Risque de blackout énergétique (Suite)
M. Jean-Claude Requier . - La crise sanitaire a entraîné une moindre disponibilité du parc nucléaire en raison des retards pris dans les opérations de maintenance. La centrale de Fessenheim et ses 1 800 mégawatts nous manquent. Un blackout n'est pas exclu. Il faut anticiper et accroître nos marges de manoeuvre en maîtrisant la demande et en augmentant les capacités de stockage, notamment grâce au recours à l'hydrogène.
Les EnR devraient représenter 40 % du mix énergétique en 2030. La stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène sera dotée de 7 milliards d'euros, mais les États-Unis et la Grande-Bretagne apportent une attention plus soutenue que la France à la résilience des réseaux, notamment sur le stockage souterrain de l'hydrogène. Que compte faire la France pour l'accélérer, afin de soutenir la transition énergétique et de préserver notre approvisionnement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les analyses de RTE ne montrent pas de besoin de recours massif à l'hydrogène avant 2035. La stratégie française fixe des objectifs à 2030 pour massifier la production, avec des investissements à hauteur de 7 milliards d'euros, dont 2 milliards dans le cadre du plan de relance, surtout pour décarboner les usages.
Les besoins de stockage seront accrus après 2035 et l'hydrogène constituera alors une solution intéressante. À la mi-2021, RTE présentera son bilan prévisionnel pour 2050.
M. Fabien Gay . - RTE alerte depuis deux ans sur les risques de tensions et de coupures. En novembre, la ministre Pompili préconisait l'effacement qui consiste à demander aux industriels d'arrêter ponctuellement leur production contre rémunération. Demain, on le demandera aussi aux particuliers via le compteur Linky. Dans ce contexte, EDF a lancé sa scandaleuse campagne #metstonpull, alors que des millions de Français se trouvent dans une situation de précarité énergétique. Ce discours paternaliste et infantilisant ne peut masquer votre inertie industrielle !
La crise a accentué les menaces pesant sur l'approvisionnement, mais le vrai problème est structurel : c'est la libéralisation du marché, notamment avec le projet Hercule ! Nous risquons d'être à la merci des actionnaires, avec pour horizon les coupures comme en Californie dans les années 2000.
Quand allez-vous arrêter cette politique mortifère et créer enfin un service public de l'énergie ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les producteurs d'énergie adaptent leur production en fonction des signaux économiques : elle augmente avec les prix. Ce système contribue à la sécurité de l'approvisionnement. Ce comportement de rationalité économique ne changera pas.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE), indépendante, contrôle les acteurs et les éventuels abus. (Protestations sur les travées du groupe CRCE) Un scénario à la Enron, en Californie, n'est pas à craindre en France. (M. Fabien Gay proteste.) L'opérateur possédait à la fois des lignes à haute tension et des moyens de production.
Le Gouvernement est très attentif à ce que les installations hydroélectriques jouent tout leur rôle, avec des stratégies par vallée.
M. Jean-François Longeot . - Un blackout traduit un déséquilibre sur le réseau. Cela ne s'est jamais produit en France, mais ce risque ne peut être écarté tant à court qu'à long terme. La problématique des EnR, intermittentes, va progressivement se poser.
Il existe deux solutions : le renforcement des moyens de production lors du pic hivernal et l'amélioration des capacités de stockage des EnR. Quelles sont les solutions les plus avancées en la matière ?
L'hydrogène répond au problème de la saisonnalité des EnR : produit en été, il pourrait être stocké via des piles à combustible. Mais c'est une piste encore marginale en France eu égard à la faible part des EnR dans le mix énergétique.
À long terme, il conviendrait cependant de faire de l'hydrogène un outil de flexibilité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - À court terme, les analyses de RTE ne montrent pas de besoins supplémentaires en hydrogène d'ici 2030-2035. Au-delà, des leviers sont envisageables : stockage et flexibilité notamment.
L'hydrogène est une piste intéressante pour le stockage. Une stratégie française a été adoptée, dotée de 7 milliards d'euros.
Le pilotage de la recharge des véhicules électriques est aussi intéressant en matière de flexibilité.
M. Franck Montaugé . - Notre politique en matière de production électrique s'inscrit dans la PPE révisée et la stratégie bas carbone. Nous nous sommes fixé un objectif ambitieux : passer de 75 % à 50 % la part de l'électricité dans notre mix énergétique. Sa faisabilité interroge.
EDF étudie un plan de grand carénage depuis l'accident de Fukushima. Quelle est la programmation pluriannuelle des investissements pour le gros entretien des infrastructures de production ? Elle ne semble pas correspondre au risque de blackout. Je constate, en outre, que le dernier guide de RTE sur le sujet remonte à 2004.
En quoi le projet Hercule qui démonte le groupe EDF va-t-il permettre de réduire les risques de blackout ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les bilans sont beaucoup plus fréquents que ce que vous évoquez et nous débattons régulièrement de différents scenarii (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Franck Montaugé. - Je parle ici d'investissements !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je crois savoir que vous évoquerez demain en commission le projet Hercule...
Les mesures qui permettent d'éviter un blackout existent et il n'est pas nécessaire d'en prévoir d'autres. La capacité du parc nucléaire est historiquement basse cet hiver. La fermeture des centrales à charbon a été bien préparée et nous pouvons aborder sereinement les prochaines échéances.
M. Franck Montaugé. - Arrêtons avec le dogme mortifère de la concurrence libre et non faussée dans le domaine de l'électricité ! Il faut, au contraire, une entreprise intégrée de la production à la distribution dans ce secteur très particulier qui implique un monopole naturel.
Traiter Hercule par ordonnances, c'est dessaisir les Français d'une entreprise qui leur appartient depuis 1946, par décision du Conseil national de la résistance et du général de Gaulle !
Mme Christine Lavarde . - L'ouverture de la centrale de Flamanville devait compenser la fermeture de celle de Fessenheim. Dès lors, pourquoi avoir fermé Fessenheim dans sa deuxième tranche, quoi qu'il en coûte ? L'EPR devrait être en service au moment où la fermeture a été décidée.
D'après le rapport de RTE de novembre, nous savons que le système électrique peut être défaillant et que janvier et de février pouvaient être difficiles en cas de vague de froid. On ne peut pas vivre avec des marges intermittentes, or le nucléaire est pilotable et décarboné.
Le 10 janvier, 10 % de la production était issue de centrales à gaz, quarante fois plus émettrices de gaz à effet de serre que les centrales nucléaires. La centrale de Cordemais sera en service jusqu'en 2024 ou 2026, contrairement à ce qui a été voté.
Enfin, nous importons depuis des pays voisins, dont le mix est plus carboné que le nôtre. C'est une décision « quoi qu'il en coûte » pour les consommateurs ! De fait, les tarifs bleus augmenteront au 1er février car le coût du charbon et du gaz sont élevés. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Bonhomme. - La question est claire ! Qu'en sera-t-il de la réponse ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Fessenheim n'y changerait rien. La France est engagée dans la transition énergétique fondée sur la sobriété et sur la diversification de notre mix énergétique. Notre ambition est de réduire la part du nucléaire à 50 % en 2035, en fermant notamment les deux réacteurs de Fessenheim en février et en juin derniers. La poursuite de leur exploitation aurait, en outre, nécessité, d'importants travaux.
Notre situation s'explique par l'arrêt pour maintenance d'autres réacteurs. Il faut améliorer la résilience de notre système. L'EPR de Flamanville ne devrait être opérationnel qu'après la mi-2023, alors qu'il avait été annoncé pour 2012...
Mme Christine Lavarde. - Vos arguments, déjà développés dans votre propos liminaire, répondent imparfaitement à la question. La seconde tranche de Fessenheim, c'est 900 mégawatts de production. Pourquoi ne pas en avoir retardé la fermeture compte tenu de la crise ? Les EnR, trop intermittentes, ne permettent pas une production stable.
Mme Denise Saint-Pé . - Certains s'inquiètent d'un blackout. Mais il suppose plusieurs conditions : augmentation de la consommation, baisse des températures et absence de vent pendant plusieurs jours, empêchant les éoliennes de fonctionner efficacement. Le risque semble donc limité, et je compte sur le Gouvernement pour l'éviter.
Lors des pointes de consommation, nos capacités de production risquent de diminuer avec la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires prévue par la PPE. Or une compensation complète par les EnR laisse dubitatif, car elles sont intermittentes. On peut craindre aussi un recours accru au chauffage électrique avec la suppression progressive des chaudières au fioul.
Comment concilier ces deux mouvements de baisse de la production et d'augmentation de la consommation ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La stratégie du Gouvernement est d'obtenir un système résilient face aux aléas.
La diversification du mix énergétique passe par la fermeture de certains réacteurs et par le développement des EnR. Elle ne met pas en péril notre sécurité d'approvisionnement. Les études réalisées par RTE prennent en compte les aléas climatiques.
L'amélioration de l'isolation des logements et la rénovation des bâtiments devraient réduire les besoins en chauffage. La RE2020 s'applique aux logements neufs, avec des pompes à chaleur, des réseaux de chaleur, etc. Il n'est donc pas attendu d'augmentation de la consommation d'électricité dans les prochaines années.
Une nouvelle étude de RTE devrait être publiée en 2021 sur les enjeux d'intégration des EnR et sur les évolutions du mix après 2035. Cela permettra de prendre des décisions éclairées.
Mme Florence Blatrix Contat . - Le spectre du blackout, entretenu par les médias, participe des peurs collectives. Le risque semble continu cette année. Le politique doit éclairer ces peurs au regard de la réalité du risque.
L'orientation vers les EnR et la réduction des énergies fossiles, nucléaire y compris, doit être poursuivie.
Nous avons déjà évoqué le grand carénage qui a pris du retard avec la pandémie. Quel est son calendrier ?
La RE2020 va exclure progressivement les chaudières au fioul et gaz, ce qui conduira à accroître la part du chauffage électrique. Comment dès lors éviter une tension sur le réseau en période de pointe ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous avons un objectif commun de réduction des émissions de gaz à effet de serre, compte tenu de la limitation de la capacité de production nucléaire liée au décalage du calendrier de maintenance des centrales.
Les tensions sur les réseaux dues aux aléas climatiques et aux difficultés liées à la crise sanitaire nous invitent à la sobriété énergétique, à travers notamment la recherche de modes de chauffage moins énergivores, afin de déployer le nouveau mix énergétique en toute sécurité.
M. Christian Klinger . - Le 25 novembre, j'alertais le Gouvernement sur le risque de tensions sur le réseau cet hiver. Jean-Baptiste Djebbari m'assurait alors que la situation était sous contrôle. Or vendredi, un communiqué de RTE invitait les Français à réduire leur consommation d'électricité pour éviter les coupures...
Deux réacteurs de Fessenheim ont été fermés en 2020, ce qui nous a privés de 1 800 mégawatts, sachant que selon RTE, il faut 600 mégawatts de marge pour assurer une production normale... Résultat, un recours accru au charbon, pour 3 % de notre production électrique, et des importations d'électricité plus importantes que la normale !
Le Gouvernement n'a-t-il pas fermé Fessenheim trop tôt, avant la mise en service de l'EPR de Flamanville ? L'indépendance énergétique de la France n'est-elle pas remise en cause ? Comment faire face à la vague de froid annoncée en février ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - En 2015 et 2019, la loi a fixé des objectifs de décarbonation et de diversification du mix énergétique à l'horizon 2035 ; cela induit la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, parmi les plus anciens. Cette fermeture était irréversible, faute de travaux de sûreté et de combustible nécessaire.
La situation actuelle résulte d'une moindre disponibilité du parc nucléaire du fait de problèmes de maintenance liés à la crise sanitaire.
Vendredi dernier, jour de froid, nous n'avons eu besoin que de 85 gigawatts et avons pu parer aux risques de ruptures en toute sérénité.
M. Christian Klinger. - Si la consommation est moindre que prévue, c'est que les entreprises ne tournent pas à plein régime...
Nous consommons 1 981 mégawatts d'énergie issue du charbon, que nous aurions économisés si Fessenheim était resté ouvert. Je suis factuel et les chiffres sont têtus... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. Christian Redon-Sarrazy . - En novembre, en plein confinement, la ministre de la Transition écologique annonçait qu'il n'y aurait pas de blackout cet hiver, que des mesures de régulation étaient prévues - et voilà qu'on demande au Français de se rationner ! Comment faire quand il faut à la fois se chauffer et télétravailler ? C'est le résultat de l'imprévoyance du Gouvernement, qui mine notre souveraineté énergétique avec son projet Hercule.
Alors que la consommation électrique des ménages a augmenté de 4 % lors du second confinement, la maintenance des centrales nucléaires a été retardée. Les énergies renouvelables sont trop intermittentes pour remplacer le nucléaire, qui représente encore 70 % de notre approvisionnement énergétique.
Ce retard fragilise notre production et le Gouvernement fait payer aux Français son imprévoyance en leur demandant de réduire leur consommation, ce qui n'est pas sans conséquences sociales. Qu'avez-vous prévu pour répondre à ces enjeux ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Il n'est pas question de rationnement des ménages, mais d'une forme de sobriété. (M. Fabien Gay ironise.)
Il existe des aides pour les ménages en situation de précarité énergétique. Chacun doit être conscient de la nécessité de maîtriser les dépenses énergétiques, sans qu'il soit pour autant question de priver les Français d'un quelconque confort énergétique.
Vouloir se rassurer en surdimensionnement notre approvisionnement aurait un impact néfaste au plan environnemental et économique. Pour l'heure, les craintes sont infondées.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Je ne suis pas convaincu... Si le Gouvernement avait été prévoyant, RTE n'aurait pas eu à demander aux consommateurs de se rationner !
Vu le contexte économique et social, il est injuste de réclamer de nouveaux sacrifices aux Français. Ce projet Hercule est une véritable épée de Damoclès sur notre souveraineté énergétique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
Mme Françoise Dumont . - La ministre de la Transition écologique évoquait le 19 novembre la possibilité de coupures « très courtes » de courant en cas de vague de froid. Le 24, lors de la présentation de la RE2020, elle annonçait la fin à venir du chauffage au gaz dans les logements neufs. Son remplacement par des chauffages électriques accentuera la tension sur notre système de production d'électricité.
Or il y a un an, le Gouvernement fermait la centrale de Fessenheim, pourtant encore opérationnelle, ce qui se traduit par l'émission de plus de 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an en Europe.
Le 4 décembre, le Président de la République déclarait à Brut : « Moi, j'assume à fond. Je crois dans l'écologie. Si l'on veut réussir, on doit être encore meilleurs sur le nucléaire. » Je vous laisse juges...
Madame la ministre, pouvez-vous assurer à la représentation nationale qu'il n'y aura pas de blackout ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les bilans prévisionnels de RTE écartent ce risque. En cas de pic de consommation, le gestionnaire peut recourir à l'effacement ou à l'interruptibilité. Des études sont en cours avec l'AIE et RTE pour fixer les enjeux de notre mix après 2035 ; vous y serez associés. Il s'agit notamment de développer le stockage et la maîtrise de la demande.
La RE2020 développera des moyens de chauffage moins carbonés. Avec des bâtiments bien isolés et des pompes à chaleur, nous passerons sans encombre les pics de consommation.
M. Bruno Sido . - Depuis septembre, la France a rallumé ses quatre centrales à charbon pour compenser la fermeture de Fessenheim. EDF importe d'Allemagne de l'électricité produite au gaz ou au lignite. Hier, la France a importé l'équivalent de six tranches nucléaires d'électricité.
Les retards dans la mise en service de l'EPR de Flamanville fragilisent notre approvisionnement électrique. Vendredi dernier, RTE a demandé aux Français de réduire leur consommation. La coupure n'est pas un acte banal ; nous ne saurions nous y habituer. Quel est le calendrier de mise en service de Flamanville ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les premiers essais à chaud se sont terminés en février 2020, les premiers assemblages de combustible ont été approvisionnés en octobre pour être entreposés et la remise à niveau des soudures sur le circuit secondaire se poursuit. Malgré la crise sanitaire, EDF n'a pas modifié son objectif de chargement de combustible fin 2022, pour une centrale opérationnelle en 2023.
M. Bruno Sido. - À vous entendre, on croirait qu'il n'y a jamais d'incident... Dans la soirée du 4 novembre 2006, 15 millions de foyers, dont 5,6 millions en France, ont été privés d'électricité en raison d'un incident en Allemagne. Après cet événement, j'avais présidé une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement d'électricité de la France : notre rapport contient des propositions concrètes, lisez-le ! Les accidents, par définition, sont imprévisibles. En 2006, nous nous avions les capacités pour surmonter la crise ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. Comment ferez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Mandelli . - Ce débat arrive à point nommé. La demande faite aux Français de réduire leur consommation était sans doute nécessaire, mais résonne comme un aveu d'impuissance.
Avec le développement du tout électrique dans les transports, le bâtiment, l'usage croissant du numérique, il nous faut aborder sans dogmatisme la question de l'origine de l'énergie. Les Français n'ont pas à subir les atermoiements des décideurs publics ou les conséquences de décisions arbitraires et démagogiques. Il faut du bon sens, du pragmatisme, et une vision. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les réponses ne sont pas uniformes. La politique énergétique du Gouvernement, c'est un système électrique plus diversifié, clé de la résilience face aux aléas. Un système reposant massivement sur une seule technologie serait trop risqué, d'où notre programme ambitieux mais progressif de développement des EnR.
Ce constat s'appuie sur les analyses techniques approfondies menées par RTE.
Une étude a été commandée sur les investissements à envisager pour l'après 2035. Les perspectives sont plutôt encourageantes ; le bilan prévisionnel de RTE nous donnera les grands axes de sécurisation du mix énergétique. À titre d'exemple, en 2019, le parc solaire et éolien a évité l'émission de 22 millions de tonnes de CO2 au niveau européen.
M. Didier Mandelli. - Nous partageons les objectifs mais j'ai des doutes sur la capacité de RTE à mesurer les évolutions, qui sont parfois très rapides.
Je proposerai aux présidents des commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire la proposition d'entendre le président de RTE pour qui, semble-t-il, tout a été prévu...
M. Philippe Mouiller . - La loi de 2015 sur la transition énergétique prévoyait la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre production à l'horizon 2025 ; cette échéance, totalement irréaliste, a été reportée à 2035.
Par dogmatisme, on réduit une capacité de production d'énergie propre pilotable, le nucléaire, pour la remplacer par des EnR intermittentes et aléatoires. Les voyants sont au rouge. Le compte d'affectation spéciale « Transition écologique » a été supprimé du budget, et la baisse des prix de l'énergie renchérit les charges du service public de l'énergie qui soutient les EnR. L'hydroélectricité est menacée par l'ouverture à la concurrence.
Quelle est la stratégie de développement des EnR électriques ? Seront-elles un jour suffisantes pour pallier le recul du nucléaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La loi fixe un objectif ambitieux de 40 % d'EnR en 2030. Quelque 6 milliards d'euros seront consacrés à cet objectif en 2021.
À 60 euros le mégawatt pour le solaire, et 44 pour le parc éolien en mer de Dunkerque, contre 48 à 50 euros pour le nucléaire existant, la preuve de la compétitivité des EnR est faite.
Le calendrier des appels d'offres pluriannuel donne aux acteurs de la visibilité ; le programme d'investissements d'avenir soutient l'innovation ; nous travaillons sur le raccordement et la planification, en favorisant l'appropriation locale des projets.
La diversification ne met pas en péril l'approvisionnement à moyen terme. L'étude de RTE qui sera publiée mi-2021 évoquera ces sujets.
M. Philippe Mouiller. - J'entends vos arguments, mais il y a bien un problème d'équilibre, car les EnR ne sont pas stockables.
Membre d'un syndicat d'électricité, je constate de véritables freins, administratifs et financiers, dans les territoires. Il y a un décalage entre votre discours et cette réalité.
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comment en est-on arrivé là ? C'est la question que nous nous sommes posée lorsque RTE a demandé, vendredi, aux Français de réduire leur consommation pour éviter les coupures.
Madame la ministre, vous n'y avez pas répondu. Les températures, vendredi, n'étaient pas si basses, quelques valeurs étaient légèrement négatives. Le pic était de 88 mégawatts, très loin du record de 102 mégawatts du 8 février 2012. Rien qui ne devrait a priori effrayer...
La stratégie d'autonomie patiemment construite depuis les années soixante autour du nucléaire a été mise à mal par les choix effectués depuis, entre absence d'anticipation et petits arrangements politiques.
La ministre de la Transition écologique, optimiste, envisage un mix totalement renouvelable en 2050 ; plus sceptique, Jean-Yves Le Déaut, ancien président de l'Opecst, estime que l'éolien et le photovoltaïque ne sauraient assurer la sécurité d'approvisionnement dans la période de pointe du soir, la plus critique.
Les chiffres sont têtus. Le 8 janvier, l'éolien et le photovoltaïque n'ont jamais excédé 5 % du total. Notre géographie n'est pas celle de la Norvège. Il faut le dire aux Français : nous importons régulièrement de l'énergie fortement carbonée pour compenser la baisse de notre production d'origine nucléaire.
On veut développer le stockage sur batterie et l'hydrogène vert, mais en même temps on abandonne le programme Astrid sur les réacteurs de quatrième génération quand d'autres pays accélèrent ! C'est contradictoire.
On n'agit pas non plus du côté de la demande puisque la consommation devrait augmenter de 15 % d'ici 2040 avec la croissance du nombre de véhicules électriques, qui seront rechargés le soir, au moment du pic de consommation. La fin du chauffage au gaz dans les logements neufs renforcera aussi la demande d'électricité.
Selon une étude, une vague de froid importante en Europe conduirait à un déficit de capacité de 35 à 70 gigawatts et des coupures d'électricité de 100 à 250 heures. Et que dire en cas de pic de chaleur, lorsque la climatisation représente jusqu'à 70 % de la consommation ?
Enfin, les usages numériques continuent à croître, avec le stockage sur cloud, le télétravail et la visioconférence.
Alors que la demande augmente, notre pays réduit ses moyens d'y répondre. Devant ce sentiment d'absurde, je conclurai en citant cette devise des Shadoks : « En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc plus ça rate, plus on a de chance que ça marche. » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Bonhomme. - Bonne référence !