Croissance et transformation des entreprises (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Discussion générale
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Vous savez à quel point Pacte est un texte attendu par notre économie. Après de longs débats, en commission comme en séance publique, nous l'avons amélioré ensemble car mieux que quiconque, vous connaissez les territoires et une entreprise se définit d'abord, non par sa taille ou son activité, mais par son territoire.
Pacte est attendu par les salariés, qui veulent un meilleur accès à l'intéressement et à la participation, une meilleure association à la gouvernance des entreprises.
Pacte est attendu par les chefs d'entreprise, qui attendent la simplification des déclarations administratives, de la transmission des entreprises, des seuils sociaux.
Pacte est attendu aussi par les épargnants car la réforme de l'épargne retraite garantira plus de flexibilité, de liberté et de transparence.
Pacte est attendu encore par les jeunes générations, qui attendent des entreprises qu'elles donnent un sens à l'économie, qu'elles se battent pour l'inclusion, pour une croissance durable, ce que nous avons voulu affirmer en modifiant le code civil.
Pacte est attendu, enfin, par notre industrie, pour lever les blocages qui limite la réindustrialisation de tous les territoires de France.
La France fait face à des défis historiques, les plus brutaux et les plus décisifs de ces dernières décennies. Des révolutions technologiques menacent de reléguer notre économie dans les dix prochaines années, non pas au septième ou au huitième, mais au dixième ou au quinzième rang mondial derrière le Mexique, le Brésil et l'Indonésie. Nous devons changer notre modèle de croissance et de consommation et, en même temps, réduire les inégalités qui progressent depuis une décennie.
Rejeter le texte c'est se résigner, abandonner notre souveraineté technologique, renoncer au combat pour une croissance durable et pour un capitalisme plus respectueux et plus conforme à notre tradition européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Michel Canevet, rapporteur de la commission spéciale . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Nous aurions souhaité que la CMP soit abordée de façon beaucoup plus positive et qu'elle soit conclusive. Tel n'a pas été le cas, nous ne pouvons que le déplorer au regard du travail que le Sénat a fourni sur ce texte. Bien sûr, l'on pourra se consoler ont notant que 114 articles sur 225 ont été votés conformes. Néanmoins, nombre de sujets importants n'ont pas pu faire l'objet d'un accord.
Ce matin, l'OCDE a évoqué de façon plutôt positive les réformes menées en France pour favoriser la croissance.
M. Richard Yung. - Vrai !
M. Michel Canevet, rapporteur. - Il faut effectivement poursuivre en ce sens et le Sénat aurait voulu aller plus loin.
Des regrets, donc, sur les commissaires aux comptes qui auraient apprécié la version progressive du Sénat. De même, sur l'orientation de l'épargne vers les entreprises : Finistère Angels a financé des petites entreprises pour un montant total de 148 000 euros en 2018, contre 1,4 million en 2017 et cette tendance s'observe dans d'autres départements bretons.
Des regrets encore sur le fait que les taux dérogatoires pour le forfait social n'aient pas été unifiés à hauteur de 10 %.
Nous aurions voulu que le salarié ait le libre choix de l'orientation de son épargne salariale, que l'accord d'intéressement puisse être signé à tout moment de l'année comme le souhaitent les chefs d'entreprise avec lesquels j'ai discuté lors des rencontres salariales de l'épargne.
J'appelle l'attention du Gouvernement sur l'évolution du code civil : la formulation de l'Assemblée nationale engendre des risques de contentieux que réduisait la version du Sénat.
L'article 61 septies, qui crée les sociétés à mission, un concept intéressant, impose un cadre trop contraignant. L'article 62 quinquies présente aussi des risques juridiques, qui prévoit la nullité des délibérations en cas de méconnaissance de la parité.
Nous regrettons, en outre, les surtranspositions sur la transparence des rémunérations et la responsabilité de plein droit des agents de voyages ainsi que les trop nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance.
Nous avons obtenu gain de cause sur le gaz et la dématérialisation des factures, mais non sur l'électricité alors que nous avions fait un travail important pour intégrer les dispositions directement dans le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et Les Indépendants)
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.) Je veux vous faire part de ma déception et de celle de mes collègues rapporteurs. Le sujet des privatisations, qui aurait dû faire l'objet d'un projet de loi distinct, car il ne concerne nullement les entreprises, a obscurci le sens de ce texte. Les apports du Sénat, même si un certain nombre d'entre eux a été retenu par les députés, en ont été victimes.
Le seuil de 50 salariés est un frein à la création et à la croissance des entreprises, nous l'avons relevé à 100. Nous étions prêts à un compromis à 70 qui a un sens économique, les députés ne l'ont pas voulu.
Nous avons proposé un report de la réforme des commissaires aux comptes, dont nous avons accepté l'économie générale malgré nos réserves pour ses conséquences sur le maillage territorial. Sauf pour l'outre-mer, ces ajustements n'ont pas non plus été pris en compte ; la réforme s'appliquera dès le 1er septembre 2019. Les actionnaires minoritaires ne pourront pas non plus obtenir la désignation d'un commissaire aux comptes même s'il semblerait que les députés aient conservé cette faculté dans la proposition de loi sénatoriale de simplification du droit des sociétés.
Concernant la réforme des réseaux consulaires, l'Assemblée nationale a rétabli l'obligation faite aux CCI et CMA de région, d'adopter après chaque renouvellement, un plan de mutualisation des actions. Elle a réintroduit le dispositif, que le Sénat avait jugé inutile, visant à limiter le nombre de mandats d'un président de CCI. CCI France aura le monopole de la représentation des intérêts nationaux des CCI, c'est à ce niveau que seront fixées les règles de recrutement des directeurs généraux de chambre. Les députés ont rétabli l'obligation de conclure des conventions avec les régions pour la mise en oeuvre du schéma régional de développement économique d'innovation et d'internationalisation.
S'agissant du compromis que le Sénat avait trouvé sur le stage préalable à l'installation pour les artisans, les députés l'ont purement et simplement supprimé.
Comme nous l'avions souhaité en commission, sans être suivis en séance publique, l'Assemblée nationale a maintenu la faculté de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) de s'opposer à un brevet dépourvu d'activité inventive ou d'application industrielle. Il faudra veiller aux moyens humains de l'INPI pour lui permettre d'assurer cette mission.
Le Sénat a fait oeuvre utile en corrigeant les excès de textes récents sur les produits plastiques à usage unique et certains produits phytopharmaceutiques. Les députés ont globalement confirmé nos orientations.
L'Assemblée nationale a renoncé à la création d'une délégation parlementaire à la sécurité économique, votée en première lecture sans aucune concertation avec le Sénat. Sur ce point, le dialogue bicaméral a permis de revenir à la raison.
Toutefois, l'Assemblée nationale n'a pas suffisamment suivi le Sénat, d'où notre choix d'une question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
M. Philippe Adnot . - (MM. Jérôme Bascher et Laurent Duplomb applaudissent.) Par principe, je n'aime pas beaucoup les questions préalables car c'est la négation du rôle du Parlement, qui est d'améliorer les textes.
M. Richard Yung. - Bravo !
M. Philippe Adnot. - Cela traduit notre incapacité à les enrichir. Je ferai toutefois une exception aujourd'hui.
M. Roger Karoutchi. - À la bonne heure !
M. Philippe Adnot. - Ce texte a mélangé tous les sujets, ce qui a fermé la discussion à rebours de l'ambiance actuelle, qui est au dialogue !
Ce texte est une série de rendez-vous manqués. Sur les seuils sociaux, il ne satisfera personne et ne favorisera pas l'emploi. Les entreprises ne pourront pas pleinement s'engager.
Quelques satisfactions, malgré tout, et chacun les siennes. Pour ma part, je note que l'Assemblée nationale a repris notre amendement, nous étions d'ailleurs plusieurs à le déposer, pour augmenter la participation des chercheurs de 20 % à 32 % au capital et au droit de vote.
La récolte est maigre et, parce que je n'aime pas les maigres récoltes, je soutiendrai la question préalable. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Manifestement, c'est la dernière fois que nous débattons de Pacte. Je veux donc saluer, encore une fois, le travail de la commission spéciale qui a apporté nombre d'améliorations au texte. Elle a donné un avis favorable à la question préalable. Par principe, comme l'orateur précédent, je le regrette car le débat est toujours utile.
M. Richard Yung. - Très bien !
M. Emmanuel Capus. - Par principe, je ne ferai donc pas d'exception ; je ne voterai pas cette question préalable. Notre rôle de sénateur est de porter la voix des territoires dans le débat public, quelle que soit l'issue du vote.
Ce projet de loi va globalement dans le bon sens : il favorisera concrètement le développement de nos PME, la création d'entreprises et l'innovation. Il passe au crible les scories de notre droit et les règles absurdes qui absorbent l'énergie de nos entrepreneurs. Bref, Pacte est une bonne nouvelle et nos entrepreneurs en étaient demandeurs.
Le Parlement a considérablement enrichi le projet de loi initial malgré la procédure accélérée qui nuit à la qualité de notre travail.
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Emmanuel Capus. - Le Sénat a veillé à ce que les mesures ne restent pas hors-sol. L'Assemblée nationale a entendu sa voix sur les chambres des métiers et de l'artisanat. Les Indépendants y avaient insisté, un réseau dense doit continuer d'accompagner les entrepreneurs de proximité.
En revanche, l'Assemblée nationale ne nous a pas suivis sur le relèvement du seuil de 50 à 100 salariés. Dommage car cela est décisif pour transformer nos PME en ETI.
Une fois encore, le Sénat s'est montré raisonnable et ambitieux ; raisonnable parce que, dans une société de plus en plus fracturée, il faut veiller à ce que tous les territoires profitent des fruits de la croissance ; ambitieux parce qu'il faut aller plus loin pour libérer les énergies et susciter l'envie d'entreprendre.
Je regrette que le débat ait achoppé sur les privatisations, en particulier celle d'ADP. Son refus, qui n'est pas dénué d'arrière-pensées politiques, nous a privés de l'opportunité de nous faire entendre. Nous pouvions y apporter les garde-fous pour assurer à la puissance publique la pleine maîtrise du cadre dans lequel cette concession s'opérera car elle s'opérera. Adopter cette solution préconisée par la commission spéciale était préférable. Nous ne corrigerons pas les vices du capitalisme par des voeux pieux.
N'oublions pas que notre pays étouffe de tant de pression fiscale et de réglementation. Tout ce qui reconcentrera l'État sur ses missions régaliennes redonnera du souffle à notre économie. Il y va de notre capacité à maîtriser notre destin dans un monde incertain.
Le débat n'est pas clos, loin s'en faut. J'aurais souhaité poursuivre l'examen du texte. Le groupe Les Indépendants, pour partie, s'abstiendra et, pour partie, votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et LaREM)
M. Martin Lévrier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Ces derniers mois, ces dernières semaines, tous les chefs d'entreprises que j'ai rencontrés sur mon territoire m'ont fait part de leur impatience de voir la loi Pacte promulguée, de la faire vivre. (Marques d'ironie sur les bancs du groupe CRCE)
Je ne doute pas que la grande majorité de notre hémicycle soit persuadée que cette loi est une bonne loi. Et pour cause, elle améliore la parité au sein des directions des entreprises et crée un label pour l'emploi des personnes handicapées ; elle simplifie la création et la croissance des entreprises ; elle améliore et diversifie le financement des entreprises ; elle protège les inventions et les expérimentations, l'innovation de rupture et les entreprises stratégiques.
Je ne m'attarderai pas sur les participations de l'État, M. Yung y reviendra. La majorité sénatoriale qui feint de s'en offusquer soutenait majoritairement à la présidentielle, il y a deux ans, un candidat favorable aux privatisations !
Le chapitre 3 réconcilie performance économique et responsabilité sociale de l'entreprise. Il protège les salariés (Rires sur les bancs du groupe CRCE), développe l'intéressement et la participation, donne une nouvelle visibilité sociale à l'entreprise ; il instaure un fonds de pérennité pour protéger la croissance à long terme de nos entreprises. Bref, elles pourront innover et se développer, croître à chaque phase de leur développement. Il est temps d'adapter le modèle français au XXIe siècle !
Vous prétextez que le texte revenu de l'Assemblée nationale ne suffit pas quand 99 articles, dont 13 additionnels créés par le Sénat, ont été votés conformes. Limitation des seuils d'effectifs pour certains dispositifs fiscaux, possibilité pour les majeurs rattachés au foyer fiscal de leurs parents d'ouvrir un PEA, réforme de l'agrément « Entreprise solidaire d'utilité sociale », modernisation du certificat d'utilité, création d'une procédure d'opposition aux brevets. Sur de nombreux sujets, nous avons été suivis. Et sur la transférabilité des contrats d'assurance-vie ou les CMA, les modifications de l'Assemblée nationale sont minimes.
Les députés ont heureusement rétabli des dispositions centrales que le Sénat avait supprimées. Limiter les différences de salaire de 1 à 20 est une proposition de la confédération européenne des syndicats pour lutter contre les écarts incompréhensibles qui s'observent dans certaines entreprises, notamment celles du CAC 40, où ils sont de l'ordre de 1 à 250. Il n'est pas de richesse que d'hommes, disait le philosophe Jean Bodin. La rémunération est un facteur de bon fonctionnement de l'ascenseur social, nous devons retrouver des critères de cohésion, il faut tirer l'ensemble des salariés vers le haut. C'est du mouvement que naît la croissance, non de l'immobilisme.
Le groupe LaREM, soucieux que le débat ait lieu, ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Fabien Gay . - Nous restons clairement opposés à ce texte gouvernemental qui casse les seuils sociaux, détricote la Caisse des dépôts ou encore supprime le stage préalable à l'installation des artisans et le recours aux experts-comptables. Alors vous voulez la start-up Nation, vous cassez l'accompagnement à la création d'entreprise. Pire, vous refusez de légiférer sur le statut d'autoentrepreneur, laissant les grandes plateformes numériques continuer à exploiter les jeunes ; vous réformez l'épargne retraite alors que vous vous apprêtez à reculer l'âge de départ à la retraite et à casser la retraite par répartition. Visiblement, nous ne nous sommes pas rendus sur les mêmes ronds-points : nulle part, je n'ai vu de pancarte « Je souhaite mourir au travail ». (Rires)
Vous réalisez le tour de force de parler du partage de la valeur sans évoquer les salaires et leur augmentation. En 200 articles, ce qui devait être un pacte entre l'entreprise et l'État se transforme en pacte entre l'État et les rapaces de la finance. Vous réussissez même à échouer sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, une des rares avancées du texte initial.
Les salariés demandent de la protection, vous répondez libéralisme, compétition, profits ! Nous ne choisirons pas entre la droite gouvernementale et la majorité sénatoriale. C'est blanc bonnet, bonnet blanc !
Nous ne prendrons donc pas part au vote sur la question préalable.
Un mot sur les privatisations. J'ai lu le cahier des charges. Confidentialité oblige, je ne peux pas dire ce qu'il contient. En revanche, je peux dire qu'il ne contient rien sur les 8 600 hectares d'ADP et leur valorisation. Comment fixer un prix sans recenser les actifs ? Autant de foncier en Ile-de-France, c'est une pépite inestimable. La page 38 est destinée à rassurer les élus locaux : elle ne contient que trois lignes !
Il suffit de 56 pages pour brader un actif de 10 milliards quand le notaire m'a fait remplir un dossier de 65 pages pour acheter un petit pavillon avec ma femme ! Il faut donc plus de paperasse pour acheter une maison qu'un aéroport ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; rires sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains)
Depuis le refus du Sénat, vous avez affûté vos arguments. Vous avez même publié un document intitulé Les 10 idées fausses sur l'aéroport de Paris. Premier argument : après 70 ans, l'intégralité des infrastructures sera rendue à l'État. Vous oubliez de préciser que l'État versera une indemnité en fonction d'une évaluation réalisée en 2079. L'État n'aura peut-être pas les moyens !
Deuxième argument, ce n'est pas un monopole public... Au Conseil constitutionnel, que nous saisirons comme beaucoup, de le dire ! Quelque 85 % des touristes européens et 95 % des touristes extra-européens atterrissent par ADP. Quant à l'argument de la concurrence, il ne tient pas. Si un touriste veut visiter Paris, il ne s'arrête pas à Doha...
L'argument de la gestion des boutiques est un raisonnement par l'absurde ; c'est comme si l'on dissociait l'autoroute du péage, la gare de la ligne de chemin de fer, le port du bar de la marine ! (Rires)
Loin de moi l'idée de relayer des fake news ou de faire du Vinci bashing mais nous avons le droit de savoir : voulez-vous vraiment vendre ADP à Vinci ?
Si vous êtes si sûr de vous d'avoir raison contre tous, donnez la parole au peuple ! Organisez un référendum et demandez aux Français s'ils sont d'accord pour vendre ce bien commun afin de satisfaire des intérêts financiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR ; M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Brigitte Micouleau applaudissent également.)
M. Martial Bourquin . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.) Nous nous retrouvons à nouveau pour examiner ce projet de loi fourre-tout.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Non, Pacte !
M. Martial Bourquin. - Le point de non-retour, c'est la privatisation des joyaux de la Nation : ADP, la Française des Jeux, Engie. L'opinion publique - une pétition a rassemblé plus de 150 000 signatures, et les gilets jaunes, y compris devant le Sénat, nous reprochent les privatisations des autoroutes. Le bon sens économique et politique doit l'emporter. On vend généralement pour gagner de l'argent. ADP, qui a connu une croissance de 43 % en 2018, a un foncier unique. Les seuls dividendes d'ADP suffiraient à alimenter votre fonds d'innovation de rupture et nous empocherions encore 600 millions d'euros !
Madame la ministre, ADP est le symbole du transfert de richesses publiques vers les multinationales ; c'est l'exemple parfait d'un capitalisme de connivence ! (On se récrie sur les bancs du groupe LaREM.)
De connivence, je le redis ! La constitution, en son article 9, dispose qu'on ne peut brader les biens de la Nation. ADP est un monopole naturel car on passe bien par ses installations pour entrer et sortir du territoire. Même s'il accueille des boutiques, c'est un actif stratégique.
Vous répétez l'erreur déjà commise avec la privatisation des autoroutes et de l'aéroport de Toulouse. Au lieu d'en tirer les leçons, vous accélérez, la tête droit dans le mur. Dire que le privé gère mieux que le public, c'est de l'idéologie pure !
Souhaitez-vous satisfaire Vinci, qui n'a pu obtenir Notre-Dame-des-Landes, ou est-ce le président de la République qui veut réaliser son rêve inachevé de ministre de l'Économie ?
Vous vendez le patrimoine de la France à la découpe ! (Marques d'agacement sur les bancs du groupe UC) Nous nous battrons jusqu'au bout pour l'empêcher. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Jean-Marc Gabouty . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) À ce stade, on ne peut exprimer que des regrets, voire une certaine frustration. Une issue consensuelle ne semblait pas a priori inatteignable pourtant.
J'ai tôt dit mes craintes sur ce caractère disparate des dispositions de ce texte. On connaît le dicton : qui trop embrasse mal étreint !
Dans cet ensemble, un gros caillou, ADP, a fait achopper tout espoir de consensus. Le sujet méritait-il une telle opposition ? J'en doute. Ce n'est pas un retrait patrimonial définitif, et l'État conserve les compétences régaliennes. Même si la concession semble trop longue, le futur concessionnaire n'aura en charge que l'intendance commerciale.
Des textes fourre-tout, nous en votons depuis longtemps, mais les privatisations méritaient un projet de loi à part.
Pour le reste, nous partageons les orientations générales du texte.
Saluons la simplification des procédures de création, de transmission et de reprise des entreprises ; la rationalisation des seuils d'emplois et la souplesse lors du franchissement ; le relèvement du seuil de certification des comptes ; la suppression du forfait social sur l'intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés ; les aménagements concernant l'épargne retraite, l'assurance-vie, le PEA-PME.
Certaines évolutions relèvent toutefois surtout de l'affichage. Ainsi, la centralisation subie des organismes consulaires se fera au détriment des territoires les plus éloignés des capitales régionales. C'est une tendance regrettable, dont les gilets jaunes sont un révélateur...
Le texte est également insuffisant sur l'accès des PME au crédit et aux marchés et ne mobilise pas assez le secteur bancaire.
Le texte échoue enfin sur l'intéressement ; l'objectif de le rendre obligatoire dès 10 salariés ne sera pas atteint par les seules mesures incitatives car les chefs d'entreprise raisonnent en coût global, taxes incluses. La suppression du forfait social ne suffira pas. Pourtant, cette mesure de justice sociale avait du mérite. Ce chapitre aurait pu faire partie des réponses au grand débat national, où le développement économique, l'emploi et l'entreprise semblent relégués au second rang.
En conclusion, conforme à son habitude, le groupe RDSE ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je veux d'abord remercier les rapporteurs et la présidente de la commission spéciale qui ont permis au Sénat d'amender le texte et de lui donner une vision.
Hélas, l'Assemblée nationale n'en a retenu que deux désaccords, sur la cession d'ADP et de la Française des jeux. Encore le message du Sénat a-t-il été en partie entendu, la régulation des jeux et d'ADP ayant été renforcée, avec la création notamment d'un régulateur indépendant. Le débat sur la pertinence de privatiser ADP ne doit pas cacher l'apport majeur du Sénat en la matière.
Ceci posé, un sentiment mitigé domine.
Partageant les objectifs du texte, le Sénat a souhaité l'enrichir, espérant trouver des points de convergence avec l'Assemblée nationale. Hélas, balayant en grande partie notre travail, les députés sont revenus à leur rédaction de première lecture sur les principales mesures. Les points d'accroches sont connus : stage préalable à l'installation des artisans, doublement du seuil de 50 à 100 salariés, refus du report de la réforme du contrôle légal des comptes, rôle de l'INPI...
Les députés ont rétabli la privatisation de la Française des jeux en renforçant légèrement la régulation. Ce n'est pas suffisant, mais cela va dans le bon sens.
Je regrette que le Sénat ne se soit saisi de la question d'ADP que sous le prisme politique. Les aéroports sont un secteur concurrentiel et ADP est en concurrence avec les plus grands hubs du monde. Rappelons que c'est la droite qui a ouvert le capital d'ADP en 2006 ; dès lors, les choses étaient écrites. Aujourd'hui, ce secteur n'est pas bien régulé. Les décisions se prennent au plus haut niveau de l'État, alors qu'il s'agit d'enjeux techniques.
Il faut permettre aux compagnies aériennes d'améliorer leur qualité de service, dans des conditions tarifaires acceptables - or le système actuel pousse au surinvestissement, avec des redevances élevées. J'aurais aimé que le Gouvernement procède différemment, qu'il réaffirme son attachement au secteur aérien et aéroportuaire et prenne des mesures de compétitivité. La privatisation ? Pourquoi pas, mais avec une régulation accrue. Toutes les compagnies le demandent.
En tout cas, il importe de dire les choses comme elles sont et non se contenter de faire le procès du Gouvernement pour se dédouaner d'erreurs passées.
La privatisation de l'aéroport Toulouse, lancée par M. Montebourg, a été un échec mais celles des aéroports de Nice et Lyon, sous le même Gouvernement, ont été un succès. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Loïc Hervé. - C'est vrai !
M. Vincent Capo-Canellas. - L'Assemblée nationale n'ayant toutefois pas fait de pas significatif vers le Sénat, le groupe UC votera dans sa grande majorité pour la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur le banc de la commission)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ce qui devait être un plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises - objectif ô combien louable - s'est transformée piteusement en loi sur la privatisation d'ADP et FDJ.
M. Martial Bourquin. - Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Il a fallu que le Sénat s'en émeuve pour que les consciences s'éveillent, que le débat prenne enfin corps. Repoussée par notre assemblée, la funeste privatisation a hélas été rétablie par les députés - au terme de trois jours de débat, par un vote favorable de 27 députés sur 45 votants et 42 suffrages exprimés, un samedi à 6 heures du matin !
M. Martial Bourquin. - Un scandale !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le non-cumul des mandats ne semble guère avoir d'effet sur l'assiduité en séance de nos collègues du nouveau monde ! (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche comme à droite)
Les députés ont critiqué une mauvaise affaire, une faute économique, stratégique, historique, une erreur irréparable, un choix stupide, voire un sacrilège...
Pour désamorcer la fronde, le Premier ministre s'est évertué à dépeindre une entreprise fragile, mal gérée, dont l'État serait un actionnaire défaillant. Curieux argumentaire commercial pour qui cherche à vendre au meilleur prix !
Point de privatisation mais simple concession de 70 ans, nous a dit le ministre de l'Économie ; point de monopole national, mais simple monopole régional - sauf que 80 % des visiteurs étrangers transitent par Roissy ou Orly !
Quant au cahier des charges de 56 pages, indigent, il n'est consultable que sur place, au troisième étage de l'aile ouest, au bout du couloir à gauche, et exclusivement sur rendez-vous - des fois qu'on dérange ! (Rires et applaudissements à gauche)
M. Martial Bourquin. - Excellent !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Les éléments de langage de Bercy ne sauraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes : cette opération est un mauvais coup pour la France, pour les Français. Le Gouvernement aura bientôt à en répondre, dans le contexte actuel de grave crise sociale.
Sur la responsabilité sociale de l'entreprise, le général de Gaulle, le 1er mai 1949 à Bagatelle, avait déclaré : « Ce qu'il faut, c'est abolir l'humiliante condition dans laquelle l'organisation économique dérivée tient la plupart des travailleurs. Ce qu'il faut, c'est faire cesser le système en vertu duquel les intérêts de ceux qui apportent à la production leur travail s'opposent à ceux qui y apportent soit leurs biens, soit leur autorité et qui fait que dans une entreprise, les ouvriers sont des instruments et non pas des participants. Ce qu'il faut créer et faire vivre, c'est l'association du travail, du capital et de la direction qui confère à chacun la dignité d'un sociétaire responsable et bénéficiaire du rendement collectif pour sa part et à son échelon. Naturellement, on ne fera pas ça si on ne passe pas outre au sectarisme des spécialistes de la lutte des classes et, en même temps, aux routines de certains dirigeants et de certains capitalistes qui voudraient voir les affaires marcher toujours comme au temps de papa ».
Chers camarades (Sourires), le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Philippe Dominati . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) En vous voyant madame la ministre, j'ai eu un fol espoir, car vous venez de l'entreprise. Le Gouvernement nous envoyait-il enfin un interlocuteur pour aborder le sujet essentiel, celui du développement des entreprises ? Hélas, on l'a dénaturé, et la privatisation d'ADP est clairement la seule préoccupation d'un Gouvernement qui s'entête.
Pourquoi des élus partisans de l'économie libérale comme nous y serions opposés ? D'abord la durée de la concession, anormalement longue. Pour le tunnel sous la Manche, elle n'était que de 50 ans, malgré le risque économique et technologique.
La rentabilité du dividende n'est pas davantage un argument. C'est le conseil d'administration, nommé par le Gouvernement, qui le fixe !
Le prix n'est pas suffisant.
M. Vincent Capo-Canellas. - On ne le connaît pas !
M. Philippe Dominati. - Le Gouvernement attendrait trente fois le résultat de l'entreprise pour une concession de 70 ans, sans compter l'indemnisation du concessionnaire... Le compte n'y est pas ! Aucune transparence ! Il n'y a pas plus de consensus chez les compagnies aériennes que chez les salariés de l'entreprise... Le flou règne aussi sur les 7 000 hectares de réserve foncière au coeur de l'Île-de-France.
La question n'est pas de savoir si l'entreprise est bien ou mal gérée par la puissance publique, mais plutôt : peut-on laisser à une même entreprise la gestion des parkings, du CDG Express, des autoroutes et des principaux aéroports ? En réalité, on cède les bénéfices d'un monopole à une seule entreprise. Quid de l'environnement de la plateforme aéroportuaire ? Les collectivités territoriales ne sont guère associées alors qu'il faudra doubler le trafic autoroutier, améliorer la liaison ferroviaire, réaliser des aménagements urbains. Les collectivités territoriales ne sont guère associées.
Je comprends que le ministre de l'économie prenne ses distances, tant le sujet est délicat.
Quoi de nouveau, depuis la première lecture ? D'abord, le cahier des charges, faible pour ne pas dire ridicule, qui ne tient aucun compte des besoins des collectivités territoriales. Ensuite, l'entrée de l'État néerlandais dans le capital d'Air France, suscitant l'émoi du Gouvernement. La compagnie serait stratégique mais non l'infrastructure ?
Enfin, le renouvellement du mandat du président d'ADP : curieux, si la société est si mal gérée que le dit le Gouvernement... M. de Romanet vient d'annoncer, dans le journal Investir, un plan d'investissement de 6 milliards d'euros jusqu'en 2025, l'ouverture du terminal 4, le passage de 60 000 à 80 000 m2 de commerces et de 280 à 400 millions de passagers internationaux d'ici 2025, les 350 hectares avec 1,5 million de m2 constructibles.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Philippe Dominati. - En conclusion, il paraît inconcevable que la privatisation se fasse au cours actuel de l'action : la valeur économique de l'entreprise est largement supérieure. Je me rallierai à la solution référendaire pour obliger l'État à écouter les citoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. Jean-Louis Tourenne . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le titre de la loi était alléchant, claquant comme un slogan publicitaire... Du rapport Notat-Senard il ne reste qu'une dose homéopathique. En réalité, le texte traduit un libéralisme exacerbé, toxique pour les salariés, dogmatique jusqu'à la caricature.
Je ne reviens pas sur la privatisation, que les explications laborieuses, alambiquées du Gouvernement peinent à justifier. Martial Bourquin a dénoncé à raison cette ineptie.
Bernard Lalande s'est ému du relèvement brutal des seuils de certification légale sous prétexte d'alignement et d'économies - illusoires - pour les PME. Le seuil européen n'est pourtant pas prescriptif et bien des pays ont compris que la confiance n'excluait pas le contrôle. En supprimant le commissaire aux comptes dans les holdings en cascade, vous renforcez l'opacité fiscale, sociale et financière, ouvrant la porte aux dérives financières. En repoussant le report de la réforme à 2022, vous mettez en péril 7 000 emplois dans 3 000 cabinets.
Le ministre se gaussait de l'alliance contre-nature entre la gauche et la droite sur ce sujet. Ne sait-il pas reconnaître une alliance républicaine quand les intérêts nationaux sont en jeu ?
L'Allemagne, votre modèle, accorde 50 % des sièges aux salariés dans les conseils d'administration, alors que vous ne leur donnez que la portion congrue. Vos condamnations des abus de rémunération des patrons sembleraient plus sincères si le Gouvernement avait accepté nos propositions de plafonnement des hauts salaires, des retraites-chapeau et autres stock-options.
Il est vrai aussi que vous avez trouvé plus ultralibéral que vous. La majorité sénatoriale n'y est pas allée de main morte en relevant les seuils de 50 à 100 salariés, en refusant de toucher à l'objet de l'entreprise ou en brimant l'économie sociale par une hausse des cotisations.
Ce qui est sans précédent, comme le Gouvernement aime à dire, c'est la façon dont il plonge à pleines mains dans les caisses de la sécurité sociale, avec la suppression du forfait social ou l'exonération des heures supplémentaires. Résultat, un déficit de 3 milliards d'euros, alors que le budget de la sécu devait être à l'équilibre.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Louis Tourenne. - Loin de mieux répartir les richesses créées, d'assurer la transparence sur les revenus, d'associer les salariés à la décision, vous avez fait le contraire. Ne soyez pas étonnés que les Français ne vous suivent pas. (Applaudissements à gauche)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Comme au cours des 36 heures de débats en séance publique, vos interventions se sont concentrées sur ADP - objet de quatre articles sur les 200 que compte un texte qui vise à accroître le potentiel de croissance de nos entreprises, à augmenter le pouvoir d'achat des Français et à encourager l'innovation. Je regrette cette myopie.
Monsieur Canevet, il est tout à fait possible de conclure un accord d'intervention tout au long de l'année.
Concernant les commissaires aux comptes, le texte a été amélioré à l'Assemblée nationale sur la base des propositions du Sénat. Une entrée en vigueur différée est prévue pour l'outre-mer.
Monsieur Adnot, la réforme des seuils sociaux n'a rien d'illisible : elle est au contraire attendue par les entreprises.
Pour M. Gay, nous casserions le système de retraite par répartition. Il n'en est nulle part question dans ce texte ! Les gilets jaunes ne veulent pas mourir au travail, mais ils veulent du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE) Je regrette que vous ne mentionniez pas les progrès sur la parité, la participation et l'intéressement, la place des salariés au conseil d'administration, le fléchage de l'épargne vers la transition énergétique...
Je rappelle qu'Engie est privatisée depuis 2003.
Monopole, dites-vous ? C'est ignorer que le trafic aéroportuaire repose sur des hubs. Pour aller de Paris à Londres, on peut aussi bien passer par Francfort, Schiphol ou Doha !
Le cahier des charges décrira les actifs, bien entendu. Beaucoup d'élus ici ont participé à des opérations de privatisation qui se sont très bien passées. Ces opérations sont très encadrées, notamment par la Commission des participations et des transferts.
Mme Éliane Assassi. - Comme les autoroutes ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - On ne peut annoncer le prix de vente aujourd'hui, car une compétition est en cours. Le prix de vente tient compte des perspectives de croissance de l'entreprise, ce que l'on appelle sa valeur actualisée nette. (M. Fabien Gay s'exclame.)
Parler de « capitalisme de connivence », c'est irresponsable, inacceptable. C'est ce genre de formules toutes faites qui explique ce qui se passe sur les ronds-points ! (MM. Philippe Bonnecarrère et Martin Lévrier applaudissent.) Pour ma part, je ne rebondirai pas sur la revendication des gilets jaunes de supprimer le Sénat car ce n'est pas une revendication raisonnable. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC ; exclamations sur les bancs du groupe CRCE)
Je ne reviendrai pas non plus sur les conditions du vote ; le scrutin public à l'Assemblée nationale ne permet pas comme au Sénat à un parlementaire de voter pour quarante collègues. Et si les députés ne sont pas si nombreux en séance, c'est qu'ils travaillent aussi en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; exclamations) De tels propos sont la négation d'un travail parlementaire intense et remarquable : les députés ne sont pas aux 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE)
Enfin, je me retrouve tout à fait dans la citation du général De Gaulle, et note avec plaisir qu'il avait inventé le « en même temps ». (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE)
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il avait plus de hauteur !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Monsieur Dominati, la concession du Tunnel sous la Manche est de 99 ans. Les conditions de la redevance, fixées par une autorité indépendante, seront revues tous les cinq ans.
Monsieur Tourenne, rien n'interdit d'instaurer la participation dans une entreprise de moins de 50 salariés. (On se gausse sur les bancs du groupe SOCR.) C'est une mesure utile pour retenir les salariés. Nous oeuvrons pour développer l'intéressement, avec des ambassadeurs sur le terrain. Enfin, les accords seront mis en ligne sur le site du ministère. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Canevet, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (n°382, 2018-2019).
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission spéciale . - La commission a adopté cette question préalable, à l'initiative de ses trois rapporteurs. Pour la défendre, je développerai trois axes : la plus-value apportée par le Sénat ; la situation de blocage issue de la nouvelle lecture de l'Assemblée nationale ; les enseignements à tirer de ce parcours législatif.
Comme à son habitude, le Sénat s'est attaché à produire un travail de qualité. Il a introduit des garde-fous, alerté sur les inconstitutionnalités et les insuffisances du texte.
L'Assemblée nationale a détricoté avec méthode quasiment tout ce que le Sénat avait voté en première lecture. Certaines divergences profondes étaient insurmontables mais d'autres propositions du Sénat auraient pu faire l'objet de compromis, comme le stage préalable à l'installation des artisans, la réforme du contrôle légal des comptes, les prêts interentreprises ou encore l'épargne retraite. Sur les seuils d'effectifs, la CMP avait envisagé un seuil à 70 salariés - resté lettre morte. Dans cette situation, il n'y a pas d'intérêt à poursuivre le débat.
Pourtant il reste beaucoup à faire. D'abord pour les entreprises. Ce texte suscitera sans doute autant de déceptions qu'il a fait naître d'espoirs. Certaines mesures de notre assemblée prospéreront dans les années à venir, j'en suis sûr.
Qui parlait de la privatisation d'ADP et de la Française des jeux avant que le Sénat s'interroge sur leur bien-fondé ? Elle a été introduite dans le projet de loi sous un prétexte fallacieux, celui du financement de l'innovation, alors qu'il s'agit de réduire la dette publique d'ici la fin du quinquennat.
Je fais le pari que les mesures fortes que nous avions adoptées prospèreront dans les années à venir.
Il reste beaucoup à faire envers l'opinion et nos concitoyens. Malgré la concertation « exemplaire » qu'on nous a vantée, c'est le débat au Sénat en première lecture qui a été le révélateur. Qui parlait de la privatisation d'Aéroports de Paris et de la Française des Jeux, avant qu'au Sénat nous posions la question de son contenu, de son bien-fondé, de sa régulation ? D'autant que cette privatisation a été introduite dans ce projet sous le prétexte fallacieux du financement de l'innovation. En fait, la vraie raison du Gouvernement est de tenter de réduire la dette publique, qui ne cesse de progresser...
C'est peu de dire que la frustration est grande, au Sénat, et dans l'opinion, en ce temps de grand débat, où se manifeste l'attente d'une démocratie plus active... Le Gouvernement aurait dû prendre en compte la contestation et la colère publique dans le calendrier d'examen du projet de loi. Le Sénat a dû batailler pour obtenir certaines informations et il reste encore trop de zones d'ombre.
Ce projet de loi comporte bien trop de demandes d'habilitation à légiférer par ordonnance : 11 habilitations et 27 ratifications. Or les ordonnances sont l'instrument par lequel le Gouvernement préempte les sujets qui ne seront pas abordés au Parlement.
Le Sénat a refusé dès le stade de la commission de signer un chèque en blanc à l'État pour la privatisation de la Française des Jeux. Rien ne dit que le Gouvernement ne favorisera pas la valorisation de l'entreprise au détriment de la santé publique.
La commission spéciale vous invite à voter la question préalable. Le Sénat a une nouvelle fois réalisé un travail minutieux, précis et vigilant, et je veux réaffirmer ici l'utilité du bicamérisme pour une démocratie vivante et forte. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Richard Yung . - La majorité de droite de notre assemblée a choisi d'opposer la question préalable au projet de loi Pacte. Celle-ci ne permettrait pas d'aller plus loin dans la recherche du compromis qui est l'essence même du débat parlementaire. Vous cherchez à imposer vos vues à l'Assemblée nationale, ainsi qu'un prétexte pour pouvoir mener campagne contre le projet de loi quand il sera publié. C'est dommage.
Le groupe Les Républicains dit dans sa déclaration publique refuser toute opposition caricaturale : je vous laisse juge. Encore une fois, le Sénat va sortir de la scène du débat parlementaire. Il ne sera pas actif. Et ensuite, vous vous étonnez que d'aucuns demandent la suppression du Sénat ! (On se récrie vivement à droite et sur les bancs du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas acceptable !
M. Jean-Pierre Grand. - Cela pue le chantage !
M. Richard Yung. - C'est pourtant la vérité ! (Les protestations fusent à nouveau des mêmes bancs.) La majorité sénatoriale refuse de reconnaître que Pacte est un bon texte.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est faux !
M. Richard Yung. - C'est une loi importante pour les entreprises mais aussi une loi sociale. Si la loi Pacte est une bonne loi, c'est aussi parce que l'Assemblée nationale a conservé des apports du Sénat... (« Ah ! » à droite)
Mme Éliane Assassi. - Le Sénat est donc bien utile !
M. Richard Yung. - Les auteurs de la question préalable continuent de faire de la privatisation la pomme de discorde, ce qui est d'autant plus mal venu qu'ils ont soutenu en 2017 un candidat favorable aux privatisations.
L'État conservera la possibilité de révoquer tout dirigeant d'ADP convaincu de manquement d'une particulière gravité à ses obligations.
L'avenir montrera que Pacte permet d'aller de l'avant et que les arguments avancés par la majorité sénatoriale ne sont pas fondés : non, la privatisation ne portera pas atteinte à la souveraineté de l'État !
L'État conservera ses missions régaliennes dans les aéroports. La privatisation d'ADP ne reproduira pas les erreurs de celle des autoroutes... opérée par la droite ! (Murmures sur certains bancs du groupe Les Républicains) Il n'y aura pas d'accord secret semblable à celui signé en 2015 par le Gouvernement Valls, garantissant la neutralité fiscale aux sociétés concessionnaires...
Elle n'entraînera pas de hausse de redevance- sauf ce qui a été prévu. La réforme de la fiscalité des jeux est maintenue. La qualité d'autorité de supervision sera attribuée à la future autorité unique.
Je note en outre que 13 articles additionnels issus du Sénat figurent parmi les 99 articles adoptés conformes par l'Assemblée nationale. Plusieurs d'entre eux concernent la modernisation du réseau des chambres de commerce et d'industrie. Certaines dispositions sénatoriales ont été votées quasi-conformes, par exemple sur les bitcoins ou sur les actions en contrefaçon.
Félicitons-nous également que l'Assemblée nationale ait suivi le Sénat sur la transférabilité des assurances-vie sans ponction fiscale.
L'Assemblée nationale a confirmé la suppression de 12 articles dont certains étaient discutables : par exemple, le relèvement à 100 des seuils sociaux, auparavant fixés à 50 dans le code de travail, sur le relèvement de 200 à 250 salariés de celui relatif à la mise à disposition d'un local syndical, mesure purement vexatoire et inutile.
Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait rétabli des mesures de progrès comme la raison d'être des entreprises.
Le texte soumis à notre examen est un bon compromis que le groupe LaREM vous encourage à examiner et à adopter conforme. Nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Avis défavorable. (Exclamations et sourires)
Mme Cécile Cukierman. - Nous ne prendrons pas part au vote de la question préalable. Nous regrettons que la majorité sénatoriale refuse de débattre à nouveau d'un texte d'une telle ampleur.
Nous déplorons la surdité du Gouvernement et de l'Assemblée nationale, alors que notre pays aspire à plus de justice fiscale, sociale et au sein de l'entreprise et que c'est l'injustice sociale qui est érigée en modèle.
Vous continuez dans la voie du désengagement de l'État. Vous dites défendre les PME mais ne remettez pas en cause la primauté des grands groupes donneurs d'ordres, qui les pressurent. Il y a, dans ce texte, trop de renoncements : au contrôle des jeux d'argent, au service public de l'énergie, à l'heure où la précarité énergétique n'a jamais été aussi forte, à la maîtrise publique du transport aérien.
Au milieu d'un grand débat où vos orientations ont été sévèrement critiquées, vous vous entêtez. Vous renoncez au contrôle des jeux d'argent et une véritable maîtrise publique du transport aérien.
La fronde gronde de toutes parts contre ces privatisations dénuées de sens constitutionnel, stratégique, financier et politique.
Où est le nouveau pacte dont vous vous targuez ? Les grands gagnants ne seront ni la République ni nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Martial Bourquin. - Nous aurions voulu un débat global et ne prendrons donc pas part au vote de la question préalable. M. Yung a parlé d'une opposition caricaturale...
M. Arnaud de Belenet. - Il a raison !
M. Martial Bourquin. - C'est une plaisanterie ! Qui est caricatural ? La défense des intérêts de la France fait partie du rôle du Parlement. M. Yung fait un chantage à la suppression du Sénat. (Marques d'indignation sur les bancs du groupe Les Républicains) Cela en dit long sur la vision du Parlement qu'a le macronisme ! (« Bravo » et applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
Nous sommes 197 parlementaires, et bientôt davantage, à faire la demande d'un référendum d'initiative partagée sur les privatisations, et nous réunirons les 4,5 millions de Français pour qu'il ait lieu !
Madame la ministre, la dictature c'est « ferme ta gueule », la démocratie c'est « cause toujours », disait Jean-Louis Barrault. Telle est donc votre vision de la démocratie ! (Sourires et marques d'approbation sur divers bancs du groupe SOCR et à droite ; protestations sur les bancs du groupe LaREM)
Faisons en sorte qu'on tienne une grande consultation nationale pour qu'on ne brade pas les bijoux de famille ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
M. Vincent Capo-Canellas. - Il est vrai que certaines interventions sont proches de la caricature... Le débat sur la question préalable est légitime. Débattre à nouveau de ce texte à ce stade aurait été vain. Le groupe UC a estimé qu'il fallait encadrer les privatisations et apporter une plus-value.
Sur ADP, nous versons tous dans la caricature ; je le déplore, car cette entreprise mérite mieux pour se moderniser et s'insérer dans la compétition internationale. Des responsables, des salariés, des syndicats y travaillent et sont conscients de l'enjeu. Le Gouvernement n'a pas su faire ce pas vers le Sénat, non plus que les députés, ce que nous déplorons également. Alors, votons la question préalable ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UC)
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Philippe Dominati. - Le groupe Les Républicains votera la question préalable ! C'est parce que le Sénat a fait preuve de sérieux et que nous n'avons eu aucune écoute de la part du Gouvernement, aucune volonté de la commission mixte paritaire, que nous sommes dans une impasse politique : un consensus était possible sur les mesures en faveur des entreprises, mais le Gouvernement l'a refusé, car il avait un unique objectif concernant le sort d'ADP. N'inversons pas les rôles !
On voit bien que le Sénat est puni, par le Premier ministre notamment, qui lui tourne le dos - c'est M. Griveaux qui a répondu sur ce dossier à une question d'actualité au Gouvernement récente...
L'essentiel, c'est la question politique que le Gouvernement ne veut pas aborder ; techniquement, vos trop brèves réponses, madame la ministre, sont très insuffisantes. Votre mécontentement de vous retrouver dans cette impasse technique, votre manque d'arguments, vous ont même conduit à pointer le Sénat du doigt... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Monsieur Dominati, je ne referai pas le match. Cette question est très caricaturale, M. Capo-Canellas a raison.
Dans le grand débat, des thèmes ont émergé, comme la santé ou l'éducation, mais pas les privatisations. (Vives protestations sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains)
Je ne me suis pas permis de commenter le rôle du Sénat, j'ai juste dit que la caricature nuisait à la démocratie. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
La motion n°1 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°75 :
Nombre de votants | 251 |
Nombre de suffrages exprimés | 241 |
Pour l'adoption | 191 |
Contre | 50 |
Le Sénat a adopté.
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale . - Au terme de cet examen, je veux remercier les membres de la commission spéciale pour leur implication, qui a rendu nos débats très intéressants.
J'aurais souhaité remercier M. Le Maire ; je vous remercie, madame la ministre, ainsi que vos équipes - et les nôtres.
Je voudrais conclure sur une mise au point. Nous devions recevoir aujourd'hui, à leur demande, une délégation des gilets jaunes à propos des privatisations d'ADP et de la FDJ. Cela aurait constitué l'une des 360 auditions que nous avons organisées dans le cadre de nos travaux. Mais l'appel à manifester lancé hier soir et le dévoiement de cette réunion nous ont contraints à annuler cette rencontre. Tenir cette réunion dans ces conditions aurait en effet ouvert la voie à une forme d'instrumentalisation et de surenchère que nous ne souhaitions pas. Le Sénat est à l'écoute de tous mais il reste indépendant dans ses décisions. Je regrette que nos travaux se terminent ainsi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants)
Nous avons cherché à enrichir le texte dans une perspective constructive. Je tiens à souligner la qualité et la nécessité de ces 360 auditions. À présent, que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons pris la nôtre en votant cette question préalable. La responsabilité de ce texte reviendra à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
Prochaine séance demain, mercredi 10 avril 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 16 h 45.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus