L'état du service public dans les transports en région Île-de-France
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'état du service public dans les transports en région Île-de-France.
Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - Les Franciliennes et les Franciliens ne supportent plus la galère des transports du quotidien : les retards, annulations et incidents divers nourrissent le stress et l'exaspération, un sentiment de déclassement et d'abandon. Le personnel de la RATP et de la SNCF, lui, est en souffrance en raison des conditions de travail de plus en plus difficiles.
La dégradation des transports publics se pose sur tout le territoire, mais elle est cruciale dans la région capitale où transitent 5 millions de voyageurs chaque jour.
Depuis des décennies, l'Île-de-France souffre d'un aménagement déséquilibré du territoire, avec des logements à l'est et des bureaux à l'ouest. Le développement urbain a créé de nouveaux besoins en termes de mobilité qui rendent nécessaire un rééquilibrage. L'enjeu est également environnemental et sanitaire : trop de camions, de voitures sur les routes !
Quelque 6 000 morts par an sont dues à la pollution, avec des coûts induits de 100 milliards par an à l'échelle du pays. Ces chiffres devraient encourager un report modal vers le transport fluvial et ferroviaire. Pourtant, en Ile-de-France, à peine 3 % de marchandises passent par le rail. Et en Val-de-Marne, c'est seulement un train de marchandises par jour pour Rungis !
Pour respecter nos engagements de l'accord de Paris, il nous faut donc appliquer des politiques qui favorisent le rail face à la route, le collectif face à l'individuel.
L'accessibilité des transports en commun est également un enjeu social. Trop de nos concitoyens subissent une discrimination à l'embauche liée à leur lieu de résidence. C'est un frein pour la compétitivité de nos entreprises.
Tout ceci est dû au désengagement de l'État. On se demande même si cela n'a pas été réfléchi pour justifier l'ouverture à la concurrence et la privatisation des transports en commun. Or comment laisser entendre que cette ouverture résoudrait les problèmes, quand on sait bien qu'elle ne fera qu'accentuer les déséquilibres, les investissements privés allant se concentrer sur les secteurs rentables, donc pas en grande couronne où les problèmes sont aujourd'hui criants ?
Nous plaidons plutôt pour la complémentarité des modes de transport : le ferré, le bus, les vélos, pour une offre cohérente et maillée sur tout le territoire - ce qui suppose une maîtrise publique du secteur. Au lieu de quoi, l'ouverture à la concurrence c'est également le dumping social et environnemental - et davantage de risques pris avec la sécurité des usagers et des personnels.
Il faut abandonner le CDG Express, dont le billet sera de 24 euros pour rejoindre l'aéroport. D'un côté, des transports de qualité pour ceux qui peuvent payer - l'État vient d'y mettre 1,7 milliard d'euros ! -, de l'autre, un service au rabais et non financé.
Le CDG Express est un véritable serpent de mer, que la mobilisation citoyenne est parvenue à repousser, de même que c'est la mobilisation citoyenne qui a fait changer le Grand Paris Express, qui ne faisait au départ que rejoindre entre eux les pôles de compétitivité en ignorant les habitants des territoires traversés.
Madame la Ministre, quels sont les retards de calendrier du Grand Paris Express ? Des lignes seront-elles abandonnées ? Nous serons intransigeants sur la pleine réalisation de ce projet : elle désengorgera les transports si elle est réalisée dans son entier, nous y veillerons !
Si personne ici ne se satisfait des transports publics franciliens, nous divergeons sur les actions à engager. Pour notre part, nous dénonçons les choix politiques consistant à faire des économies sur les matériels et sur les personnels, au détriment des 5 millions d'usagers quotidiens.
Comment espérer des améliorations du service en annonçant toujours plus de suppressions de postes ? Pour un service de qualité à un tarif accessible, il faut renforcer le service public des transports. Le matériel roulant doit être renouvelé, même si beaucoup a été fait sous la mandature régionale précédente. Il faut investir massivement sur les lignes du RER, véritable point noir du réseau régional, poursuivre le maillage par les bus, renforcer le service aux usagers par une politique d'embauche. Sur le fret, il faut utiliser les équipements et préserver les réserves foncières - et il serait intéressant de mettre à l'étude la création d'une rocade autour de Paris.
Il faut arrêter de demander aux usagers de payer toujours plus. Au conseil régional d'Île-de-France, nous avons demandé et obtenu un pass Navigo à tarif unique. Il faudrait aussi prendre en compte les difficultés de nos concitoyens en situation fragile dans la tarification. Au lieu de cela, la majorité régionale n'a de cesse d'augmenter les tarifs ; on ne peut pas nous reprocher notre inconstance. Heureusement, dans certains départements comme le Val-de-Marne, une tarification spéciale a été instaurée pour les retraités.
Le groupe CRCE estime que les entreprises qui bénéficient du bon maillage territorial doivent participer davantage au développement de l'offre de transport, par une augmentation du versement transport à Paris et dans une partie des Hauts-de-Seine, ainsi que par une réforme de la taxe sur la construction de bureaux.
D'autres mesures sont possibles telles qu'une taxe sur les parkings des centres commerciaux ou une TVA à 5,5 % pour dégager les marges de manoeuvre. L'Île-de-France bénéficierait de financements nouveaux à hauteur de 5 milliards d'euros. (M. Philippe Pemezec se moque.)
Mme Laurence Cohen. - Vous pouvez vous gausser : vos propositions alternatives ne résolvent aucun des problèmes posés !
Mme Éliane Assassi. - Très bien !
Mme Laurence Cohen. - Quelles sont vos propres alternatives ? Il faut donner la parole à ceux qui ont une expertise importante.
Nous souhaitons que ce débat enrichisse le projet de loi Mobilité, pour donner un coup d'arrêt aux galères quotidiennes et redonner sa place au fret ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports . - Je partage certaines de vos interrogations mais pas toutes vos conclusions.
Mes précédentes fonctions m'ont amenée à connaître ce dossier. Je ne me satisfais bien sûr pas du réseau structuré historiquement en radiales. L'État a pleinement conscience des enjeux et est pleinement engagé pour des objectifs de moyen terme tels que les Jeux olympiques en 2024 et la coupe du monde de rugby en 2023.
L'État souhaite améliorer les conditions de transport, lutter contre la pollution de l'air et aider les collectivités territoriales à opérer la transition écologique, favoriser une politique des transports qui protège les personnes, répondre à l'enjeu de cohésion sociale et d'accessibilité à tous.
Une meilleure cohésion territoriale est essentielle pour le vivre-ensemble mais aussi pour l'activité économique. Dans le cadre du Contrat de plan État-Région actuel, l'État consacre 1,4 milliard d'euros à améliorer le transport en Île-de-France, en sus des moyens engagés par la Société du Grand Paris.
La RATP et la SNCF vont consacrer 1,6 milliard d'euros en 2018 à la régénération de leur réseau. Le trafic augmente en Ile-de-France, c'est une bonne nouvelle, l'État accompagne les collectivités territoriales, qui sont les autorités organisatrices des transports (AOT).
Le Grand Paris Express est engagé, la réalisation des études et le passage à la phase opérationnelle nous permettent de préciser les choses. Le calendrier présenté jusqu'à présent était trop ambitieux. Une mission a été confiée au préfet d'Île-de-France sur le rythme du projet et son financement. Rassurez-vous, l'intégralité du schéma du Grand Paris Express sera maintenue.
Avec la présidente d'Île-de-France Mobilités, nous avons réuni les acteurs pour leur demander de mieux se coordonner. Bien qu'il ne soit pas une AOT, l'État s'engage, constatez-le !
Mme Laurence Cohen. - C'est normal, quand même ! (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Élisabeth Borne, ministre. - La loi d'orientation sur les Mobilités offrira un cadre incitant à plus d'innovation dans la mobilité. C'est un enjeu majeur tant au plan économique que social et environnemental.