Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - En 2017, la France s'est dotée d'une stratégie nationale de la mer et du littoral, pour six ans. La délégation sénatoriale aux outre-mer a souhaité l'évaluer, alors qu'elle est à la croisée des enjeux politiques, sécuritaires, économiques, énergétiques, scientifiques, communicationnels, climatiques et environnementaux.
Avec mes collègues rapporteurs Philippe Folliot et Marie-Laure Phinéra-Horth, j'ai constaté que notre stratégie nationale n'associait pas les outre-mer à la hauteur de leur potentiel. C'est pourquoi, pour la prochaine édition, les orientations devront être radicalement revues. Nous formulons vingt propositions dans notre rapport.
Il faut replacer les outre-mer au coeur de notre stratégie maritime, dont il faut rehausser les ambitions. Ensuite, il faut consolider notre souveraineté maritime, notamment sur les plans militaire et stratégique. Enfin, il faut en faire le moteur de la transition écologique des outre-mer.
M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre, les outre-mer ne sont pas suffisamment considérées, alors qu'elles représentent 97 % de notre zone économique exclusive (ZEE) !
Nous gardons en mémoire nos échanges avec des marins pêcheurs de Guyane, agressés au quotidien. Nous avons constaté les difficultés relatives à l'exercice de la souveraineté : nous sommes face à un trou capacitaire pour surveiller notre ZEE. Ainsi, La Passion-Clipperton est laissée à l'abandon.
Pour notre pays, les outre-mer sont-ils importants ou non ? L'absence de réponse depuis des années est parlante. Ainsi, les forces de souveraineté sont passées de 8 000 agents en 2008 à 7 000 aujourd'hui. Dans le contexte géopolitique actuel, face aux enjeux de l'Indopacifique, il est urgent de passer des mots aux actes, qui ne pourront porter qu'avec un appui approprié à nos outre-mer.
Une réelle prise de conscience de ces enjeux est nécessaire : espérons que, demain, la volonté d'y répondre sera au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - Notre rapport, tout comme les précédents, met en lumière des problématiques propres aux outre-mer et trop méconnues au plan national.
Ainsi de la situation de nos ports : à l'exception de Port-Réunion, parmi les quatre meilleurs ports français, ils nécessitent un important effort de modernisation multimodale. Après la réforme portuaire de 2012, ces poumons économiques manquent de moyens pour s'adapter au trafic de porte-conteneurs, comme en Guyane où ils sont encore déchargés essentiellement par des grues de bord faute de portiques ou de grues de quai : le coût du fret s'en ressent.
Les ports sécurisent l'approvisionnement en biens et en matériaux de populations dépendant de l'extérieur. Un port flottant extérieur pour la Guyane ou l'extension du port de Mayotte sont autant de pistes dressées par le rapport, alors que ces ports sont souvent l'unique porte d'entrée de nos territoires.
J'évoque le sujet de la pêche : la situation des professionnels guyanais est catastrophique en raison d'une pêche illégale venue du Brésil et du Suriname. Il faut réévaluer nos moyens pour mettre la pression sur les navires étrangers : nos forces n'ont que 120 jours de présence dans les eaux guyanaises, contre 300 dans le canal du Mozambique.
La filière a perdu récemment Georges-Michel Karam, son chef de file, mais elle approvisionne toujours la population. Pour combien de temps encore ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; Mme Marie Mercier et M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer, applaudissent également.)
M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer . - Je salue votre rapport. La prise en compte des outre-mer dans toutes les décisions doit, en effet, être améliorée. Redisons-le : la France doit son deuxième espace maritime mondial et sa présence unique sur les quatre océans à ses outre-mer.
Le premier enjeu des outre-mer dans notre stratégie maritime est la souveraineté. Nos espaces sont aussi des joyaux de biodiversité, s'étendant des deux pôles au lagon de Mayotte. Ces joyaux, que je connais tous, sont convoités et font face au changement climatique. Ils doivent être préservés.
En outre, les outre-mer sont très dépendants de la mer. La création de valeur, mon leitmotiv, passe par le développement d'une économie bleue et par des ports en bonne santé. Si la France ne peut assurer sa souveraineté dans ses espaces maritimes, inutile de parler d'environnement ou de développement. Assurer cette souveraineté, c'est pouvoir les surveiller.
La France a une présence militaire permanente dans ses territoires, y compris inhabités. Dans le canal du Mozambique, les enjeux de souveraineté justifient une présence plus forte qu'en Guyane.
La marine déploie depuis 2017 de nouveaux navires. Treize nouveaux bâtiments seront livrés d'ici le 1er janvier 2026, et les moyens aériens seront également renouvelés. Des drones viendront les compléter, le ministère des armées y travaille.
Nos vastes zones économiques exclusives (ZEE) donnent des droits à la France qu'il faut protéger contre les appétits extérieurs, mais qu'il faut aussi mieux connaître.
On cite souvent les 97 % d'espace maritime ultramarin. On parle moins des 80 % de la biodiversité française dans les outre-mer. La France prend des initiatives fortes pour protéger les récifs coralliens et les mangroves. Elle a déjà classé 30 % de ses espaces maritimes et terrestres en aires protégées. Les îles Éparses sont de magnifiques lieux d'observation du changement climatique. Avec la ministre de la recherche, je signerai bientôt une feuille de route pour y encourager la recherche.
Dans le cadre du plan France 2030, la connaissance et la protection des grands fonds marins sont au coeur des perspectives de développement de l'économie bleue, qui représente entre 5 et 10 % du PIB des outre-mer.
La pêche et le tourisme doivent s'adapter aux enjeux du 21e siècle, les ports accélérer leur transition écologique. Les bateaux de croisière ne seront accueillis que s'ils sont électrifiés.
Le secteur de la pêche est au coeur des enjeux d'autonomie alimentaire dans les outre-mer. Il est ahurissant que 80 % du poisson consommé aux Antilles soit importé. Les pêcheurs ultramarins doivent pouvoir pêcher, d'où notre combat pour le renouvellement des flottes. L'économie bleue outre-mer, ce sont aussi des secteurs en devenir, comme l'industrie navale et les énergies renouvelables en mer.
Il est difficile de résumer en quelques minutes 97 % de la puissance maritime française. Je vous remercie de la faire valoir par votre rapport. La création de valeur dans les outre-mer et la définition d'une feuille de route économique à forte nuance bleue pour chaque territoire, c'est la mission que le Président de la République m'a confiée. L'État accompagnera les territoires dans le développement d'une économie bleue résiliente, pour que les outre-mer soient réellement au coeur de la stratégie maritime de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)
M. Stéphane Artano . - Le port de Saint-Pierre-et-Miquelon est le dernier port d'intérêt national ultramarin directement géré par un service déconcentré de l'État. La gouvernance y est défaillante, les décisions manquent de cohérence et les infrastructures sont vieillissantes. Pourtant, le maintien des liaisons maritimes est vital pour le ravitaillement de la population.
L'absence de stratégie de l'État en matière d'économie bleue est frappante et condamne l'archipel au repli. En 2017, la France prévoyait des logiques de bassin, mais les projets n'ont jamais vu le jour. Un établissement public portuaire, voulu par Mme Girardin, n'est pas la solution : commençons par nous appuyer sur le conseil portuaire existant.
Je m'opposerai toujours aux droits d'anneaux de plaisance exorbitants ou à une taxe sur les passagers des ferries.
Quelle est la vision du Gouvernement de la place de la mer à Saint-Pierre-et-Miquelon ? Nos infrastructures dégradées seront-elles enfin remises à niveau ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Vous connaissez mon attachement à Saint-Pierre-et-Miquelon. La loi 3DS a habilité le Gouvernement à prendre une ordonnance pour y créer un grand port maritime, et 30 millions d'euros ont été engagés par l'État. Les discussions sur d'autres investissements seront menées dans le cadre du prochain contrat de plan.
Faut-il un grand port maritime ? Sous la forme d'une concession ? Nous devrons nous mettre d'accord ensemble.
La desserte maritime est un vrai sujet, en interne comme vers l'extérieur, en passagers comme en marchandises. Le droit est clair : à l'État la question des marchandises, à la collectivité territoriale celle des passagers. À la suite de la réunion du 7 septembre, il faudra peut-être envisager des évolutions. Le préfet a engagé un travail conjoint avec la collectivité territoriale pour expérimenter le transport de fret par les ferries de la collectivité, en lien avec nos partenaires canadiens.
Je me rendrai cet hiver à Miquelon.
M. Stéphane Artano. - L'État a investi 15 millions d'euros dans un port de croisière sans tenir compte des demandes locales. C'était une décision de M. Valls, qui n'a pas tenu compte du conseil portuaire. Ces 15 millions d'euros auraient pu servir à préserver le port de commerce ou les digues.
Mme Marta de Cidrac . - La préservation environnementale des milieux marins figure parmi les enjeux de notre stratégie maritime. Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France dispose de nombreux atouts.
Toutefois, le statut de région ultrapériphérique est source de contraintes. Je pense au traitement des déchets contraint par des dispositions européennes inadaptées. Cela entraîne de sérieuses menaces, dans des écosystèmes insulaires particulièrement fragiles. Il est urgent d'agir.
Au-delà du développement de l'économie circulaire en outre-mer, comment faire entendre nos spécificités ultramarines au sein des instances européennes ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La gestion des déchets outre-mer est un vrai sujet. Mayotte envoie des déchets en métropole, ce qui est ahurissant...
La hausse du niveau de la mer et l'érosion du trait de côte accroissent le risque de voir des déchets se retrouver dans la mer. Il faut traiter les décharges abandonnées sur les littoraux. Sur les 55 identifiées, 14 sont en outre-mer et nous mobilisons 30 millions d'euros.
Mais le sujet, ce sont d'abord les normes européennes. Je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour mettre en oeuvre l'article 349 du traité, sur la base d'un recensement précis des dispositions européennes inadaptées.
Ensuite, il faut travailler sur les combustibles solides de récupération (CSR), que ce soit en Guadeloupe ou à La Réunion, avec des économies d'énergie à la clé.
Enfin, il faut travailler sur l'économie circulaire. Un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer est en cours d'élaboration par Mme Viviane Malet.
Mme Marta de Cidrac. - Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour être un interlocuteur exigeant auprès des instances européennes.
M. Joël Guerriau . - La stratégie maritime nationale doit assurer notre souveraineté et protéger notre patrimoine.
Il est facile d'oublier combien notre territoire s'étend sur les différents océans. Ces espaces font l'objet d'une compétition entre États, en particulier en Indopacifique, alors que le centre de gravité du monde se déplace.
La France peut-elle maintenir partout une présence et des capacités crédibles, comparables à celles de la Chine ou des États-Unis ? Non, nos moyens sont limités. Mais il y a une solution : la coopération, sur le modèle de l'accord récemment signé avec Singapour.
La France est le seul pays de l'Union européenne à disposer de territoires en Indopacifique, mais toute l'Europe y a des intérêts. Ne peut-on développer d'autres partenariats ?
Enfin, rassurez-nous sur le nouveau porte-avions, dont on dit qu'il ne se ferait pas...
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La défense de notre souveraineté, et donc des territoires d'outre-mer, est une priorité. Pour partie, nous pouvons nous défendre seuls. La loi de programmation militaire prévoit des moyens outre-mer. En revanche, il faut équilibrer présence terrestre et maritime. La première est indispensable en Guyane ou sur les îlots du canal du Mozambique.
Le porte-avions se fera en coopération avec d'autres pays européens.
Je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre pour parler de l'article 349, des pêches, mais aussi des régions ultrapériphériques (RUP) et défendre la biodiversité.
J'ai reçu il y a peu l'ambassadrice d'Australie à Paris. Elle est prête à coopérer sur ces sujets et vient d'ailleurs d'ouvrir un consulat général à Nouméa.
En ouvrant des consulats dans tous les outre-mer, nous appelons à défendre collectivement la richesse mondiale que représentent ces territoires.
M. Joël Guerriau. - Je tiens beaucoup à la notion de partenariat, mais aussi à ce que notre porte-avions porte haut les couleurs de la France.
M. Joël Labbé . - Les outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française et accueillent 93 % de nos zones marines protégées. La valeur des récifs coralliens et des mangroves est inestimable. Or la plupart de nos aires marines n'interdisent pas le chalutage de grands fonds, pourtant dangereux.
Lors du One Planet Summit de 2021, le gouvernement français s'est donné un objectif de protection de 10 % de nos aires maritimes à l'horizon 2030, contre 39 % au Royaume-Uni et 24 % aux États-Unis actuellement.
Ces aires doivent bénéficier de véritables moyens. Or la Marine nationale et l'Office français de la biodiversité (OFB) n'ont qu'un agent pour 2 000 km2 d'océan...
À l'aube de la COP15 de Montréal, quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en oeuvre pour protéger la biodiversité outre-mer ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Je partage l'objectif d'interdictions accrues dans les aires protégées, mais là encore, on se heurte à la limite de nos moyens. L'armée a obtenu 3 milliards d'euros de plus dans la loi de programmation militaire, nous ne pouvons faire plus.
Faut-il une interdiction totale d'exploitation ? Je préfère une exploitation raisonnée : fixons-nous des objectifs raisonnables que nous atteindrons dans la durée.
Le canal du Mozambique est le seul endroit où notre souveraineté terrestre est contestée, car nous signerons bientôt avec les Pays-Bas une convention pour régler la question d'un petit bout de frontière à Saint-Martin.
M. Dominique Théophile . - Je salue l'excellent rapport de nos collègues. Au-delà des recommandations formulées, il rappelle la place de la pêche traditionnelle, malheureusement confrontée à des difficultés : vieillissement des professionnels, dégradation des conditions de travail, faibles rémunérations, baisse d'attractivité, vieillissement de la flotte de pêche.
Le soutien public à la flotte est en principe contraire aux règles européennes, mais Emmanuel Macron et Jean-Claude Juncker s'étaient engagés à l'autoriser dans les RUP. Monsieur le ministre, vous avez rencontré le commissaire européen à la pêche. Où en sont les négociations ? Le renouvellement de la flotte est attendu par la filière.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La pêche et les emplois qu'elle induit relèvent de la souveraineté alimentaire. À Mayotte, les réglementations imposent aux pêcheurs en pirogue d'utiliser des engins de plage. Je me suis mis en colère, cela va changer rapidement.
Grâce au Président de la République, nous avons obtenu le droit à des aides pour certaines parties de la flotte. Mais les services de la Commission européenne ont imposé un inventaire précis, qui prendra cinq ans. Que fait-on en attendant ? J'ai dit au commissaire à la pêche que je préférais les pêcheurs aux poissons. Cessons de croire que les premiers sont les ennemis des seconds. Pendant ce temps, d'autres pêcheurs hauturiers, étrangers, ratissent tranquillement !
Notre lettre portant une demande précise de dérogation aux règles européennes, territoire par territoire, type de bateau par type de bateau, doit partir demain. On m'a promis qu'elle serait examinée par le conseil scientifique en novembre.
Une collectivité s'est dite prête à aller devant la justice européenne. Pas de bateaux, pas de pêcheurs. C'est une vraie injustice. J'ai plutôt confiance.
Je saisirai tous les parlementaires européens et ultramarins pour qu'ils appuient ma demande.
Mme Gisèle Jourda . - Quelle place voulons-nous donner aux outre-mer dans notre stratégie nationale et internationale militaire ? Avec des forces de souveraineté sur tous les océans, la France possède une présence militaire globale, qui remplit des fonctions de protection, de prévention des conflits, de connaissance, d'intervention et de dissuasion. Mais les forces d'outre-mer sont en bas de la liste des priorités des armées. Fatigue des effectifs, précarisation : on risque la rupture capacitaire. Le rapport appelle à faire des outre-mer une priorité de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre ? Est-il prévu de rééquilibrer nos capacités militaires outre-mer pour en faire de véritables points d'appui de notre stratégie face aux nouveaux enjeux géopolitiques ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Oui, vous pouvez compter sur moi. Je travaille avec mon prédécesseur, désormais ministre des armées.
La situation de la marine militaire n'est pas si dégradée.
Mme Gisèle Jourda. - Les outre-mer deviendront-ils des points d'appui, notamment dans l'Indo-Pacifique ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Oui, M. Lecornu est en phase avec cette idée. La défense de l'Indo-Pacifique est militaire, mais elle passe aussi par le bien-être des populations. Notre action restera multiple.
Mme Michelle Gréaume . - Ce rapport évoque différents enjeux - sécuritaires, écoclimatiques, entre autres. Quelle souveraineté maritime pour la France sans un regard particulier sur ces territoires ? Comment donner toute leur place aux outre-mer sans répondre à leurs besoins ? Ce rapport ignore ceux qui sont en première ligne, les populations et les élus. Ces territoires manquent de moyens : il faudrait des engins amphibies d'exploration, des frégates de surveillance, des drones marins...
Comment mettre en oeuvre une nouvelle politique de la mer et une meilleure gouvernance des océans sans ouvrir son élaboration aux populations et sans renforcer les partenariats régionaux ?
La Cour des comptes nous recommande de développer les capacités d'expertise des outre-mer. Faudrait-il un organe dédié ?
L'abstention a été très forte lors des dernières élections, ce n'est pas bon signe. La mer n'est pas un nouvel eldorado ; il faut oublier la prédation au profit d'une conception rassembleuse, respectueuse des hommes et des éléments.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La stratégie de la création de valeur outre-mer sera construite avec les élus, sans aucun doute - c'était le sens de l'appel de Fort-de-France.
Une étude prospective sur l'économie bleue dans les outre-mer est désormais finalisée. Elle sera partagée pour alimenter la discussion.
La stratégie nationale pour la mer et le littoral a inscrit parmi ses préoccupations le tourisme côtier, avec une vision ultramarine, ainsi que la défense des mangroves et le sujet de l'aquaculture.
Oui à l'association de la population via la responsabilisation et la différenciation ! Comptez sur moi.
M. Philippe Folliot . - Notre collègue Nassimah Dindar souhaite vous interroger sur l'ouverture des outre-mer à leur environnement régional.
Des organisations internationales, auxquelles participe la France, existent. Quelle est la stratégie du Gouvernement en la matière ? Veut-il associer les collectivités territoriales ultramarines aux échanges régionaux dans le cadre de ces instances ?
Michel Rocard a marqué l'histoire en faisant sortir les outre-mer du lien exclusif avec la métropole.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - C'est un leitmotiv du Président de la République et de M. Darmanin : oui, il faut casser le lien univoque entre l'Hexagone et les outre-mer, qui doivent vivre dans leur environnement. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont ainsi déjà la capacité de nouer des accords de libre-échange.
Il nous faut ouvrir les territoires à leur environnement régional, notamment en ce qui concerne les accords commerciaux. Tous les élus sont d'accord.
J'ai rencontré la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ce matin, car cela se joue aussi avec les chefs d'entreprise. Ils déplorent des problèmes de normes, ce qui me renvoie à l'article 349 du Traité de l'Union européenne.
Création de valeur, insertion dans l'environnement régional, rôle des collectivités et des entreprises : ces questions sont au coeur de la feuille de route tracée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer - que je vous adresserai.
M. Philippe Folliot. - Ces enjeux sont essentiels. Les choses bougent. Dans le sud de l'océan Indien, l'Île Maurice se rapproche de l'Inde, la Chine a des vues sur les Seychelles et la Tanzanie, Madagascar flirte avec la Russie. Il est important que les collectivités territoriales puissent être associées sur ces questions géostratégiques.
Il nous faut une vision globale. Voyez la situation des Comores et de l'immigration...
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
M. Guillaume Chevrollier . - L'outre-mer concentre 80 % de notre biodiversité - or celle-ci est menacée par le dérèglement climatique. L'acidification des océans conduit à des épisodes récurrents de blanchissement des coraux ; entre 2009 et 2018, 11 700 km2 de corail ont disparu - or ces écosystèmes ont un rôle de nurserie pour poissons, d'où un effondrement de la chaîne alimentaire, avec des répercussions sur la pêche et les activités humaines.
Selon le Giec, le réchauffement climatique risque d'entraîner la disparition de 70 à 99 % des récifs coralliens.
Notre ZEE représente 8 % des mers du globe. Depuis 2010, la France a renforcé la création d'aires marines protégées, qui représentaient 24 % de la ZEE dix ans plus tard. Il nous faut agir pour la protection de la biodiversité dans ces zones.
Le rapport de la mission d'information sénatoriale pointe le manque de moyens pour protéger ces zones. Quelles sont les actions du Gouvernement pour protéger cette biodiversité menacée ? Il s'agit de garantir notre souveraineté dans les outre-mer et de s'en donner les moyens.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Les outre-mer sont exemplaires en matière de protection de la biodiversité. L'objectif de classer 30 % de notre ZEE en aire marine protégée est déjà dépassé, avec l'extension de la réserve naturelle des Terres australes.
Un autre dossier est en cours pour la protection des îles Éparses. Le parc naturel marin de Mayotte est le plus grand de France.
La France poursuit ses efforts pour préparer la Conférence des Nations unies sur les océans de 2025, que nous organiserons avec le Costa Rica.
Dans la lignée du One Ocean Summit de Brest, je m'attache à ce que les outre-mer prennent toute leur place.
Je travaille avec Françoise Gaill et Olivier Poivre d'Arvor à un Giec des océans. J'ai demandé à M. Bougrain Dubourg, de la Ligue de protection des oiseaux, d'identifier dix actions exemplaires qui feraient la fierté de nos outre-mer : je donne déjà mon agrément à six d'entre elles.
Mme Victoire Jasmin . - Je remercie la délégation aux outre-mer pour ce débat. Alors que la tempête Fiona a frappé la Guadeloupe les 23 et 24 septembre, quelle politique du littoral pour prendre en compte les effets du réchauffement climatique ? En outre-mer, les rives sont de plus en urbanisées, les aléas naturels violents et dévastateurs - je pense notamment aux algues sargasses.
La question de l'habitat littoral est essentielle. Il faut repenser l'application de la loi Littoral sur la zone dite des cinquante pas géométriques, avant son transfert à la collectivité régionale en 2025. Héritage du passé colonial, cette bande littorale fait encore partie du domaine de l'État et ne peut être cédée sans procédure particulière. Il faut reloger les familles sans droits ni titres, menacées par des risques naturels majeurs. L'action publique sur les cinquante pas géométriques doit être reconsidérée. Que comptez-vous faire ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Je connais bien le sujet. Le transfert de la zone des cinquante pas géométriques aux collectivités a été repoussé à 2025. Le sujet est particulièrement complexe à Saint-Martin.
D'ici là, nous avons deux choses à faire : finaliser la cartographie des zones, pour engager le processus de régularisation, et ensuite engager les démarches de relogement pour les personnes situées dans les zones dangereuses.
La semaine prochaine, j'irai à Saint-Martin avec ce message, puis en Guadeloupe en novembre. On délimite, puis on transfère, avant tout pour reloger.
Mme Lana Tetuanui . - La France peine à valoriser l'immense potentiel de ses outre-mer. Je souscris aux recommandations du rapport pour faire face aux défis de demain, assurément maritimes. Dans la zone indopacifique, centre de gravité stratégique, économique et financier, la France a un statut particulier grâce à ses outre-mer et à sa ZEE. Les États-Unis y sont très mobilisés, face à l'expansionnisme de la Chine.
Une réunion des États insulaires de la zone a eu lieu à Washington, en présence du président Édouard Fritch. Les États-Unis confirment leur appui à ces États, si vulnérables face au réchauffement climatique. Envisagez-vous un renforcement de nos bases militaires dans les outre-mer, notamment en Polynésie ? Depuis l'arrêt des essais nucléaires, les moyens militaires ont été largement redéployés hors de notre territoire...
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - J'ai évoqué la réunion de Washington avec Édouard Fritch. Oui, il faut que la France soit présente, mais nos territoires ne peuvent prendre parti sur certaines questions, par exemple sur Taïwan. Depuis le Brexit, la France est la seule nation européenne présente dans la région.
Un renouvellement très important des moyens de la marine nationale est en cours. Entre 2017 et 2026, treize navires neufs auront été mis en service dans les territoires d'outre-mer, dont neuf dans la zone indopacifique. Quatre frégates y patrouillent. Au-delà des moyens, nous voulons renforcer les coopérations avec nos partenaires amicaux. Il nous faut multiplier les exercices militaires conjoints, lutter contre la pêche illégale, répondre aux enjeux climatiques, impliquer l'Europe dans la région - c'est l'enjeu du programme UE-PTOM, si la Commission maintient le financement.
Mme Annick Petrus . - Le secteur de la pêche, à Saint-Martin, ne constitue pas encore une vraie filière agricole. Fin 2021, seuls 21 pêcheurs professionnels y exercent. Une part importante de l'activité reste artisanale, liée au loisir ou à la subsistance, et l'absence d'équipements de transformation nous rend dépendants d'Anguilla pour répondre à la demande locale.
La chambre consulaire de Saint-Martin a désormais la capacité réglementaire d'installer et d'animer un comité territorial des pêches. Un conventionnement est en cours.
Pour développer le secteur du nautisme, la collectivité termine un programme de formation aux métiers de la mer pour nos jeunes saint-martinois. L'État pourrait-il nous accompagner pour installer deux points de débarquement, une zone technique de pêche et pour la modernisation de la flotte ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Entre 2021 et 2027, le fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) est passé de 700 000 à 3,8 millions d'euros rien que pour Saint-Martin.
L'aide au renouvellement de la flotte est un autre sujet. Le dispositif d'aide pour Saint-Martin n'avait pas été notifié à Bruxelles. Nous allons le faire d'ici la fin du mois, mais nous retrouvons le sujet des négociations avec Bruxelles. Saint-Martin doit rentrer dans le système d'aide global.
Mme Viviane Artigalas . - Les îles Éparses, dans le canal du Mozambique, représentent 43 km2 de surface terrestre, mais leurs eaux s'étendent sur 640 000 km2, soit 6 % du territoire maritime français. C'est un sanctuaire exceptionnel pour la biodiversité marine. Toute pêche y est interdite et la présence militaire y est permanente.
Mais leurs ressources halieutiques, énergétiques et minières nourrissent les convoitises de Maurice et de Madagascar, et les îles Éparses sont devenues un enjeu de souveraineté. Dans le prolongement des efforts du président Hollande et de son homologue malgache, comptez-vous négocier une solution équilibrée pour répondre aux enjeux écologiques et interdire la pêche illégale ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Ces îles représentent une richesse extraordinaire. Le président Macron est sur la même ligne que le président Hollande : la défense de la souveraineté française sur ce territoire. La commission mixte avec Madagascar se réunira prochainement pour évoquer ce différend territorial. Une feuille de route sur la recherche dans les îles Éparses sera bientôt signée. L'armée française y est présente, et le Président n'entend pas baisser la garde, bien au contraire, mais rendre ces îles utiles pour la recherche.
Mme Viviane Artigalas. - J'ai fait dans ces îles une tournée de souveraineté avec d'autres sénateurs. Ces îles précieuses sont convoitées : il faut rester vigilant et affirmer la souveraineté française.
M. Dominique de Legge . - La France est présente sur l'ensemble des océans. Je rends hommage aux 8 500 militaires qui assurent ces missions, ainsi qu'au personnel civil.
Les eaux dont nous avons la charge nous amènent à être partenaires d'une quarantaine de pays, souvent en voie de développement. Comment l'Agence française de développement (AFD) coopère-t-elle avec nos forces de souveraineté, au profit des pays concernés, pour faire mieux accepter leur présence ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Je suis en étroite relation avec Philippe Le Houérou, le président de l'AFD. L'action dans le Pacifique est prioritaire. Avec Mme Colonna, nous sommes convenus de travailler à ces coopérations. Le sujet concerne notamment l'immigration : le Smic à Madagascar est à 40 euros, plus faible encore aux Comores ; à Saint-Domingue, un salarié du tourisme touche 400 euros, bien moins qu'en Guadeloupe. La France doit agir pour que ces pays voisins se développent, c'est aussi l'enjeu de l'insertion régionale. L'action de l'AFD doit être coordonnée avec nos objectifs de développement. Avec le président Le Houérou, nous travaillons à un système d'affacturage public pour apporter un bol d'air à la trésorerie des petites entreprises ultramarines.
M. Dominique de Legge. - Je me réjouis de vos relations avec l'AFD, mais cela ne suffit pas. J'ai rendu ce matin un rapport sur l'engagement de nos forces de souveraineté. Nos difficultés avec les pays voisins pourraient être atténuées si la présence française était mieux coordonnée avec les moyens de l'AFD. J'entends votre engagement, mais il y a de nombreux progrès à faire.
Mme Vivette Lopez . - La mer, ses richesses et les perspectives liées méritent de s'inscrire dans l'avenir de notre pays. La septième préconisation du rapport appelle à développer les classes « enjeux maritimes » dans les établissements scolaires. Notre jeunesse doit être poussée vers le large et sensibilisée aux enjeux maritimes, à l'âge où se créent les vocations.
Je salue le commandant du Marion Dufresne qui, en collaboration avec l'Ifremer, a mené une centaine de jeunes de Mayotte et de La Réunion à bord de son navire pendant un mois.
Les classes « enjeux maritimes » sont nées au lycée français de Barcelone pour faire prendre conscience aux élèves qu'ils font partie d'une grande nation maritime. Déjà 27 projets sont lancés à l'échelle nationale. Je constate avec regret que toutes les classes ne sont pas répertoriées. Quelles obligations comptez-vous prendre pour développer ces classes en outre-mer ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Les outre-mer montrent la voie en développant ces classes. Le projet Ecole Bleu Outremer que vous avez cité a été entièrement organisé par le ministère de l'outre-mer. Il est d'autant plus bienvenu qu'il a eu lieu dans le canal du Mozambique.
Un lycée de la mer devrait ouvrir à La Réunion en 2027, un lycée professionnel maritime à Mayotte en 2028.
Nous tentons de réformer notre système de soutien aux associations. Il faut demander à ma directrice adjointe de cabinet, qui réserve un bon accueil à toutes les demandes émanant du milieu scolaire.
M. Didier Mandelli . - Je ferai le lien avec le projet de loi énergies renouvelables que nous examinerons bientôt, dont je suis le rapporteur.
De nombreux facteurs rendent la transition énergétique plus urgente encore dans les outre-mer qu'en métropole.
L'objectif fixé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 d'une autonomie énergétique des outre-mer en 2030 ne sera pas atteint. Les énergies renouvelables y représentent moins de 30 % du mix électrique - plus de 50 % en Guyane, mais moins de 10 % à Mayotte ou à la Martinique. L'Ademe estime qu'ils pourraient atteindre l'autonomie énergétique en 2035, à condition d'être accompagnés dans la durée.
Éolien offshore, énergie houlomotrice, énergie thermique des mers : malgré un vaste potentiel, les énergies marines renouvelables occupent une place marginale. Outre les difficultés techniques et financières, les technologies doivent être adaptées aux spécificités de chaque territoire.
Alors que les outre-mer s'attellent à la révision de leur programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), que prévoit le Gouvernement pour y accentuer le développement des énergies maritimes renouvelables ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Il faut d'abord signer les PPE ! Seule La Réunion l'a fait. Les territoires doivent arrêter de tourner en rond, et accélérer.
Les énergies renouvelables seront prises en compte de gré à gré ou sur des appels d'offres. Je me suis fâché avec le ministère de la transition énergétique, car ceux-ci n'étaient pas lancés : ils le seront bientôt. Toutefois, ils ne doivent pas cacher la nécessité de conserver une énergie bioliquide, avec une grosse usine, pour stabiliser les approvisionnements. Il faut accepter de payer une usine fonctionnant au minimum de ses capacités pour assurer la sécurité.
Lorsque je présidais la Commission de régulation de l'énergie, il a été décidé que, dans le cadre d'une PPE, les études seraient financées par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour l'éolien en mer.
Les outre-mer peuvent être fiers de l'innovation en matière énergétique. Mais encore faut-il que les PPE soient votées, sans quoi les opérateurs n'avanceront pas !
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - L'échange a été très riche. Je remercie le ministre et nos collègues d'avoir abordé ces problématiques qui concernent en réalité la place de la France dans le monde, et je salue le travail d'évaluation et de proposition de nos rapporteurs.
L'ambition de la délégation est de replacer les outre-mer au coeur de la stratégie nationale, ce qui a fait défaut en 2017. Nous espérons que le Parlement sera à l'avenir associé à l'élaboration de la stratégie maritime et que les outre-mer y auront toute leur place.
Le Conseil national de la mer et des littoraux se veut un « parlement de la mer », mais cette instance n'a pas la légitimité du Parlement.
Il faut engager une révolution culturelle autour de l'océan.
L'espace maritime est au confluent des grands enjeux géopolitiques, sécuritaires, diplomatiques. Avec ses 23 000 km de frontières maritimes, la France est le seul pays présent sur les quatre océans.
Nous devons prendre en compte également les enjeux de communication, alors que 94 % du commerce mondial est maritime, et que 95 % des données passent par des câbles sous-marins, les enjeux énergétiques, les enjeux scientifiques et de recherche. Je vous renvoie au débat d'hier sur les abysses et au rapport de MM. Canévet et Rohfritsch.
Les enjeux climatiques et environnementaux ne sont pas les moindres : les outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française.
L'éducation et la formation sont deux leviers indispensables pour encourager l'acculturation au fait maritime. Notre rapport avance plusieurs propositions à ce sujet, comme un brevet d'initiation à la mer ou une meilleure orientation des jeunes vers les métiers de la mer.
La conjonction de la double présidence française du Conseil de l'Union européenne et de la Conférence des RUP par la Martinique est à saisir. Les collectivités ultramarines souhaitent être davantage associées aux réunions de haut niveau par le ministère des affaires étrangères. Une approche coordonnée serait bénéfique.
Les outre-mer sont un levier pour la stratégie indopacifique, qui ne doit pas se limiter à une dimension militaire. Le secrétaire d'État à la mer a parlé hier d'Indo-Océanie, ce qui traduit peut-être une approche spécifiquement française de cette région qui apparaît comme le nouveau centre de gravité du monde.
Ce qui est vrai pour l'Indo-Pacifique est vrai pour la stratégie maritime : les outre-mer sont la clé de la réussite de la stratégie française. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.