SÉANCE

du mardi 8 octobre 2019

4e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Éloge funèbre de Philippe Madrelle

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs et Mme et MM. les ministres se lèvent.) C'est avec beaucoup d'émotion et de tristesse que nous avons appris, le 27 août dernier, la disparition du doyen de notre assemblée.

Philippe Madrelle nous a quittés au terme d'un combat contre la maladie qu'il menait courageusement en poursuivant ses activités. Encore récemment, nous l'avons tous en mémoire, c'était au cours de la session extraordinaire de cet été, il avait tenu à intervenir au cours d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement.

J'étais présent à ses obsèques, le 2 septembre en l'église Notre-Dame de Bordeaux, et je lui ai rendu un premier hommage lors de cette cérémonie d'adieu à laquelle assistaient un millier d'habitants de la Gironde et de nombreuses personnalités politiques, dont Patrick Kanner, président du groupe socialiste du Sénat.

Figure emblématique du département de la Gironde, Philippe Madrelle voua sa vie entière à un engagement inlassable au service de ses compatriotes et de l'intérêt général. Ses grandes facultés d'écoute et d'empathie, son humanisme, son indéfectible esprit de justice, de solidarité et de fraternité étaient salués unanimement et suscitaient le respect de tous.

Profondément ancré dans son territoire - oui, son territoire -, il exerça avec une longévité exceptionnelle et sans doute inégalée ses mandats locaux et nationaux. Il fut maire de Carbon-Blanc pendant un quart de siècle, de 1976 à 2001. La confiance des électeurs du canton de Carbon-Blanc, jamais démentie, renouvelée à sept reprises, lui permit de siéger sans discontinuité 47 années durant au sein de l'assemblée départementale. Il présida aux destinées du département de la Gironde pendant 36 ans, jusqu'en 2015, avec une brève interruption de 1985 à 1988. Élu pour la première fois au Sénat après 12 ans de mandat de député et ensuite réélu sénateur à quatre reprises, il siégea pendant près de 39 ans dans notre hémicycle. Comme il en convenait lui-même en prenant la parole devant le Sénat, à cette place même, comme doyen d'âge en 2017, « sans doute ne sera-t-il plus possible, à l'avenir, de s'exprimer avec le recul de cinquante années de vie parlementaire ». Et pourtant, ce recul n'est pas inutile, me semble-t-il, à notre vie démocratique...

Philippe Madrelle était né le 21 avril 1937 à Saint-Seurin de Cursac, petite commune du Blayais dans le nord de la Gironde, là même où il repose aujourd'hui.

Il fut immergé dans la vie politique dès son plus jeune âge. Son père, contrôleur des contributions, était aussi un militant SFIO et un élu local, conseiller municipal, puis maire de la commune.

Le sport occupa une place très importante dans sa jeunesse. Coureur de fond, il fut plusieurs fois champion universitaire du 400 mètres. Ainsi qu'il le déclara plus tard, cette dure école du sport lui donna des leçons de courage, d'endurance mais aussi d'humilité et de loyauté.

Titulaire d'un baccalauréat de philosophie et d'un certificat d'études littéraires générales de la faculté de Bordeaux, il débuta dans la vie professionnelle comme instituteur dans un village, puis comme professeur d'anglais.

Mais Philippe Madrelle fut très tôt attiré par la vie politique où l'entraînèrent tant ses inclinations personnelles que cette « solide tradition de militantisme familial. Son père déclarait pourtant qu'il ne l'avait pas poussé vers cela, mais plutôt vers l'enseignement, car « la politique, c'est instable. Mieux vaut avoir un métier (...) ». De même, son frère Bernard, également enseignant à l'origine, s'orienta ensuite vers la politique et fut longtemps député de la Gironde, de 1978 à 2007.

Dès 1965, à l'âge de 28 ans, Philippe Madrelle fut élu conseiller municipal d'Ambarès. Deux ans plus tard, il devint le suppléant du député René Cassagne, cet ami de son père, autre grande figure du socialisme girondin. Il fut, selon ses propres dires, « l'inspirateur de toute [sa] carrière ».

Philippe Madrelle lui succéda à l'Assemblée nationale en 1968. À l'âge de 31 ans, plus jeune député de France, et benjamin du groupe socialiste, il ne savait pas alors que le destin le conduirait, 50 années plus tard, à devenir le doyen du Sénat.

Il fut successivement conseiller général en 1969, adjoint au maire de Carbon-Blanc en 1971, puis maire de cette commune en 1976.

Quelques mois après son élection comme maire, il devint, à 39 ans, le plus jeune président de conseil général de France.

Il s'investit avec passion dans cette fonction. Il s'attacha sans relâche à favoriser le développement de son département et, j'ajouterai - c'est un point auquel il tenait par-dessus tout et dont il m'avait entretenu - un développement équilibré entre la métropole bordelaise et les autres composantes du plus vaste département de France.

Pour ce faire, il dota l'assemblée départementale d'instruments d'action novateurs comme le fonds départemental d'aide à l'équipement des communes. Il mit également en place des contrats de développement social urbain et rural, pour soutenir tant les quartiers sensibles que les zones rurales en état de fragilité.

En 1980, il fit son entrée au Sénat. Expliquant son choix de quitter l'Assemblée nationale pour rejoindre notre assemblée, il déclarait alors que sa fonction de président de conseil général l'orientait tout naturellement vers la chambre représentant les collectivités territoriales.

En 1981, il succéda à André Labarrère comme président du conseil régional d'Aquitaine. Pendant quelques années, il fut à la fois sénateur, président de conseil général et président du conseil régional. (Murmures) C'est une tranche de l'histoire qui part cet après-midi avec Philippe. À un journaliste du Monde qui l'avait interpellé sur le cumul de ces lourdes responsabilités, il avait rétorqué qu'il serait prêt à donner l'exemple en cas de vote d'une loi limitant le cumul des mandats, tout en faisant observer que « la carte de visite est imprimée par le suffrage universel et lui seul »...

Au Sénat, Philippe Madrelle choisit de siéger à la commission des affaires étrangères et de la défense, dont il fut membre pendant plus de vingt ans avant de rejoindre la commission de la culture en 2011, puis la commission de l'aménagement du territoire en 2014. C'est donc naturellement qu'il prenait régulièrement part aux débats sur les questions de politique étrangère ou de défense.

Il avait gardé de sa jeunesse un intérêt particulier pour le milieu sportif et avait à coeur d'intervenir presque chaque année sur le budget de la Jeunesse et des Sports.

Il profitait également, le plus souvent possible, des séances de questions orales pour défendre les intérêts de son cher département de la Gironde sur des questions qui lui tenaient à coeur.

Il fut un acteur majeur de la décentralisation en Gironde. Décentralisateur acharné, il était, dans tous les sens du terme, un « girondin ». Dès 1980, il déclarait croire profondément en l'avenir de la décentralisation, « cette réforme essentielle pour l'avenir démocratique de notre pays ». Aussi s'engagea-t-il avec conviction en faveur des lois de décentralisation initiées par le président Mitterrand et Gaston Defferre.

Il fut en même temps, tout au long de sa carrière politique, un défenseur du monde rural et des collectivités territoriales, et du binôme département et communes. La rencontre avec les maires, jusqu'au dernier instant, fut pour lui un moment où il nourrissait son action.

Il écrivait en 1998 dans une tribune publiée dans Le Figaro : « Comment imaginer de renoncer à l'inestimable atout de proximité que constitue le couple département-communes ? ». Il considérait ces collectivités comme des « socles de notre démocratie ».

Dans Sud-Ouest, il défendait en 2002 l'avenir du département comme « territoire de référence et d'appartenance » et « collectivité de solidarité ».

En 2014, au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, il dénonçait, transgressant même sa propre formation politique, la réforme territoriale en cours comme portant atteinte au binôme commune-département, qui avait permis - je reprends ses mots - de « mettre fin à des siècles de féodalité ».

Philippe Madrelle avait pressenti, avant tout autre, le péril mortel que ferait courir à notre démocratie une fracture territoriale qui ne cesse depuis des années de s'élargir. Souvenons-nous de son allocution de doyen d'âge : « nous avons tous conscience qu'il y a urgence à prendre en compte la lassitude et les attentes des élus locaux, qui animent dans la proximité les cellules de base de la République et de notre démocratie représentative ».

Sa carrière de parlementaire et d'élu local l'avait également convaincu, depuis longtemps, de la nécessité d'une Seconde Chambre, assurant la représentation de la Nation selon une approche fondée sur les territoires. Et ce même s'il pensait que le Sénat devait sans cesse s'adapter et se moderniser.

Dans son allocution de doyen d'âge de 2017, Philippe Madrelle avait tenu à se référer, en tant que Girondin, à Montesquieu, pour qui le bicamérisme était une condition essentielle de l'équilibre des pouvoirs. Il avait également rappelé que le bicamérisme était « la marque des régimes démocratiques ». Selon ses propres mots, le Sénat, loin d'être l'assemblée conservatrice décrite par ses détracteurs, était l'assemblée de l'approfondissement du travail législatif, « un lieu de travail serein et sincère, dont la valeur essentielle est le respect : respect des principes de la République, respect du Gouvernement, respect du pluralisme et de la diversité idéologique, et surtout respect des collègues et de leurs expressions ou opinions, en toutes circonstances ». Ces mots sont la meilleure présentation du Sénat.

Soucieux de la préservation et de la transmission de la mémoire de l'action des sénateurs, Philippe Madrelle avait tenu à déposer au Sénat, au début de cette année, son fonds d'archives privées liées à l'exercice de son mandat sénatorial.

Cet hommage solennel n'est pas que solennel, mais affectif, vis-à-vis d'un parlementaire estimé, un humaniste, un parfait serviteur de la République, un défenseur inlassable de la ruralité et des collectivités territoriales, un acteur majeur de la décentralisation et de l'aménagement du territoire, un acteur du bicamérisme et notre doyen, ce qui a du sens quel que soit le groupe dans lequel nous siégeons.

À ses anciens collègues des commissions des affaires étrangères, de la culture et de l'aménagement du territoire, à ses amis du groupe socialiste et républicain, j'exprime notre profonde sympathie.

À son épouse, à ses enfants, à toute sa famille et à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur chagrin.

Philippe Madrelle restera présent dans nos mémoires.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - En tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, j'ai témoigné, au nom du Gouvernement, lors de ses obsèques, de la reconnaissance de la République à l'un de ses plus fidèles serviteurs. Philippe Madrelle a connu un parcours qui ne sera bientôt plus possible : député, maire de Carbon-Blanc, sénateur, président du conseil général de la Gironde, président du conseil régional d'Aquitaine.

Sa vie entière fut dédiée à la politique et au bien commun. Atavisme paternel... Jacques, son père, adhérent SFIO, l'éveilla au militantisme. Philippe Madrelle aimait la politique au sens le plus noble, parce qu'il aimait les gens.

Il disait que seule la victoire a un intérêt. Cette ardeur au combat politique n'était pas étrangère à son goût pour le sport, pratiqué dès son plus jeune âge, champion de cross puis de 400 mètres.

Philippe Madrelle était aussi un homme chaleureux et sensible qui a su inspirer confiance à ses électeurs par ses qualités d'écoute et d'empathie.

Il devint, après ses premiers pas dans l'enseignement, conseiller municipal SFIO à 28 ans, puis succède à René Cassin comme suppléant, devenant à 32 ans le plus jeune député du département, le plus grand de France. C'est en 1967 qu'il devint président du Conseil général, fonction qu'il exercera, sauf une interruption entre 1985 et 1988, jusqu'en 2015. Précurseur de la décentralisation, il créa un fonds départemental d'aide aux communes. Seul le Lot de Maurice Faure et la Nièvre de François Mitterrand s'étaient dotés d'un instrument de ce type.

« Pas de Gironde à deux vitesses » aimait-il dire et il travailla à renforcer le lien et la cohésion sociale, en couvrant, au fil des ans, les 535 communes de son département, d'équipements structurants.

En 2017, portant un regard rétrospectif sur son action, il dit dans son discours d'ouverture de la séance publique avoir découvert dans ses fonctions d'élu local l'importance déterminante du rôle des politiques d'aménagement et de solidarité mis en place par des institutions de proximité comme le conseil départemental.

Les politiques sociales suscitèrent toute son attention. Le soutien à l'aide sociale à l'enfance était un axe majeur de son mandat de président de département et un motif de fierté.

Lors de la campagne électorale de 2014, il était capable de nommer tous les maires et adjoints de Gironde. Françoise Cartron a pu dire avec facétie : « pas besoin de GPS avec Philippe Madrelle, il connaît toutes les routes de Gironde ».

Il siégera près de 39 ans à la Haute Assemblée. Il voyait le Sénat comme une tribune des territoires et un garant de l'équilibre des pouvoirs, cher à Montesquieu.

Il appelait de ses voeux l'approfondissement du travail des assemblées. Il sut susciter des vocations. Il eut la générosité de se projeter au-delà de lui-même.

Le projet de loi que nous nous apprêtons à examiner lui aurait sans doute donné l'occasion de réaffirmer son attachement aux élus locaux.

Philippe Madrelle aura incarné une certaine génération d'hommes politiques pour lesquels l'engagement était celui d'une vie. Fidèle à ses électeurs, à son parti, à son territoire, inlassable bâtisseur, il laisse un vide béant pour sa famille, ses amis, ses collègues, auxquels j'adresse mes condoléances attristées.

(Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme et MM. les ministres, observent une minute de silence.)