La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer ».
Mme Jocelyne Guidez . - Incendies, tirs, pillages, violences urbaines, barrages et rackets rythment le quotidien en Guadeloupe et désormais en Martinique.
La vie de certains patients est en péril. Le climat d'insécurité est réel. Les émeutiers tirent parfois à balles réelles. J'apporte mon soutien aux forces de l'ordre.
La question de l'autonomie a été hâtivement posée sur la table des discussions. Fille d'un père martiniquais, je suis choquée de cette façon d'abandonner ce territoire à son sort ; elle confirme l'incapacité du Gouvernement à proposer une sortie de crise.
Les sénateurs UC attendent une politique transversale tenant compte des besoins des territoires ultramarins.
La contestation contre le passe sanitaire et le vaccin n'est que la partie visible de l'iceberg. La population attend une réponse économique et sociale, plus que sanitaire.
L'obligation vaccinale est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, même si je n'approuve pas une telle résistance à la vaccination.
Les revendications sont nombreuses : l'emploi, l'eau, le pouvoir d'achat, le prix des carburants et du gaz, le mal-être social et économique. Accablée par les émeutes de rue, la population attend d'abord le retour au calme.
Il est indispensable de rétablir l'ordre public pour permettre à nos îles de reprendre une vie normale et d'engager les discussions. Le blocage des routes perturbe l'activité économique et provoque des pénuries de produits de première nécessité.
Ces images sont catastrophiques pour la saison touristique. Les touristes sur place avancent leur retour. Alors que la haute saison approche, les agences de voyages sont à l'arrêt et les annulations se multiplient. Il faut un plan de reconquête pour sauver l'économie touristique de l'effondrement.
Face à cette situation explosive, faisons confiance aux élus locaux pour trouver des solutions.
Il est temps de réfléchir à un « Ségur outre-mer » pour réviser les modes de financement de l'hôpital public, ses moyens humains et ses équipements.
Il faut aussi un nouveau modèle de développement pour les Antilles françaises, fondé sur la production, et des mesures spécifiques pour la jeunesse. Un dialogue structurant et approfondi est indispensable.
Vos efforts, monsieur le ministre, vont dans le bon sens, mais il existe une réelle attente sur le logement, l'emploi, l'autosuffisance alimentaire et l'adaptation aux fragilités économiques et sociales, structurelles. Nous ne devons pas prendre ce mouvement à la légère ou remettre simplement le couvercle sur la cocotte-minute.
Cette situation me rend très triste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Laurent Somon applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier . - Nous sommes inquiets de la situation en Guadeloupe. Nous devons renouer le dialogue, en commençant par rétablir l'ordre public.
Notre collègue Stéphane Artano, qui préside la délégation sénatoriale aux outre-mer, est plus que préoccupé par cette crise qui dépasse la seule question sanitaire. La défiance vaccinale cristallise un mouvement plus large vis-à-vis de la puissance publique. Le scandale du chlordécone a marqué durablement les esprits. Nos compatriotes ultramarins sont aussi frappés par des difficultés concrètes souvent inadmissibles, dues à des sous-investissements en matière de services publics.
Il y a quelques mois nous adoptions une proposition de loi sur l'eau et l'assainissement en Guadeloupe. Les habitants sont en effet excédés par les coupures d'eau incessantes.
Le statut de ce département d'outre-mer est remis en cause. Mais ce n'est nullement une revendication de ceux qui se défient de la politique vaccinale ! Il est prématuré d'aborder le sujet de l'autonomie car cette discussion doit être menée dans la sérénité. L'enjeu est trop important pour être abordé de manière précipitée. Sortons de la logique d'urgence et co-construisons les politiques publiques.
Les cas guadeloupéen et martiniquais sont symptomatiques des difficultés de notre Nation avec ses collectivités d'outre-mer qui souffrent depuis des décennies de nombreuses difficultés.
Le Sénat met en ce moment à l'honneur Gaston Monnerville. Le 22 décembre 1954 il rappelait que « La patrie est tout à la fois les promesses d'outre-mer et les promesses de la métropole où reposent tant de nos frères morts dans les combats pour la libération des hommes ». Depuis quelques années, nous déplorons l'oubli croissant de ces combats qui firent pourtant l'unité de notre Nation.
À l'approche des échéances électorales, souvenons-nous-en alors que prospèrent les populismes les plus nauséabonds.
Mme Victoire Jasmin . - Je lance un appel à la paix après les violences en Guadeloupe, en Martinique et peut-être en Guyane.
Les territoires d'outre-mer sont confrontés à des problématiques économiques, sanitaires et sociales liées à la non-adaptation des politiques publiques à leurs spécificités, à commencer par l'insularité. Ils subissent une crise sociale que la pandémie accentue.
Nos territoires d'outre-mer sont marqués par des conditions de vie précaires, résultat d'un manque de formation. Les jeunes doivent retrouver des perspectives d'avenir. Donnons des moyens aux lycées agricoles pour favoriser la diversification des cultures.
Les fermetures de classes doivent faire l'objet d'une attention toute particulière, monsieur le ministre.
Le retour des natifs dans nos pays est devenu une priorité. Nos jeunes ont beaucoup de talents, ils ont des projets mais peinent à les réaliser faute d'accompagnement. Nous devons soutenir ceux qui souhaitent créer leur entreprise. D'autant que le chômage est endémique aux Antilles : plus d'un jeune sur deux est touché.
Les produits alimentaires sont 30 à 50 % plus chers alors que le revenu moyen est inférieur de 38 % à celui de métropole. Un tiers des Antillais vivent avec moins de 850 euros par mois. En Guadeloupe, 135 000 personnes sont considérées comme pauvres. Beaucoup de familles sont monoparentales. Tous ces chiffres sont accablants...
Les consommateurs ultramarins subissent un effet ciseaux entre des revenus faibles et des produits de consommation dont les prix augmentent.
Il faut appliquer la loi de régulation économique. L'article 410-2 du code de commerce sur l'encadrement des marges n'est pas appliqué. Il n'est pas normal que le prix du carburant soit si élevé ! Quant au bouclier qualité prix de 2009, il ne répond pas aux attentes de la population.
Le jeu concurrentiel est très faible dans nos territoires. Dans l'Hexagone, la chaîne de distribution d'un produit compte trois opérateurs, alors que dans les territoires d'outre-mer, pas moins de quatorze opérateurs interviennent, ce qui fait considérablement augmenter le prix pour le consommateur final.
Les inégalités de la prise en charge médicale sont criantes. La mauvaise répartition de l'offre de soins et le manque de spécialistes sont des freins à l'accès aux soins.
Il faut éviter les évacuations sanitaires très onéreuses.
Mme la présidente. - Il faut conclure !
Mme Victoire Jasmin. - J'appelle à une vigilance accrue sur la situation sociale des jeunes. Les handicapés en particulier ne trouvent pas d'emploi.
Mme la présidente. - Veuillez conclure, maintenant.
Mme Victoire Jasmin. - Il faut aussi un accompagnement renforcé des chefs d'entreprise.
M. Jean-Louis Lagourgue . - Dans les territoires ultramarins, la crise sanitaire a mis au jour des fragilités structurelles qui ne cessent de s'accentuer. Le taux de chômage et de pauvreté y est déjà beaucoup plus élevé que dans l'Hexagone.
Les effets de la pandémie sont dévastateurs pour les économies de ces territoires. L'outre-mer est très dépendante de certains secteurs, dont le tourisme, qui représente 10 % du PIB et qui a subi un coup d'arrêt désastreux en raison de la fermeture des frontières l'an dernier.
L'industrie a un poids moins significatif, sauf en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. Mais le BTP, secteur vital, connaît de grandes difficultés, liées aux confinements. Le tissu entrepreneurial est très majoritairement composé de très petites entreprises (TPE), pour les trois-quarts unipersonnelles. La faiblesse du numérique entraîne des difficultés supplémentaires.
L'aggravation par la crise sanitaire de ces fragilités préexistantes compromet tout rebond rapide et pérenne. Une telle situation appelle à un soutien d'ampleur.
Depuis le début de la pandémie, l'État a joué un rôle prépondérant et salutaire. Dès mars 2020, un soutien massif a été déployé, permettant d'éviter d'innombrables faillites. Les entreprises ont bénéficié du report des charges, des prêts garantis par l'État (PGE) et du soutien à l'activité partielle.
Je me félicite que certains dispositifs aient été adaptés pour tenir compte des particularités locales. J'espère que cette approche se poursuivra. La crise sanitaire a mis en lumière la fragilité des économies ultramarines alors que ces territoires disposent de réels atouts qu'il faut valoriser. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour transformer nos territoires ultramarins, parmi les plus pauvres de France ? Je pense à la Guyane et à Mayotte.
Plus spécifiquement, que comptez-vous faire en faveur du logement, alors que le BTP s'écroule, notamment à La Réunion ? La lutte contre l'habitat insalubre nécessite une politique volontariste. (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)
Mme Viviane Malet . - Ce débat est sans doute l'une des dernières occasions de cette législature d'évoquer les spécificités de nos territoires ultramarins.
En tant qu'ancienne adjointe aux affaires sociales et élue locale, je me préoccupe des réalités locales et des attentes des habitants. Les territoires d'outre-mer ont besoin de rattraper leur retard par rapport à l'Hexagone. Il ne s'agit pas de pleurnicher - comme on l'entend parfois dire - mais de demander une attention particulière. Nous devons nous attacher à corriger les inégalités.
Comme aucun texte d'ampleur n'a été présenté en faveur des outre-mer, nous n'avons pu que proposer des articles additionnels dans les projets de loi, quand certaines mesures nous paraissaient inadaptées.
J'ai ainsi tenté de corriger une injustice dans le projet de loi 3DS sur l'avis conforme de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), alors qu'un avis simple est appliqué dans l'Hexagone. Mon amendement a hélas été déclaré irrecevable.
Dans le projet de loi de finances, j'ai proposé la hausse du taux de réfaction sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en outre-mer. L'île de La Réunion est exiguë et les sites d'enfouissement saturés !
Les outre-mer sont confrontés à un début de vieillissement de leur population. La précarité n'épargne pas les seniors, notamment les agriculteurs dont les retraites sont scandaleusement basses. Là encore, nos amendements ont été refusés, dans l'attente d'un grand plan retraite...
Les solidarités traditionnelles intergénérationnelles, caractéristiques des sociétés domiennes, s'effritent car les jeunes quittent de plus en plus souvent le domicile familial. Si nos seniors sont majoritairement propriétaires, ils vivent souvent dans des logements précaires et peu adaptés à la perte d'autonomie.
Il faut mettre l'accent sur la prévention de la perte d'autonomie et travailler au bien vieillir, avec la construction de résidences seniors. Je l'ai proposé par amendement au projet de loi 3DS, mais il fut rejeté en séance, le Gouvernement expliquant que cette mesure aurait toute sa place dans le projet de loi relatif au grand âge... qui ne sera finalement pas inscrit à l'ordre du jour.
Nous nous raccrochons à l'espoir du dépôt par le Gouvernement d'un amendement à l'Assemblée nationale sur le projet de loi 3DS pour autoriser des logements foyers outre-mer.
L'adaptation qualitative des logements ne doit pas être oubliée. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Guillaume Gontard . - Après plusieurs jours de troubles graves, l'État doit rétablir l'ordre, mais l'image d'un GIGN mobilisé pour répondre à une contestation sociale est désastreuse. Si la politique vaccinale est indispensable, je m'inquiète qu'elle soit portée par la contrainte plutôt que par la conviction. Nous n'avions pas besoin d'une pénurie de soignants et d'émeutes urbaines alors que la cinquième vague approche.
Il faudrait de la souplesse. Jean Giono disait : « La vie, c'est de l'eau. Si vous mollissez le creux de la main, vous la gardez. Si vous serrez les poings, vous la perdez. »
Avec le coût de la vie et l'affaiblissement des services publics, l'eau est au coeur des revendications qui s'expriment dans la rue.
Le vaccin est indispensable mais ne suffit pas. Il faudrait déjà que tous accèdent à l'eau ! Chaque commune de Guadeloupe en est privée plusieurs fois par semaine. Et quand elle vient, elle coule blanche, saumâtre, ou est interdite à la consommation, car polluée au chlordécone. Les écoles elles-mêmes doivent fermer des semaines durant car elles sont privées d'eau... Et pour ce service calamiteux, les Guadeloupéens paient 50 % plus cher que dans l'Hexagone ! C'est sidérant... Si nous connaissions pareille situation en métropole, les ronds-points seraient à feu et à sang !
Le réseau de distribution est vétuste, 60 à 80 % de l'eau captée est perdue, 70 % des stations d'épuration sont mal entretenues. Cette catastrophe sociale se double d'une catastrophe écologique : les cours des rivières diminuent dangereusement, menaçant des pans entiers de la biodiversité. Les failles béantes des systèmes d'épuration aggravent la pollution des cours d'eau et du littoral. (M. le ministre opine du chef, confirmant les propos de l'orateur.) La pêche est interdite dans de nombreux cours d'eau en Martinique, à cause du chlordécone. Les récifs coralliens souffrent. À ce rythme, d'ici dix ans, il n'y aura plus de point de baignade de grande qualité en Guadeloupe... Une tragédie pour le tourisme et donc pour toute l'économie.
J'aurais pu parler aussi des contaminations au mercure en Guyane, au nickel en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le ministre, il faudrait 700 millions d'euros pour rénover les canalisations en Guadeloupe. Faute d'ouvrir les vannes de la dépense, vous vous réfugiez dans la plomberie administrative... Vous avez déclaré ce week-end que le problème serait réglé en cinq ans. Encore cinq années de tours d'eau, c'est inacceptable !
C'est un plan Marshall qu'il nous faudrait, et une gestion publique, au lieu de la prédation actuelle par Veolia et consorts. La gratuité devra être mise en place pour les premiers mètres cubes, pour compenser les coûts invraisemblables de l'eau courante dans les outre-mer.
La dette du chlordécone, de l'orpaillage et du nickel doit être payée. L'amélioration de la gestion de la ressource en eau doit être une priorité nationale ! (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
M. Fabien Gay . - Les tensions sont très fortes dans les Antilles. Elles couvent en Guyane et en Nouvelle-Calédonie pour d'autres raisons.
Aucune réponse n'a été apportée à la colère sociale qui s'est manifestée ces dernières années.
Le passé colonial et esclavagiste pèse. Mais aussi le passé plus récent, avec l'utilisation dérogatoire du chlordécone, dont la toxicité était connue depuis 1976, mais qui a été utilisé dans les bananeraies antillaises jusqu'en 1993 au prix de la santé des travailleurs.
Le rejet du passe sanitaire et parfois de la vaccination ne peut se concevoir hors de ce contexte. Les services publics, en particuliers les hôpitaux, sont encore plus asphyxiés que dans l'Hexagone. Les tests de dépistage du chlordécone ne sont toujours pas gratuits. (M. le ministre le conteste.) Ils sont gratuits pour les travailleurs du secteur, pas pour toute la population.
Un tiers des Guadeloupéens n'ont pas accès à l'eau et les taux de chômage sont très élevés : 15 % en Martinique, 17 % en Guadeloupe. Quelles réponses apportez-vous aux 30 % d'Antillais qui vivent sous le seuil de pauvreté ?
Ces puissants mouvements sociaux s'enracinent aussi dans la lutte contre la vie chère, mais vous ne dites rien sur les marges d'une poignée de groupes en position monopolistique. La bouteille de gaz coûte près de 30 euros en Martinique et le litre de super est à 1,80 euro en Guadeloupe. Ce système de pwofitasyon, comme on dit en créole, ne peut plus durer. Il faut bloquer les prix des produits de première nécessité.
Les Antillais demandent respect et dialogue, pas autre chose. Ouvrons le dialogue avec les élus. Cherchons à convaincre et non à contraindre. Quand la défiance est à un tel niveau, le dialogue est la seule voie possible.
Mais l'État oscille entre mépris, abandon, mensonges et promesses non tenues. Il opte aujourd'hui pour la répression par le GIGN et le RAID. Les pillages et violences sont insupportables, mais leurs auteurs ne doivent pas être confondus avec la grande majorité, qui demande l'égalité républicaine. (M. le ministre le confirme.)
Vous avez préféré menacer la Guadeloupe de largage politique. Vous cherchez surtout à éviter le débat sur la question sociale... Si vous ne savez pas par où commencer, lisez la plateforme des 32 revendications portées par les syndicats.
Aimé Césaire disait : « Une civilisation incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Ne fermons plus les yeux devant les problèmes de fond, réglons-les ! Vous n'êtes pas responsable de tout, monsieur le ministre, mais vous êtes en responsabilité : ouvrez le dialogue et agissez pour que l'égalité républicaine résonne enfin sur tous nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Philippe Folliot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je devais avoir 8 ou 9 ans quand, pour la Noël, mes parents m'ont offert un atlas. Dans nos milieux populaires de la montagne tarnaise, on bougeait peu. J'ai pu ainsi voyager par les cartes et prendre conscience que notre pays ne se limitait pas à l'Hexagone.
La France est-elle continentale et européenne ou mondiale et maritime ? Les outre-mer ne sont pas une charge, mais une chance immense pour notre pays. Il est essentiel de les sortir du cadre dans lequel ils sont murés depuis des décennies : poids élevé du secteur public, dépendance au tourisme et aux transferts sociaux.
Bien sûr, il y a des secteurs florissants, comme le nickel, le spatial, le BTP, le commerce. Mais, depuis des décennies, les crises conjoncturelles se succèdent, parce que nous n'avons pas su résoudre les enjeux structurels.
La souveraineté est un de ces enjeux. Nous continuons à faillir sur cette question. Je ne reviendrai pas sur la question des îles Éparses, de Clipperton ou de Tromelin, mais quand l'État donne de mauvais signaux, on s'interroge...
La jeunesse ultramarine est négligée et si nous connaissions les mêmes problèmes en métropole, nous subirions les mêmes révoltes sociales.
L'autonomie alimentaire est une question toujours non résolue. (M. le ministre le confirme.) Les enjeux de sécurité et d'immigration, notamment à Mayotte et en Guyane, doivent être traités car la situation y est insupportable.
Je n'oublie pas l'accès à l'eau, dont il a été question.
En ce qui concerne la défense, 90 % de notre marine nationale est dans l'Hexagone, alors que 98 % de notre Zone économique exclusive (ZEE) se situe outre-mer !
L'économie bleue offre des perspectives de croissance considérables. En 10 ans, 200 000 emplois pourraient être créés, dont un tiers outre-mer.
N'oublions pas que ces territoires sont une chance pour la France et pour l'Europe. Grâce à eux, notre dimension est planétaire ! (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme Viviane Artigalas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La situation sanitaire est un déterminant majeur de l'évolution de la situation générale dans les outre-mer. Tous les territoires n'ont pas vécu la même détérioration sanitaire mais nos compatriotes ultramarins, qui représentent 4 % de la population, ont subi 30 % des décès du pays, ce qui est insupportable.
Lors de la deuxième vague, la Martinique, la Guadeloupe, la Polynésie ont connu des centaines de morts. Les hôpitaux ont été débordés, bien au-delà de ce que la métropole a connu durant la première vague. La priorisation des patients a touché des personnes de moins de cinquante ans.
La protection de la population par la vaccination est trop basse. En Guyane, le taux ne s'élève qu'à 26 %. La cinquième vague menace donc directement les habitants. Il faut mieux territorialiser les réponses et amplifier le soutien aux populations menacées. Demandons aux relais locaux de se mobiliser en faveur de la vaccination.
La cinquième vague doit être anticipée grâce à des renforts en soignants et à une meilleure coordination entre autorités sanitaires, établissements hospitaliers et professionnels libéraux. L'accélération des investissements permettra d'améliorer l'offre de soins. Les hôpitaux devraient bénéficier de plus de moyens qu'en métropole.
L'épuisement des soignants et les tensions sociales et politiques risquent de compromettre l'attractivité médicale de ces territoires. Élaborons une stratégie pour contrer cette tendance. Les populations ultramarines ont le droit à une protection identique à celle offerte en métropole. La santé se construit dans l'égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
Mme Agnès Canayer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le bilan humain et social de la pandémie est déjà lourd. Les conséquences sont particulièrement redoutables dans les territoires fragiles, dont les outre-mer, qui souffrent de multiples handicaps.
Une proposition de loi a récemment été examinée sur la rénovation du service public de l'eau en Guadeloupe. Ces problématiques ne sont pas nouvelles et la crise sanitaire n'a fait que les accentuer.
Les événements récents dépassent la question de la vaccination des soignants. Violences et destructions doivent être condamnées. Je rends hommage aux forces de l'ordre pour leurs efforts en faveur du calme et de la tranquillité. (M. le ministre marque son approbation.)
L'adaptation de l'obligation vaccinale que vous avez évoquée lors de votre récent déplacement s'appliquera-t-elle au-delà du 31 décembre, date de la fin du report de l'obligation ?
Il faut une vision pour nos outre-mer : renforcement de la compétitivité et de la sécurité publique, piloté non pas depuis Paris mais par les collectivités ultramarines. Plutôt que d'ouvrir un débat sur l'autonomie, le Gouvernement gagnerait à s'inspirer des propositions du Sénat à cet égard. Ouvrir la voie à des statuts sur mesure permettrait aux outre-mer de disposer de marges de manoeuvre renforcées. Ce serait une première pierre de la différenciation, car il n'y a pas un, mais des outre-mer.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. - Je n'ai pas dit autre chose...
Mme Agnès Canayer. - Voter une loi annuelle d'actualisation des droits des outre-mer assurerait le lien et la cohérence entre les politiques publiques et les spécificités locales.
Il faut une meilleure courroie de transmission entre le Gouvernement et les collectivités territoriales ultramarines. Il y a beaucoup à faire dans cette France riche des territoires ultramarins. Les problématiques structurelles n'ont pas été traitées durant ce quinquennat. Il va falloir s'y atteler pour rétablir la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'imagine que nous sommes nombreux à nous poser les mêmes questions devant ces scènes de violence impensables : comment a-t-on pu en arriver là ?
Ces événements sont symptomatiques d'une crise plus profonde que le refus de l'obligation vaccinale.
La priorité doit être la sécurité, sujet qu'il était urgent de traiter avec force et fermeté : quelque légitimes que soient les revendications, ces actes étaient inacceptables. Les tensions sont désormais calmées et l'envoi de policiers et de militaires supplémentaires est bienvenu - dommage qu'il ait fallu un certain temps... J'espère que la justice sera intransigeante.
L'obligation vaccinale et le passe sanitaire sont les raisons de surface de la crise. Alors que le taux de vaccination est de 80 % en Hexagone, il culmine en outre-mer à 60 %, à La Réunion et n'atteint pas les 23 % en Guyane. Les propositions du Gouvernement de différer l'obligation vaccinale et de privilégier les vaccins sans ARN sont une bonne idée. Mais cela ne suffira pas.
Cette crise sanitaire engendre une crise économique, sociale, identitaire. La confiance n'est plus là. Les populations d'outre-mer se sentent abandonnées par l'État. Tout est dégradé dans ces territoires : pas d'accès à l'eau potable, un taux de chômage qui explose, des logements insalubres, une pauvreté endémique,...
En filigrane, c'est bien du droit à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration qu'il s'agit. Le Sénat le revendique depuis des années. Ce n'est pas en donnant une autonomie aux outre-mer qu'on y remédiera. Il était indécent de la proposer alors que personne ne la demandait. Même les indépendantistes s'en émeuvent !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je n'ai rien inventé. Moi, j'y étais ; je le sais bien !
M. Cyril Pellevat. - Il faut faire face à l'urgence. Pour la différenciation, on peut s'inspirer du droit existant, par exemple celui valant pour les territoires de montagne qui me sont chers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer . - En dix minutes, j'aurai du mal à faire le tour de la question. Je sais pouvoir compter sur la continuation des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Quelle est la situation aux Antilles ? Elle n'est pas similaire en tout point en Martinique et en Guadeloupe.
La première crise est une crise de l'ordre public, qui n'est pas la révolte sociale. C'est le réveil du grand banditisme, dans une zone où le trafic de drogue se combine avec la possession d'armes. Ces individus ont profité des tensions sociales pour se rendre coupables non seulement d'atteintes aux biens, mais surtout d'attaques inédites contre les forces de l'ordre.
En Martinique, en quelques jours, une centaine de coups de feu ont été tirés ! L'appel au RAID et au GIGN se justifie ainsi. La journée, ceux-ci n'étaient pas mobilisés pour le maintien de l'ordre. La nuit, c'était une autre affaire ! Pas d'amalgame !
Monsieur Pellevat, les renforts sont arrivés immédiatement. Aujourd'hui, il y a cinq escadrons de gendarmes mobiles sur chaque territoire pour libérer les axes de communication. Les barrages ne sont pas tous tenus par des syndicalistes et des non-violents. Il y a parfois des voyous munis de bombonnes de gaz. (M. Fabien Gay le conteste.)
Évidemment, les hôpitaux ont été très sollicités par les différentes vagues du Covid. Les gouvernements successifs ont négligé la santé publique ultramarine. Le Ségur est bienvenu, mais ne sera sans doute pas suffisant. S'ajoutent les difficultés de la médecine libérale, qui ne sont pas propres aux outre-mer.
La crise sociale à l'hôpital nécessite un dialogue social particulièrement exigeant et l'État employeur doit être exemplaire dans sa réponse aux soignants suspendus. Je l'ai dit hier en Martinique : un principe de réalité sanitaire et sociale s'imposera à nous.
Il y a une troisième crise : démocratique et principielle. Une loi de la République, votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, validée par le Conseil constitutionnel, doit s'appliquer. Certains disent qu'ils ne veulent pas l'appliquer...
M. Fabien Gay. - Qu'ils ne le peuvent pas !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - ... et cela pose un problème démocratique majeur. Monsieur Pellevat, quand certains élus de premier plan, non parlementaires mais qui ont pu l'être, affirment : « Ce sont les Guadeloupéens qui doivent décider, et pas les parlementaires à Paris », oui, cela pose un problème.
J'ai donc pris ces élus au mot en répondant que dans un département de la République, la loi doit s'appliquer ; si vous souhaitez de bonne foi adapter à ce point une loi aussi importante, ce n'est plus de la différenciation, ni même de l'autonomie. Celle-ci existe en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, elle correspond à une décentralisation à l'extrême. Mais si vous prétendez adapter à ce point la loi, c'est que vous voulez une évolution statutaire de la Guadeloupe ; alors dites-le franchement !
Peut-être le contexte politique national a-t-il conduit certains à faire semblant de confondre autonomie et indépendance...
Le LKP, en Guadeloupe, pose deux conditions préalables pour discuter : abroger l'obligation vaccinale et amnistier ceux qui ont fait feu contre les forces de l'ordre. Vous comprenez que les discussions se soient très vite arrêtées.
En Martinique, et c'est différent, une intersyndicale, des élus, des partenaires sociaux ont dit qu'ils ne savaient pas comment appliquer la loi. Des partenaires de terrain nous demandent de l'aide, pas une abrogation. Un accord de méthode a été signé et le dialogue va s'installer pour étudier la faisabilité de l'obligation vaccinale, qui reste le principe. Madame Jasmin, je forme le voeu que la Guadeloupe suive ce chemin de dialogue.
Ces questions se fixent sur une quatrième crise. Les problèmes sont anciens. Certains sont propres à l'insularité, certains à l'histoire - « à ses ombres et ses lumières », selon la belle formule de l'Accord de Nouméa.
La vie chère, le prix de l'énergie et des denrées, la transition agricole, la jeunesse en outre-mer, le rattrapage sanitaire, la dépendance aux hydrocarbures dans des territoires où l'on ne manque ni d'eau, ni de vent, ni de soleil, l'accès à l'eau... Il faut désormais avancer.
M. Gontard nous dit : « l'État doit reprendre la main sur la question de l'eau ». Au moins c'est clair !
Il y a peu de jacobins dans cette chambre à laquelle j'appartiens : nous sommes tous attachés à l'État, mais aussi à la décentralisation. Or rien n'a été prévu en 1982 ou en 2003 pour le cas où la puissance locale est en défaut d'exercice de ses compétences. Merci à vous d'avoir voté la création de ce syndicat sur l'eau. Mais on ne fera pas l'économie d'une réflexion collective sur la décentralisation et l'échec de certaines politiques publiques. À cet égard, l'État fait partie de la solution, pas du problème.
Pardon, madame la présidente, si j'ai dépassé mon temps de parole.
Mme la présidente. - J'ai été généreuse avec vous et avec mes collègues (sourires) compte tenu de la gravité du sujet. Il fallait que chacun s'exprime largement. Mais je vous appelle tous à la concision dans le débat interactif qui s'ouvre.
M. Jean-François Longeot . - Le 12 décembre prochain, un troisième référendum se tiendra sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. La date a été maintenue car l'épidémie est désormais sous contrôle, quelles que soient les polémiques. Nombre de personnalités de la société civile appellent du reste à mettre fin à l'incertitude institutionnelle.
Après deux consultations ayant confirmé l'intention du peuple calédonien de demeurer dans la République, ce dernier scrutin nous permettra, j'en suis certain, de sortir enfin de l'impasse. Mais il devra aussi fonder un nouveau contrat social.
Car la métropole n'a jamais laissé tomber le Caillou. La paix et l'exercice pacifique du droit à l'indépendance ont éclipsé la violence et l'incompréhension. En septembre dernier encore, cent réservistes sanitaires ont été déployés ; en 2021, 178 milliards de francs Pacifique ont été versés, partagés entre dépenses d'intervention et soutien à l'investissement.
Comment ouvrir une nouvelle page entre la France et la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Les conditions sanitaires, matérielles et juridiques sont remplies pour un scrutin le 12 décembre : le taux d'incidence est entre 70 et 80 ; près de 200 observateurs sont en route ; les maires, indépendantistes ou non, préparent la consultation de manière républicaine.
Le rôle de l'État était de tenir parole, après les accords de Matignon et de Nouméa. Pierre Frogier, comme d'autres signataires, en témoignait : on aurait pu croire que le processus n'aboutirait pas et que les trois référendums ne seraient pas tenus. Il est normal que les choses se tendent alors qu'on approche de la fin.
L'État est neutre ; les membres du Gouvernement peuvent avoir des opinions. Certains nous poussent à être plus partisans, d'autres nous reprochent d'être anti-indépendantistes, voire anti-kanaks, dans un journal de l'après-midi, ce qui est scandaleux.
M. Jean-Pierre Corbisez . - La crise du Covid a indubitablement eu des conséquences désastreuses outre-mer. La mise en berne économique a exacerbé les faiblesses structurelles de l'entrepreneuriat des outre-mer, qui se caractérise par beaucoup de petites entreprises et une forte dépendance au tourisme. Pour tenter d'endiguer la crise, le Gouvernement a étendu le fonds de solidarité et les PGE.
Si l'impact des premières vagues a été moindre, les outre-mer subissent à présent une double crise économique et sanitaire, en décalage avec la métropole.
Comptez-vous réadapter les aides économiques à la crise actuelle ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Nous avons toujours adapté les mesures d'accompagnement aux mesures de freinage. Même dans les pays d'autonomie, nous avons appliqué fonds de solidarité et PGE - mais pas le chômage partiel, qui relève d'une compétence du pays. Nous avons aussi adapté le passe sanitaire, qui n'a pas été déployé là où les restaurants étaient fermés ; c'est du bon sens.
Nous continuerons d'adapter les mesures à la cinétique de l'épidémie et aux territoires. En l'occurrence, au vu du faible taux de vaccination, ce n'est pas terminé.
Mme Viviane Artigalas . - Je vous pose la question de Victorin Lurel, qui vous prie d'excuser son absence.
Nous ne serons jamais de ceux qui contestent votre volonté de poursuivre les délinquants. Mais votre visite express toute militaire et votre posture martiale, autoritariste, sont une grave erreur politique : cela a braqué, choqué et légitimé l'action politique de ceux qui ne sont pas là pour discuter. Votre défausse sur l'autorité locale n'a fait que tendre la situation et renforcer la stratégie de pourrissement voulue par certains.
Même vilipendés, les élus prennent leurs responsabilités en écoutant et en proposant. À l'État de faire de même. Quand reviendrez-vous en Guadeloupe pour, non pas renouer, mais nouer le dialogue ? N'envenimez pas le climat pour plaire à une frange radicalisée de l'opinion hexagonale.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - J'adresse une pensée fraternelle et amicale au ministre Lurel.
Je subissais assez de pressions politiciennes à Paris pour me précipiter sur le terrain : je ne l'ai pas fait. Je voulais laisser les forces de l'ordre travailler et donner une chance au dialogue local. Sans vouloir comparer les uns et les autres, cela a marché en Martinique.
J'ai dormi à Pointe-à-Pitre, qui n'est pas la préfecture - j'ai donc dormi au régiment de service militaire adapté, qui dépend de mon ministère. On me l'a reproché. Il fallait pourtant bien que je dorme quelque part !
L'État ne doit pas se défausser sur les collectivités territoriales, et réciproquement ! L'eau potable est une compétence du bloc communal depuis Mathusalem. Reprocher à Paris - vous êtes concerné comme moi - de ne rien faire pour mettre de l'eau au robinet pose problème.
La politique de la chaise vide des grands élus de Guadeloupe n'est pas satisfaisante. Mais je reste entièrement disponible pour faire avancer les choses.
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Cette situation d'insurrection est inquiétante et désolante. Les revendications des agitateurs et casseurs chauffés à blanc en Guadeloupe ne sont pas clairement identifiées.
Le Gouvernement a fait de gros efforts en faveur de la vaccination et des soins. La crise a été très dure pour les outre-mer, dont l'économie est fragile, mais tout est bon pour mettre de l'huile sur le feu... La polémique sur vos propos touchant l'autonomie tient plus au contexte présidentiel qu'à un tabou qui n'a pas lieu d'exister, puisque ce modèle est prévu dans la Constitution.
Vos échanges avec les élus locaux sont-ils susceptibles de ramener le calme ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je rappelle que l'État est très présent dans les outre-mer. C'est vous qui votez les lois de finances, vous pouvez attester de tout ce qui est fait.
Sur l'autonomie, certains amalgames ont blessé les Polynésiens et les Calédoniens. L'autonomie n'est ni un abandon ni une sécession : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, jusqu'à preuve du contraire, sont bien dans la France. On ne peut d'un côté prôner la décentralisation, de l'autre conspuer l'autonomie.
Je suis très ferme sur ce qui se passe la nuit, et qui est, j'y insiste, déconnecté de ce qui se passe le jour. Les syndicats n'ont pas à demander l'amnistie. Un vrai dialogue est instauré en Martinique, il produira ses effets sur la vie chère, la jeunesse, l'application de la loi dans les hôpitaux et l'avenir du territoire.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis trente ans, la situation des Antilles se dégrade, ce qu'exacerbe la crise sanitaire, avec les coupures d'eau, le chômage et la vie chère. Aucun dispositif n'a permis à ce jour un développement harmonieux.
Il faut agir de conserve sur l'emploi et la consommation. Le problème de coût du travail en outre-mer est réel, surtout face aux territoires voisins. Le Gouvernement propose de créer des emplois aidés, mais le secteur public est déjà très important dans l'économie des outre-mer, ce que votre prédécesseur a récemment dénoncé.
Quelle est la stratégie du Gouvernement pour développer les entreprises ? Lors du grand débat national, les organisations socioprofessionnelles martiniquaises avaient proposé de détaxer le travail. Qu'en pensez-vous ? Comment créer un capitalisme patrimonial sur ces territoires ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le sujet fondamental est celui de l'évolution de la fiscalité. La défiscalisation produit-elle encore les effets qu'imaginait Brigitte Girardin ? Plus complètement. L'octroi de mer protège-t-il l'économie insulaire ? Oui pour certaines productions, mais se justifie-t-il sur les armes des forces de l'ordre ou sur les biens culturels ? Ce n'est pas sa vocation.
Difficile de développer une économie touristique si l'on doit pratiquer des tours d'eau dans les gîtes et les hôtels.
Je ne suis fermé à aucune réflexion fiscale.
Enfin, pour lutter contre la vie chère et créer un vivier d'entrepreneurs, il faut créer un environnement concurrentiel, afin que l'offre rencontre la demande. Vaste programme...
M. Guillaume Chevrollier. - Il faut un débat apaisé sur le développement des outre-mer, qui s'appuie sur les travaux et instances du Parlement. C'est un sujet à mettre au coeur du prochain quinquennat.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Malgré une accalmie, la Guyane a traversé une crise sanitaire sans précédent : le taux d'incidence dépassait les 500 cas pour 100 000 habitants. Les soignants ont fait face, malgré la défiance vis-à-vis de la vaccination. En effet, seulement 50 % des soignants sont vaccinés, et 26 % des Guyanais.
Comment procéder seulement par la contrainte ?
L'État a failli : 30 % de la population est en zone sous-dense, les inégalités d'accès aux soins sont criantes. S'y ajoutent la vie chère, un taux de pauvreté de 53 % et un revenu médian de 900 euros par mois.
Les Antilles s'enflamment pour les mêmes raisons, lorsque l'égalité ne semble convoquée que pour l'égalité vaccinale. L'« aller vers » est vain quand l'accès aux soins n'est pas garanti. Quelles politiques publiques envisagez-vous pour rompre avec l'abandon ? Elles sont nécessaires à la confiance...
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Pour que la confiance revienne, il faut lutter contre tous les populismes. Nous parlons des territoires où les fake news ont été les plus graves. Elles ont parfois été laissées sans réponse y compris de l'État, dont les agents ont fait tout leur possible. Les effets ont été très graves - il faut le dénoncer.
Ensuite, le retard est considérable, surtout en Guyane. La mère des batailles est l'hôpital public, qui appuie l'« aller vers ». Nous allons reconstruire un hôpital à Maripasoula et transformer le centre hospitalier de Cayenne en CHU à l'horizon 2024-2025, pour renforcer l'offre de soins et de formation. Il faudra encore de la patience.
Mme Éliane Assassi . - Quand on se déplace, c'est que les choses sont mûres, disiez-vous avant d'aller en Guadeloupe. Mais ce sont les inégalités qui mûrissent depuis des décennies.
Fabien Gay et d'autres ont multiplié les exemples d'inégalités : eau, vie chère, chômage. Nous ne pouvons que constater, de nouveau, ces fractures. Vous avez parlé de l'hôpital en Guyane : on ne compte que 55 médecins guyanais pour 100 000 habitants, contre 104 en moyenne pour l'ensemble de la France.
Les ultramarins manifestent aujourd'hui pour vivre dignement. Il y a autant de personnes habitant dans des bidonvilles en Guyane que dans tout l'hexagone.
Je le redis, nous condamnons toutes les violences. Mais la réponse ne peut se borner à l'envoi de forces de police.
Quant à votre réponse sur l'autonomie, le sujet institutionnel est trop sérieux pour être évoqué en milieu de crise. Il résonne comme une menace d'abandon, c'est une réponse décalée par rapport à l'urgence.
Il faut des mesures concrètes pour mettre fin à ces injustices structurelles.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Il est toujours temps de rappeler les principes républicains. Des élus expliquent que « la loi ne s'applique pas ici » : il est de mon devoir de répondre que si, et de rappeler l'alternative du changement de statut.
Le projet de loi de finances aurait dû être l'occasion de débattre du logement et des autres questions. Des réponses radicales seront requises. Il ne faut pas remettre en cause l'octroi de mer mais lui redonner son rôle de barrière protectrice. Il est une cause de la vie chère quand il porte sur les produits de première nécessité. Je rappelle que l'État ne perçoit plus un euro de fiscalité sur les carburants. La concurrence et les conséquences de la covid sur le fret impliquent de revoir l'aide qui lui est consacrée.
Ensuite, la production insulaire est en question. Faire venir des surgelés à prix d'or en empêchant la production locale n'a pas de sens. Enfin, je le répète, le mot de concurrence n'est pas tabou. Nos concitoyens n'ont pas le choix, ce qui augmente les prix.
La séance est suspendue quelques instants.