Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte.
Discussion générale
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - Répondre à la situation à Mayotte est un impératif pour les Mahorais comme pour les migrants. La République ne peut pas abandonner un de ses territoires, elle ne peut pas laisser courir le risque d'une sécurité menacée et de services publics embourbés.
À Mayotte, il y a plus de 16 000 étrangers éloignés chaque année, soit 6 % de la population mahoraise. Nous ne pouvons, en y renonçant, faire le nid de la misère et de l'insécurité.
En mars-novembre 2018, les Comores ont suspendu leurs réadmissions, créant des tensions. Pour éviter les blocages, il fallait agir vite. Monsieur le rapporteur, vous permettez une réponse rapide et adaptée à l'urgence. Durant la navette sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée, le régime dérogatoire de Mayotte pour la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD), a été supprimé. C'était une erreur. Le projet de loi rétablit donc le délai de cinq jours pour permettre l'éloignement des étrangers en situation irrégulière à Mayotte.
En métropole, le JLD est saisi par principe pour se prononcer. Le délai de 48 heures est juste et adapté. Mais à Mayotte, l'afflux de migrants est intense et constant. On estime que 48 % des habitants de Mayotte sont étrangers, dont 50 % en situation irrégulière. L'application du délai de 48 heures pour la saisine du JLD serait catastrophique. Les demandes ne pourraient être traitées dans les délais, les remises en liberté seraient considérables. Les conséquences sur le fonctionnement des services de police et de la justice mahorais seraient terribles, des missions essentielles seraient sacrifiées et cela enverrait un signal très mauvais. Conserver le délai de deux jours, ce serait créer une embolie sur toute la justice et la sécurité de Mayotte.
Soyons pragmatiques et donnons aux services publics les moyens d'accomplir leurs missions. Le délai de cinq jours ne réduit pas les droits des personnes placées en rétention et ne soustrait pas la mesure au contrôle du juge. Saisissons l'opportunité de doter Mayotte d'un dispositif adapté.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois . - Nous examinons la proposition de loi relative au délai d'intervention du JLD à Mayotte en cas de rétention administrative. Objet technique et précis, destiné à corriger une erreur de coordination légistique de l'Assemblée nationale dans la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Il faut y parvenir avant le 1er mars pour éviter des conséquences négatives sur l'efficacité des services en charge, à Mayotte, de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Ce texte nous invite à conserver le délai dérogatoire de cinq jours pour l'examen par le JLD des mesures de placement en rétention, délai qui existe depuis 2017 - nous l'avions introduit à l'initiative de deux députés mahorais, avec l'avis favorable du gouvernement socialiste.
De portée limitée, la mesure est conforme à l'article 73 de la Constitution, qui autoriser à déroger à la loi pour tenir compte de caractéristiques locales. La pression migratoire est en effet singulière à Mayotte, où le niveau de vie est plus élevé que chez ses voisins. Les chiffres sont éloquents : 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère et la moitié d'entre elle est en situation irrégulière - entre 60 000 et 75 000 individus, majoritairement des Comoriens. La plupart effectuent leur voyage vers Mayotte sur des barques de fortune, les kwassa-kwassa, dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables. En conséquence, la misère et l'habitat insalubre progressent, ainsi que de véritables filières d'immigration et de travail clandestin.
Le maintien d'une procédure dérogatoire répond ainsi à un impératif. Du fait de relations difficiles entre Mayotte et les autorités de l'Union des Comores, les éloignements doivent en effet être souvent interrompus, incidents que le délai dérogatoire de cinq jours permet d'absorber.
Les forces de police ne doivent pas être détournées de leurs missions par la multiplication des escortes entre le centre de rétention administrative de Pamandzi, situé à Petite-Terre et le tribunal de grande instance situé à Grande-Terre.
Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le centre de rétention administrative de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d'accompagnement pleinement satisfaisantes - et même bien supérieures à celles constatées habituellement sur l'île, comme le reconnaissent d'ailleurs dans leurs récentes observations les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Ce texte est nécessaire. Mais en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, ce sont des moyens supplémentaires que les Mahorais attendent. Des moyens techniques et des renforts humains ont été déployés, et ces efforts commencent à payer puisque les forces de police ont récemment retrouvé le niveau d'efficacité de 2016. Mais il ne s'agit que d'un rattrapage : il faut amplifier ces efforts pour démanteler les filières d'immigration illégale. Cela exige aussi de renforcer la coopération diplomatique pour aider les pays de la région, tout particulièrement l'Union comorienne, et dissuader les candidats au départ.
Je souhaiterais aussi que les dispositions adaptant les conditions d'acquisition de la nationalité française à la situation migratoire particulière de Mayotte, introduites par le Sénat à mon initiative dans la loi du 10 septembre 2018, soient accompagnées sur place de plus larges campagnes d'informations.
Je salue enfin l'attitude constructive et la bienveillance à l'égard des travaux du Sénat manifestée par le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Les débats en commission ont été de qualité, et je ne saurai en terminer sans remercier le président Bas pour la confiance qu'il m'a faite en me confiant ce rapport dans l'intérêt supérieur des Mahorais. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes SOCR et RDSE)
Question préalable
M. le président. - Motion n°24, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (n° 291, 2018-2019).
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - La commission n'a pu l'examiner. Une suspension lui permettrait de se réunir...
M. le président. - Soit.
La séance est suspendue pour quelques instants.