Revalorisation des pensions agricoles (Suite)
M. le président. - Nous reprenons la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE PREMIER (Suite)
M. Fabien Gay . - La situation exige une mesure d'urgence, qui fait une rare unanimité. Le déclassement social de la paysannerie n'est pas une vue de l'esprit. Le régime de retraite agricole est déclassé, les pensions versées sont parmi les plus faibles d'Europe.
Comment dire à ces retraités qu'ils peuvent encore attendre 2020, alors que vous vous êtes empressés de rendre trois milliards d'euros aux ultra-riches ?
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Fabien Gay. - Vous êtes le Gouvernement des nantis ! Vous refusez la possibilité d'augmenter de 100 euros par mois les retraites agricoles, une avancée modeste pour les 230 000 bénéficiaires - et vos motifs sont des plus obscurs. Comme l'a confirmé Oxfam hier, la France est au premier rang pour les dividendes, et les premiers de cordée français sont les champions de la spéculation financière. Et il ne serait pas possible de prélever le minimum indispensable à une vie digne ?
Tous vos arguments techniques ont été contredits. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail de terrain, par les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Votre attitude est la preuve que le pouvoir législatif est bâillonné. Vous creusez le fossé entre pouvoir et citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Victoire Jasmin et M. Roland Courteau applaudissent également.)
Mme Gisèle Jourda . - Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? Voici votre message aux agriculteurs retraités, qui ont assez vu le soleil foudroyer et l'herbe verdoyer. Madame la ministre, entendez leur SOS !
Leurs retraites sont les plus basses du pays. Chers collègues, comme moi dans l'Aude, vous avez tous été alertés par les retraités agricoles, vous avez lu les certificats que la MSA leur envoie : la situation est intolérable, elle n'a que trop duré !
Madame la Ministre, vous savez que le calendrier parlementaire est embouteillé, que tant de textes sont en attente. Comment pouvez-vous invoquer votre future réforme des retraites ? L'expérience m'a confirmé qu'il ne faut pas remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui.
Nous devons voter conforme ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit aussi.) Les agricultrices, les agriculteurs dont nous débattons, après la guerre, parmi d'autres, ont remis le pays sur pied, ils ont fait de la richesse de notre pays ce qu'elle est.
Vous nous expliquiez que nous aurions pu augmenter leurs pensions avant...
Il est rare que l'expression du peuple, des territoires, se retrouve de façon aussi claire sur un point et qu'elle réunisse si largement les bancs de notre hémicycle. En fait, notre pays ne reconnaît pas suffisamment le travail de ses agriculteurs, et vous refusez ce texte qui ne fait pas même passer les pensions agricoles au-dessus du seuil de pauvreté...
Le projet est reporté à 2020 ? Mais vous savez qu'il faudra à cette date faire un effort supplémentaire de solidarité nationale, aller au-delà de ce que nous proposons aujourd'hui.
Je proteste contre une attitude qui bafoue la démocratie. J'espère, Madame la Ministre, que vous reviendrez sur votre demande de vote bloqué. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et UC)
Mme Élisabeth Doineau . - Ce texte est l'occasion de gommer une honte nationale - le montant de ces retraites - une honte que nous partageons.
La situation des retraités agricoles est très difficile, tout particulièrement pour les femmes, et pour les retraités des outre-mer ; la situation est exceptionnelle - il faut donc une mesure exceptionnelle. C'est alors que notre pays dira sa reconnaissance, redonnera de la dignité à ceux qui, par leur travail, nourrissent notre pays et entretiennent nos territoires.
Le président de la République a annoncé un monde nouveau. Ce texte n'aurait-il pas pu être l'occasion de le concrétiser ? Je comprends que vous annonciez une future réforme. Mais cette mesure n'est qu'une anticipation. La solidarité familiale ne suffit pas, il faut de la solidarité nationale.
Gouverner, c'est renoncer ? C'est aussi choisir.
Le groupe centriste choisit la solidarité. La France entière, à l'image des bancs du Sénat, doit se retrouver dans le soutien aux agriculteurs. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Henri Cabanel . - Je suis un sénateur déçu. Tous les groupes du Sénat, cet après-midi, ont été unanimes sur le trait de côte - même LaREM. Pourtant, côté gouvernemental, ce soir comme cet après-midi, nous constatons le même entêtement.
Quelle est votre vision de la démocratie, Madame la Ministre ? Tout se décide dans le microcosme parisien, loin des territoires. Il faudra bien plus qu'un direct avec Jean-Pierre Pernaut pour vous réconcilier avec la ruralité ! (Rires et applaudissements)
Deux suicides par semaine, et pour cause : après des années de labeur, une retraite de misère, indigne de la République. Il vaut mieux tenir qu'espérer : ne ratons pas cette occasion et repoussons l'amendement du Gouvernement, qui repousse cette proposition de loi aux oubliettes ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Franck Montaugé . - Les enfants, les petits-enfants d'agriculteurs parsèment cet hémicycle, ces agriculteurs qui se sont donné de la peine sans s'enrichir.
Saluons leurs représentants présents ce soir dans nos tribunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Pourquoi ne pas poursuivre les progrès initiés par Lionel Jospin et François Hollande ?
Ce que vous proposez - si l'on se fie aux propos du président de la République, qu'un euro de cotisation ouvrirait sur un euro de retraite - c'est une régression pour le monde agricole.
Les États généraux et autres Assises se multiplient, notre pays est au chevet de son agriculture et, dans les faits, ce sont des vies vidées de sens, des conditions de vie indignes pour un pays développé... C'est inacceptable.
Le groupe socialiste veut reconnaître la juste valeur du travail de production. Le progrès, c'est maintenant.
En recourant au vote bloqué, vous laissez le temps régler les choses, c'est moralement abject, contre les valeurs mêmes de la République. Il n'y aurait donc pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre ; les retraités agricoles méritent mieux qu'un tel traitement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Claude Bérit-Débat . - Tout a été dit de l'injustice de ces pensions trop faibles. Tout a été dit sur les procédures que vous avez utilisées pour éviter le débat de fond.
Sénateur de Dordogne, je sais que ces hommes et que ces femmes ont un visage. Nous les connaissons. Pour la plupart, nous sommes leurs enfants ou leurs petits-enfants. Dans les tribunes ce soir, il y a le président de l'Association nationale des retraités agricoles de France (Anraf), accompagné d'un vice-président issu de la Dordogne, d'où est né le mouvement en 1973 - la Dordogne, pays de Jacquou le Croquant.
Sous Lionel Jospin, la loi Germinal Peiro - enfant de la Dordogne - est venue faire progresser les pensions. Elles ont ensuite atteint 75 % du SMIC. Nous voulons les porter à 85 % du SMIC avec cette proposition de loi ; pourquoi refusez-vous de le faire ? Les 6 000 retraités agricoles de Dordogne sauront à quoi s'en tenir avec votre Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Tissot . - Madame la Ministre, votre attitude démontre votre mépris pour le monde des travailleurs de la terre. Quelle est votre définition des mots « justice sociale » ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Marc Laménie . - Quoique je ne sois pas agriculteur, je suis solidaire de ce monde qui travaille très dur, et qui est indispensable aux territoires. Le monde agricole souffre depuis de longues années. Reconnaissons ses efforts.
Le montant des pensions nous oblige à la solidarité. Cette proposition de loi pose les problèmes essentiels pour la défense du monde rural. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, CRCE et SOCR)
M. Daniel Laurent . - Je suis viticulteur ; je connais la retraite que je toucherai : une misère. (Rires sur les bancs du groupe LaREM) Avec le président de la République et le Gouvernement, vous abaissez à 80 km/heure la vitesse sur les routes - ce qui gênera les ruraux. Cela coûtera 400 millions d'euros pour changer les panneaux.
Cette proposition de loi coûtera le même montant. Pour arrêter d'enquiquiner les Français, essayez donc de réfléchir intelligemment : échangez les deux mesures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Cécile Cukierman . - La séance du 7 mars s'est finie dans le chaos car le Gouvernement a annoncé vouloir utiliser le vote bloqué. Ne parlons pas de la faute d'il y a cinq ans. Cette séance est l'occasion d'y remédier.
Lorsque nous avons annoncé aux retraités agricoles que le Gouvernement utiliserait le vote bloqué, il y a eu des larmes, mais aussi une réelle incompréhension du sort réservé à une mesure aussi fortement soutenue au Parlement. Nous parlons d'hommes et de femmes qui ont des pensions de 350 euros par mois.
Le vote bloqué ne fait que confirmer la piètre opinion des Français envers le monde politique...
Vous devrez expliquer aux Français pourquoi vous laissez mourir de faim ceux qui les ont nourris pendant si longtemps. Vous utilisez ce texte pour montrer que vous ne céderez sur rien. C'est lamentable. (Applaudissements soutenus sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Nicole Bonnefoy . - Madame la Ministre, vous avez exprimé votre opposition au fonds d'indemnisation aux victimes des produits phytosanitaires car vous attendiez des preuves de la nocivité de ces produits, malgré les nombreux rapports qui la démontrait, y compris de votre ministère. Vous refusez aujourd'hui une augmentation légitime de pensions dont tout le monde reconnait qu'elles ne sont pas dignes. Ma conviction, c'est que vous n'aimez pas les agriculteurs et surtout les plus faibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
Remplacer l'année :
2018
par l'année :
2020
Mme Agnès Buzyn, ministre. - L'amendement reporte de 2018 à 2020 l'entrée en vigueur de cette disposition pour l'inscrire dans la réforme globale des retraites. C'est une réforme de grande ampleur... (Huées sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains) L'ensemble des assurés sociaux seront concernés.
M. Pierre Laurent. - C'est ce que vous dites !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il n'est pas opportun d'agir de façon sectorielle, ni de modifier des paramètres majeurs du système de retraite agricole.
Mme Esther Benbassa. - Vivre dignement, ça c'est majeur !
Mme Éliane Assassi. - C'est honteux ce que vous dites !
M. Michel Raison. - Lamentable !
M. Dominique Watrin, rapporteur. - Nous nous sommes exprimés le 7 mars. La commission des affaires sociales s'est prononcée clairement contre cet amendement. Au-delà du changement de date, c'est tout le sens de la proposition de loi qui est remis en cause.
J'ai pris plaisir à travailler avec la commission lors d'échanges très fructueux. Notre conclusion a été qu'il fallait un vote conforme. Votre attitude, Madame la Ministre, était démesurée dans sa brutalité. La mesure est financée : 450 millions d'euros de recettes pour 400 millions d'euros de dépenses. Elle n'est pas prématurée, ou bien allez le dire aux intéressés !
Avis défavorable à cet amendement qui signe l'arrêt de mort de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et SOCR)
ARTICLE 2
M. Pascal Savoldelli . - Pourquoi une taxe additionnelle sur les transactions financières ? Car les produits agricoles sont depuis vingt ans dans le circuit financier infernal : contrats à terme, où l'on échange sur la récolte de pommes de terre avant que les plans aient commencé à fleurir, sans parler des marchés céréaliers, de la viande et des produits laitiers. Soyons réalistes. Ce sont des transactions financières spéculatives. Elles désorganisent les relations en créant une forte incertitude sur les prix et sur les ressources de la MSA. La taxation n'est pas une élucubration de philosophes marxistes ou d'économistes altermondialistes mais une évidence de bon sens. Nous demandons que l'argent du travail aille au travail et non à la spéculation. Pour cela, il est grand temps que la sphère spéculative mette la main au portefeuille.
Madame la Ministre, (M. Pascal Savoldelli brandit une pièce et un billet.), un centime pour dix euros de spéculation : voilà ce que vous demande le Sénat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE) Car comme le dit le poète : quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
ARTICLE 3
Mme Victoire Jasmin . - La plupart des retraités agricoles ultramarins ne remplissent pas les conditions pour prétendre à 75 % du SMIC. En outre-mer, seuls 3 % des monopensionnés agricoles ont une carrière complète. Cet article assure une pension de 75 % du SMIC en justifiant d'une carrière complète pour l'ensemble des régimes.
ARTICLE 4
Mme Victoire Jasmin . - Les salariés agricoles d'outre-mer, hors Guyane et Martinique, ne bénéficiaient pas des accords antérieurs. Cet article donne dix-huit mois aux partenaires sociaux pour conclure un accord, sans quoi l'État reprendra la main. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Panunzi, Grand et Joyandet, Mme Bonfanti-Dossat, M. Grosdidier, Mmes Bruguière, Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Grosperrin, Paccaud et Vogel, Mmes Micouleau, Lanfranchi Dorgal et Lamure, MM. Mandelli, Bonhomme et Babary, Mme A.M. Bertrand, MM. Leleux et Calvet, Mme Bories et MM. Rapin et Bazin.
Remplacer le mot :
continentale
par le mot :
métropolitaine
Mme Anne-Marie Bertrand. - Cet amendement de M. Jean-Jacques Panunzi porte sur l'intitulé du texte, qui garantit un niveau minimum de pensions à 85 % du SMIC et de nouvelles recettes pour le financement du régime des non-salariés agricoles.
L'expression « France continentale » ne recouvre pas l'intégralité de la métropole puisqu'elle exclut la Corse. Il convient de corriger cette erreur.
M. le président. - Madame la Ministre, confirmez-vous votre demande de vote bloqué sur la proposition de loi telle que modifiée par le seul amendement n°3 ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Oui. (Exclamations sur de nombreux bancs)
M. Pierre Ouzoulias. - Quel argumentaire ! Belle défense !
Explications de vote
M. Michel Raison . - Madame la Ministre, nous avons du respect pour vous-même et votre fonction et, contrairement aux apparences, nous ne cherchons nullement à vous mettre en difficulté. Nous voulons, au contraire, vous aider à marquer votre passage : politiquement, au sens noble du terme.
De plus en plus, la haute administration prend le pas sur le politique. Tout ce que vous avez lu a été écrit par votre administration. Nous l'avons déjà entendu dans la bouche de vos prédécesseurs.
Ce que nous demandons n'a rien de faramineux, cette augmentation est d'une justice extrême.
Alors qu'on s'apprête à débattre d'une loi sur le revenu des agriculteurs, n'oublions pas ceux qui se sont sacrifiés. Les exploitations qui s'en sortent sont celles qui ont été cédées à un prix modique.
La part de l'alimentation dans le budget des ménages est aujourd'hui très faible.
Que doit-on réellement aux agriculteurs ? Beaucoup plus que ce qui est écrit ici.
Madame la Ministre, soyez une vraie politique que nous puissions soutenir face à son administration ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Cécile Cukierman . - Cette proposition de loi n'est pas l'alpha et l'oméga des retraites agricoles, mais une première marche à franchir pour que les retraités agricoles retrouvent une dignité.
Aucun agriculteur ne pourrait se satisfaire d'une pension à 85 % du SMIC mais c'est une première étape. En utilisant le vote bloqué et en repoussant à 2020 l'échéance, vous vous retrouverez face à un monde agricole qui accroîtra ses exigences.
Apportons une précision : ce n'est pas le Sénat qui empêchera la revalorisation des plus petites pensions, mais le Gouvernement. C'est lui qui sera responsable devant les agriculteurs. Nous ne voterons pas l'amendement n°3. Vous en aurez la responsabilité.
Hier, vous nous avez reproché le gage, aujourd'hui vous n'y revenez pas. (On le confirme sur les bancs du groupe CRCE.) C'était donc bien une fausse excuse pour refuser de revaloriser les retraites agricoles. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Martin Lévrier . - Depuis le 7 mars, Mme la ministre a, comme elle s'y était engagée, rencontré l'ensemble des représentants agricoles.
Mme Éliane Assassi. - Aucune organisation n'accepte la position du Gouvernement !
M. Martin Lévrier. - Des organisations qui ne s'étaient pas exprimées jusque-là estiment que le financement de la mesure est public.
Mme Éliane Assassi. - C'est faux !
M. Martin Lévrier. - La FNSEA a compris l'importance d'attendre jusqu'à 2020. (Vives exclamations et huées, couvrant la voix de l'orateur)
M. Michel Raison. - N'importe quoi !
Mme Éliane Assassi. - C'est faux ! Relisez son communiqué d'hier soir !
M. Martin Lévrier. - En préférant une mesure d'urgence à une réforme plus large, vous prenez le monde agricole en otage ! (Mêmes mouvements) Vous ne laissez d'autre choix que d'utiliser le vote bloqué, que le groupe LaREM soutient.
M. Pascal Savoldelli. - Vous osez parler de prise en otage ? De qui se moque-t-on ? Un peu de décence !
Mme Éliane Assassi. - J'ai rencontré la FNSEA, ce que dit M. Lévrier est un mensonge !
M. Éric Kerrouche . - Nous avons un goût d'amertume et de poussière. Cette proposition de loi ne pose aucune difficulté. Derrière les feuilles de calcul de Bercy, il y a des hommes et des femmes ; 116 euros en plus par mois, c'est très important. Personne dans cette assemblée ne prétend avoir le monopole du coeur, mais vous, Madame la Ministre, avez le monopole de la sécheresse du coeur. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
Mme Michelle Gréaume . - Je suis fière d'être sénatrice et d'entendre les cris de la France du bas.
Je pensais qu'un Gouvernement respectait la démocratie. L'Assemblée nationale en totalité et le Sénat en totalité ont adopté cette proposition de loi.
Jeune sénatrice, je comprends à présent pourquoi le peuple du bas ne croit plus en la politique. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)
M. Pierre Laurent . - Nous rejetterons cet amendement, qui enterre littéralement cette proposition de loi.
Je suis choqué, Madame la Ministre, que vous n'ayez pas pris la peine de répondre à un seul des arguments qui vous ont été opposés. Vous avez expédié votre réponse en quinze secondes !
Mépris pour cette proposition de loi, mépris pour le monde agricole auquel cette proposition de loi apportait une bouffée d'oxygène, mépris pour le Parlement. Hier, le Gouvernement a réussi le tour de force de fédérer l'ensemble des groupes - sauf LaREM - contre lui sur l'article 2 du texte sur les violences sexuelles.
Vous renouvelez cet exploit ce soir. C'est extrêmement inquiétant pour la démocratie.
Ce soir, par notre vote, nous envoyons un message d'espoir au monde paysan. Nous continuerons à porter sa voix pour montrer que la politique peut être digne, transparente et à l'écoute du peuple. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains)
M. Patrick Kanner . - Est-ce qu'au moins, ce soir, le doute, s'est-il un peu instillé dans votre esprit, Madame la Ministre ? Est-ce qu'au moins vous accordez aux parlementaires de gauche et de droite que nous sommes, le crédit de percevoir la réalité du terrain, peut-être un peu mieux que vous ?
Vous êtes médecin, vous faites partie des ministres techniques - ce n'est pas péjoratif dans ma bouche. Et vous partagez, j'imagine, notre diagnostic, mais vous refusez de prescrire le remède nécessaire pour guérir une partie de la population de ce pays, vivant dans une situation qui a été qualifiée de misérable.
Le 7 mars était une soirée noire pour la démocratie, le 16 mai le sera également. Je vous demande de réfléchir : l'ancien monde n'est pas opposé au nouveau ; il s'agit seulement de répondre à la détresse agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Élisabeth Doineau . - Certains membres du groupe UC s'abstiendront, d'autres voteront contre. La méthode nous échappe d'abord : pourquoi patienter pour parvenir à un résultat analogue ?
Ensuite, nous, politiques, voyons à quel point la vie est difficile pour les agriculteurs, à qui l'on a déjà fait beaucoup de promesses. La solidarité familiale n'opérant plus dans des familles où l'on n'est plus agriculteurs de père en fils, c'est à la solidarité nationale de s'y substituer. Vous avez fait des promesses de nouveau monde ; faites donc à présent de belles promesses de réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. Laurent Duplomb . - Cette attitude de mépris de la ruralité est insupportable. Vous avez vidé les communes rurales de leurs compétences, vous avez limité la vitesse à 80 km/heure, vous menacez la fiscalité locale... Votre jacobinisme menace 80 % du territoire national. Or l'origine, l'histoire de la France est dans les campagnes.
Votre mépris provoque chez moi un vrai sentiment de dégoût. Les gens de mon pays ne sont pas assez savants pour raisonner de travers, comme disait Montesquieu. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Catherine Conconne . - Madame la Ministre, que dirai-je à mes compatriotes qui ont été tardivement alignés sur l'égalité, eux qui se lèvent chaque matin, à l'aube, en regardant le ciel, craignant les cyclones, sans cesse plus nombreux, avec le réchauffement climatique et les inondations, sans cesse plus cruelles, eux qui ne réclament que quelques dizaines d'euros pour survivre alors que l'on construit des équipements olympiques à grands frais (M. Patrick Kanner s'exclame.) - ce que j'approuve par ailleurs, mais je comprends leur désarroi ? Leur dirai-je que l'on se bat pour la justice ? Je crains d'avoir honte de les affronter, Madame la Ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga et Mme Annick Billon applaudissent également.)
À la demande du président du groupe RDSE, la séance est suspendue pour quelques instants.
M. Dominique Watrin, rapporteur . - Le 7 mars, le secrétaire d'État disait que le poids de cette proposition de loi, non financée, retomberait sur le contribuable. J'ai démontré que c'était faux : elle est gagée par une taxe additionnelle à celle qui existe déjà sur les transactions financières, d'un centime pour dix euros. En tant que rapporteur, je ne peux laisser passer cette insupportable contre-vérité. (Applaudissements nourris et bravos sur la plupart des bancs de la gauche jusqu'à la droite, à l'exception des bancs du groupe LaREM)
Je ne peux laisser dire non plus que les syndicats agricoles s'opposeraient à cette proposition de loi. J'ai ici les communiqués de la coordination rurale, de la confédération paysanne, du Modef, etc. (L'orateur brandit des documents.) qui ont tous demandé le retrait des amendements du Gouvernement et du vote bloqué.
Un représentant de LaREM a insinué que la FNSEA s'opposerait à ce texte... Tenez-vous au courant ! La FNSEA, le 15 mai 2018, a émis un communiqué de presse titré « 85 % du SMIC : les retraités agricoles s'impatientent ! » Point d'exclamation ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et RDSE)
M. François Patriat. - Lisez la suite !
Mme Agnès Buzyn, ministre . - (« Ah ! » à droite) Je répondrai à vos interventions et interpellations.
Vous avez parlé de mépris. Or j'ai un profond respect pour les agriculteurs et leurs organisations représentatives, que j'ai toutes rencontrées, aux côtés du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, et avec lesquelles j'ai longuement échangé. Toutes souhaitent une évolution du régime de base de retraite agricole. Elles m'ont demandé, à cette fin, de la lisibilité et de l'équité, objectifs que nous partageons et qui inspirent la réforme d'ensemble que le Gouvernement prépare. Le régime est en effet incompréhensible, le barème est peu progressif, la constitution des droits à la retraite pose un problème de fond, le calcul des pensions de réversion devient un vrai casse-tête.
Lisibilité et équité, c'est aussi ce que propose le Gouvernement. Le Haut-Commissaire et moi-même avons lancé les concertations préalables à la réforme systémique des retraites le 16 avril dernier.
Une vie de travail pour une pension insuffisante, c'est aussi le constat que nous faisons s'agissant des agriculteurs. Le Gouvernement a donc décidé de faire un geste pour les agriculteurs cessant leur activité pour cause d'inaptitude et les conjoints collaborateurs et aidants familiaux.
La question essentielle des femmes d'agriculteurs a été introduite dans le débat à l'initiative du Gouvernement....
Mme Cécile Cukierman. - C'est scandaleux !
Mme Éliane Assassi. - Oui, 27 euros : c'est méprisant ! (On approuve sur divers bancs à gauche et à droite.)
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous avez hélas refusé notre amendement... Je suis sûre que certains le regrettent. (Vives protestations)
Mme Cécile Cukierman. - Vous vous en expliquerez devant les agriculteurs !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Les concertations se tiendront jusqu'à la fin de l'année, pour une réforme soumise au Parlement l'an prochain. En attendant, ne modifions pas les règles applicables aux seuls agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
À la demande du groupe CRCE, la proposition de loi, modifiée par l'amendement n°3 proposé par le Gouvernement, est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°103 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 274 |
Pour l'adoption | 22 |
Contre | 252 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.