« Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité ».
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail . - La route demeure la première cause de mort violente en France : 3 500 décès chaque année, 75 000 blessés dont 28 000 grièvement. Cela appelle une politique de sécurité routière forte. Entre 1970 et 2010, on est passé, de plus de 17 000 morts par an sur les routes à moins de 4 000 grâce aux vitesses maximales autorisées, le port obligatoire de la ceinture et du casque, le permis à points ou encore les radars. Mais, depuis 2013, nous avons atteint un palier : le nombre de morts est légèrement reparti à la hausse.
Aussi le Premier ministre a-t-il annoncé le 9 janvier dix-huit nouvelles mesures pour réduire à moins de 2 000 le nombre de morts chaque année d'ici 2020 : l'objectif est ambitieux. Parmi elles, la réduction à 80 km/h de la limitation de vitesse sur les routes à double sens et sans séparateur central a retenu toute l'attention : 76 % des Français s'y opposent. Dès lors, comment pourrait-elle être efficace ?
La commission du développement durable et la commission des lois du Sénat ont constitué, aussitôt après les annonces gouvernementales, un groupe de travail pluraliste pour évaluer, avant la publication du décret, l'efficacité de cette mesure sans a priori politiques. Nous avons entendu 47 personnes durant 17 auditions et tables ; recueilli, sur le site du Sénat où nous avons ouvert une plateforme participative, plus de 23 000 contributions - cela témoigne de l'ampleur de l'opposition, sinon de la mobilisation.
Le groupe de travail a adopté son rapport à l'unanimité le 18 avril 2018. La réduction de la mortalité sur les routes est une priorité absolue, mais le Parlement doit s'assurer que les mesures prises à cet effet par le Gouvernement sont proportionnées et efficaces. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.)
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail . - Si nous sommes rassemblés ce soir, c'est que nous savons la gravité de ce dossier et sommes tous sensibles à la sécurité routière. La mesure annoncée n'a pas fini de faire du bruit, vu les réponses méprisantes, infantilisantes, voire culpabilisantes que le Gouvernement a faites à nos questions. Impossible de savoir, notamment, sur la base de quelle expérimentation la réduction de la vitesse à 80 km/h a été décidée. D'où notre groupe de travail : le Sénat a aussi pour rôle de contrôler le Gouvernement.
Il nous a été difficile d'obtenir des réponses, que ce soit sur l'étude du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le Cerema, ou sur l'étude de l'accidentalité. Si personne ne détient la vérité, nos conclusions sont claires : la limitation à 80 km/h est un seuil psychologique inacceptable, surtout parce que les 400 000 km de routes secondaires concernés se trouvent dans des départements auxquels on a refusé le passage à des 2 x 2 voies ou dans lesquels leur réalisation souffre, pour reprendre les mots de la Cour des comptes, de lenteurs excessives - c'est le cas en Saône-et-Loire. Avec 2 milliards de PV, il y aurait moyen de faire mieux ! Résultat, 76 % des Français sont opposés à cette mesure, gens des villes comme gens des champs. L'ADF elle-même est contre.
Problème grave, nous avons subi une fracture au sein même du Gouvernement : votre ministre de tutelle, Madame Gourault, a sorti son joker ; le ministre de l'aménagement du territoire a dit publiquement son opposition. Au total, une dizaine de ministres sur vingt-deux y est défavorable d'après Le Parisien. En fait, la communication du Premier ministre a dérapé dès le départ puisqu'il n'a parlé que de la réduction à 80 km/h sans la justifier tout en préparant d'autres mesures, peut-être plus efficaces.
Pourquoi les 300 à 400 millions d'euros de recettes supplémentaires des PV seraient-ils versés aux hôpitaux alors que c'est sur la prévention qu'il faudrait insister ? Une fois la jambe cassée, il est trop tard... La prévention routière voit son budget réduit à 12 millions d'euros quand l'État prélève 2 milliards sur les automobilistes.
Les messages d'information diffusés à la télévision sont presque mensongers. Nous, nous n'avons pas cherché à faire des comparaisons internationales - je n'ai pas fait valoir que l'Allemagne qui roule plus vite compte moins de morts que nous. Le Premier ministre, lui, ne s'est pas gêné. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Michèle Vullien, rapporteure du groupe de travail . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le 14 juin prochain, nous remettrons notre rapport au Premier ministre, Édouard Philippe, pour le convaincre de changer sa position. Chaque mort, chaque blessé, est de trop ; c'est sur les modalités que porte le débat.
Les couacs qui ont émaillé l'annonce de ces mesures de sécurité routière contrastent avec les discours du Gouvernement sur la concertation. La réponse n'est pas dans le 80 km/h partout ou le 80 km/h nulle part. Laissons décider les départements, gestionnaires des voiries ; certaines routes passeront peut-être à 70 km/h. La vitesse n'est pas la seule cause d'accident. Alors, pourquoi appliquer cette mesure dès le 1er juillet 2018, quand les autres mesures entreront en vigueur en janvier 2019 ? Je suggère au Premier ministre d'utiliser le joker que lui tend le Sénat pour sortir de cette situation par le haut.
Pourquoi ne pas demander aux présidents de conseils départementaux d'établir une cartographie sans a priori politiques ? Sanctionner les 600 000 automobilistes qui roulent sans permis et mettre fin aux incessants rodéos nocturnes serait un bon début pour renforcer la sécurité routière. Certes, une mesure de sécurité routière n'a pas à être populaire mais si nous pouvons la rendre moins impopulaire, pourquoi s'en priver ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et RDSE ; MM. Alain Fouché et Jean-Luc Fichet, rapporteur, applaudissent également.)
M. Alain Fouché . - Oui la sécurité routière est notre priorité. En janvier dernier, le Premier ministre a décidé de réduire à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur le réseau secondaire, sans aucune concertation. Cela fait suite à une expérimentation de deux ans sur 86 km de routes : non seulement elle ne visait pas à réduire la mortalité routière mais, de plus, son bilan est mauvais malgré le coût des travaux qu'il a fallu engager pour la rendre possible. La mesure est censée éviter 400 morts par an sur l'hypothèse qu'une baisse de 1 % de la vitesse entraîne une baisse de 4 % des accidents mortels. C'est à vérifier : des voisins européens où la vitesse de circulation autorisée est supérieure enregistrent de meilleurs résultats.
La conclusion du Sénat est qu'il faut décentraliser la décision à l'échelon départemental. Le ministre de l'intérieur, lui-même, doute de l'efficacité de cette mesure. Comment doubler une file de camions si l'on ne peut pas dépasser 80 km/h ? Bloqué derrière eux, on risque même l'endormissement.
Sur 2 milliards de recettes, 400 millions d'euros seulement sont affectés à la sécurité routière ; le reste va au désendettement de l'État. La privatisation des radars pourrait faire gager deux milliards d'euros supplémentaires, une partie de la somme serait affectée aux hôpitaux. Soyons sérieux : la prévention plutôt que d'envoyer les automobilistes à la réparation. Elle passe aussi par l'entretien du réseau routier. Les dotations à mon département ont baissé de 27 % entre 2015 et 2017. Plutôt que de racketter les automobilistes, il faut promouvoir des comportements responsables, agir sur la prévention de la consommation d'alcool et de stupéfiants.
Vous savez convaincre, Madame la Ministre Gourault : parlez au Premier ministre ! J'avais proposé un amendement pour réduire le délai de récupération des points. Tollé général ! Puis la mesure est finalement passée. Le nombre de morts sur les routes n'a pas augmenté depuis. Preuve que la sécurité n'est pas seulement une affaire de sanctions. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UC, Les Républicains et RDSE)
Mme Josiane Costes . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) La situation est préoccupante : 3 700 morts sur les routes, hausse de 2 % des accidents corporels et de 1,3 % du nombre de blessés en 2017. Le Gouvernement a décidé d'abaisser à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur le réseau secondaire à compter du 1er juillet. Malgré la contestation suscitée par cette mesure, qui coûtera à l'État entre 5 et 10 millions d'euros, le Premier ministre a annoncé qu'il la maintenait.
Dans les départements très ruraux et très enclavés comme le mien, l'absence de transports collectifs rend la voiture individuelle indispensable pour se déplacer. On peut comprendre les fortes réticences qui s'expriment. Mieux vaudrait prévenir les comportements dangereux au volant et investir dans l'entretien du réseau. Quoi qu'il en soit, notre mortalité routière ne peut demeurer deux fois supérieure à celle de l'Allemagne et du Royaume-Uni où la vitesse maximale autorisée est respectivement de 100 et 96 km/h. La vitesse n'explique pas tout.
M. Gabouty, dans son rapport sur le programme « Sécurité et éducation routières » dans le budget pour 2018, a salué une amélioration de la sincérité des dépenses de communication, des frais d'étude et d'expertise. La réforme du permis de conduire de 2014-2015 porte ses fruits : le délai d'attente pour l'examen est passé de 90 à 57 jours ; l'objectif de 45 jours n'est plus hors d'atteinte. Parallèlement, la durée de validité du code est passée de trois à cinq ans ; la conduite accompagnée a été facilitée et l'on a encouragé les recrutements d'inspecteurs. En revanche, le coût du permis continue de poser problème : en moyenne, 1 600 euros. Si le marché est défaillant, ne faut-il pas envisager une nationalisation des auto-écoles ou faire du permis de conduire une matière scolaire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et CRCE)
M. Arnaud de Belenet . - Je remercie la collègue qui m'a tapé sur l'épaule en me disant : « Mon pauvre vieux, tu es du groupe LaREM, tu vas devoir défendre les 80 km/h ». (Marques d'amusement sur les bancs du groupe Les Républicains) Comme vous, je me pose des questions. Une nouvelle impulsion est-elle nécessaire ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Oui.
M. Arnaud de Belenet. - Nous refusons la fatalité. Le plan annoncé en janvier s'attaque à l'ensemble des facteurs d'accident - parmi ceux-ci, la vitesse. C'est la mesure qui a été la plus remarquée. Des esprits chagrins pourraient regretter l'absence de statistiques probantes sur l'expérimentation de 2015. Cela changera-t-il quoi que ce soit ?
M. Jean-Luc Fichet. - Oui !
M. Arnaud de Belenet. - Non, nous savons que cela sauvera 350 à 400 vies chaque année. Laisser la décision aux maires et aux présidents de conseils départementaux ? Cela ne me convainc pas. Assumeraient-ils de telles décisions ? (Plusieurs « oui » et « bien sûr » sur les bancs des groupes UC et Les Républicains) Seraient-ils prêts à prendre la responsabilité pénale, le cas échéant ? (Brouhaha sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Bonhomme. - Attention à la sortie de route !
M. Arnaud de Belenet. - Ne peut-on pas reproduire le système de dérogations qui existe pour les zones urbaines ?
Beaucoup de contre-vérités ont été dites. Par exemple, le produit des amendes supplémentaires ne sera pas reversé aux hôpitaux mais affecté aux personnes handicapées du fait d'un accident de la route. Bref, je suis totalement solidaire du Gouvernement sur cette mesure. (Quelques huées sur les bancs du groupe Les Républicains)
Voix à droite. - Il faut sortir de Paris !
M. Guillaume Gontard . - La réduction de la vitesse autorisée sauvera sans doute des vies mais une meilleure concertation avec les élus locaux aurait été appréciable. Beaucoup d'usagers voudraient bien se rendre au travail à 80 km/h ! Ces mesures doivent s'intégrer dans une réflexion globale sur la mobilité et la sécurité pour tous, y compris des cyclistes ; car rien, dans le plan gouvernemental comme dans le rapport sénatorial, n'est prévu pour eux, sinon des propos sur le « savoir-rouler » qui attribuent aux cyclistes la faute des accidents. Anodin ? Détrompez-vous, l'usage de la route change et de plus en plus d'usagers optent pour le vélo pour des raisons économiques et écologiques. Avec le vélo électrique, les trajets domicile-travail, même en montagne, ne sont plus réservés aux athlètes.
Deux tiers des cyclistes tués sur la route le sont en dehors des agglomérations, leur nombre a augmenté de 8,6 % depuis 2016. La loi de 1996 prévoit pourtant l'aménagement de voies cyclables à chaque rénovation. Or cette obligation est souvent ignorée ou contournée : une bande cyclable sans séparateur est contre-productive. Pourquoi ne pas envisager des véloroutes comme en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas ?
De manière générale, la sécurité tient beaucoup à l'état des infrastructures. L'entretien de la voirie coûte cher et incombe aux collectivités, qui n'ont pas toujours des moyens suffisants. Pourquoi pas une écotaxe poids lourds ? Comme pour le rail, il faut envisager un financement mixte.
Pour les cyclistes, nombre de mesures pourraient être prises sans attendre : éclairage, verbalisation intensifiée en cas de non-respect des aménagements cyclistes, sensibilisation des conducteurs d'automobiles. Le vélo ne peut pas être le parent pauvre de notre sécurité routière. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Marc Boyer . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Nous voulons tous sauver des vies sur les routes, il est possible de le faire sans porter atteinte au quotidien des habitants et en écoutant les élus. La réduction à 80 km/h est peut-être justifiée mais elle est imposée, sans pragmatisme.
Beaucoup se sont exprimés contre la généralisation de la mesure au-delà des routes accidentogènes. L'AMF et l'ADF ont déploré l'absence de concertation. Le ministre de l'intérieur est réservé, de même que le ministre de l'aménagement du territoire. Notre espace participatif a recueilli des dizaines de milliers de contributions.
Non, notre groupe de travail n'est pas ce qu'en dit Chantal Perrichon, présidente de la ligue contre la violence routière. Ce n'est ni « un groupuscule de sénateurs qui a entretenu une guérilla » ni « des imbéciles qui déclarent s'ennuyer lorsqu'ils roulent à 80 km/h ». De nombreux territoires trouvent injuste cette mesure appliquée sans discernement, y compris à des territoires où l'État a refusé des aménagements en 2 x 2 voies.
Finalement, le Gouvernement agit comme s'il ne faisait pas confiance aux territoires. Monsieur de Belenet, vous êtes dans la contradiction : les maires auraient le droit de décider en zone urbaine, et pas ceux en zone rurale ? (Applaudissements et « Bravos » sur les bancs du groupe Les Républicains)
L'état des routes est une source bien plus préoccupante d'insécurité. En 2010, 85 % de la chaussée était dans un état correct ; en 2015, ce chiffre est tombé à 83 %. Améliorons-le et on obtiendra des résultats sans réduire la vitesse maximale. On recensait dix à quinze morts par an sur la route entre Clermont-Ferrand et les départements du Cantal et de la Corrèze dans les années 2000 ; un à deux tués par an aujourd'hui grâce à l'aménagement d'échangeurs, de créneaux de dépassements sur les tronçons meurtriers.
Sur les dix-huit mesures du plan, dix-sept suscitent l'adhésion. Que le Gouvernement abandonne la dernière au profit de mesures de prévention, qu'il laisse les collectivités territoriales décider au cas par cas de la réduction à 80 km/h.
Madame la Ministre, n'allez pas à 100 km/h ! Écoutez les citoyens : c'est aujourd'hui qu'a lieu le rendez-vous de la sécurité, non dans deux ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les efforts menés en quarante ans ont fait continûment baisser la mortalité sur les routes : de plus de 17 000 dans les années soixante-dix à moins de 4 000 en 2017. Certes, c'est encore trop ; ce résultat est lié à des politiques publiques mais aussi à des améliorations techniques comme l'airbag et l'ABS. La sécurité routière est une question large et multifactorielle.
L'excellent rapport du groupe de travail a souligné les limites de la méthode du Gouvernement tout autant que celles de l'expérimentation conduite.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Exactement.
M. Olivier Cigolotti. - Les bénéfices en termes de sécurité n'ont pas été sérieusement évalués. Dans les zones rurales prévaut un sentiment d'abandon, voire de relégation par rapport aux zones urbaines bien desservies.
M. François Bonhomme. - Saint-Germain-des-Prés !
M. Olivier Cigolotti. - Je songe notamment aux zones de montagne ou enclavées. Le passage de 90 à 80 km/h entraînera des rejets plus importants, sans compter le temps plus long passé sur la route à polluer.
Les facteurs comme la vitesse sont souvent identifiés par défaut, ce qui met en doute l'impact d'une telle mesure. L'accident est par nature multifactoriel : état de la voirie, conduite, consommation de psychotropes...
Les flashs ont rapporté un milliard d'euros supplémentaires en 2017.
Une voix à droite. - Racket !
M. Olivier Cigolotti. - La Cour des comptes a mis en cause l'utilisation par l'État du produit de ces amendes. Il convient de décentraliser la décision et de la construire en concertation.
Madame la Ministre, vous connaissez le bon sens du Sénat ; nous comptons sur vous pour relayer notre travail auprès du Premier ministre ! (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Michel Raison. - Cigolotti président !
M. Bernard Jomier . - Je salue l'excellent travail des rapporteurs qui ont su s'écarter des vaines polémiques et des arguments spécieux comme l'endormissement par excès de lenteur ou le racket des automobilistes quand les accidents coûtent 50 milliards par an... Des voix s'étaient déjà élevées en 1974 contre l'instauration d'une limitation à 110 et en 1990 contre la limitation à 50 en agglomération.
J'entends les arguments non dénués de fondement sur le manque d'écoute des territoires et de concertation. Mais les mêmes arguments ont été avancés face aux mesures successives pour la sécurité routière ; et la mortalité a été divisée par cinq en trente ans.
Les sept pays qui ont les meilleurs résultats en Europe ont limité la vitesse maximale autorisée à 80 km/h ou moins ; et la Suède, au premier rang, à 70. Certes la vitesse n'est pas le seul facteur de mortalité, mais 36 % des accidents mortels impliquent une vitesse trop élevée.
Décentraliser la vitesse maximale autorisée ? Je comprends le principe mais l'application peut être contre-productive. Une règle simple et générale, c'est un message fort et compris.
Je partage néanmoins le constat des rapporteurs : une telle mesure doit être articulée avec la réduction des délais de passage du permis et une lutte active contre l'alcool et les stupéfiants au volant.
Toutefois, c'est une étape dans la bonne direction ; rendez-vous dans deux ans pour le bilan. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Henri Leroy . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) La limitation de vitesse à 80 km/h sur certaines routes frappera d'abord nos compatriotes des territoires ruraux et périphériques. La mortalité routière, depuis 2010, a augmenté en même temps que le produit des radars. Les Français en ont assez d'être pris pour des vaches à lait !
Une voix à droite. - Bravo !
M. Henri Leroy. - Arrêtez d'emmerder les Français, disait le président Pompidou... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Et quelle idée stupide que de faire un bilan dans deux ans ! Faudra-t-il changer alors tous les panneaux ? (Mme Cécile Cukierman rit.)
M. Collomb a admis, en février, que l'on aurait pu se concentrer sur les tronçons les plus accidentogènes - et peut-être vous-même, Madame la Ministre, n'êtes-vous pas éloignée de cette position. C'est la bonne méthode, et il faut, comme le proposent nos rapporteurs, laisser les départements définir ces tronçons. Le candidat Macron lui-même reconnaissait qu'un abaissement généralisé à 80 km/h fragiliserait tout l'édifice.
Mme Cécile Cukierman. - Voilà !
M. Henri Leroy. - J'en viens au second sujet, qui est lié au premier : l'usage de caméras individuelles par les agents des services municipaux, autorisé à titre expérimental en juillet 2016. Cela ne présente que des avantages, pour la sécurisation des procédures, mais aussi la baisse des tensions et la protection contre les mises en cause abusives. Et pourtant, Madame la Ministre, rien n'a été prévu par votre Gouvernement pour pérenniser l'expérience.
Mme Cécile Cukierman. - C'est vrai !
M. Henri Leroy. - N'envoyez pas sans cette garantie les gendarmes sur les routes où la vitesse autorisée viendrait à diminuer brutalement de dix kilomètres/heure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe CRCE)
Mme Angèle Préville . - Questionner la baisse de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur, cela n'empêche nullement de s'interroger sur l'ensemble des politiques de prévention routière.
Accroissant à proportion de son carré l'énergie cinétique qui doit se dissiper entièrement pour que le véhicule s'arrête, la vitesse aggrave les accidents ; mais il faut aussi s'interroger sur le non-respect du code de la route, l'usage du téléphone, la fatigue, l'alcool et les stupéfiants...
La route tue plus de 3 500 personnes et en blesse 75 000 chaque année. Les piétons et cyclistes représentent 20 % des tués ; or, développement durable oblige, leur nombre va s'accroître. La sécurité routière doit passer au premier rang des priorités avec une concertation aussi large que possible.
L'expérimentation n'a pas été suffisante ; et la mesure aurait dû être décentralisée vers les départements qui ont repris la gestion du réseau secondaire.
Les routes concernées ayant été transférées au département en 2008, je plaide pour des conférences départementales de la sécurité routière qui identifieraient les routes accidentogènes où la vitesse doit être plus limitée. Le réseau routier du Lot, mon département, compte 12 000 km dont 8 000 km de routes communales et 16 km de nationales. Or les accidents se concentrent aux deux-tiers sur le réseau principal. Mes administrés ne comprennent donc pas une telle mesure uniforme.
Pourquoi ne pas appliquer la réduction selon la dangerosité de la route ? Pourquoi ne pas renforcer la prévention auprès des jeunes, par exemple, avec des simulateurs de conduite ?
Madame la Ministre, les mesures les plus simples sont les mieux comprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le sujet du jour est essentiel, la sécurité routière mérite une politique publique ambitieuse et efficace - je le dis d'autant plus volontiers que le nombre d'accidents sur les routes de mon département, le Maine-et-Loire, est supérieur à la moyenne nationale.
En la matière, il n'y a pas de posture politique, c'est l'efficacité qui doit primer et je salue le travail des rapporteurs.
Je m'interroge sur la proportionnalité et l'utilité de la mesure dont nous discutons : réduire la vitesse maximale autorisée de 10 km/h sur les 400 000 km de routes secondaires relève d'une arithmétique simpliste et technocratique. Il faut activer d'autres leviers, notamment l'éducation et la prévention.
Sur le terrain, l'exaspération est réelle face à cette vision purement parisienne déconnectée des réalités.
La vraie question est l'adéquation entre une limitation de vitesse et l'état de la route à laquelle elle s'applique. Les exécutifs locaux y veillent depuis longtemps : nous connaissons tous des tronçons à 70 km/h très bien acceptés.
Madame la ministre, pourquoi vous entêter ? Il est encore temps de modifier votre dispositif, les élus locaux et les départements le demandent. J'espère que le Gouvernement entendra les élus locaux. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - (M. Arnaud de Belenet et Mme Michèle Vullien applaudissent.) Je relève le sérieux du groupe de travail, ainsi que le soutien qu'il apporte aux mesures adoptées par le Conseil interministériel pour la sécurité routière du 9 janvier. Seule la mesure n°5 fait débat ce soir. Merci à Mme Vullien d'avoir rappelé les autres.
Les rapporteurs ne proposent pas un rejet en bloc de la limitation à 80, mais son application sur nos routes les plus accidentogènes par voie d'arrêté, décidée en concertation avec les départements. La baisse serait possible à compter du 1er janvier 2019, soit un report de six mois.
La fixation de la vitesse maximale autorisée relève du pouvoir réglementaire ; elle a toujours été décidée par l'État - aux autorités locales, si elles le souhaitent, d'abaisser cette limite. On trouve aussi souvent des « zones 30 » dans les communes.
Monsieur Boyer, le Gouvernement n'a pas l'intention d'échelonner les mesures. Certaines seront effectives au 1er juillet, d'autres nécessitent des décrets d'application. Celles concernant le téléphone au volant seront, elles, introduites dans le prochain projet de loi d'orientation des mobilités.
Le Gouvernement soutient aussi la proposition de loi de M. Delahaye contre les rodéos sauvages.
M. François Bonhomme. - On s'éloigne du sujet !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il n'existe plus en France de ces fameuses zones d'accumulation des accidents corporels, nombreuses il y a encore trente ans. Les accidents sont assez aléatoirement répartis, si ce n'est qu'ils se concentrent sur certains types de réseaux routiers.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a constaté que l'on mourait le plus - hors agglomération - sur les plus belles routes, quel que soit le département. Le réseau le plus structurant, soit 10 % des routes, concentre 38 % des morts. Sur les 20 % principaux, nous arrivons à 55 %.
Dans la Haute-Saône, le réseau structurant représente 8 % du réseau mais 61 % des tués.
Mme Cécile Cukierman. - Ce sont les routes les plus fréquentées ! C'est mathématique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Dans le Finistère, on a 60 % des morts sur 37 % du réseau. Le danger commence là où l'on croit qu'il n'est pas.
M. François Bonhomme. - C'est valable pour tout !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Sur une petite route, il y a rarement des accidents la nuit quand il pleut.
Mme Cécile Cukierman. - Évidemment, il n'y a personne !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Et il y a davantage d'accidents en plein jour, quand il fait beau, que la route est belle et droite, ou qu'il y a des camions.
Ces statistiques sont faites par des fonctionnaires parfaitement impartiaux et compétents.
M. Alain Fouché. - Ils sont à la botte !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Et ceux qui, dans cet hémicycle, défendent ordinairement les fonctionnaires, devraient être plus cohérents.
Mme Cécile Cukierman. - On en reparlera !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Ne pas appliquer la mesure sur une partie du réseau serait incompréhensible. Par souci de cohérence, il faut fixer une unique vitesse maximale autorisée.
Bref, tout commande que la mesure n°5 entre en vigueur en juillet 2018. C'est toutefois une mesure expérimentale.
M. Gilbert Bouchet. - Dans la Drôme, elle existe !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Elle sauvera des centaines de vies par an. Or on accuse le Gouvernement de vouloir faire de l'argent.
M. Alain Fouché. - C'est le cas !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Certains vont jusqu'à avancer des chiffres - 300 à 400 millions par an - dont on ne sait pas où ils sont allés les chercher, et que la Sécurité routière a démentis.
Bien sûr, on peut envisager que si la vitesse autorisée baisse, il y ait davantage d'amendes. Mais le Gouvernement s'est engagé à reverser tout surplus à un fonds améliorant les soins aux blessés graves, qui sont 24 000 par an...
Aujourd'hui, 92 % des recettes des amendes vont à la sécurité routière (M. Alain Fouché le conteste.) et 8 % au remboursement de la dette.
Vous avez rappelé à juste titre l'importance de la prévention dans les écoles et dans les entreprises. Déjà, 900 entreprises comptant 3 millions de salariés ont signé un accord avec la sécurité routière.
La réforme du permis de conduire lancé par M. Cazeneuve a abaissé à 40 jours le délai médian d'attente. Le coût, lui, est dans la moyenne européenne, entre 1 600 et 1 800 euros.
Monsieur Gontard, la loi Mobilités comportera un plan pour les cyclistes.
Monsieur Leroy, les caméras individuelles des policiers municipaux ont été mises en place par un décret de juin 2016, à titre expérimental, dans 344 communes - 2 106 caméras ont été installées au total. La loi avait prévu qu'un rapport vous soit présenté. Il sera positif. À l'Assemblée nationale, le groupe Les Indépendants a déposé une proposition de loi que nous soutenons, qui sera débattue le 13 juin, pour généraliser le dispositif - ce qui correspond bien à la logique de la police de sécurité du quotidien.
C'est d'un sujet grave dont nous parlons ce soir. Dans mon département rural, les voiries sont très accidentogènes : beaucoup de petites routes, animaux sauvages de Sologne... Franchement, cette réduction à 80 km/h ne me choque pas. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nos rapporteurs ont travaillé avec sérieux et rigueur, sans a priori, sur ce sujet grave de la sécurité routière. Nous partageons tous ce combat, mais il doit être mené avec pédagogie pour susciter l'adhésion. Trop de Français perçoivent la politique de sécurité routière comme punitive, voire comme un racket. Réduire brutalement la vitesse maximale autorisée ne ferait que renforcer cette incompréhension, surtout dans les zones rurales qui bénéficient moins des transports en commun.
De plus, l'expérimentation sur laquelle s'appuie cette mesure est contestée.
M. Alain Fouché. - Absolument !
M. Hervé Maurey, président de la commission. - Pourquoi ne pas avoir organisé une véritable expérimentation ?
M. Gilbert Bouchet. - Il y en a eu une dans la Drôme !
M. Hervé Maurey, président de la commission. - Il faudrait dresser département par département la carte des routes accidentogènes : toutes n'appellent pas la même limitation de vitesse ! Pourquoi cette vision uniforme, manichéenne et technocratique ?
La proposition de nos rapporteurs, de laisser les conseils départementaux définir les tronçons de route où la limitation est à 80, est plus logique et plus adaptée aux réalités de terrain. Je regrette que le Gouvernement ne tienne jamais compte de nos travaux, Madame la Ministre.
Si nous soutenons les autres mesures, nous regrettons la méthode choisie et l'entêtement du Premier ministre. Il n'est pas sérieux de nous donner rendez-vous dans deux ans ; nous aurons investi 9 millions pour changer les panneaux !
Prise sans pédagogie ni concertation, cette mesure ne fera que renforcer la colère des automobilistes. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) Je salue le travail de nos rapporteurs pour leur sérieux, leur sagesse et leur hauteur de vue.
Si je partageais vos certitudes, Madame la Ministre, je n'hésiterais pas à suivre le Premier ministre. Mais je ne les partage pas et le rapport de mes collègues devait convaincre le Gouvernement que les effets escomptés ne seront pas au rendez-vous.
Votre croyance dans l'efficacité de la limitation à 80 relève donc d'un acte de foi - à quoi je suis sensible, notez bien - et non d'une démonstration.
Le rapport d'avril dernier que vous citez a certes identifié les axes les plus accidentogènes, mais sans dire que la vitesse comprise entre 80 et 90 était la cause première des accidents, ni que l'abaissement à 80 abaisserait le nombre de ces accidents. L'invocation de ce rapport n'a donc aucun caractère scientifique.
Bien sûr, des mesures doivent être prises pour renforcer la sécurité routière. J'étais aux côtés de Jacques Chirac quand il a fait de la sécurité routière une grande cause nationale. Nous poursuivons tous le même objectif, il n'y a pas d'un côté le Gouvernement qui serait pour la sécurité routière, et de l'autre le Sénat !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Personne ne le pense !
M. Philippe Bas, président de la commission. - Le Gouvernement dit vouloir s'inscrire dans la continuité des politiques menées dans les années 2000. Mais il ne suffit pas d'avoir un objectif juste, pour être efficace. Le Gouvernement doit cesser de diaboliser les réticences exprimées qui ne sont pas quelque résurgence tardive de je ne sais quel poujadisme. Oui la vitesse tue, mais il est plus exact de dire que c'est l'excès de vitesse par rapport aux limitations actuelles ! (On approuve sur de nombreux bancs.)
Bref, cette mesure est irrationnelle et n'aura donc aucun résultat. D'ailleurs, la vitesse tue surtout quand elle est associée à d'autres facteurs, énumérés par nos rapporteurs - l'alcool, les stupéfiants, le téléphone, le non-respect du code... - et qu'il faut tous traiter, par des mesures décentralisées plutôt qu'étatiques...
M. Alain Fouché. - Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission. - ... affinées plutôt qu'aveugles, concertées plutôt qu'autoritaires, responsabilisantes plutôt qu'infantilisantes et, surtout, évaluées au préalable. Plutôt qu'un électrochoc éphémère, visons une amélioration durable !
Le Gouvernement, Madame la Ministre, devrait saisir la main que nous vous tendons. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Prochaine séance, demain, mercredi 6 juin 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 25.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus