Débat préalable à la réunion du Conseil européen
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen du 18 octobre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Je suis heureuse de vous retrouver pour préparer ce Conseil européen sur le Brexit, qui débute dans quelques heures. Il sera suivi par un Conseil européen classique puis par un débat de la zone euro élargie.
J'ai travaillé hier sur le Brexit au Conseil Affaires générales à Luxembourg, avec M. Barnier et mes homologues.
La semaine dernière, les négociateurs du Brexit avaient cru trouver un équilibre sur la question de la frontière irlandaise. Il s'agissait de maintenir une solution de dernier recours, le backstop prévoyant que l'Irlande du nord continuerait à bénéficier de l'accès au marché unique selon l'accord du Vendredi Saint et s'alignerait sur l'Union européenne en matière réglementaire.
Les deux parties négocieraient en parallèle une union douanière avec l'Union européenne en bonne et due forme, mais limitée dans le temps, et prenant effet après la période de transition. Bien sûr, elle devrait être assortie de conditions de concurrence équitable et de garanties d'un accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques.
L'accord paraissait atteint vendredi soir ; puis, dimanche, les négociateurs britanniques ont fait savoir qu'ils n'avaient pas de mandat politique pour avancer dans cette voie. Certains à Londres expriment aujourd'hui des difficultés à accepter le backstop et refusent aussi l'union douanière.
Mme May doit nous présenter son analyse, puis les discussions se poursuivront à 27 sous le contrôle de M. Barnier, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'il mène un travail exceptionnel.
Nous restons confiants, convaincus que l'accord est encore possible. Ce type de rebondissement n'est pas surprenant dans une négociation aussi importante. Mais le temps presse. Il faut la conclure dans les prochaines semaines pour qu'il soit ratifié par le Conseil européen et la Chambre des communes.
Mme May dit faire ce soir à Bruxelles le constat de l'unité des Européens, comme elle l'a fait à Salzbourg il y a quelques semaines, selon les principes directeurs suivants : pas de marché unique à la carte, pas d'accès privilégié pour les produits de la mer britanniques si les pêcheurs européens n'ont pas accès aux eaux britanniques. Il faut aussi que Londres accepte toutes les conséquences de l'union douanière si elle entend y rester, sans passer des accords commerciaux en propre.
Nous devons nous préparer à tous les scénarios en étant convaincus qu'une absence d'accord est préférable à un mauvais accord.
Un projet de loi d'habilitation générale nous permettra de nous adapter à l'évolution des décisions du gouvernement britannique et à ce qui sera fait par nos partenaires européens. Nous devons faire en sorte qu'un Brexit sec ne pèse pas trop lourdement sur les citoyens des deux côtés de la Manche.
Les questions migratoires seront le deuxième sujet de ce Conseil européen. L'enjeu est la mise en oeuvre des conclusions du Conseil européen de juin dernier. Il s'agit notamment de renforcer les relations avec les pays d'origine et de transit. L'Union développe des moyens comme le fonds fiduciaire et travaille avec les pays africains. La commission porte le projet d'un partenariat Europe-Afrique.
Autre axe : le renforcement de la protection de nos frontières et la construction d'un mécanisme européen stable allant au-delà du cas par cas, avec la mise en place de centres contrôlés en Europe pour assurer une gestion solidaire des migrants. Nos règles internes doivent être améliorées.
Quant à la sécurité intérieure, l'affaire Skripal, ainsi que la récente cyberattaque menée contre l'organisation de lutte contre les armes chimiques, aux Pays-Bas, est préoccupante. Tout laisse penser que la Russie est responsable. Nous sommes favorables à l'attribution au futur parquet européen de compétences antiterroristes. La lutte contre la cybercriminalité doit être renforcée.
Il faut aussi que nos partenaires restent mobilisés car c'est en période calme qu'il faut faire les réformes qui concerneront nos actions de demain.
Union bancaire, mécanisme européen de stabilité, création d'un budget de la zone euro pour la convergence et la stabilisation seront également à l'ordre du jour.
Il faudra aussi aborder les enjeux climatiques après le dernier rapport du GIEC. Le Conseil exprimera la très forte mobilisation de l'Union européenne à l'occasion de la COP24 de Katowice en Pologne. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et UC et sur plusieurs bancs au centre ; M. Jean-Pierre Leleux applaudit également.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères . - L'Europe traverse une période très difficile. L'ordre du jour de ce Conseil européen en apporte une preuve supplémentaire. Il devait revêtir un caractère historique ; cela ne sera malheureusement pas.
La question migratoire n'en finit pas de déchirer l'Europe. C'est une onde de choc qui se fait ressentir scrutin après scrutin.
Le renforcement de la protection des frontières de l'Union européenne est en marche : Frontex, durcissement des contrôles, coopération avec les pays tiers ont permis de réduire les flux de 25 %.
Cependant les arrivées par la Méditerranée occidentale reprennent à la faveur de la recomposition des routes migratoires. L'Afrique comptera 2,4 milliards d'habitants d'ici 2050.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Exact !
M. Christian Cambon, président de la commission. - La lucidité, le courage politique, nous obligent à dire que le problème de la migration économique, et climatique, est devant nous, pas derrière.
Nous devons renforcer notre coopération avec les pays au sud de la Méditerranée. Le cas marocain est exemplaire. C'est en coopérant avec les pays du voisinage que nous pourrons mettre fin à la situation inextricable de migrants errant en mer. N'allons pas croire que nous pourrons leur imposer des « plateformes de débarquement » dont ils ne veulent pas !
Dans le même temps, il est nécessaire de poursuivre et d'amplifier notre action en direction des pays sources, par l'aide au développement, par la maîtrise de leur démographie, par la lutte contre les filières d'immigration clandestine, aussi. Lorsqu'il y a une volonté, il y a des résultats : l'engagement du Niger est exemplaire.
Il est temps de prendre le taureau par les cornes en matière de réadmission. Madame la ministre, quelle est la conviction du Gouvernement ?
Sur le Brexit, je salue l'engagement du Sénat et du groupe de travail coprésidé par Jean Bizet, dont la réflexion est utile. Les Européens ont su rester unis sur cette question qui met en jeu l'avenir même de l'Union. Nous sommes à la veille de ce qui serait le premier amoindrissement de l'Union européenne, un non-sens géostratégique. L'unité préservée est pour beaucoup l'oeuvre du négociateur Michel Barnier. Le Brexit aura un impact concret pour tous.
Un mot sur le noeud gordien irlandais. La seule solution en Irlande est le backstop. Il ne s'agit ni d'annexer l'Irlande du Nord ni de réunifier l'Irlande. La solution doit être flexible et tenir compte de l'histoire. Nous serons aux côtés de l'Irlande. Le Sénat alerte depuis des mois sur la dangerosité d'un no deal. Imagine-t-on les citoyens européens dépendre de visas au Royaume-Uni ?
Quel impact du no deal pour les transports ? Les ports français se trouvent en première ligne. Le coût des investissements nécessaires en cas de Brexit serait de 25 milliards d'euros pour le seul port de Dunkerque.
À Douvres, l'allongement du délai de passage d'un camion de deux minutes créerait 30 kilomètres d'embouteillages. Chaque jour, 1 100 camions traversent la Manche. Des droits de douane de 4 % s'appliqueraient immédiatement sur les pièces automobiles.
Le coût d'un no deal s'élèverait à 16 milliards par an pour les Britanniques et de 44 milliards par an pour les 27 - et je vous laisse imaginer le nombre de pertes d'emplois à la clé. La France est-elle vraiment prête ? Nous pouvons en douter parfois, madame la ministre, faute de connaître le contenu des ordonnances. Bon courage ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Simon Sutour applaudit également.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances . - Si les questions migratoires et de sécurité intérieure occupent la majeure partie du Conseil européen, celui-ci est décisif pour la poursuite des négociations relatives au Brexit. Le sommet de la zone euro importe aussi à la commission des finances.
Ce Conseil s'ouvre sur l'échec, à ce stade, des négociations sur le Brexit : la rencontre de dimanche dernier entre le négociateur en chef pour l'Union européenne, Michel Barnier, et le ministre britannique chargé du Brexit, Dominic Raab, n'a pas permis une percée suffisante. Theresa May paraît contestée dans sa propre formation politique. Le calendrier se resserre. Les services financiers seront inclus dans le futur accord. Comme l'a montré le rapporteur général Albéric de Montgolfier, il est nécessaire de renforcer l'exigence des régimes d?équivalence. Quels leviers à court terme pour assurer la compétitivité de la place financière de Paris ? Plus le blocage des négociations perdure, plus la perspective d'un retrait sans accord devient réaliste.
Je salue l'unité sans faille des 27. Nous devons nous préparer à l'éventualité d'un retrait sans accord. Le Gouvernement le fait avec le projet de loi d'habilitation sur lequel le Conseil d'État a émis des réserves.
Après celui de juin, qui n'avait pas tenu toutes ses promesses, le sommet de la zone euro portera sur l'approfondissement de la coopération monétaire. La gouvernance du mécanisme européen de stabilité, destiné à servir de filet de sécurité au Fonds de résolution unique (FRU), ne sera discutée qu'en décembre. Le FMI a relevé les perspectives de croissance mais a émis des réserves. Comme l'a dit Jean-Claude Juncker, il faut « réparer le toit de l'Europe tant qu'il fait beau ».
Malgré des progrès en matière de stabilité - je songe à la hausse des ratios de fonds propres des banques et à la réduction du taux de prêts non performants au sein de la zone euro - restons vigilants.
En outre, la mise en place du système européen de garantie des dépôts ne doit pas conduire à un effort contributif des banques qui nuirait à leur compétitivité. Le Conseil européen de décembre parviendra-t-il à un accord ?
Pourquoi le budget de l'Union européenne n'est-il pas abordé dès demain ? La suppression de la contribution britannique fait peser des doutes. L'Union doit se doter de moyens budgétaires à la hauteur de ses ambitions. Quel sera le prochain cadre financier pluriannuel ? Quelle sera la contribution de la France d'ici 2027 ?
Je regrette que la taxation des entreprises numériques n'ait pas été retenue alors même qu'elle pourrait constituer une ressource budgétaire pérenne pour l'Union. La France ayant été motrice dans l'élaboration de cette proposition de la Commission européenne, êtes-vous optimiste quant à son adoption prochaine ?(Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Bruno Sido applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le Conseil européen portera sur trois sujets majeurs : le Brexit, la crise migratoire et la sécurité intérieure.
Je rends une nouvelle fois hommage au travail inlassable du négociateur, notre compatriote Michel Barnier. Néanmoins, les négociations butent toujours sur la question irlandaise.
Le Sénat souligne le caractère indissociable des quatre libertés de circulation, contrepartie de la participation au Marché unique, le premier marché mondial, rappelons-le. Nos amis d'outre-Manche n'ont pas tout à fait observé cette indissociabilité. Il est inconcevable que la position britannique soit plus favorable hors de l'Union européenne que dedans.
En juillet dernier, nous avons tiré la sonnette d'alarme. Le groupe de suivi a pointé le risque de ne pas arriver à conclure dans les temps un accord de sortie « ordonnée » du Royaume-Uni de l'Union européenne. Faute d'une position de négociation britannique crédible, nous avions fait valoir que l'Union européenne pourrait se retrouver le dos au mur. Le plan de Chequers, qui s'apparente à un marché unique à la carte, est inacceptable pour l'Union. L'Irlande apparaît toujours comme le noeud gordien. Le filet de sécurité proposé par l'Union européenne semble la meilleure solution. Le Sénat étudiera de près le projet de loi d'habilitation du Gouvernement. Nos amis irlandais sont très attentifs à la position de la France. Nous ne les décevrons pas.
Le Sénat se penche sur la question migratoire qui nourrit les populismes : nos collègues Jean-Yves Leconte, Olivier Henno et André Reichardt présenteront demain à la commission des affaires européennes un rapport d'information sur l'espace Schengen. L'Union européenne peine à apporter des réponses rapides et coordonnées. Si elle échoue, elle s'expose à un fort risque lors de la prochaine échéance électorale.
L'Union, c'est le temps long, celui des accords et des alliances. Sur ce plan, les choses sont très difficiles. Qu'en est-il des projets de plateforme, de débarquement dans les pays tiers, du projet de centre européen de contrôle et des 10 000 garde-côtes opérationnels ?
L'Union européenne doit porter secours en mer, c'est indispensable et c'est un devoir au regard du droit international, mais elle doit aussi lutter contre les réseaux de passeurs.
Soulignons une nouvelle fois l'urgence de partenariats ambitieux avec les pays d'origine et de transit dans l'esprit du Sommet de La Valette. Soyons créatifs à travers de nouveaux mécanismes à l'image du plan Juncker d'investissement pour l'Europe. Mais en retour, l'Europe doit pouvoir compter sur la coopération active de ces pays en matière de réadmission.
La sécurité intérieure est un autre sujet d'importance. La réponse européenne aux nouvelles menaces hybrides doit être ferme. Europol doit jouer son rôle. Nous saluons l'extension des compétences du parquet européen aux cas de terrorisme transfrontalier.
Madame la ministre, mes bons voeux vous accompagnent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; M. Simon Sutour applaudit également.)
Débat interactif
Mme Colette Mélot . - L'absence d'accord de Brexit est un scenario de plus en plus probable. La restauration d'une frontière en Irlande, en remettant en cause les accords du Vendredi Saint de 1998, menace la paix en Europe. Des contrôles souples, non intrusifs, en mer ou dans les entrepôts, constitueraient la meilleure solution. Les technologies existent. Quelle sera la position de la France sur l'Irlande du Nord ? Elle est parfois décrite comme la plus sûre dans les négociations.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La position de la France est celle des 27, portée par Michel Barnier.
Nous souhaitons évite une frontière dure en Irlande du Nord mais aussi protéger le marché intérieur européen. Le backstop a été décliné de la façon la plus facilitatrice possible par Michel Barnier. Theresa May l'avait accepté en décembre. Ce n'est pas exact que la France ait la position la plus dure : les 27 sont parfaitement unis comme le Conseil des affaires intérieures d'hier l'a encore montré. (MM. André Gattolin, Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, applaudissent.)
Mme Colette Mélot. - Merci, madame la ministre.
M. André Gattolin . - Le GIEC a publié la semaine passée un rapport retentissant sur l'impact qu'aurait un réchauffement climatique de 1,5 C de plus qu'à la période pré-industrielle. Ce niveau pourrait être atteint dès 2030... Les conséquences seraient alarmantes. Sans rehaussement des ambitions des signataires de l'accord de Paris, le réchauffement atteindrait 3 C à la fin du siècle. Il faudrait une réduction de 45 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2010. Quelle initiative la France entend-elle prendre, à l'approche de la Conférence de Katowice, pour replacer l'Union européenne comme fer de lance de la lutte contre le réchauffement climatique ? (M. Arnaud de Belenet applaudit)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Le rapport du GIEC nous alerte, nous alarme. L'Union européenne tient ses objectifs. Nous avons atteint moins 23 % d'émissions de gaz à effet de serre dès 2016. Nous espérons être à moins 40 % dès 2030. Nous souhaitons augmenter nos engagements pour 2030, à moins 45 %. Nous essayons d'améliorer le marché ETS et défendons une taxe carbone à l'entrée dans l'Union européenne.
La semaine dernière, le conseil des ministres de l'environnement s'est mis d'accord sur une baisse des émissions de CO2 des véhicules neufs.
M. Pierre Ouzoulias . - La sortie prochaine du Royaume-Uni impose de s'interroger sur le sens de construction européenne. Ce débat n'est pas sans rapport avec le déclenchement contre la Hongrie de la procédure prévue par l'article 7 du traité.
Si l'Union est réduite à un marché unique, on peut concevoir une sortie du Royaume-Uni qui préserve l'essentiel des relations commerciales entre les deux entités. Si nous acceptons que les valeurs démocratiques constitutives de l'Union soient bafouées par ses États membres, il faudra s'attendre à d'autres sécessions...
L'Union européenne s'est construite sur une logique économique libérale qui a détruit les solidarités nationales sans les remplacer au niveau supranational. Cette double dissociation politique et économique aboutit à une crise majeure des démocraties européennes qui risque de les mener à l'abîme.
Dans l'immédiat, il faut tout mettre en oeuvre pour préserver les accords du Vendredi Saint et la paix fragile en Irlande. Il faut aussi aider les démocrates de Hongrie et d'ailleurs à protéger l'État de droit en Europe. Voilà les enjeux humanistes que nous devons défendre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous avez raison, l'Union européenne est d'abord un socle de valeurs communes. Ceux qui l'ont fondée tournaient le dos à la barbarie, ceux qui l'ont rejointe, à la dictature. Nous sommes très attachés aux accords du Vendredi Saint, rendus possibles parce que le Royaume-Uni et l'Irlande étaient tous deux membres de l'Union.
Je n'imaginais pas, prenant mes fonctions, que les questions de violation de l'État de droit par des États membres occuperaient autant le conseil affaires générales ! La Commission a saisi la Cour de justice de la réforme de la justice en Pologne ; hier, nous faisions un point sur la situation des valeurs fondamentales de l'Union en Hongrie... Elles sont indispensables à la coopération en matière de police et de justice, à la sécurité des acteurs économiques.
Si nous pointons du doigt les entorses à l'État de droit, ce sont les gouvernements que nous visons, et non les peuples qui savent ce qu'ils doivent à l'Union européenne en matière de solidarité et de cohésion. Car, ne vous en déplaise, l'Europe est d'abord un immense mécanisme de solidarité. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Pierre Ouzoulias. - Hier à Sceaux je parlais d'Europe avec 250 jeunes. Ils nous demandent de soutenir un projet dans lequel ils peuvent se reconnaître : droits de l'homme, démocratie, défense de l'environnement.
M. Yvon Collin . - Le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni.
Au nombre des conséquences du Brexit, une perte de plusieurs dizaines de milliards d'euros pour le budget européen. Je m'inquiète en particulier pour les moyens de la PAC.
Mon groupe a approuvé la proposition de résolution du Sénat du 6 juin dernier demandant la préservation d'une PAC forte. Nous soutenons la déclaration commune de Berlin et Paris sur la stabilisation du budget de la PAC qui va dans le même sens. L'Allemagne est un allié de poids, quand la Commission propose une baisse d'au moins 5 %...
La France, grande nation agricole, apporte une forte contribution au maintien de notre indépendance agricole, qui est un enjeu stratégique. Où en sont les négociations financières sur la PAC, décisives pour répondre au défi environnemental ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Avec le départ du Royaume-Uni, contributeur net, le budget européen perdra 10 à 12 milliards d'euros par an. Les négociations prochaines du cadre financier pluriannuel n'en sont pas simplifiées, alors que de nouvelles priorités émergent.
Comme vous, je considère que la PAC, plus moderne que jamais, est une valeur ajoutée pour l'Europe. Nous la défendons ardemment. Le premier projet de la Commission n'était pas acceptable. Stéphane Travert a réussi à fédérer 21 États membres autour de la défense du maintien des crédits de la PAC.
Les négociations commencent à peine. Nous avons immédiatement combattu les propositions inacceptables de la présidence autrichienne. Le conseil européen de décembre se saisira de la question du prochain budget. Nous voulons avancer vite, mais pas à tout prix : le budget devra décliner les priorités exprimées par les électeurs, pas l'inverse.
M. Jean Louis Masson . - Deux visions s'imposent : Europe des Nations contre Europe fédéraliste piétinant la souveraineté des États pour imposer la pensée unique d'une pseudo-élite, quitte à bafouer la volonté des électeurs. Ainsi, le président Macron essaie de saboter le Brexit en pourrissant la négociation pour pousser à un nouveau référendum. Les responsables ne sont pas de bonne foi en exigeant la création d'une frontière interne à un État membre, pour en disjoindre l'Irlande du Nord ; que dirions-nous si l'on nous demandait de créer une frontière nous séparant de l'Alsace-Lorraine ?
Au lieu de chercher à torpiller le Brexit, la France devrait réclamer sa juste part dans la répartition des sièges au Parlement européen. Les six eurodéputés maltais représentent 69 000 habitants chacun, contre 884 000 pour les 74 eurodéputés français. Au mépris du traité de Lisbonne, la France a un ratio d'habitants par siège plus défavorable que l'Allemagne. Et la France a accepté le maintien de l'actuelle répartition en cas d'abandon du Brexit. Est-il acceptable d'organiser les prochaines élections européennes dans ces conditions ? (On s'amuse à droite.)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Heureusement que Michel Barnier défend les intérêts européens et non les intérêts britanniques ; heureusement que les solutions recherchées visent à protéger nos entreprises et nos emplois. Nigel Farage, qui avait pour projet de détruire l'Union européenne, n'a jamais refusé de toucher son traitement de député européen !
Contrairement à ce que vous dites, nous rattraperons ce qu'un mandat précédent n'avait su défendre en passant à 79 députés européens français - une des rares conséquences positives du Brexit.
L'objectif, dans les négociations, est de limiter les dégâts, pas de punir les Britanniques. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Républicains et UC, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Jean Bizet, président de la commission. - Très bien !
M. Olivier Cadic . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les Britanniques ont fait le choix de sortir de l'Union européenne, mais de quelle sortie parle-t-on ? À J-162, il n'existe pas de consensus au Royaume-Uni.
Les trois millions d'Européens résidant au Royaume-Uni et les deux millions de Britanniques résidant en Europe n'ont pu se prononcer ; pourtant, ils sont concernés intimement. Ce ne sont pas des tomates, des casseroles, des autos, mais des hommes et des femmes. Je salue les associations qui les défendent, the3million, ln Limbo ou British in Europe, ainsi que l'empathie de notre ambassadeur à Londres, Jean-Pierre Jouyet.
Leurs droits ont été traités au chapitre 2 du pré-accord de retrait de l'Union européenne, signé en mars dernier. Dans l'hypothèse d'un no deal, avez-vous pensé à dissocier la question du sort de cinq millions d'Européens de celle de la sortie globale du Royaume-Uni de l'Union européenne ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous avez raison, cette question est cruciale. Je me suis rendue à Londres pour rencontrer la communauté française et attirer l'attention des autorités britanniques sur le soin à lui apporter, y compris en cas d'absence d'accord.
La moins mauvaise solution se trouve dans l'accord de retrait tel qu'il a été négocié, qui comprend des mesures protectrices. En cas d'absence d'accord, nous nous engageons à ce que leur situation - diplômes, expérience professionnelle, années de cotisation maladie et retraite... - soit reconnue à leur retour en France. Le sort des Britanniques présents sur notre sol restera comparable - à condition que les mesures prises pour nos ressortissants au Royaume-Uni soient du même niveau. Ce sont eux notre première préoccupation.
M. Olivier Cadic. - Merci, et bon courage ! Nous sommes derrière vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; Mme Fabienne Keller applaudit également.)
M. Pascal Allizard . - La pêche est un sujet de préoccupation depuis des mois, notamment en Normandie, où les pêcheurs font vivre les territoires tout en respectant les nombreuses réglementations européennes. (M. Charles Revet approuve.) Attachés à une pêche durable, ils s'imposent des règles de gestion raisonnée pour la coquille Saint-Jacques - que les Britanniques ne reconnaissent pas. Le ratissage intense - hélas pas illégal - de certaines zones de coquilles a donné lieu à des affrontements en mer ces dernières semaines.
Environ 20 % de la pêche française se pratique dans la zone économique exclusive britannique ; pour la Bretagne, la Manche ou la mer du Nord, la proportion est bien supérieure. À Port-en-Bessin dans le Calvados, la moitié du poisson débarqué à la criée vient des côtes anglaises. D'autres pays européens sont aussi concernés.
« We want our fish back ! » disent les Britanniques, qui ont massivement voté pour le Brexit dans les ports alors que 75 % de leur pêche est vendue dans l'Union européenne. Madame la ministre, quelles initiatives prendrez-vous pour préserver les intérêts de la pêche française en cas de no deal ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Charles Revet. - Très bonne question !
M. Jean Bizet, président de la commission. - Très bien.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Cette question est au coeur de nos priorités, quel que soit le scénario de la relation future avec le Royaume-Uni. Les pêcheurs néerlandais, irlandais, belges ou danois sont aussi concernés. La solution du maintien dans l'union douanière pendant une période donnée ne serait envisageable qu'à condition que les droits de pêche de nos pêcheurs soient respectés. Il est hors de question de laisser les produits de la pêche britannique entrer sur notre marché si l'accès aux eaux britanniques devait être restreint. C'est dans cet esprit que nous négocions. J'en ai reparlé hier encore à Michel Barnier, ainsi qu'au vice-Premier ministre irlandais ; nous sommes sur la même ligne.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Pascal Allizard. - Pour un marin en mer, il y a quatre emplois à terre. Si les Britanniques devaient fermer leurs eaux, la perte de revenus pour la flottille européenne serait de l'ordre de 50 %.
Politiquement, cette crise alimenterait encore la défiance vis-à-vis de l'Europe. Nous ne pouvons nous en payer le luxe. Tous nos encouragements vous accompagnent, madame la ministre !
M. Didier Marie . - Le CETA est en vigueur depuis un an. Les premiers résultats économiques sont satisfaisants, avec une hausse des exportations européennes vers le Canada de 7 %, et de 5,5 % pour la France.
Mais il semble plus compliqué d'obtenir les ajouts nécessaires pour que l'accord soit aussi favorable pour l'environnement et le climat. En septembre 2017, la commission Schubert soulignait le manque d'ambition du CETA en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Un premier plan d'action a été élaboré, sans succès. Espérons que le prochain plan aura plus de succès...
Nous attendons une prise en compte des accords de Paris par des dispositifs complémentaires ou par un accord bilatéral sur le climat, ainsi qu'une déclaration interprétative des dispositions sanitaires et environnementales et du principe de précaution.
L'accord avec le Canada est vivant et l'Europe doit en profiter pour exporter ses marchandises mais aussi ses standards sociaux et environnementaux ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Depuis un an que l'accord avec le Canada est entré en vigueur, nos intérêts économiques et commerciaux, agricoles en particulier, sont préservés, contrairement à ce que craignaient certains. Ainsi, les exportations canadiennes de viande bovine ont diminué.
Cet accord a été négocié avant celui de Paris ; il faut l'accompagner par des mesures euro-canadiennes et bilatérales sur l'environnement et le changement climatique. Convaincre nos partenaires n'est pas aisé, mais nous oeuvrons pour faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle des futurs accords de libre-échange. C'est pourquoi nous sommes opposés à une reprise des négociations commerciales avec les États-Unis, sortis de l'accord de Paris.
M. André Reichardt . - Pour surmonter les divisions apparues avec l'affaire de l'Aquarius, les chefs d'État et de gouvernement s'étaient accordés, lors du Conseil du 28 juin, sur l'idée de plateformes régionales de débarquement et de centres européens contrôlés établis dans les États membres volontaires. Quatre mois après, où en sont ces projets ? La mise en place des plateformes de débarquement requiert la coopération de pays tiers ; on a beaucoup parlé de l'Égypte...
La France a-t-elle la volonté de faire aboutir la réforme du Règlement de Dublin qui semble dans l'impasse ? La présidence autrichienne souhaite éviter de lier solidarité et obligation d'accueil. Quelle est la position française ? Pouvez-vous nous rassurer sur votre détermination politique en la matière ?
M. Jean Bizet, président de la commission. - Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Nous ferons demain le point sur la mise en oeuvre des conclusions du Conseil européen de juin. Les différents volets sont indissociables les uns des autres pour une politique migratoire équilibrée, efficace et humaine.
À ce stade, aucun pays du sud de la Méditerranée n'a accepté des plateformes de débarquement sur son territoire. La présidence autrichienne place ses espoirs dans l'Égypte. Nous devrons développer notre coopération avec ce pays en matière de lutte contre l'immigration illégale, notamment en appuyant leurs garde-côtes.
Les centres contrôlés sont le seul moyen de traiter les arrivées des migrants de manière pérenne. Les difficultés tiennent à l'attitude de l'Italie depuis juin. Ils sont l'image de la solidarité européenne dont les modalités peuvent être variables, mais le principe infrangible. Nous ne pouvons laisser les pays de première entrée porter seuls l'effort.
M. Jean Bizet, président de la commission. - Très juste.
M. André Reichardt. - La proximité des élections européennes exige que l'Europe réussisse sur la question migratoire. Il faut absolument aboutir sur la réforme du règlement de Dublin.
Le faible empressement des pays du sud de la Méditerranée exige que l'on s'interroge sur les modalités de coopération avec ces pays, en termes d'aide au développement notamment.
M. Jean-Yves Leconte . - Depuis 2015, l'évolution du contrôle de nos frontières est patente. Il n'y a plus de crise migratoire mais une crise de l'accueil.
M. Jean Bizet, président de la commission. - Tout va bien !
M. Jean-Yves Leconte. - Dix ans après la crise financière, les critères de Copenhague ont été estompés par une version dure des critères de Maastricht, à savoir l'exigence d'austérité budgétaire. La crise a cassé l'image d'une Europe protectrice ; nous le payons aujourd'hui.
L'union économique et monétaire n'est pas achevée et l'union bancaire est bancale. Les règles de protection des dépôts ont été harmonisées mais les fonds de garantie restent nationaux. Nous en sommes restés aux rustines appliquées après la crise financière. Après le sommet de Meseberg, on n'a plus parlé que d'un budget symbolique pour la zone euro.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - Comment en effet le financer ? Et avec quelle gouvernance ? Celle du Parlement européen ? Ou une gouvernance intergouvernementale ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Pour affronter de nouvelles crises, nous devons finaliser l'union bancaire. Les choses avancent, avec l'idée d'un filet de sécurité appuyé sur le Mécanisme européen de stabilité pour venir en aide aux banques en dernier ressort, mais la mutualisation des dépôts reste un sujet difficile.
La question du budget de la zone euro est essentielle et la déclaration de Meseberg a été un pas important. L'Allemagne a appuyé l'idée d'une capacité budgétaire de la zone euro dédiée à l'investissement et à la stabilisation.
Demain, nous parlerons des progrès de la réforme de cette zone euro. Nous devons convaincre nos partenaires qu'il faut agir dès maintenant, avant qu'une crise ne nous y force.
Concernant la gouvernance, nous souhaitons un parlement de la zone euro, ou au minimum une formation dédiée du Parlement européen pour assurer un contrôle démocratique qui a cruellement manqué par le passé.
Mme Anne-Catherine Loisier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Notre marché unique est le premier marché économique mondial et l'euro est la deuxième monnaie la plus utilisée au monde. Une soixantaine de pays y ont lié leur monnaie. Selon Jean-Claude Juncker, nous devons faire plus pour que notre monnaie joue pleinement son rôle sur la scène mondiale. Or 80 % de la facture énergétique est libellée en dollars alors que seulement 2 % des importations viennent des États-Unis. Certains pays européens achètent des avions européens - en dollars !
L'euro s'est affirmé comme monnaie de réserve derrière le dollar et comme monnaie de règlement. Cependant, il n'est pas encore reconnu comme instrument d'investissement, les actifs financiers restent libellés en dollars et la Banque centrale européenne n'est pas de taille à lutter contre la FED.
À l'heure où l'extraterritorialité du droit américain menace de sanctions les entreprises européennes et la souveraineté diplomatique des pays de la zone euro, l'union économique et monétaire et l'union bancaire doivent être parachevées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Jean Bizet, président de la commission, applaudit également.)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'euro doit être une monnaie de référence, car la zone euro est une puissance économique équivalente à celle des États-Unis et de la Chine. C'est déjà la deuxième monnaie la plus échangée dans le monde avec 36 % des échanges en 2017, mais la marge de progression est importante. Le 12 septembre dernier, le président Juncker a dit qu'il fallait faire de l'euro un instrument actif de la nouvelle souveraineté européenne - on croirait entendre le président de la République ! Nous serons très attentifs aux propositions de la Commission européenne, sachant que les sanctions américaines peuvent frapper toute entreprise, même étrangère, qui utilise le dollar. Je me réjouis que la récente résolution européenne du Sénat ait mis cette dimension en avant.
M. Jean Bizet, président de la commission. - Très bien.
Mme Fabienne Keller . - Plus les négociations du Brexit avancent, plus le risque du no deal se précise. Nous devons nous y préparer, et je salue l'anticipation que traduit le projet de loi d'habilitation. L'absence d'accord pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l'Irlande du Nord. Il faut le rappeler, la paix est un des fondamentaux de l'Union européenne.
Or les positions des parties paraissent inconciliables. Madame la ministre, nous connaissons votre ténacité. Face à une situation inextricable, quelles démarches la France entend-elle avancer pour débloquer la situation ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La question irlandaise est cruciale et va au-delà de l'accès au marché intérieur, car il s'agit d'une paix récente, donc fragile.
Le président de la République doit s'entretenir avec Mme May tout à l'heure, avant le Conseil européen. M. Barnier est déterminé à régler au mieux la question de la frontière irlandaise. L'extension de l'union douanière à l'ensemble du Royaume-Uni serait la plus simple à gérer. À défaut, le filet de sécurité proposé en décembre est perçu comme une « assurance tout risque » pour la République d'Irlande. Personne ne veut qu'on rétablisse une frontière dure. Cette option n'est pas plus envisagée que la réunification de l'Irlande.
Mme Laurence Harribey . - La question migratoire sera un volet important dans le budget à venir. Je voudrais vous interroger sur le programme de soutien aux collectivités locales qui accueillent des réfugiés, proposé par le président de la République en avril dernier devant le Conseil européen. Un tel dispositif prendrait en compte la dimension territoriale de l'accueil et de l'intégration, et permettrait une appropriation par les citoyens. Où en est-on?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Nous porterons cette proposition lors de l'examen du prochain budget de l'Union européenne. Au sein de la politique de cohésion, une aide aux collectivités territoriales qui accueillent des migrants servirait à financer logement, formation et l'accompagnement pour les nouveaux arrivants.
Nous préférons encourager ceux qui accueillent plutôt que sanctionner ceux qui ne le font pas. Cette proposition a trouvé un certain écho auprès de communes de pays dont les Gouvernements sont hostiles à tout accueil... Les négociations sont en cours.
Mme Laurence Harribey. - Ne lâchons pas sur ce point. La solidarité doit aussi être locale si nous voulons freiner les populistes en tout genre.
Mme la présidente. - Madame la ministre, nous vous remercions et vous souhaitons bon courage pour ce Conseil européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Républicains et UC)
Mme Patricia Morhet-Richaud , rapporteur. - Selon l'Unicef, 300 000 enfants non accompagnés sont arrivés en Europe en 2015. En 2016, un demandeur d'asile sur trois avait moins de 18 ans.
Ces mineurs sont particulièrement vulnérables. Les procédures de détermination d'âge et les formalités d'accueil varient d'un pays à l'autre et contreviennent parfois aux impératifs de protection. Le nombre d'arrivées n'a cessé de croître en Italie ; dans mon département des Hautes-Alpes, il explose, la majorité des mineurs non accompagnés provenant de Guinée et de Côte d'Ivoire : 15 dossiers en 2015, 2028 cette année !
L'aide sociale à l'enfance peine à assurer l'hébergement d'urgence des nouveaux arrivants qui se déclarent tous mineurs. Cette situation fait le jeu des filières qui acheminent ces jeunes via les cols alpins.
Le plan d'action adopté en 2017 par les membres du Conseil de l'Europe n'est pas contraignant. Quelle en sera l'évolution ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Tous les départements sont confrontés au problème, à la fois humain et budgétaire, des mineurs non accompagnés.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour sanctionner les réseaux de passeurs, ces trafiquants qui jouent de la misère humaine. Récemment, les Nations-Unies ont mis en place des sanctions contre les passeurs en Libye. Je m'en réjouis.
La réponse de fond passe par le renforcement de notre politique d'aide au développement pour offrir à ces jeunes des perspectives dans leur pays d'origine. Ils empruntent les routes de la nécessité, pas celles de la liberté. L'Union européenne consacre 4 milliards d'euros à l'aide au développement, avec un effet levier sur 44 milliards d'euros, et la France va porter son aide de 0,38 % à 0,55 % du PIB d'ici la fin du quinquennat. Il faut des réponses concrètes pour donner un avenir à cette jeunesse.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Il faudrait aussi que la question des mineurs non accompagnés fasse l'objet d'un accord entre les pays membres.
M. Christophe Priou . - La sécurisation des frontières européennes est un chantier majeur. Le mandat confié à Frontex n'est pas à la hauteur des enjeux. L'inertie de l'Europe risque de coûter cher et de nourrir le populisme. L'Union européenne n'est pas en mesure de saisir ou de détruire les navires de migrants et n'accorde pas les moyens humains nécessaires pour lutter contre les passeurs : 110 seulement ont été arrêtés.
Même si le budget de Frontex est passé de 143 millions d'euros en 2015 à 340 millions d'euros en 2018, l'Union subit ces crises plutôt que de les anticiper. Compte tenu de la faiblesse des moyens consacrés au contrôle des frontières extérieures, je doute que l'appel de la Commission européenne à mettre fin à la prolongation des contrôles aux frontières à l'intérieur de l'espace Schengen soit de nature à rassurer ! (M. Laurent Duplomb applaudit.)
M. Ladislas Poniatowski. - Excellente question !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - L'Europe est à la croisée des chemins ; il faut mettre en place des politiques pérennes. Quelque 1 300 hommes face aux défis migratoires : c'est dérisoire.
Matteo Salvini s'affiche avec Viktor Orban, ce qui est paradoxal, car c'est bien parce que l'un a fermé ses frontières que l'autre doit accueillir davantage de migrants.
Renforcer les moyens humains de Frontex - nous visons 10 000 hommes - et ses compétences juridiques garantiraient une meilleure protection de nos frontières. Nous devons faire preuve de responsabilité en dégageant les moyens nécessaires. Les discussions s'engagent. La France défend une vision ambitieuse, car la réponse se trouve dans la solidarité et la responsabilité.
M. Christophe Priou. - Je regrette que l'Europe ne parle pas d'une même voix. Certains pays craignent pour leur souveraineté. Espérons que la campagne électorale sera l'occasion de traiter de ces sujets, pour une politique enfin efficace.
Mme Nicole Duranton . - Le nombre de mineurs non accompagnés arrivant dans l'Union européenne n'a fait qu'augmenter. Le processus pour définir leur âge, et donc le régime juridique qui leur est applicable, est complexe. Les administrations des États membres ont tendance à contester la minorité en l'absence de papiers ou quand leur authenticité est douteuse.
Il n'existe aucune méthode d'évaluation permettant de déterminer de manière certaine l'âge d'une personne. Les enfants qui ne sont pas reconnus comme tels voient leurs droits bafoués avec les traumatismes qui s'ensuivent. Une erreur peut conduire à être placé en rétention. Hébergés avec des adultes, ils sont exposés à des risques accrus de traite.
Quelle action le Conseil européen mène-t-il pour harmoniser les procédures de détermination de l'âge ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Seule la Commission peut ouvrir ce débat, elle s'y est sans doute refusée en raison de la variété des procédures sur le sol européen.
La France, par son action d'aide publique au développement, accompagne des États dans la fiabilisation de leurs registres d'état-civil. Cela peut apporter une aide structurelle précieuse dans le temps. Toutefois, je vous l'accorde, le sujet reste entier et on ne peut rester éternellement sans réponse. Je relaierai votre préoccupation à Mme Loiseau.
Mme Nicole Duranton. - Membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui défend les droits de l'homme et la démocratie, j'espère que la France agira rapidement.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Merci à Mme la ministre et à M. le ministre pour la qualité de ce débat, que la nouvelle formule n'a nullement amoindrie.
Nous sommes, à l'exception de l'un d'entre nous, extrêmement soucieux de l'évolution des négociations du Brexit. Nos amis britanniques ne semblent pas vouloir comprendre que les quatre libertés - liberté de circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux - sont indivisibles. Dès lors, il n'y a pas d'autre solution que de rétablir les frontières. Nous nous orientons plutôt vers un no deal, qui vaut mieux qu'un bad deal. Dont acte. Chacun prendra ses responsabilités.
L'Union européenne, dans l'ombre, a activement et financièrement encouragé la conclusion de l'accord du Vendredi Saint de 1998, qui a supprimé toute frontière entre l'Ulster et la République d'Irlande pour rétablir la paix. Nous n'abandonnerons pas nos amis irlandais. Si le Royaume-Uni, considérant que sa souveraineté est fragilisée, prend le risque de rallumer la guerre civile, l'Union européenne n'en sera pas comptable.
Le dossier de la pêche est extrêmement important. La gestion de la coquille Saint-Jacques relève plutôt, pour l'heure, d'un gentleman agreement. Le Département de l'environnement, de l'alimentation et des affaires rurales (Defra) y travaille, comme nous l'a dit l'ambassadeur Llewellyn. Le développement durable doit être au coeur de la réponse, sans quoi nous n'aurons pas de solution durable. Il n'est pas question de ne pas aboutir à une harmonisation des périodes de pêche et des outils de pêche. Nos amis pêcheurs britanniques doivent le garder à l'esprit : le produit de leur pêche est écoulé à 70 % sur le territoire de l'Union européenne. S'il faut imposer un étiquetage de l'origine, le consommateur européen saura faire la différence...
Nous ne pouvons pas attendre 2023 pour réviser le dispositif d'interconnexion des couloirs maritimes, le dossier du Brexit interfère. Un groupe de travail mixte composé de membres de la commission des affaires étrangères et, de mémoire, de la commission du développement durable se penchera sur le sujet.
Nous avons commencé les auditions sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances pour préparer le Brexit. En toute amitié, permettez-moi quelques réflexions. Une réorganisation des flux routiers et maritimes est déjà à l'oeuvre. Les Pays-Bas et la Belgique sont aux côtés de leurs entreprises, davantage que la France.
La solidité de la zone euro est au coeur de nos réflexions relatives à l'union bancaire, au fonds de résolution et à la convergence. Souvenons-nous que l'euro ne représente que 36 % des accords commerciaux internationaux ; nous pouvons viser quelques points supplémentaires.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Enfin, l'accord de Paris doit être au coeur de nos accords de libre-échange et il nous faut accélérer la procédure de Dublin, ce qui facilitera nos discussions avec notre voisin italien. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
La séance, suspendue à 16 h 40, reprend à 16 h 45.