Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran ».
Le Sénat, par ce débat inscrit à l'ordre du jour suivant la proposition des groupes politiques, souhaite honorer la mémoire de Mahsa Amini, de Hadis Najafi et de toutes les victimes de la répression en Iran, dont nous saluons unanimement le courage.
Mme Annick Billon . - Le 16 septembre dernier, la mort de Mahsa Amini après son arrestation par la police des moeurs en Iran nous a profondément choqués. Depuis trois semaines, la contestation, inédite, ne faiblit pas, mais la répression sanglante organisée par le régime non plus. Plus de cent morts et un millier d'arrestations arbitraires... La police n'hésite plus à entrer dans les universités pour réprimer les étudiants.
Sous Hassan Rohani, nous pensions à une légère amélioration de la situation des femmes en Iran. Mais l'élection du président Raïssi a mis un terme aux espoirs. Amnesty International dresse un constat sans appel : les discriminations envers les femmes sont très nombreuses et toutes les inégalités entre hommes et femmes perdurent.
L'âge légal du mariage est toujours fixé à 13 ans ; il peut même y être dérogé. Le port du voile est le prétexte de toutes les brimades possibles.
« Femmes, vie, liberté ! », voilà le magnifique slogan des manifestants : il faut le faire nôtre.
La communauté internationale, si elle est attachée à la défense des droits des femmes, doit envoyer un message unanime.
Quelles actions en faveur de la contestation iranienne le Gouvernement compte-t-il mettre en place ? Des sanctions européennes seraient en discussion. Qu'en est-il ?
Et comment se fait-il que l'Iran ait été élu, l'an dernier, à la commission de la condition de la femme de l'ONU ? L'Iran a-t-elle vraiment sa place dans cette instance internationale, dont le but est la promotion de l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes ?
Faisons nôtre ce slogan : « Femmes, vie, liberté ! » (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Laurence Cohen et Mélanie Vogel applaudissent également.)
Mme Esther Benbassa . - En Iran, depuis la mort de Mahsa Amini à cause d'une mèche de cheveux qui dépassait de son voile, la contestation et la répression ne faiblissent pas. Désormais, c'est le guide suprême et son régime qui sont remis en question. Le Président Macron, lui, se drape dans son silence, pour ne pas froisser ce grand vendeur de pétrole. Lors de ses récents échanges avec l'ultraconservateur Raïssi, il s'est borné à demander une enquête transparente, préférant se concentrer aux Nations unies sur le nucléaire iranien.
En Iran, la contestation spontanée met en avant les artistes, des sportifs, mais le pouvoir annonce qu'il s'en prendra à toutes les célébrités qui, dit-il, souffleront sur les braises. En France, le réalisateur Asghar Farhadi et l'écrivaine Marjane Satrapi ont pris position ; une cinquantaine de personnalités se sont filmées se coupant une mèche, en signe de soutien. Chacun doit s'associer à cette initiative. Quant à nous, politiques, mobilisons-nous, sans frilosité ! Et n'instrumentalisons pas la lutte des Iraniennes pour régler nos différends intérieurs sur la question du voile dans notre pays...
L'enjeu de nos engagements est clair : liberté et droits humains. Je regrette que nous soyons peu nombreux aujourd'hui pour soutenir les Iraniennes et les Iraniens. (Mmes Nassimah Dindar et Marie-Arlette Carlotti applaudissent.)
Mme Guylène Pantel . - (M. André Guiol applaudit.) Au nom du RDSE, je remercie les organisateurs de ce débat, fondamental pour tous ceux qui se réclament de l'humanisme.
La disparition de Mahsa Amini fait suite à une arrestation violente par la police des moeurs. Le journal d'opposition en exil Iran International a révélé un scanner de son crâne : fracture osseuse, hémorragie et oedème cérébral indiquent un passage à tabac. Voilà la réalité de cet État totalitaire et répressif : femmes, LGBT et minorités ethniques et religieuses font face à des discriminations quotidiennes. Libertés d'expression et d'association n'existent pas. Les médias sont censurés. En matière judiciaire, les principes fondamentaux sont piétinés. La peine de mort est infligée après des procès grotesques.
Les informations qui nous parviennent, difficilement, montrent les dangers que courent les manifestants.
Notre pays se doit de promouvoir ses valeurs républicaines et de soutenir tous les messages pour la liberté et l'égalité des droits, face à un patriarcat qui tue et blesse.
Il faut soutenir concrètement les populations en danger, par des actions coordonnées à l'échelon européen. Nous devons manipuler avec précaution les mesures de restriction pour ne pas fragiliser les plus faibles. Un accord de protection nous paraît opportun, tant que le droit iranien ne respecte pas le droit international. Nous souhaitons également la saisine du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, pour ouvrir une enquête indépendante sur place. Il faut enfin une offensive numérique, en accompagnant les initiatives visant à redonner aux Iraniens un accès normal à internet.
La France doit préserver l'humain et soutenir le slogan « Femmes, vie, liberté ! ». (Mmes Nassimah Dindar, Marie-Arlette Carlotti et M. André Guiol applaudissent.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Le 16 septembre, Mahsa Amini est morte des mains de la police iranienne des moeurs pour avoir mal porté son voile. La futilité du motif rend ce décès plus révoltant et nous rappelle la réalité que vivent les Iraniennes sous la brutalité des sbires de ce régime anachronique, où la vie d'une femme ne vaut que la moitié de celle d'un homme.
Mahsa Amini avait un autre tort, celui d'être kurde. Sa mort a enflammé la contestation, c'est une vraie traînée de poudre qui a allumé le brasier. Dans cette « révolution des femmes », les Iraniennes descendent tête nue sous les acclamations de la foule, elles se coupent les cheveux et brûlent leur voile, dans des scènes que nous ne pouvions imaginer il y a encore quelques semaines. Les femmes iraniennes sont aujourd'hui soutenues par les hommes iraniens : « Femmes, vie, liberté » est davantage qu'un cri de colère, c'est un rejet mais aussi un projet et l'affirmation de valeurs pleines de courage.
Quelle sera l'issue du mouvement ? Certains y voient le prolongement des grandes manifestations de 2017 et 2019, mais l'ampleur est tout autre et l'on peut y voir les prémices de l'effondrement du régime. La répression sera féroce et sans indulgence aucune. La violence s'élance même au-delà du territoire iranien, Téhéran prenant prétexte de la crise pour frapper des installations kurdes en Irak.
Le pouvoir a lancé un message sans équivoque contre les artistes et les joueurs de football de l'équipe nationale, qui ont déclaré : « les cheveux de nos filles sont recouverts d'un linceul ».
Les sanctions européennes n'auront guère d'effets concrets mais restent indispensables. La France devra mobiliser les instances internationales, qui doivent se saisir d'urgence de la situation. Le pouvoir doit être mis sous pression. Les Iraniennes doivent aussi sentir qu'elles ne sont pas seules.
Ali Shariati disait, dans son livre La cage dorée : « Si vous ne pouvez éliminer l'injustice, au moins racontez-la nous ». (Mme Valérie Boyer, M. François Patriat et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent.)
M. Claude Malhuret . - Le temps des dictateurs est revenu. Les démocraties semblaient avoir vaincu au XXe siècle, terrassant les deux totalitarismes aux dizaines de millions de morts. Mais les massacreurs se sont regroupés, l'internationale des tyrans se reforme : le boucher de Moscou, le génocidaire des Ouïgours à Pékin, le docteur Folamour de Corée du Nord, le massacreur de Téhéran se regroupent pour se venger de l'Occident et mettre à bas la liberté, et d'abord celle des femmes. Le pire est que, comme au siècle dernier, ils ont des alliés dans nos propres pays, ceux qui, par exemple, disent que le voile est seyant - et ces populistes de tous bords partagent avec les despotes la haine de la démocratie.
Les professionnels de l'indignation, ceux qui dénoncent le racisme systémique ou prétendent que nous ne sommes pas en démocratie, ne se sont guère montrés aux manifestations de soutien aux femmes iraniennes. Étaient-ils partis en week-end ? Pendant que les femmes se font tuer en Iran, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l'éloge d'un gifleur ou juger les harceleurs dans des « comités de transparence » - l'oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat.
Dimanche dernier, place de la République, les Iraniens et les Iraniennes ont su leur donner une grande leçon de laïcité... En signifiant à Sandrine Rousseau qu'elle n'était pas la bienvenue, ils ont rappelé cette évidence : on ne peut être pour le voile à Paris, tout en soutenant celles qui le brûlent à Téhéran... En sifflant Manon Aubry, ils ont dit qu'un parti ne peut marcher avec les islamistes en 2019 et soutenir les victimes de l'islamisme trois ans plus tard ! (Mmes Nassimah Dindar, Sylvie Vermeillet et M. François Patriat applaudissent.) Ils nous ont rappelé qu'entre le communautarisme et l'humanisme, il faut choisir !
Chantal de Rudder nous le dit : le voile n'est pas un objet cultuel, mais politique, c'est le produit phare de l'islamisme, une affirmation anti-occidentale et anti-démocratique. Aux naïfs qui croient que se voiler est un choix, aux décoloniaux qui n'ont jamais lu un livre d'histoire il faut rappeler que la lutte contre le voile n'est pas une oppression néocoloniale. Bourguiba appelait le voile « l'épouvantable chiffon », Atatürk l'avait, le premier, interdit en Turquie dans les années 1920, Nasser s'en est moqué lui aussi... (Mme Nassimah Dindar approuve.)
Les femmes iraniennes reprennent aujourd'hui le combat contre les mollahs, les ayatollahs, les dictateurs et leur police des moeurs.
C'est un coup de poignard dans le dos des combattantes qu'enfoncent Sandrine Rousseau ou Roukhaya Diallo, pour qui « la liberté peut aussi être dans le hijab ». Combien de morts en Iran pour qu'elles cessent de danser le moonwalk en faisant semblant de faire avancer la cause des femmes, alors qu'elles la desservent ?
Le XXIe siècle s'annonce aussi dangereux que le précédent. Ceux qui croient que nous ne sommes pas en guerre font une erreur tragique. Les dictateurs, eux, savent qu'ils sont en guerre contre nous. Rallions-nous au cri des Iraniennes et Iraniens : liberté ! (Applaudissements sur de nombreuses travées)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Pour danser dans la rue, pour toutes les fois où nous avons peur de nous embrasser, pour respirer un air pur, pour les étudiants, pour les enfants et leur avenir, pour cette petite fille qui rêve d'être un garçon : femmes, vie, liberté.
Voilà quelques paroles de la chanson « Baraye » de Shervin Hajipour, formée de tweets contestataires recueillis ces derniers jours.
Aujourd'hui, la contestation est un mouvement de masse guidé par les femmes, qui agrège les hommes, les minorités, les pauvres, les universitaires, les paysans, tous ceux qui veulent respirer, vivre et aimer.
La lutte féministe déploie sa puissance révolutionnaire. Ce n'est pas une révolte, mais une révolution, qui ne se calmera pas.
Les femmes entraîneront un jour ou l'autre la chute de ce régime. Les femmes, réclamant la liberté pour elles, peuvent réclamer la liberté tout court.
On entend dire que les combats féministes sont secondaires, marginaux. Les Iraniennes qui descendent dans la rue, dansent dans la rue, prouvent qu'ils sont à l'avant-garde de tous les autres. Elles se battent pour des valeurs qu'elles n'empruntent pas à l'Occident, mais qui sont les leurs.
Face à la répression, nous devons non seulement parler, mais agir. Un premier train de sanction a été émis le lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Cela fait dix-neuf jours que les Iraniennes sont descendues dans la rue, nous n'en sommes qu'à évoquer la possibilité de parler de sanctions... lors du prochain conseil des affaires étrangères, le 17 octobre, un mois après le début du mouvement ! Je vous propose une chose : nous pouvons écouter, faire écouter l'hymne révolutionnaire qu'en Iran on n'a pas le droit d'écouter librement. (L'oratrice fait entendre une chanson iranienne dans l'hémicycle.) Je vous remercie. (Applaudissements sur la plupart des travées)
Mme Samantha Cazebonne . - La mort de Mahsa Amini nous choque profondément. Débattre de l'atteinte aux droits des femmes à 5 000 km de Téhéran n'est pas vain : la liberté n'est jamais acquise, elle s'acquiert et s'exerce, notre présence en témoigne.
Le combat pour la liberté et contre les violences faites aux femmes est loin d'être gagné. La France doit promouvoir l'universalisation de la convention d'Istanbul, meilleure arme pour lutter pour les droits des femmes. Le régime de sanctions de l'Union européenne en matière d'atteinte aux droits de l'homme doit aussi être mobilisé.
Plus de 80 % des Français vivant en Iran sont des binationaux. Or l'Iran ne reconnaît pas cette double nationalité, ce qui empêche des rapatriements. Cette communauté binationale, très sensible à la question du droit des femmes, est donc particulièrement exposée au risque d'une arrestation et d'un jugement inéquitable. Le ministère iranien a annoncé l'arrestation de neuf binationaux, dont un Français. La France doit tout mettre en oeuvre pour protéger ses ressortissants. Notre groupe condamne la répression et soutient la demande de liberté des femmes iraniennes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; M. Yan Chantrel applaudit également.)
Mme Marie-Arlette Carlotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le sang coule en Iran, et d'abord celui des femmes. Cette révolte porte le nom de Mahsa Amini, dont le visage martyr est devenu le symbole de l'iniquité du régime. Les images qui nous parviennent de ces femmes se coupant les cheveux et bravant la répression nous serrent la gorge. Le chant « Bella ciao » devient bouleversant, entonné par les Iraniennes qui risquent leur vie.
En 1979, avant l'instauration de la République islamique d'Iran, Khomeini considérait la liberté des femmes comme le principal obstacle à la réussite de son régime. Depuis, les femmes sont exilées aux confins de la République et leur situation s'est encore dégradée depuis l'élection de l'ultraconservateur Raïssi. D'horribles crimes ont été commis : vitriol, lapidation ; la femme a été sacrifiée au nom de l'honneur, de la famille, de l'État. Cependant, les femmes n'ont jamais baissé les bras et sont les avant-postes du soulèvement.
La révolte de ces femmes qui ne supportent plus le voile est devenue une contestation du régime, gagnant toutes les villes, toutes les provinces. Au cri de « mort au dictateur », les Iraniens demandent le renversement du régime corrompu des mollahs, alors que 50 % à 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les femmes, les avocats, les enseignants sont réprimés. Les minorités sont dans une situation alarmante. La liberté d'association est entravée, celle de la presse inexistante. La République islamique, héritière d'un empire multiethnique, est réfractaire à tout particularisme.
Les cinéastes, les journalistes sont arrêtés arbitrairement. La population est excédée et aspire à plus de liberté. La succession du guide suprême, octogénaire à la santé chancelante, mais qui trouve tout de même l'énergie de condamner la communauté internationale, viendra. Les autorités recourent à la violence et tuent à chaque manifestation. Est-ce que ce mouvement de révolte portera une révolution ? Ces femmes font preuve d'un courage incroyable, et nous devons être à la hauteur. La France doit parler plus fort pour dénoncer cette répression sanglante. Les avoirs vont-ils être gelés et les interdictions de voyager mises en oeuvre, alors que le régime se sert des négociations sur le nucléaire pour obtenir le silence de la communauté internationale ?
La France doit défendre ceux qui se battent pour la liberté. (Applaudissements)
M. Pierre Laurent . - « Femmes, vie, liberté ! » : tel est le cri qui retentit depuis trois semaines dans les rues iraniennes. Nous devons soutenir cet appel.
Le lâche assassinat de Mahsa Amini est devenu un symbole. Son crime : avoir mal porté le foulard, instrument de la soumission imposée par le pouvoir théocratique.
Depuis 1979, les femmes iraniennes sont exposées aux violences patriarcales d'un régime autoritaire. Cela s'est aggravé depuis l'arrivée au pouvoir de Raïssi en 2021. L'intelligence artificielle est désormais utilisée pour identifier les femmes « mal voilées ». La violence s'exerce sur toute la population, les jeunes, les Kurdes, les ouvriers, au profit du cercle d'oligarques prédateurs autour du pouvoir.
La répression est féroce : des dizaines de morts, des centaines d'arrestations arbitraires.
Cette révolte est un signe d'espoir pour les femmes kurdes en lutte en Turquie, pour les femmes d'Afghanistan, d'Arabie saoudite et du Golfe, pour les femmes victimes de viols conçus comme des armes de guerre, pour les femmes luttant contre les violences sexistes et la remise en cause de l'IVG, celles qui sont victimes des réseaux prostitutionnels révélés par le rapport de la délégation aux droits des femmes. C'est toute la domination patriarcale et sexiste qui est en cause. Les femmes iraniennes ne secouent pas seulement leur voile mais les fondements du régime. En 2009, 2017, 2018, 2019, d'autres mouvements de contestation avaient eu lieu.
Le peuple iranien ne veut plus de cette dictature. Urbanisé, sécularisé, il n'a cessé d'élever son niveau d'éducation, particulièrement les femmes, quand ses structures politiques se sont fossilisées.
La mise au ban de l'Iran par les États-Unis a nourri, et non combattu, la radicalisation répressive du régime. Tout le peuple paie une grave crise économique à laquelle s'ajoute le lourd tribut du covid. Un quart des jeunes est au chômage, la moitié de la population vit dans la pauvreté.
La solidarité avec les Iraniennes s'inscrit dans la lutte pour l'émancipation des femmes et pour un nouvel ordre mondial juste, dans lequel l'Iran serait en paix avec ses voisins. La France doit agir dans ce sens. Selon le proverbe iranien, « Quand la corde de l'injustice grossit outre mesure, elle se déchire ». Puisse-t-elle se déchirer au plus vite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Laurent Lafon . - La mort de Mahsa Amini a déclenché un mouvement global de contestation. Son nom est devenu un symbole. Dans le régime répressif en place depuis 1979, les femmes ne disposent pas de leurs droits fondamentaux. L'accès aux réseaux sociaux est restreint et la censure règne.
Le contournement de la censure est un crime. Des milliers de personnes ont été interrogées, des centaines emprisonnées pour avoir exprimé leur opinion : enseignants, artistes, journalistes, comme Farida Abdelka ou le chercheur suédo-iranien Ahmadreza Djalali, condamné à mort.
Les contestations ne cessent de prendre de l'ampleur. Les universités sont le théâtre de violents affrontements, les étudiants scandent qu'ils préfèrent la mort à la répression. Dimanche dernier, des étudiants de la prestigieuse université Sharif ont essuyé des tirs lors de l'intrusion de la police dans leur campus. Certains sont restés bloqués, avant d'être emmenés par dizaines avec leurs professeurs, cagoule noire sur la tête, dans des fourgons de police.
Étudiants et professeurs de nombreux pays ont exprimé leur soutien et leur inquiétude.
Iran Human Rights fait état de 90 morts et le ministère des renseignements revendique l'arrestation de neuf ressortissants étrangers.
L'avocate iranienne Sherin Ebadi a récemment demandé aux pays occidentaux de réduire les contacts avec l'Iran. Tel est le sens de notre demande. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Valérie Boyer . - Depuis deux semaines, des femmes courageuses risquent leur vie. Je regrette que nous ne parlions pas davantage des femmes arméniennes tuées et filmées par les Azéris, comme Anoush Abetyan. Il ne peut y avoir de hiérarchie de l'horreur : le sang des Arméniens coule, comme celui des Ukrainiens et des Iraniens. Ne les abandonnons pas. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)
L'Union européenne et le Conseil de l'Europe enchaînent des communications pro-voile. Doit-on y voir la patte d'Erdogan, ou des Frères musulmans ? Les institutions démocratiques sont détournées pour défendre un enfermement dans le sexe, un interdit de liberté, un interdit d'égalité, un interdit de fraternité.
L'Europe ne saurait être le cheval de Troie des islamistes. Pourtant, aucune sanction n'a été envisagée à l'encontre du Conseil de l'Europe ou des associations qui promeuvent indignement le voile.
Certains, certaines, affirment que porter le voile serait une marque de liberté. Ces militants feraient bien d'écouter les Iraniennes et de lutter contre le communautarisme plutôt que d'abandonner les femmes d'Arabie Saoudite et du Maghreb, comme celles de nos quartiers.
Le voile est une forme de purification vestimentaire, l'uniforme de l'islamisme. Alors que des adolescentes se rendent à l'école en tenue islamique, le ministre de l'éducation nationale reste muet. L'école n'est plus un sanctuaire. (Mme Esther Benbassa proteste.) Là où la France s'y construisait, elle s'y détruit désormais.
L'école construit, l'islamisme détruit. Aujourd'hui, c'est à l'école que la France se défait.
En enlevant aux femmes leur visage, on leur enlève leur humanité.
M. Xavier Iacovelli. - Et sur l?Iran ?
Mme Valérie Boyer. - Nous avions défendu des amendements lors de la loi Séparatisme, que vous aviez qualifiés de « textiles ».
Nous ne pouvons accepter qu'une petite fille porte en France ce signe d'invisibilisation. Nous le devons à celles et ceux qui se réfugient en France pour leur liberté et risquent leur vie avec courage pour refuser le voile. « Femmes, vie, liberté ! », un beau slogan. Ayons du courage : soutenons les femmes iraniennes et refusons ces marques d'infériorisation dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Voilà quarante-trois ans que les Iraniennes et les Iraniens, après avoir fait tomber la dictature du Shah, vivent sous une autre dictature, que nous accueillons nos amis féministes, démocrates, syndicalistes, kurdes, homosexuels, poursuivis là-bas, et que nous les soutenons, pour ne pas s'habituer aux persécutions.
Quarante-trois ans que la République islamique d'Iran impose au monde sa haine des femmes et des Juifs. Chaque matin, nous regardons des vidéos et tremblons de peur, alors que des Iraniennes et des Iraniens risquent leur vie. La révolution féministe qui a émergé entraîne une insurrection générationnelle, et reçoit l'approbation de la population. Les femmes, obsession de l'islamisme, en sont aussi la principale menace. Parce que leur combat est universel, elles sont le ferment de la libération. Les Iraniens ne s'y trompent pas : personne n'est libre dans un pays où les femmes ne le sont pas.
Mes collègues ont eu des mots forts et beaux pour dire leur solidarité, leurs craintes devant la répression sauvage qui s'abat.
Cependant, en toute courtoisie, j'appelle à ne pas saisir le prétexte de la révolte en Iran pour nourrir nos discussions franco-françaises ou franco-européennes sur le voile islamique - je peux me le permettre, car je n'ai jamais hésité à qualifier ces oripeaux d'instrument de l'oppression des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Esther Benbassa, Mélanie Vogel et Nassimah Dindar applaudissent également.)
Toutes les femmes de la planète sont concernées, car les fous de Dieu ne sont pas tous islamistes. Ils sont aussi à la Cour suprême des États-Unis ou dans les favelas de Rio, à drainer les voix des classes populaires en faveur du fasciste Bolsonaro. Combattre les fous de Dieu est de notre responsabilité partout. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST, du RDPI et du groupe UC ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Hugues Saury . - Malala Yousafzai avait 15 ans lorsqu'elle a reçu une balle dans la tête en allant à l'école. Amina Ali en avait 17 lorsqu'elle a été enlevée par Boko Haram. Mahsa Amini en avait 22 lorsqu'elle est morte dans les geôles iraniennes après avoir laissé échapper quelques mèches de cheveux de son voile. Toutes avaient en commun de vouloir vivre libres là où le pouvoir le leur interdisait, parce que femmes.
Mahsa Amini a suscité le courage admirable de plus de 60 personnes qui ont donné leur vie et de milliers d'autres qui risquent la leur dans les rues d'Iran. Alors que nos allégories de liberté ont les traits de femmes, leur lutte trouve chez nous un écho particulier.
Pour que chacun puisse vivre sans crainte et que les femmes ne meurent pas pour ce seul fait, l'Occident doit être cohérent face à un pays qui fait de l'oppression des femmes un marqueur politique. La radicalité, religieuse ou politique, n'a sa place ni dans nos principes ni dans nos traités ou nos lois. Ne laissons pas se répandre chez nous ce que les femmes iraniennes veulent voir disparaître chez elles.
Le radicalisme s'embarrasse peu des frontières : il existe en Europe et dans notre pays. Ne chérissons pas les causes dont nous déplorons les effets : le délai d'expulsion d'Hassan Iquioussen, la multiplication des atteintes à la laïcité à l'école, la campagne du Conseil de l'Europe « La liberté dans le hijab » ne sont que des exemples. (Mme Valérie Boyer approuve.)
Mais la condamnation unanime ne suffit pas : nous devons défendre nos principes. Vous engagez-vous, madame la ministre, à propager la voix des Iraniennes dans les instances nationales et internationales ? Vous engagez-vous à oeuvrer pour qu'aucun soutien - ni moral, ni économique, ni politique - ne soit offert aux partisans de ces idéologies ? Vous engagez-vous devant Malala Yousafzai, Amina Ali et Mahsa Amini à ne jamais tendre la main à ceux qui ont voulu les détruire ? Le courage des Iraniennes et des Iraniens appelle le nôtre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER ; Mme Valérie Boyer applaudit également.)
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je vous remercie pour vos intentions, largement convergentes entre elles et avec nos propres lignes.
Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte sous les coups de la police des moeurs d'Iran. Une vie détruite, pourquoi ? Pour une mèche de cheveux ? Quelques jours plus tard, tant d'autres subissaient la même violence, avec la répression du régime d'Iran, de Qom à Mashhad, Téhéran, Chiraz et Ispahan, parce que les femmes osaient affirmer que leur dignité valait autant que celle d'un homme.
« Femmes, vie, liberté ! » : c'est ce cri que le régime cherche à étouffer par la violence, alors que les ONG font état de 100 victimes et plus de 1 000 arrestations. C'est aussi ce cri que la diaspora entonne en écho, de Paris à Londres, Rome, San Francisco ou encore à Erbil.
Dès le 19 septembre, la France a condamné la mort de Mahsa Amini et la violence employée contre les manifestants. Nous avons appelé au respect des droits de manifester et d'exercer le métier de journaliste. Les autorités iraniennes ont vu cela comme une forme d'ingérence et ont cru bon de le faire savoir à notre ambassade : faute d'ambassadeur, j'ai convoqué vendredi dernier le chargé d'affaires iranien pour lui dire ce que nous pensions de leurs méthodes.
Ce qui se joue, c'est la liberté, la fin de la répression contre des femmes et des hommes luttant pour leur dignité et que nous dénonçons, à Genève et dans toutes les enceintes internationales comme dans nos échanges bilatéraux. L'Iran a adhéré en 1975 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.
Madame Billon, en effet, l'Iran a adhéré à la commission des Nations unies sur la condition de la femme, ce sur quoi nous n'avons pas de contrôle. Cet organe reste utile, car il produit des documents de référence sur la situation des droits des femmes dans chaque pays.
L'aspiration à la liberté s'exprime partout : les femmes d'Iran veulent être libres, et beaucoup d'Iraniens les soutiennent. Elles aspirent au respect de leur égale dignité et leur courage nous oblige. Nous les soutenons et continuerons à le faire.
Nous agissons en première ligne avec nos partenaires européens, en lançant des travaux préparatoires à des sanctions - gel des avoirs, interdiction de voyager - contre les personnes responsables des violences. Nous espérons, madame Carlotti, que cela sera décidé d'ici huit à dix jours.
Madame Vogel, l'Iran n'a pas encore accepté de texte sur les négociations nucléaires : l'arrêt de son programme serait souhaitable, vous le savez.
Nous continuons d'appeler l'Iran à mettre fin aux discriminations, aux mariages précoces, et lui demandons d'accorder aux femmes l'accès à leurs droits. L'oppression est brutale, enracinée dans les lois et les moeurs du régime.
Or aucune société ne peut se développer sereinement sans égalité entre femmes et hommes. Une société injuste avec les femmes l'est envers tous. Nous continuerons à dénoncer les arrestations de militants, cinéastes, étudiants, journalistes et les exécutions, y compris de mineurs, car telle est notre responsabilité et notre devoir moral et politique. Nous devons défendre nos valeurs. La femme est l'égale de l'homme, en Iran comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.