Régression de la place de l'agriculture française sur les marchés internationaux
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la régression de la place de l'agriculture française sur les marchés internationaux.
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.) Qui aurait pu penser que la force exportatrice de la France soit remise en question ? L'excédent de notre balance commerciale agricole a été divisé par deux ces cinq dernières années. Si nous n'y prenons pas garde, nous connaîtrons notre premier déficit en 2023. Qui aurait pu penser que la France qui produisait suffisamment de denrées alimentaires pour son peuple, qui exportait dans le monde entier, qui avait un savoir-faire d'excellence, devienne dépendante d'importations agricoles d'autres pays ?
Les chiffres montrent un déclin de notre agriculture que nous sommes les seuls à connaître. Le nombre des personnes travaillant dans le secteur agricole et alimentaire est passé de 12 % à 5,5 % en quarante ans.
La surface agricole a baissé de 17 %, soit l'équivalent de la région Grand Est, alors que la Chine l'a multiplié par 1,5 et le Brésil par 2.
Le nombre de vaches a été divisé par deux. La France est le pays qui a perdu le plus de parts de marché depuis 2000. Notre pays est passé de la troisième à la sixième place en moins de quinze ans.
De nouvelles puissances émergent telles la Pologne, le Brésil, la Chine et l'Inde. L'effet de compétitivité négative est dû au dumping social des autres pays européens. Le coût horaire du travail en France est 1,7 fois plus élevé qu'en Espagne et 1,5 fois qu'en Allemagne. Ainsi, le kilogramme de porc coûte 10 centimes de moins en Allemagne qu'en France. Les charges de production sont passées de 4 % à 7 % entre 2016 et 2019 alourdies encore par la loi EGalim.
La France surtranspose sans cesse les normes européennes, par exemple le glyphosate interdit dans deux ans en France et cinq ans dans le reste de l'Europe.
L'OCDE classe la France comme le pays où le degré d'exigence est bien supérieur aux autres en matière de normes environnementales. Les zones de non-traitement ne sont que le dernier exemple.
Tous ces éléments, jumelés à l'agribashing, affectent notre production et le moral des agriculteurs - l'un d'entre eux se suicide tous les deux jours.
Depuis 2000, les importations ont presque doublé. Un fruit et un légume sur deux sont importés.
Pas moins de 25 % du porc consommé en France est importé d'Allemagne ou d'Espagne, alors qu'il y a quelques années encore, c'était l'inverse.
Plus d'un jour par semaine, nous consommons des produits importés, bas de gamme, hors foyer, ce qui entre en contradiction avec les messages rassurants que l'on nous délivre.
C'est le cas pour 75 % de la volaille que nous consommons. Avec la montée en gamme, concept que vous défendez, monsieur le ministre, certains consommateurs pourront acheter de la qualité tandis que les autres ne consommeront que des produits importés.
MM. Fabien Gay et Bruno Sido. - Et oui !
M. Laurent Duplomb. - Pourtant, la France agricole a, jusqu'à ces dernières années, toujours su préserver l'équilibre entre les produits d'excellence tels que les AOP et les produits dits de « commodités », de tous les jours, avec une attention particulière à leur qualité sanitaire qui les oblige à répondre à une multitude de normes.
Réagissons face à ces voyants alarmants. Avec le déclin de l'agriculture française et l'entrée de produits étrangers de plus en plus massive, nous exposons les Français à plusieurs risques majeurs. Comment expliquer à nos concitoyens qu'un quart des produits importés ne respectent pas nos normes ?
M. Roger Karoutchi. - Et le CETA !
M. Laurent Duplomb. - Ils sont moins coûteux que les produits français, ce qui est un paradoxe insoutenable. Le bilan CO2 est pourtant très mauvais. Nous risquons en outre de faire diminuer le revenu des agriculteurs, composé à 25 % d'exportations.
M. Jean-Marc Boyer. - T'as raison Duplomb ! (Sourires)
M. Laurent Duplomb. - Nous risquons en outre de détruire de plus en plus d'emplois en France. Comment expliquer que nous aurons à l'avenir détruit nos emplois et que nous aurons toujours les moyens financiers pour acheter notre nourriture ailleurs ?
Il faut sauvegarder notre autosuffisance alimentaire, alors que la planète va bientôt compter 9 milliards d'habitants. Attention à trop de rigueur verte !
En 1604, Sully disait : « Labours et pâturages sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vrais mines et trésors du Pérou ». Dans ce but, Sully proclame la liberté du commerce des grains et abolit un grand nombre de péages. Il ouvre de grandes voies de communication et fait creuser plusieurs canaux, dont le canal de Briare qui relie la Seine à la Loire. Il va pousser les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre aux autres pays.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Laurent Duplomb. - Bref, il n'y a plus de pays sans paysan. Tirons la sonnette d'alarme. Nous sommes face à nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Merci au Sénat pour ce rapport très intéressant. Je partage beaucoup des conclusions du Sénat mais il aurait fallu ouvrir des perspectives.
M. Bruno Sido. - C'est à vous de les indiquer !
M. Didier Guillaume, ministre. - La France est un grand pays agricole.
M. Jean Bizet. - Qu'elle le reste.
M. Didier Guillaume, ministre. - La France après la deuxième Guerre Mondiale a beaucoup développé son agriculture, mais l'Allemagne, l'Autriche et la Pologne n'étaient pas des puissances agricoles. Quand elles se sont développées, cela a créé le multilatéralisme agricole. En outre, l'Union européenne a ouvert le secteur agricole à la concurrence. L'équilibre de notre balance commerciale est délicat car nous ne sommes plus seuls sur la terre. La concurrence a beaucoup évolué. Il est vrai que notre solde commercial agricole se dégrade depuis dix ans. Tous mes prédécesseurs se sont vantés de ce que la balance agricole de la France était positive. Certes, mais elle se dégradait année après année, sauf l'année dernière car nous avons exporté du blé dans les pays arabes et dans le Maghreb, ce qui a permis d'engranger un excédent de 1,5 milliard. La diminution de la balance ne peut pas se poursuivre. Cela faisait 17 ans que la Chine avait mis sous embargo notre viande. Les routes sont désormais ouvertes, mais nous n'avons pas réussi à y relancer nos ventes, en dehors du porc, puisque ce pays est frappé par la peste porcine.
Nous ne parvenons pas en France, dans la restauration commerciale et hors foyer, à promouvoir la viande française. Notre objectif est de promouvoir la production française aux échelons français, européen et international.
Le dispositif Travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE) a été maintenu cette année. Nous conservons l'exonération totale du gasoil non routier pour l'agriculture.
M. Jean-Paul Émorine. - C'est déjà le cas !
M. Didier Guillaume, ministre. - Certes, mais c'est une mesure très importante !
Je travaille aussi sur les dossiers de l'eau et l'assurance. Opposer compétitivité, exigence environnementale et sociale et qualité est trop passéiste.
Si on veut que l'agriculture se développe, il faut qu'elle soit connectée, compétitive et qu'elle développe en son coeur la recherche et l'innovation. S'il en va autrement, c'est que nous n'avons rien compris à l'agriculture.
Parallèlement, nous devons mettre en place la transition agro-écologique.
La montée en gamme, voulue par les États généraux, ne résout pas tout. Elle est indispensable dans certaines filières ; dans d'autres, c'est l'organisation et la compétitivité dans le marché intérieur qui comptent.
Quant au dumping, nous sommes dans le marché de l'Union européenne. Nos concurrents - Espagnols, Italiens, Allemands - utilisent beaucoup de travailleurs détachés et nous envoient des produits moins chers qu'en France. Nous ne devons pas nous mettre à leur niveau mais au contraire les faire progresser. Ce travail est à mener à l'échelle européenne. Il ne faut pas opposer compétitivité à l'écologie.
Nos lycées agricoles perdent des élèves. Nous travaillons à leur attractivité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 14 mars, la Cour des comptes européenne a une nouvelle fois pointé du doigt les faiblesses des systèmes de contrôle des produits bio. Seuls 40 % du parcours des produits bio est traçable jusqu'au producteur.
En parallèle, la Direction de la concurrence et des fraudes (DGCCRF) constatait que 17 % des contrôles physiques sur les produits issus de l'agriculture biologique importés de pays tiers étaient non conformes en 2017.
Il y a tromperie des consommateurs qui paient 150 % plus cher que les produits traditionnels et croient acheter local.
Comment comptez-vous garantir que chaque denrée alimentaire destinée à la consommation humaine ou animale en provenance d'un pays tiers corresponde strictement aux standards français et européens de production ?
De quelle façon l'Europe entend réellement soumettre les produits bio importés aux règles communautaires ?
M. Didier Guillaume, ministre. - En France, nous avons la chance de disposer d'une police sanitaire compétente et plus efficace que celle de nos voisins. Nous voulons une vaste force sanitaire européenne.
Quand il y a eu tromperie sur la viande venue de Pologne, la police a mis 72 h pour remonter la filière. Ne montrons pas du doigt cette police !
Dans les cantines, rien n'a bougé depuis le Grenelle de l'environnement pour ce qui concerne le bio. Effectivement on a besoin de traçabilité. Nous allons continuer à vérifier la traçabilité pour tous les produits bio.
M. Daniel Gremillet. - Il faut sortir du modèle européen où l'on demande aux paysans français d'être en compétition. Cessons de leur mentir. Il faut rassurer les consommateurs sur le fait que ce qu'ils ont dans l'assiette, c'est ce qu'on a décidé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Montaugé . - Ce débat est bienvenu. Comment l'agriculture peut-elle contribuer à notre balance commerciale ? Quel regard sur le CETA ? En matière de sécurité sanitaire, les bovins au Canada sont nourris de substances interdites en France.
Une centaine de pays membres de l'OMC ont appelé l'Union européenne en juillet à reconsidérer son approche en matière de réglementation des pesticides, jugée excessivement restrictive au commerce et qui leur porterait un préjudice disproportionné.
L'Union a rappelé que la santé de la population est une priorité, mais la tentation est forte de faire plaisir à nos partenaires commerciaux. Comment faire des concessions sans affaiblir la santé et remettre en cause le principe de précaution ?
Oui : le principe de précaution doit être préservé. Ainsi, il est interdit d'importer des animaux nourris aux farines d'animaux morts. L'Union européenne interdit également l'importation de la viande aux hormones. Pour s'en assurer il faut des contrôles.
Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay. - Justement !
M. Didier Guillaume, ministre. - Attention à ne pas alimenter les soupçons. Les contrôles fonctionnent bien. (On en doute sur les travées du groupe CRCE.)
Les denrées alimentaires ne doivent contenir aucun résidu de médicaments vétérinaires. Certes, on ne peut pas contrôler tout ce qui entre en France, mais nous considérons qu'ils sont suffisants.
Nous avons une divergence quant au CETA, démarré sous Sarkozy, acté sous Hollande et en train d'être validé sous Macron. Il n'est pas encore mis en place mais des accords avec le Canada existent déjà.
M. Franck Montaugé. - Je souhaite attirer votre attention sur la participation de l'État français au codex Alimentarius. Il faut aussi être attentif au risque que constitue la nouvelle gouvernance de la PAC en matière de verdissement ; la concurrence entre pays européens risque de s'exacerber.
M. Joël Labbé . - L'agriculture française souffre d'une concurrence déloyale. Une part bien trop importante de nos aliments est importée et de moindre qualité. Mais la réponse ne repose pas sur un affaiblissement de la réglementation ; au contraire, je fais partie de ceux qui défendent un rehaussement des exigences en matière de sécurité alimentaire. Une partie de la solution réside dans la relocalisation de notre alimentation, à travers un changement sociétal profond. Or, le vote du CETA par l'Assemblée nationale va à l'encontre de cette évolution. Les accords de libre-échange entraînent une course aux prix toujours plus bas et au moins-disant. Les projets alimentaires territoriaux, outils efficaces de relocalisation, sont trop peu nombreux.
Dans le cadre du projet de loi de finances, soutiendrez-vous une augmentation significative du budget de ces projets ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe RDSE)
M. Didier Guillaume, ministre. - Le codex Alimentarius est important. En mars prochain, la France le présidera.
Monsieur Labbé, je ne soutiendrai pas lors du projet de loi de finances l'augmentation du budget des projets alimentaires territoriaux. On demande toujours plus d'argent, comme une réponse à tout, alors que ces projets ont déjà de quoi fonctionner.
Voilà la troisième année consécutive que la France se voit décerner le prix de la meilleure agriculture durable du monde. Arrêtons de pleurer sans cesse ! Notre agriculture est résiliente et forte. Disons-le pour remonter le moral des agriculteurs. Notre agriculture sûre et saine nous est enviée. Il ne faut pas une agriculture pour les riches et une autre pour les pauvres. Chacun doit s'y retrouver. Notre industrie agroalimentaire est elle aussi capable de mettre en place des circuits courts.
M. Joël Labbé. - Vous ne serez pas surpris de ma déception. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils extraordinaires de relocalisation. Pour limiter les importations, il faut gagner les marchés locaux. Nous importons 40 % de notre volaille ! Soyons cohérents. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes RDSE et SOCR)
Mme Noëlle Rauscent . - L'étiquetage des produits a permis d'assurer une traçabilité selon des normes françaises et européennes. Il a permis de sécuriser les choix du consommateur. Grâce aux multiples applications mobiles qui fleurissent, le consommateur est devenu un « consomme-acteur », agissant de manière autonome et contribuant à la régulation de la société de consommation.
Comment accompagner nos agriculteurs face à la révolution numérique, tout en respectant le droit d'information du consommateur ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Première piste, nous devons informer et éduquer les consommateurs. Que tous ceux qui écrivent des tribunes fassent, au moment d'acheter, acte de patriotisme agricole, économique et d'autosuffisance alimentaire.
M. Bruno Sido. - Bravo !
M. Didier Guillaume, ministre. - Nous y travaillons, notamment en révisant les programmes de nos lycées agricoles.
Deuxième chose, pour bien consommer, il faut être bien informé. Il convient donc de poursuivre notre travail en matière d'étiquetage. Dans les supermarchés, certains produits portent le label français alors qu'une infime partie est produite en France. Voilà ce qu'il faut corriger.
Mme Noëlle Rauscent. - La traçabilité est essentielle pour le consommateur. Elle doit aussi se faire en fonction des producteurs.
M. Fabien Gay . - Merci pour ce débat.
La libéralisation du secteur agricole et le libre-échange, tels sont les deux sujets d'actualité dans le domaine agricole. Vous nous racontez une fable sur l'agriculture, puisque vous êtes un fervent partisan du CETA dont la ratification, au demeurant, prévue le 4 novembre, a encore été repoussée. N'est-ce pas signe que le débat est vif ?
En juillet dernier, un rapport sénatorial sur les faux steaks a été publié : il a été impossible de connaître l'origine des 10 000 carcasses : polonaises, néo-zélandaises, brésiliennes ou canadiennes !
Comment me faire croire que les traités de libre-échange permettront de faciliter la traçabilité ? Est-ce une fable ? Y croyez-vous vraiment ? (Applaudissements sur toutes les travées)
M. Didier Guillaume, ministre. - J'y crois fermement ! Arrêtons de toujours nous faire peur. L'accord avec le Mercosur ne sera pas ratifié. Quant au CETA, j'ai compris que votre assemblée ne le voterait pas... Les applaudissements sont révélateurs... Vous, sénateurs CRCE, avez toujours été opposé aux traités de libre-échange, mais ce n'est pas forcément le cas de la partie droite de l'hémicycle... Pour les faux steaks, le dossier avance bien.
D'après FranceAgriMer, sur 3 193 lots d'animaux vivants contrôlés, trente sont non conformes. Quatre sur 2 721 lots d'aliments pour animaux. Vous nous dites que 25 % des produits contrôlés sont non conformes : nous en sommes loin puisque nous sommes à 1 %.
M. Laurent Duplomb. - Ce sont les chiffres de la Cour des comptes.
M. Didier Guillaume, ministre. - Ce ne sont pas forcément les nôtres... Monsieur Karoutchi, vous n'avez pas toujours accordé crédit aux chiffres de la Cour des comptes !
M. Fabien Gay. - Vous êtes en train d'installer une agriculture et une alimentation à deux vitesses. Vous évitez de répondre sur le fond, car la traçabilité dans les conditions que vous proposez est impossible. C'est une fable que vous nous racontez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Menonville . - La France n'a pas à rougir de son agriculture qui devance l'Allemagne et l'Italie en matière de production animale et végétale, et qui dégage des excédents qui soutiennent notre balance commerciale, laquelle demeure hélas structurellement déficitaire.
La situation de l'agriculture se dégrade néanmoins dangereusement. Nous avons rétrogradé de la troisième à la sixième place en matière d'exportation et la France risque de connaître son premier déficit commercial agricole en 2023.
Les surtranspositions et les mesures franco-françaises dégradent notre compétitivité. Comment l'améliorer ? À quand un choc de compétitivité pour que nos agriculteurs puissent lutter à armes égales avec leurs concurrents européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
M. Didier Guillaume, ministre. - Nous ne voulons pas mettre de boulets aux pieds des agriculteurs, mais libéraliser le plus possible le secteur. Nous avons procédé à une baisse des charges sans précédent en faveur des agriculteurs. Le président de la République nous a demandé de travailler sur un pacte productif. Nous oeuvrons à l'échelle européenne pour une montée en gamme agricole.
L'an dernier, nous avons procédé à 100 000 contrôles. C'est trop pour certains, pas assez pour M. Gay. Pour éviter qu'entrent en France des produits que nous ne souhaitons pas, nous avons prévu d'ouvrir 300 postes de contrôleurs en plus des 100 existants.
Mme Françoise Férat . - Dans les années quatre-vingt-dix, la France était le deuxième exportateur agricole dans le monde ; elle se classe désormais à la sixième place. Nos parts de marché sont passées de 7,7 % en 2000, à 4,8 % en 2019, soit le plus fort recul mondial en dix ans, alors que l'Allemagne et les Pays-Bas ont maintenu leurs positions. CETA, Mercosur, surtranspositions, surcroît de charges, telles en sont les raisons que nous connaissons bien.
Même si la désinformation va grandissante avec l'agribashing et les approximations des journalistes en herbe, les consommateurs doivent savoir que la France continue de bénéficier de la meilleure agriculture du monde. Informons-les ! D'où la pétition que j'ai signée pour rétablir l'inscription du pays de production des produits alimentaires, dans le cadre de la campagne « Eat originals ».
Si l'on joue au même jeu mais pas avec les mêmes cartes, la partie est perdue. Tous les deux jours, un paysan français se suicide. Il ne s'agit pas d'un jeu. Comment mieux informer et éduquer les consommateurs de la qualité de l'agriculture française ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre. - L'an dernier, plus de 300 agriculteurs se sont suicidés, certes pas uniquement pour des raisons agricoles.
Nous travaillons sur le sujet avec la MSA. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) J'aurais réussi mon passage au ministère si je pouvais réduire ces suicides. La coupure entre ruraux et urbains n'est plus acceptable. Il faut que les urbains cessent de montrer les agriculteurs du doigt.
Quant à la traçabilité, elle est essentielle. La concurrence que nous subissons est, à 95 % interne à l'Union européenne, fruit du dumping social et fiscal. D'où l'importance d'une montée en gamme européenne.
M. Michel Raison . - L'hebdomadaire The Economist, référence mondiale, nous a classés pour la troisième année consécutive modèle agricole le plus durable. Nous sommes à la 9e position en matière de phytosanitaire à l'hectare. Et on demande toujours plus à nos agriculteurs !
M. Jean Bizet. - Absolument ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Dubois et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)
M. Michel Raison. - Comment comptez-vous faire pour éviter les distorsions de concurrence qui viennent du fait que le Gouvernement veut bouillir plus blanc que blanc ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean Bizet. - La concurrence est franco-française.
M. Didier Guillaume, ministre. - Je ne peux pas vous laisser dire que nous voulons bouillir plus blanc que blanc. Vous avez trop d'expérience pour cela.
M. Jean Bizet. - C'est la réalité !
M. Didier Guillaume, ministre. - Non ! Les sujets sont traités au niveau européen. Cessons d'opposer compétitivité, innovation et recherche. Arrêtons avec la fracture entre urbains et ruraux : trop de paysans se font insulter lorsqu'ils sont sur leur tracteur.
Nous avons une certaine avance : gardons-la. La sortie du glyphosate est actée en France pour le 1er janvier 2021. Tous les pays européens, y compris les pays d'Europe centrale et orientale, y viendront en 2023.
Nous avons l'agriculture la plus durable du monde et les Français sont les seuls à ne pas le savoir. Cessons d'opposer ville et campagne !
M. Michel Raison. - Mes positions ne sont pas si éloignées, mais comment expliquer que notre agriculture est la plus durable du monde alors que vous ne parlez que de changer ce modèle agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Victoire Jasmin . - Confronté aux normes européennes, à la concurrence déloyale des filières informelles, aux difficultés de trésorerie, aux risques naturels majeurs, aux maladies répétées dans les filières aviaire et porcine, le métier d'agriculteur n'attire plus. Ne laissons pas les lobbies dicter notre politique. Vous avez décidé de supprimer l'Office de développement de l'économie agricole outre-mer (Odeadom) malgré son utilité pour les outre-mer. Quelles sont vos intentions quant à l'agriculture en général et dans ces territoires en particulier ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Didier Guillaume, ministre. - Nous avons arrêté la baisse des inscriptions dans nos lycées agricoles : + 500 cette année, contre - 4 000 en dix ans. (M. Jean-Marc Boyer en doute.)
Je ne veux pas supprimer l'Odeadom, mais des strates administratives pour que l'agriculture outre-mer retrouve son efficacité. Il n'est pas normal que les outre-mer dépendent de leurs voisins pour leur alimentation. Les agences employant moins de 100 ETP, dont FranceAgriMer, réintégreront le giron des ministères. Ainsi, nous redonnerons le pouvoir aux élus locaux, aux présidents des chambres d'agriculture, qui ne sont pas les exécutants de la politique nationale. Les outre-mer doivent créer de nouvelles filières agricoles, animales, céréalières, maraîchères, ils y trouveront des sources d'emploi et d'une alimentation encore meilleure.
Mme Victoire Jasmin. - L'Odeadom doit poursuivre son travail. (M. le ministre approuve.)
M. Jean-Claude Luche . - Notre agriculture n'est pas concurrentielle : charges, coût de la main-d'oeuvre, de mise aux normes et autres contraintes en sont responsables, même si c'est au bénéfice de la sécurité alimentaire.
Pourtant, il y a bien un domaine où nous sommes compétitifs, c'est sur la qualité de nos produits - et pour le faire savoir davantage, il faut rendre transparente la provenance sur l'étiquetage des produits transformés. Le logo « fabriqué en Aveyron » - qui a tenu son premier salon ce week-end - est pionnier en la matière : il indique au moins 50 % des matières premières en provenance du département.
Cela peut tout changer. Allez-vous faire évoluer les pratiques ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Nous avons tous le même objectif : retrouver de la compétitivité, remplacer les 150 000 agriculteurs qui partiront à la retraite dans la prochaine décennie ; 12 000 nouveaux agriculteurs se sont installés en 2018 - un record ! Mais cela suffira-t-il ?
Monsieur Luche, l'Aveyron a pu mettre en place ce logo grâce à une montée en gamme, avec le roquefort notamment. Mais tous les départements ne peuvent pas se le permettre car il n'y a pas une agriculture ; il y en a plusieurs. Je le dirai demain à la foire de Clermont-Cournon, il faut un étiquetage pour toutes les agricultures.
Mme Patricia Morhet-Richaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 44 de la loi EGalim précise les interdictions en matière de consommation humaine et animale. Alors que chaque Français consomme 9 kg de pâtes par an, nous devons importer massivement du blé dur, en particulier le canadien qui est pulvérisé à l'herbicide pour hâter la récolte, pratique interdite dans notre pays.
L'importation de produits d'origine animale, elle, a augmenté de 87 % depuis 2000. Quels contrôles le Gouvernement a-t-il mis en place pour que l'article 44 soit respecté ?
M. Didier Guillaume, ministre. - L'Union européenne interdit l'importation de produits qui ne sont pas à ses standards, ceci indépendamment des traités de libre-échange dont nous parlons beaucoup ces temps-ci.
Nous travaillons dans deux directions. D'abord un plan protéines végétales aux niveaux français et européen, pour parvenir à l'autosuffisance dans ce domaine. On ne peut pas continuer à importer des tourteaux de sojas. Au niveau européen, j'ai bon espoir que l'on rassemble une majorité sur ce sujet.
Sur la question du blé durable, que je connais bien, la santé doit primer ; 100 000 contrôles, je l'ai dit, sont conduits chaque année, pour s'assurer que les produits importés sont au standard européen.
M. Yannick Botrel . - L'excédent de notre balance commerciale agroalimentaire s'érode inexorablement. Cette situation a conduit le Sénat à publier en 2013 un rapport montrant que notre secteur agroalimentaire n'avait pas su s'adapter à l'évolution des marchés mondiaux.
En cause : cinq ministères responsables, des organismes qui s'ignorent, divers freins et blocages qui nous empêchent de faire front commun à l'export - tout ceci faute d'une véritable stratégie.
Monsieur le ministre, quelle est votre analyse de cette situation ? Il convient de définir d'abord des objectifs, puis les moyens pour les atteindre et non l'inverse.
M. Didier Guillaume, ministre. - Je partage 100 % de votre intervention : la France n'est pas à la hauteur de l'enjeu des exportations agricoles. On le voit au Salon international de l'alimentation (SIAL) ou à d'autres foires comme en Chine, les autres pays chassent en meute.
En France, chacun y va dans son coin, PME par PME, ETI par ETI. Rien à voir avec des pays comme l'Italie ou ceux d'Amérique latine où les acteurs agricoles se présentent ensemble pour pénétrer les marchés. Cependant, nos exportations agroalimentaires ont augmenté de 34 % en deux ou trois ans ; c'est bien que nous avons des entreprises d'excellence. Cette stratégie pour notre agriculture, nous y travaillons. Je préside le comité du Pacte productif sur l'export agroalimentaire, pour aider nos PME à partir à la conquête des marchés étrangers. Ces entreprises doivent s'adresser à nos postes diplomatiques et au ministère pour les aider.
M. Rémy Pointereau . - Je suis très inquiet pour le devenir de nos jeunes agriculteurs. Notre pays est le premier producteur agroalimentaire de l'Union européenne mais ne cesse de perdre des parts de marché à l'international, pour l'élevage comme pour les céréales. Les raisons sont connues : surabondance de normes, trop-plein de charges ; mais surtout, depuis 2011, les gouvernements successifs ont lâché notre agriculture.
Nous sommes dans un système où coexistent des prix mondialisés et des contraintes européanisées. Sortons de la dépendance du marché de Chicago et mettons en place un équivalent européen. Monsieur le ministre, allez-vous soutenir cette proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre. - Le marché, c'est aussi Euronext. La France est toujours le premier producteur et le premier exportateur de céréales en Europe. Notre avance n'est certes pas aussi importante qu'autrefois, sauf en 2018 grâce à un excédent vendu aux pays du Maghreb.
Aujourd'hui, si l'on ajoute au marché européen la mer Noire, le volume des transactions européennes est supérieur à celui du marché de Chicago. Nous ne sommes pas dans une dépendance commerciale. Si nous mettons davantage Euronext en avant, nous resterons au sommet.
M. Alain Houpert . - Les accords de libre-échange semblent conduire notre agriculture dans une situation inextricable, avec une libre circulation sans garde-fous. Monsieur le ministre, il est caricatural de dire qu'on ne saurait exporter sans accepter d'importer. Nous refusons tout accord sans engagement sanitaire et phytosanitaire. Nous réclamons un véritable audit européen des contrôles douaniers et vétérinaires aux frontières des pays de l'Union européenne. Aux Pays-Bas, il y a vingt-cinq douaniers pour des flux de 165 milliards de dollars : quelle garantie de sérieux des contrôles, dans de telles conditions ?
Le Premier ministre a mandaté FranceAgriMer pour un audit sur notre compétitivité et la reconquête de nos positions. Le Parlement y sera-t-il associé ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre. - Encore une fois, les accords de libre-échange n'ont pas été ratifiés ; et puis certains secteurs, comme les spiritueux, ne se plaignent pas de nos échanges avec le Canada.
Pour le CETA, les contrôles sont désormais effectués à l'échelle européenne, pour éviter le jeu trouble de certains pays.
Quant à l'audit demandé à FranceAgriMer, oui, nous reviendrons vers le Parlement dès que la méthode aura été définie ; il faut tirer dans la même direction pour mettre en place une agriculture compétitive, qui rémunère ses agriculteurs et qui exporte.
M. Cyril Pellevat . - Le constat dressé par le rapport d'information de M. Duplomb est alarmant. Les producteurs de fruits et légumes souffrent d'une concurrence déloyale. Exemple : la cerise du Gard et la carotte de Créances. Les producteurs de la première se sont vu interdire d'utiliser le diméthoate contre la mouche Suzukii, au contraire de leurs concurrents turcs. L'importation des cerises traitées est interdite - enfin, espérons que cela soit vrai...
Pour les secondes, c'est le dichloropropène qui est interdit par l'Union européenne, alors que les producteurs italiens et espagnols semblent avoir obtenu des dérogations. Qu'en est-il ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Vous voyez que les choses ne sont pas simples... Le diméthoate a été interdit par un gouvernement précédent. Grâce à la clause de sauvegarde sanitaire, aucun produit traité au diméthoate n'entre en France. (M. Cyril Pellevat en doute.)
Attention au complotisme : si vous soupçonnez que des produits traités entrent dans notre pays, faites un signalement ! La clause de sauvegarde a bien été demandée par la France et mise en oeuvre.
Quant à la carotte de Créances, les producteurs n'ont pas su changer leurs pratiques à temps... Mais nous y sommes finalement parvenus.
À terme, la France va demander la suppression de toutes les dérogations. Les pays du Nord sont sur la même ligne.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) La tendance de fond justifiait un rapport qui tire la sonnette d'alarme : merci à Laurent Duplomb et à ses collègues du groupe sénatorial d'études « Agriculture et alimentation ». Leur rapport est cité partout sur le terrain. Leur cri d'alarme est entendu dans nos campagnes.
Edgar Pisani, ministre de l'agriculture sous Charles de Gaulle, M. Rocard sous Mitterrand, auraient-ils pu imaginer que la France ne soit plus le premier exportateur agricole européen ? Quand Jacques Chirac nous invitait à manger des pommes, la France n'importait pas la moitié de ses fruits et légumes. C'est la limite de la loi EGalim : ne prendre le problème du revenu agricole qu'à l'aune de la grande distribution ; c'est un peu court.
Comment peut-on s'engager dans une politique environnementale ambitieuse et s'accommoder des importations massives par cargo de produits souvent traités avec des produits interdits en France ?
Merci, monsieur le ministre, de vous être prêté à l'exercice. Mais les accords de libre-échange vont accroître les importations. Le CETA ne pose pas de problème de qualité, mais il met en concurrence des producteurs non soumis aux mêmes modèles de production.
La baisse de la PAC est frappante et doit être comparée avec la hausse des budgets agricoles dans les grands pays. L'agriculture française ne peut plus être la variable d'ajustement de la politique européenne.
Nous sommes un grands pays agricole et nous devons faire face. Notre agriculture est la plus performante du monde pour les enjeux de qualité. Elle peut répondre aux grands défis. (M. Michel Savin renchérit.) La meilleure façon de réaliser ses rêves, c'est de se réveiller, disait Paul Éluard. Alors, réveillons-nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
Mme Françoise Férat. - Bravo !
La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 10.