Protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, à la demande du groupe Union Centriste.
Discussion générale
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Je salue la qualité du travail de la commission des lois et de sa rapporteure Marie Mercier.
Ce texte, cosigné par plus de cent sénateurs de tous bords, témoigne de la capacité du Sénat à se saisir de grands sujets de société.
Cette proposition de loi est le fruit de longs travaux de la Délégation aux droits des femmes. Elle découle d'une conviction : notre droit pénal ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels.
Les enfants de moins de 15 ans représentent 40 % de victimes de viols et de tentatives de viols ; 27 % concernent des enfants de moins de 10 ans. Il y aurait chaque année en France 150 000 viols et tentatives de viols sur mineur, soit 300 à 400 par jour.
Ces crimes présentent une caractéristique particulière : neuf fois sur dix, le prédateur est un proche - ami, membre de la famille, personne de confiance.
Ces chiffres effroyables nous imposent d'agir. Ce texte n'a pas été élaboré en réaction au livre de Camille Kouchner, La familia grande, mais cet évènement lui fait écho.
Nous devons prendre en compte et accompagner les évolutions profondes de notre société. Les représentations sociétales de ces violences sexuelles ont évolué dans le temps. Les travaux sur la notion de consentement chez l'enfant sont désormais légion, or le droit n'a pas évolué à la même vitesse que les consciences.
J'ai acquis une conviction : un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte.
En 2017, le Président de la République souhaitait instaurer un seuil d'âge de non-consentement à 15 ans, mais avait reculé à la suite des réserves du Conseil d'État sur la constitutionnalité de la mesure.
La création d'une infraction nouvelle de crime sexuel sur mineur de 13 ans balaye les objections invoquées à l'époque, qui portaient d'une part sur la fixation du seuil à 15 ans, et d'autre part sur l'introduction d'une présomption irréfragable de contrainte, réputée inconstitutionnelle en droit pénal.
Notre proposition de loi introduit un nouvel interdit : celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans. En effet, les critères constitutifs du crime de viol - contrainte, menace, violence ou surprise - reviennent à faire porter l'appréciation du juge sur le comportement de la victime, or la notion de consentement n'a pas à intervenir lorsque la victime est particulièrement jeune.
L'élément intentionnel de ce nouveau crime résulte de la pénétration sexuelle ainsi que de la connaissance de l'âge de la victime par l'auteur des faits. Pour se défendre, il devra apporter la preuve qu'il ne pouvait connaître l'âge du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle.
Ce nouveau crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle, à l'instar du viol avec circonstances aggravantes.
Avec ce texte, on ne questionne plus le comportement de l'enfant, mais celui de l'adulte.
Certains craignaient un déficit de protection des victimes ayant entre 13 et 15 ans. Mais la rapporteure a prévu que la contrainte morale ou la surprise pouvaient également résulter de ce que la victime était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.
Adopter cette loi renforcera notre arsenal législatif et entérinera un virage majeur dans la manière d'appréhender ces actes : un enfant ne sera plus jamais considéré comme complice ou complaisant. L'unique responsable sera l'agresseur.
Cela favorisera la reconstruction future des victimes en leur ôtant le poids d'une culpabilité éprouvée à tort.
Il n'y a pas qu'au Sénat que les choses bougent. Le rapport de la députée Alexandra Louis plaide lui aussi pour une nouvelle infraction spécifique. Cela laisse espérer un soutien du groupe majoritaire à l'Assemblée nationale... Nous invitons le Gouvernement à inscrire rapidement ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. La Haute Assemblée sera vigilante - il ne faudrait pas revenir devant nous dans quelques mois avec la même mesure, signée par d'autres auteurs !
M. Max Brisson. - Très bien !
Mme Annick Billon. - Ce ne serait pas la première fois...
Lorsque j'entends Marlène Schiappa proposer un seuil d'âge, comme elle l'avait fait en 2017 avant d'y renoncer en 2018 dans son projet de loi, je souris - jaune !
Trop d'enfants souffrent de n'avoir pas pu, de n'avoir pas su. En votant cette loi, nous portons leur voix en affirmant que cela est un crime. (Applaudissements sur toutes les travées)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat est à nouveau amené à débattre de la protection des mineurs contre les violences sexuelles, deux ans après la loi Schiappa et de nombreux travaux de contrôle comme la mission d'information sur les violences sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leurs fonctions.
Mme Billon franchit une étape en introduisant dans le code pénal une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, constituée en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 13 ans, sans qu'il soit nécessaire de rechercher un élément de contrainte, de menace, de violence ou de surprise, difficile à prouver.
Elle serait punie de vingt ans de réclusion criminelle, comme le viol.
Le Sénat avait déjà débattu, en 2018, de l'opportunité d'introduire une présomption de non-consentement en dessous d'un certain âge ; à l'époque, la commission des lois avait écarté le seuil de 13 ans, pour ne pas s'exposer au risque d'inconstitutionnalité ni affaiblir la protection due aux jeunes de 13 à 15 ans. Elle avait préféré préciser les notions de contrainte et de surprise constitutifs du viol, en insistant sur la différence d'âge et sur l'abus de vulnérabilité.
Cette proposition de loi tire les leçons des débats de 2018.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel n'admet la présomption que dans le domaine contraventionnel. La proposition de loi contourne l'obstacle en créant une infraction autonome, sur le modèle du délit d''atteinte sexuelle - qui est maintenu pour les jeunes de 13 à 15 ans. Le nouveau crime sexuel sur mineur vient renforcer la protection des jeunes de moins de 13 ans.
Le Conseil d'État estimait que la seule référence à l'âge de la victime ne suffisait pas pour caractériser l'élément intentionnel, exigence constitutionnelle en matière criminelle. Avec un seuil à 13 ans, l'écart d'âge avec un jeune majeur est plus significatif et rend plus improbable une relation consentie.
Ce nouveau crime pose un interdit clair, en direction des agresseurs potentiels mais surtout des jeunes. La sauvegarde de l'enfance passe par des interdits. En interdisant tout rapport sexuel avec un adulte, la loi dit non, elle protège l'enfant. La société tout entière doit s'emparer du sujet, pour changer les mentalités.
L'âge, c'est le clair-obscur de la réalité. Attention à ne pas sous-entendre qu'un jeune de 13 ans et 1 jour serait consentant ! C'est pourquoi la commission des lois a introduit un article additionnel indiquant que la contrainte, constitutive du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de 15 ans qui ne dispose pas de la maturité sexuelle suffisante.
La commission a par ailleurs précisé la définition de la notion de pénétration sexuelle en l'alignant sur celle retenue pour le viol, et appliqué au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoire prévues pour les affaires qui concernent les mineurs - je pense à l'injonction de soins.
Nous étendons aussi à cette nouvelle infraction la règle de prescription applicable aux autres crimes sur mineurs, soit trente ans, à compter de la majorité de la victime, pour tenir compte du temps nécessaire pour briser le silence et porter plainte.
La commission a également introduit un volet préventif en adoptant des amendements de M. Savin et de Mme Boyer. Deux articles additionnels concernent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), outil qui a fait ses preuves.
Les infractions sur mineurs donneront lieu à inscription automatique ; la peine complémentaire d'interdiction de travailler auprès de mineurs vise à prévenir la récidive.
La commission soutient des amendements issus de tous les bancs. J'ai déposé un amendement allongeant le délai de prescription du délit pour non-dénonciation de crime.
La commission des lois sera favorable à l'amendement du groupe SER créant une circonstance aggravante en cas d'inceste. On le sait, la grande majorité des violences sexuelles sur mineur ont lieu dans le cercle familial.
Enfin, nous soutenons deux amendements incluant dans la définition du viol et du nouveau crime les actes bucco-génitaux, actuellement pris en compte uniquement lorsque la victime est un garçon.
Une mobilisation de la société tout entière est nécessaire pour faire reculer ces agressions et l'omerta qui les entoure. L'actualité nous rappelle qu'aucun milieu social n'est épargné et que les agressions se produisent majoritairement dans le cadre familial.
Ce texte est une étape supplémentaire dans une indispensable prise de conscience.
« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison », rappelle Portalis. (Applaudissements sur toutes les travées)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Y a-t-il cause plus noble, plus juste, plus urgente dans notre République que d'assurer pleinement la protection de nos enfants contre les crimes sexuels ?
Une prise de conscience traverse et interroge la société tout entière. Nous devons y répondre tous ensemble.
Dans un vaste mouvement de libération de la parole, les victimes de crimes sexuels et notamment d'incestes sont de plus en plus nombreuses à faire entendre la voix de leur souffrance, trop longtemps enfouie, trop longtemps étouffée. Elles nous demandent d'agir pour éviter que d'autres enfants subissent le même cauchemar. Saluons leur courage, témoignons-leur notre solidarité et notre soutien, et trouvons une traduction juridique à ce besoin de reconnaissance et de protection.
Le crime doit être clairement nommé, les victimes pleinement reconnues. L'objectif ne peut être atteint que par une amélioration de nos règles juridiques et de la réponse judiciaire.
Les réseaux sociaux ont aidé les victimes d'hier, devenues adultes, à révéler leur histoire ; des voix fortes et puissantes se sont exprimées, mais également des milliers d'anonymes. Cette libération de la parole va se poursuivre. Mais les réseaux sociaux ne peuvent remplacer le besoin de justice.
Toute modification de la loi pénale doit être envisagée avec détermination mais prudence, notamment en termes de prescription, sans céder à la précipitation qu'appelle une émotion légitime.
Notre Gouvernement a fait de la protection des enfants une priorité du quinquennat. Seule une action collective est efficace, et tous les ministères sont mobilisés dans le plan porté par Adrien Taquet.
La loi du 3 août 2018 a déjà renforcé notre droit même si nous devons aller plus loin. J'en rappelle les apports : le délai de prescription a été allongé de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime ; la notion de contrainte a été clarifiée pour indiquer qu'elle peut résulter de la différence d'âge entre la victime et l'auteur. Ainsi, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par « l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire ». Si le crime de viol ne peut être établi, la loi prévoit que toute pénétration sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur caractérise le délit d'atteinte sexuelle, puni de sept ans d'emprisonnement et de dix en cas de circonstances aggravantes.
Faut-il aller plus loin et sur quels points ? Ce sont les questions que nous devons trancher. La loi de 2018 est récente et il est trop tôt pour en évaluer le bénéfice, malgré l'excellent travail d'Alexandra Louis.
Pour autant, nous devons viser un haut niveau de protection des mineurs. Le texte du Sénat retient toute l'attention du Gouvernement. Je salue l'implication de la présidente Billon et du groupe de l'Union centriste : leur texte permet un débat qui nourrira les concertations qui se tiendront dans les prochaines semaines. (On ironise sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Encore raté !
Mme Laurence Rossignol. - On verra dans deux ans, comme en 2018 !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ma responsabilité de garde des Sceaux est de soutenir le meilleur dispositif, dans le respect des exigences de notre État de droit. Les attentes sont trop fortes pour risquer une censure du Conseil constitutionnel. (On redouble d'ironie sur les travées du groupe SER.)
Des questions importantes restent posées et le rapport ne les occulte pas. Le seuil de 13 ans pourrait affaiblir la protection des mineurs de 13 à 15 ans. (Vives protestations à gauche)
Mme Laurence Rossignol. - Amendez !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Par ailleurs, vous créez un crime puni comme un viol, mais qui n'en porte pas le nom. Déjà, des associations ont pointé un risque de confusion.
Enfin, il n'est certes pas interdit de faire coexister différents effets juridiques. Mais imaginez la difficulté pour des magistrats et des jurés, qui devraient qualifier un crime en fonction de la date des faits ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est ce qu'ils font tous les jours !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je salue le travail mené par Annick Billon...
M. Jean-Michel Arnaud. - Cela ne suffit pas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avec celui de Laurence Rossignol, celui des députés Louis et Santiago, il contribuera à nos réflexions, dans une concertation indispensable avec les associations de protection des victimes qui débutera la semaine prochaine.
Nous partageons votre combat pour mieux protéger les mineurs des violences sexuelles. Vous pouvez compter sur notre mobilisation. (Mme Marie Mercier, rapporteur, applaudit.)