Actionnariat des SPL et SEM
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les établissements publics locaux (EPL) jouent un rôle particulièrement actif dans l'économie locale. Au nombre de 1 300, ils emploient 70 000 salariés et réalisent un chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros.
Conjuguant cadre administratif et efficacité économique, les sociétés d'économie mixte (SEM), les SEM à opération unique (SEMOP) ou encore les sociétés publiques locales (SPL) sont utiles pour mener à bien des opérations qu'une collectivité ne saurait mener seule. Cette souplesse juridique accélère la prise de décision.
Mutualisation, coopération, innovation et maîtrise des budgets font partie du logiciel des élus locaux. Les EPL sont une boîte à outil facilitant des politiques publiques locales notamment en matière d'urbanisme.
La SPL, créée par la loi Raoul de 2010, permet la co-production entre plusieurs niveaux et organise la maîtrise d'ouvrage publique, renforçant la capacité d'action des collectivités. La France était à l'époque le seul pays européen n'ayant pas un tel instrument.
Mais dans son arrêt du 14 novembre 2018, le Conseil d'État interprète de manière très restrictive le lien de compatibilité entre les compétences des collectivités actionnaires d'une SPL et l'objet social de celle-ci. Cet arrêt remet en cause la possibilité pour des collectivités de niveaux différents d'être actionnaires de la même SPL - ce qui en fait pourtant la pertinence !
D'où cette proposition de loi, qui sécurise le dispositif - et je remercie M. Antoine Lefèvre, Mme Sylvie Robert et M. Julien Bargeton de s'y être associés.
La loi était insuffisamment précise, et il fallait clarifier l'intention du législateur. Nombre de maires et dirigeants d'EPL ont déjà reçu des préfectures une circulaire les incitant à mettre en conformité leur actionnariat ; 200 à 300 structures seraient dans le viseur.
Je ne voudrais pas que la ville de Vernon doive se retirer de la SPL Campus de l'Espace, la ville du Havre de la SPL Havre Tourisme, la ville de Pau des SPL Palais Beaumont ou Halles et République, la ville de Tourcoing de la SEM Ville Renouvelée ! (On apprécie le choix des exemples sur de nombreux bancs.)
Certains projets d'aménagement sont susceptibles d'être gelés. Ce n'est pas une vue de l'esprit mais un vrai risque, dommageable pour notre économie.
Quid des parkings et de la gestion de l'eau et des déchets en Seine-Saint-Denis, qui accueillera les JO en 2024 ?
Les associations d'élus locaux relayent ces inquiétudes, car les élus sont attachés à leur liberté d'action, à un moment où la notion même de décentralisation est quelque peu malmenée.
N'oublions pas que les EPL sont un prolongement de l'action publique locale ; ils seront de plus en plus sollicités avec la mise en oeuvre de la loi ELAN.
Le travail en commission a permis de préciser certains points, et j'en remercie le rapporteur, Loïc Hervé, et le président Bas. J'ai voulu un texte court.
Je sais que les services de l'État auraient aimé en profiter pour encadrer les EPL. C'est assez cocasse, au moment où le président de la République s'évertue à renouer le fil du dialogue avec les élus locaux...
J'espère que cette proposition de loi trouvera un écho favorable à l'Assemblée nationale. Le législateur est ici dans son rôle pour rétablir une forme de sérénité chez les acteurs locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Antoine Lefèvre et Mme Sylvie Robert applaudissent également.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Nous savons l'importance des EPL et de l'économie mixte dans nos territoires. Ces sociétés de droit privé, au capital totalement ou partiellement public, conduisent nombre de projets, concernant aussi bien l'aménagement, l'immobilier que les services publics locaux.
Sociétés publiques locales (SPL), sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA), sociétés d'économie mixte locales (SEML) sont une clé du dynamisme de nos territoires. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 SEML et plus de 350 SPL et SPLA. Elles représentent 65 000 emplois, 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et fournissent un logement à 1,4 million de personnes.
Or, dans son arrêt du 14 novembre 2018, le Conseil d'État a imposé de manière prétorienne que chaque collectivité actionnaire détienne l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société. D'un trait de plume, il a plongé dans l'incertitude la majorité des EPL existantes et bloqué les projets de création. SPLA et SEML seront également concernées. En l'état, cette jurisprudence sonne le glas des EPL multicouches et de la coopération inter-collectivités.
Plus grave, une SPL ne peut agir que pour le compte des collectivités ou groupements qui en sont actionnaires. Réduire le nombre de collectivités autorisées à participer au capital limite donc le nombre de clients de la SPL !
Les territoires attendent une réponse rapide du législateur pour contrer cette jurisprudence ; nos auditions l'ont démontré.
C'est l'objet de cette proposition de loi : peut être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML toute collectivité ou groupement ayant compétence pour au moins une activité comprise dans l'objet de cette société.
Les amendements adoptés en commission visent à clarifier la rédaction et à en étendre le champ. Je n'ai retenu que les dispositions strictement nécessaires à la mise en échec de la jurisprudence du Conseil d'État. J'ai également souhaité lever toute ambiguïté sur le rôle des EPL, qui sont des prestataires et non des EPCI. Elles n'exercent aucune compétence en lieu et place des collectivités actionnaires.
J'ai souhaité que la proposition de loi s'applique aux SPLA et aux SPLA d'intérêt national, afin d'assurer l'homogénéité du droit applicable.
Un amendement valide l'actionnariat des EPL existantes qui ne respectent pas le nouveau critère fixé par le Conseil d'État ; nous y reviendrons. Enfin, un amendement de séance prévoit les modalités d'application outre-mer.
Nos territoires attendent une réponse rapide. Ne laissons pas à la jurisprudence le soin de préciser les choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur le banc de la commission)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Veuillez excuser l'absence de Mme Gourault qui accompagne le président de la République en Corse.
Le Gouvernement considère cette initiative législative bienvenue. La jurisprudence du Conseil d'État risque en effet de déstabiliser un secteur économique essentiel pour nos territoires.
Selon la fédération des EPL, 1 300 EPL emploient 70 000 salariés et pèsent 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Elles contribuent au développement territorial, à l'investissement local, à l'émergence de politiques innovantes dans des domaines tels que le tourisme, la culture, les loisirs, mais aussi l'aménagement. Dans les secteurs comme l'habitat, la mobilité, les réseaux ou les services à la personne, ces structures se multiplient également. La pluriactivité des EPL est désormais majoritaire, d'où la nécessité de revoir les règles.
Le Conseil d'État rappelle celle, antérieure à la loi NOTRe, selon laquelle une collectivité territoriale ne peut faire via une EPL ce qu'elle n'a pas le droit de faire elle-même.
Mais son interprétation de la loi est si stricte que 40 % des EPL ne rempliraient pas les conditions posées par la jurisprudence.
Cette proposition de loi y remédie opportunément mais le Gouvernement craint que l'assouplissement proposé par votre commission des lois ne soit excessif. Une collectivité territoriale pourrait en effet prendre une participation élevée dans le capital d'une EPL quand bien même les activités de cette dernière ne correspondraient que très marginalement à des compétences exercées par la collectivité. Votre rédaction ne fait pas obstacle à ce qu'une partie de l'activité de l'EPL ne relève d'aucune compétence des collectivités actionnaires.
Nous craignons que ce choix ne conduise à régulariser des EPL déjà non conformes à la loi avant la décision du Conseil d'État et n'encourage le recours à des EPL à objets sociaux multiples. Le risque de contournement est réel.
D'où les amendements du Gouvernement qui resserrent les conditions de prise de participation au capital. Votre commission les a déjà repoussés la semaine dernière au motif que la notion de « part significative » de l'activité n'était pas suffisamment claire. Je les défendrai à nouveau, en espérant vous convaincre.
Nous devons également nous pencher sur la régulation du secteur des EPL. En 2017, un référé de la Cour des Comptes ainsi qu'une revue de dépenses des inspections générales se sont montrés très critiques et plaidé pour un renforcement du contrôle, de la transparence et de l'évaluation des EPL. Une nouvelle étude de la Cour des comptes, demandée par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est attendue prochainement. Le législateur aura donc à se saisir de ce débat.
En conclusion, je remercie les auteurs de ce texte et vous assure de l'ouverture d'esprit du Gouvernement. Je ne doute pas que la navette nous permettra d'atteindre un point d'équilibre.