant dressé par nos rapporteurs confirme les inquiétudes que nous exprimons, au sein de la commission des affaires économiques, depuis de nombreuses années. Notre économie est de plus en plus vulnérable et dépendante.
Je mettrai l'accent sur la souveraineté financière.
En matière de contrôle des investissements étrangers dans nos secteurs stratégiques, la loi Pacte a posé des jalons, mais nous devons aller plus loin en abaissant les seuils et en élargissant les contrôles à de nouveaux secteurs. Par ailleurs, nous devons protéger nos PME autant que nos sociétés cotées.
Selon le Mouvement des entreprises intermédiaires, 40 % de nos ETI ont été approchées par un fonds de pension dans le contexte de la pandémie. Pour nous prémunir contre cette prédation, nous devons renforcer la commande publique, l'ouvrir aux PME et soutenir les entreprises innovantes.
Il faut aussi favoriser le maintien de nos ETI sur les territoires en modernisant la transmission. Il s'agit d'un enjeu essentiel, alors que la moitié sont des entreprises familiales et qu'un quart des chefs d'entreprise ont plus de 60 ans. Je souscris à l'objectif du Gouvernement de faire émerger 500 nouvelles ETI dans les prochaines années, mais la question de la transmission reste entière.
Sur ces différents enjeux de souveraineté financière, nous avons besoin de réformes structurantes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Vous trouvez ce rapport alarmant, je le trouve motivant. Les constats dressés, sévères mais justes, peuvent permettre d'aller de l'avant. La France a des atouts et, grâce aux mesures prises ces dernières années, nous avons déjà inversé certaines tendances.
Quand j'ai commencé ma carrière à Bercy, voilà trente ans, la politique industrielle était un gros mot : il n'y en avait que pour la politique macroéconomique ou la politique monétaire. La situation est bien différente désormais.
N'oublions pas que l'attractivité de la France fait partie de ses atouts. Vous parlez des fonds de pension, mais chaque semaine je rencontre des investisseurs opérationnels, américains ou asiatiques, qui souhaitent investir en France. Il faut le garder à l'esprit. La loi Pacte établit un bon équilibre ; le seuil de 10 % doit être évalué avant d'être pérennisé.
J'ai été pendant dix ans le numéro 2 d'une grande caisse de retraite québécoise, gros investisseur dans les PME et ETI du Québec. Il y a BPI France, mais nous manquons d'une grande initiative impliquant les investisseurs français. L'initiative Tibi va dans ce sens. Il nous faut trouver du capital de long terme, sans doute pas auprès de fonds de pensions à la française - je dis cela pour réveiller M. Gay...-, mais, par exemple, auprès des assureurs.
M. Serge Babary. - Quand on sonne l'alarme, c'est pour préparer l'avenir. Nous relayons aussi ce que nous entendons sur nos territoires.
Les PME et ETI sont un peu laissées de côté. Les chefs d'entreprise ont le sentiment que les facilités bénéficient plutôt aux grandes entreprises. En Allemagne et en Italie, où nous nous sommes rendus, les entreprises travaillent en meute : c'est ce que nous devons développer.
M. Sebastien Pla . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions) Avec 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires, l'agriculture française est la première en Europe. Mais cette donnée flatteuse cache d'inquiétantes évolutions : l'excédent de notre balance agricole repose sur la production vinicole, la moitié de nos produits agricoles sont importés, nous dépendons de l'étranger à 45 % pour les protéines végétales.
Depuis vingt ans, la production agricole recule. Nous avons perdu 25 % de parts de marché, et 10 000 exploitations agricoles disparaissent chaque année. Le métier n'attire plus, en raison des difficultés d'accès aux services publics, à la santé et au numérique en zone rurale, mais aussi de la faiblesse des revenus de ceux qui travaillent la terre. Les aides de la PAC, décorrélées de toute valeur ajoutée, assurent la majeure partie de leur revenu.
Nous devons redoubler de vigilance sur l'origine et la qualité des produits distribués. Des clauses miroirs dans les accords de libre-échange doivent être mises en place, de même qu'une taxe carbone aux frontières de l'Europe. On demande aux producteurs français de réaliser un exploit : adopter des pratiques durables coûteuses tout en rivalisant avec l'agriculture intensive, notamment américaine... C'est impossible !
De nouvelles politiques alimentaires et agricoles s'imposent. Nous devons faciliter le travail des exploitants, favoriser l'agroécologie et répondre à la pénurie de main-d'oeuvre. Nous devons réorganiser l'ensemble de la filière et cesser de surtransposer les normes européennes.
La France exporte des animaux entiers, des pommes de terre et du blé, mais importe de la viande découpée, des chips et de la farine : ce n'est pas logique.
Nous devons mener une politique de patriotisme alimentaire, sans oublier les capacités de transformation, indispensables pour trouver de nouveaux débouchés. N'oublions pas l'importance d'être fort sur le marché intérieur pour être compétitif à l'extérieur. Agissons, car le secteur agricole est en grand danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Mon collègue Marc Fesneau répondrait mieux que moi à vos remarques... D'ores et déjà, plus de 600 millions d'euros ont été dépensés dans le cadre de France Relance en faveur de la souveraineté alimentaire, et nous avons réduit de 5 % notre dépendance aux protéines végétales.
Faut-il fermer les frontières et entrer dans une logique d'autosuffisance ? Je ne le crois pas. L'agriculture française peut retrouver des couleurs à l'international, à condition d'investir et de travailler à être mieux identifiée. Partout dans le monde, on trouve dans les supermarchés un rayon italien ; la marque France n'est pas aussi bien mise en valeur, alors que les mêmes supermarchés vendent du Bordeaux ou du camembert.
M. Sebastien Pla. - Nous avons de moins en moins d'agriculteurs, et notre excédent agricole repose en réalité sur les produits vinicoles. Quid des produits alimentaires ? Nous devons réduire l'impact carbone lié aux importations en même temps que notre dépendance aux marchés extérieurs.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Le numérique est un enjeu incontournable. Je l'aborderai pour ma part dans sa dimension spatiale. En la matière, les cartes ne sont pas jouées et une souveraineté européenne demeure possible, comme l'a compris Thierry Breton.
Nos commissions des affaires économiques et des affaires européennes s'intéressent à la constellation européenne de satellites, essentielle pour des usages militaires mais aussi commerciaux : chirurgie, guidage et même couverture des zones blanches outre-mer.
La préférence européenne doit nous guider : les satellites devront être déployés par des lanceurs européens, depuis des bases européennes. Il s'agit de maîtriser nos télécommunications et de booster les industries européennes.
M. Jean-François Rapin. - C'est cela, la souveraineté !
Mme Anne-Catherine Loisier. - Il faut soutenir nos industries historiques et faire émerger les start-up du New Space, tout en soutenant les technologies numériques émergentes, comme le quantique.
La constellation autonome de satellites est une brique essentielle au modèle économique européen du XXIe siècle. Cette préférence européenne ne se fera pas sans engagement de l'industrie européenne, qui devra tenir la cadence et accueillir les nouveaux flux de connectivité. Nous devons faire vite : 2 700 satellites Starlink sont déjà sur orbite, 200 pour OneWeb et ceux d'Amazon vont être lancés par Ariane.
Par ailleurs, disposons-nous d'un rempart face la menace de l'extraterritorialité du droit américain qui pèse sur nos fleurons, du seul fait qu'ils réalisent des transactions en dollars ?
Je salue le travail de nos collègues, qui soulignent avec réalisme nos faiblesses comme nos atouts. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Le moment que je craignais est arrivé : je n'ai pas de réponse satisfaisante à vos questions... (Sourires) Plusieurs projets de constellation existent en Europe, dont un de Thales. La Commission européenne a également lancé un projet. Je m'engage à vous répondre précisément par écrit rapidement.
M. Jean-François Rapin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il est urgent de reconquérir notre souveraineté économique. La France ayant accepté de partager sa souveraineté avec les autres États membres de l'Union, cette reconquête se joue largement à l'échelle européenne.
Il aura fallu attendre la pandémie et le conflit ukrainien pour comprendre la menace pesant sur notre souveraineté. De ce point de vue, les deux électrochocs ont été salutaires.
La feuille de route tracée par les vingt-sept à Versailles en mars dernier ouvre un chantier au long cours. L'Union européenne en a fini avec la naïveté, enfin. Elle réarme ses politiques avec tous les outils dont elle dispose. Des projets importants d'intérêt européen commun ont été lancés, en dérogation aux règles sur les aides d'État, pour promouvoir l'innovation dans les batteries, le cloud ou l'hydrogène. L'Europe doit redevenir le leader mondial des semi-conducteurs.
La présidente von der Leyen promet de nouvelles actions. Textes majeurs de régulation du numérique, le DMA et le DSA constituent aussi des éléments de reconquête.
Un règlement sera bientôt adopté pour protéger le marché intérieur de la concurrence déloyale liée aux aides étrangères, tandis qu'un cadre commun a été mis en place pour filtrer les investissements étrangers.
Il faut aller plus loin, car une nouvelle vague de désindustrialisation, liée au coût de l'énergie, menace de freiner le rebond consécutif à la crise sanitaire.
L'Union européenne doit reconnaître le nucléaire comme pièce majeure de la transition énergétique. À cet égard, nous subissons le choix de nos voisins de produire leur électricité à partir du gaz, choix qui nuit à nos émissions, à notre compétitivité et à notre indépendance. Je salue le tournant à 180 degrés du Gouvernement sur le nucléaire.
En matière agricole, il ne faut pas sacrifier notre compétitivité sur l'autel de la transition écologique. Nous ne pouvons soutenir un projet de décroissance agricole.
En matière bancaire et financière, il nous faut consolider le dernier pilier de l'Union bancaire en construisant un système européen de garantie des dépôts.
Nous portons la voix de la France à Bruxelles et ne comptons sur le Gouvernement pour faire de même. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - Je souscris à l'intervention de M. Rapin à 98,5 %. (Sourires)
Je remercie à nouveau les trois rapporteurs pour leur travail.
Dans cet hémicycle comme dans l'autre, à gauche comme à droite, à votre place comme à la mienne, nous portons tous le même maillot. Je ne parle pas de ceux qui, à l'extrême droite et à l'extrême gauche, n'aiment pas l'entreprise, soit qu'ils la méconnaissent, soit qu'ils aient, depuis des années, bâti leur succès sur le déclin de notre industrie.
La plupart des recommandations sont dans notre feuille de route. Une clarification, toutefois : oui à la protection, non au protectionnisme ! Nous devons pouvoir conquérir des marchés dans une logique de réciprocité loyale - c'est à juste titre que plusieurs d'entre vous ont insisté sur ce dernier terme.
Nous sommes attractifs pour les investisseurs internationaux. Choose France est un succès, et nous allons accélérer.
Nous parlons régulièrement de la commande publique. Nous avons voté des dispositions concrètes dans les lois Pacte, Asap et Climat- Résilience. Il faut les appliquer et rassurer les acheteurs publics. Oui, il faut acheter durable, innovant et local en circuits courts. Cela commence à ressembler à acheter français... Nous avons mobilisé la direction des achats de l'État et rencontré l'Union des groupements d'achats publics ; nous allons accélérer la formation.
Grâce à l'action menée depuis cinq ans, nous avons autant d'apprentis que l'Allemagne. Il faut aller plus loin et donner envie aux jeunes de rejoindre l'industrie.
La crise de l'énergie agit comme un nouveau choc pétrolier. Je le redis, l'industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Mon rôle est de protéger nos entreprises et les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés, dans les régions, sont là pour les accompagner.
La charte signée ce matin avec les distributeurs d'énergie bénéficiera notamment à nos PME.
C'est la fin de l'énergie abondante : c'est pourquoi nous devons guérir notre industrie de sa dépendance aux hydrocarbures. La décarbonation sera notre nouveau fer de lance.
Enfin, France Relance et France 2030 portent les moyens de notre offensive stratégique, avec 50 000 emplois industriels nets créés depuis 2017. La désindustrialisation a été le fruit d'une cécité collective depuis trente ans : la réindustrialisation sera celui de notre vision commune. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE) Je vous remercie de ces échanges qui nous permettent de partager et d'approfondir les conclusions de notre rapport. Il est urgent, et même urgentissime, de définir une stratégie de l'énergie. Malgré vos paroles optimistes, monsieur le ministre, je ne vois pas de preuve de votre engagement.
Je déplore aussi que vous nous ayez fait légiférer dans la panique et dans le désordre : quinze jours cet été pour examiner le texte sur le pouvoir d'achat, ce n'est pas sérieux. En outre, il aurait fallu examiner d'abord une loi de programmation de l'énergie, et ensuite seulement des lois d'exécution. (Mme Catherine Morin-Desailly approuve.)
La politique de l'énergie ne s'improvise pas : elle exige vision, courage, constance et anticipation. La relance de la politique nucléaire reste au milieu du gué et la reconversion préélectorale du président n'y a rien changé. Les annonces de Belfort restent insuffisantes : ce n'est pas de six, mais de quatorze réacteurs dont nous avons besoin. Et la nécessité de développer l'hydrogène issu du nucléaire n'a pas été annoncée. Sur le nucléaire, il faut des moyens financiers et humains, mais aussi une perspective positive.
Sur le renouvelable, le Sénat vous presse d'agir depuis longtemps. Depuis 2020, notre commission a fait adopter trente mesures de simplification, dans les domaines de l'hydrogène, du biogaz, de l'éolien, du photovoltaïque.
Nous évoquons dans ce rapport deux impensés du renouvelable : le stockage et la dépendance minière. Ce débat d'experts doit enfin être partagé avec les citoyens. Il est certes important de recycler, mais posons-nous la question de l'extraction du lithium en France, et des conditions sociales et environnementales de cette extraction.
La prise de conscience est là. Nos vulnérabilités ne sont plus un tabou, et le débat est le préalable à la reconstruction. La souveraineté n'est ni repli, ni contrainte, ni décroissance, ni source de division, mais d'espoir, et c'est une affaire européenne.
Notre assemblée sait transcender les différences politiques comme le montre ce rapport rédigé à six mains et adopté à l'unanimité de notre commission. C'est un projet pour refaire société.
Je formule le voeu que vous continuiez à associer le Parlement, vous qui connaissez la vertu du débat parlementaire. Cela n'a pas toujours été le cas comme le montrent la tartuferie de la privatisation d'ADP et la vente des chantiers de l'Atlantique.
Le Sénat est prêt à s'engager pour notre souveraineté : j'espère que le Gouvernement saura être à l'écoute. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, jeudi 6 octobre 2022, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 6 octobre 2022
Séance publique
À 10 h 30 et 14 h 30
Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidenteMme Valérie Létard, vice-présidente
Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat
1. Vingt-neuf questions orales
2. Débat sur les conclusions du rapport « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » (Demande de la mission d'information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française »)
3. Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l'organisation des soins de demain sur nos territoires ? » (Demande du RDPI)