Projet de loi de finances pour 2018 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2018, adopté par l'Assemblée nationale.
Seconde partie (Suite)
Justice
M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances . - Le budget de la Justice augmente de 3,9 %. Insuffisant, diront certains. Il est vrai que notre pays consacre 72 euros par habitant à ses juridictions, alors que ce montant s'élève à 95 euros en Italie et jusqu'à 146 euros en Allemagne, on pourra dire que 3,9 %, c'est peu. Cependant, comparée à l'armée ou aux forces de sécurité, la justice fait figure, avec cette augmentation, d'une priorité dans ce budget.
Les résultats tardent à arriver : la surpopulation carcérale reste patente, le traitement des détenus est indigne dans certaines maisons d'arrêt et nous place sous la menace de condamnation de la CEDH, et les délais de jugement sont trop longs. Quel est le sens d'une peine prononcée plusieurs années après contre un mineur devenu majeur et installé dans la délinquance profonde ou au contraire rangé dans une vie paisible ? Aucune efficacité, mais quelle perte de temps !
Dans un rapport présenté en commission des finances l'an passé sur l'agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, je soulignais qu'en matière de drogue ou de criminalité organisée, la saisie et la confiscation de biens étaient parfois bien plus efficaces qu'une peine d'emprisonnement, considérée comme un risque du métier par les auteurs de ces infractions.
Je me suis intéressé cette année à la fin de vie et à la maladie mentale en détention. Il n'est pas souhaitable d'enfermer des malades grabataires et dépendants dans un environnement carcéral inadapté. Répondre à ces problèmes ne passe pas par des moyens supplémentaires mais par une réflexion plus large sur la place de la justice dans la cité et sur le sens de la peine.
Je suis favorable au plan de 15 000 nouvelles places de prison, mais cela prendra du temps.
Les défis sont colossaux pour améliorer le fonctionnement de la justice. La garde des Sceaux a prévu plus de 1 000 postes supplémentaires au sein du ministère de la justice, mais comment favoriser l'attractivité de la profession, en particulier celui des surveillants pénitentiaires ? Voilà la vraie question. En visitant le TGI de Bobigny, il m'a semblé que l'amélioration des conditions de travail devrait faire l'objet d'une attention particulière. Les créations de postes permettront d'ouvrir de nouveaux établissements, mais pas de remédier aux vacances de postes. Or les vacances dégradent les conditions de travail des agents en poste.
Le PLF doit traduire une transformation plus profonde de la justice ; le chantier du numérique ne saurait en tenir lieu. Nous attendons la loi de programmation pluriannuelle avec impatience.
Ce budget est donc en demi-teinte. Si l'augmentation des moyens est indéniable, je m'interroge sur la capacité réelle du ministère à se transformer et à se moderniser. La PNIJ permettra peut-être de réaliser les économies ambitieuses promises.
Quid du coup de rabot de 9,4 millions votés en seconde délibération par l'Assemblée nationale ?
Malgré des réserves et des doutes, la commission des finances est favorable à l'adoption des crédits de cette mission. À titre personnel, je regrette toutefois que la ministre soit revenue sur les promesses de construction de 15 000 places de prison lors de son audition le 29 novembre par la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Très bien !
M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois pour le programme Administration pénitentiaire . - Au 1er novembre 2017, plus de 69 000 personnes étaient détenues, soit 1,1 % de plus qu'un an auparavant. La densité carcérale est de 117 %. Notre parc immobilier pénitentiaire est inadapté. Dans ce contexte, les crédits sont largement insuffisants. Les dépenses d'investissement, à 236 millions d'euros, diminuent de 18,2 % en CP et de 76,26 % en AE...
Le programme de construction de 15 000 places annoncé par le président de la République n'est donc pas crédible. Seuls 21 millions d'euros y sont alloués. Ce programme ne sera jamais achevé en 2022, la ministre nous l'a d'ailleurs avoué en commission. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas soutenu la proposition de loi ambitieuse du président Bas, adoptée en octobre dernier. D'autant qu'avec la destruction de 3 à 4 000 places dans les établissements vétustes, c'est plutôt 20 000 places qu'il faudrait construire pour une création nette de 15 000.
Les crédits consacrés à la maintenance du parc immobilier sont manifestement insuffisants. Il faudrait 140 millions par an pour le maintenir en état... Or seuls 87 millions sont prévus, contre 114 millions en 2017. Il en va de même pour les créations d'emplois qui ne sont pas en suffisamment grand nombre. La baisse des crédits alloués aux aménagements de peine et à la lutte contre la récidive nous inquiète.
Les mesures catégorielles ont été annulées pour 2018 ce qui ne contribuera pas à améliorer l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire.
La commission des lois a émis un avis défavorable à ces crédits. (Mme Sophie Joissains applaudit.)
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Notre justice a besoin d'abord de moyens. Le Gouvernement a tenté d'y répondre avec une hausse de 19 % de ses crédits d'ici 2022 ; c'est bien moins ambitieux que ce que prévoit la proposition de loi Bas votée ici le 24 octobre, qui programme une hausse de 28,9 % avec des réformes de structure. Le budget n'est donc pas à la hauteur des difficultés rencontrées par notre justice.
Je prends acte des augmentations des crédits de paiement alloués aux programmes « Justice judiciaire » « Accès au droit et à la justice » « Conduite et pilotage de la politique de la justice » « Conseil supérieur de la magistrature ». Globalement, cette augmentation s'élève à 5,4 %, dont 4,1 % pour le programme « Justice judiciaire ». Mais les moyens dévolus aux juridictions judiciaires restent trop faibles, surtout en comparaison des efforts accomplis lors de la loi de finances pour 2017.
Concernant les moyens dévolus aux juridictions judiciaires, seuls 148 créations nettes d'emplois sont prévues, contre 600 l'an dernier, dont aucune création nette d'emplois de greffiers.
Les délais de traitement des affaires s'allongent ; les sous-effectifs demeurent ainsi que la sous dotation manifeste des frais de justice. Les crédits de fonctionnement et d'investissement des juridictions seront absorbés par l'ouverture du nouveau palais de justice de Paris.
Toute augmentation de crédits sera de toute façon vaine si la pratique des annulations de crédits en gestion est perpétuée ; le Gouvernement s'est engagé à revenir à une pratique plus conforme à l'autorisation parlementaire, mais je constate qu'un décret d'avance du 30 novembre a ainsi annulé 78 millions de crédits de paiement et d'autorisations d'engagement, dont 23 millions pour la seule justice judiciaire...
En conséquence, la commission des lois a émis un avis défavorable à ces crédits. (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe UC)
Mme Josiane Costes, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Je dirai un mot du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » qui représente 10 % des crédits de la mission. Le montant consacré à la PJJ s'élève à 857 millions, soit une augmentation de 3,4 %. Le plafond d'emplois augmente de 16 ETP supplémentaires et les crédits augmentent globalement, ce qui est une bonne chose.
Toutefois, le patrimoine immobilier fait l'objet d'une attention insuffisante. Seule une hausse plus sensible des crédits permettra d'enrayer la dégradation et de rattraper le retard accumulé.
De plus, le secteur associatif voit ses crédits de soutien augmenter trop faiblement. En début d'année, la garde des Sceaux a annoncé la création de vingt centres éducatifs fermés (CEF) pour 2019. Cela ne doit pas se faire au détriment des prises en charge en milieu ouvert.
Un mot sur les jeunes filles, qui sont 10 % des jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse ; faut-il les intégrer dans des structures majoritairement masculines ? La délinquance des jeunes filles est en hausse ; il est temps de réfléchir aux conditions d'accueil et à la formation du personnel aux enjeux de mixité, voire de construire des établissements non mixtes.
La commission des lois a émis un avis favorable aux crédits de ce programme. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Jacques Bigot . - Le budget de la Justice est souvent le parent pauvre des budgets ministériels - l'on attend toujours beaucoup de la défense ou de l'éducation nationale... Or la justice a besoin de moyens et d'une programmation pluriannuelle, qui doit faire l'objet d'un large consensus - dont vous êtes en quelque sorte le symbole, Monsieur le Secrétaire d'État.
Cette programmation pluriannuelle aurait pu être réalisée tout de suite. Sous le précédent gouvernement, il y a eu des États généraux, des rapports, des réflexions : tout était prêt ; hélas, on ajourne, on temporise.
Ce budget est en conséquence en demi-teinte, bon en apparence mais insuffisant au regard des enjeux pour qui connaît la machine judiciaire. Nous avons encore à convaincre, en appui de la garde des Sceaux, qu'il faut des moyens.
Il faut certes aussi améliorer l'organisation de la justice : introduction d'une approche numérique - 51 emplois y seront dédiés - proximité territoriale... Mais la marque de la garde des Sceaux n'apparaît pas assez clairement. La programmation pluriannuelle ne pourra pas attendre la fin 2018.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Très juste !
M. Jacques Bigot. - En matière d'effectifs, le solde positif ne sera en 2018 que de cent magistrats ; guère plus pour les greffiers, alors que les manques sont criants. Les efforts de Jean-Jacques Urvoas se sont relâchés, c'est dommage.
Nous ne pourrons pas non plus faire tourner l'administration pénitentiaire dans les conditions actuelles, à plus forte raison si l'on construit 15 000 places supplémentaires.
Madame le rapporteur pour avis pour la protection judiciaire de la jeunesse, votre avis est favorable mais les moyens et les efforts ne sont pas non plus au rendez-vous ! Si l'on veut créer 20 CEF en 2019, rien n'est prévu dans le budget pour 2018 pour préparer leur réalisation.
Nous pourrions voter contre les crédits de la mission...
M. Philippe Bas, président de la commission. - Vous devriez !
M. Jacques Bigot. - Nous nous abstiendrons néanmoins, dans l'attente de la programmation pluriannuelle. Il faudra débattre du sens de la peine et des alternatives à la prison.
M. Arnaud de Belenet . - Étonnamment, nous voterons pour.
M. Loïc Hervé. - Quelle surprise !
M. Arnaud de Belenet. - Dans le contexte du redressement des comptes publics, nous ne pouvons que nous réjouir d'une hausse de près de 4 % des crédits de cette mission.
Reste que les délais de jugement sont trop longs et que le budget de la justice par habitant est plus faible que chez nos voisins. Le budget de la justice ne peut se résumer à une augmentation des moyens mais doit s'inscrire dans une transformation en profondeur. La garde des Sceaux a lancé les 5 et 6 janvier derniers le chantier de la justice pour améliorer les procédures civiles et pénales, amorcer le virage numérique, réfléchir au sens et l'efficacité de la peine et à l'organisation du système judiciaire. Le secrétaire général de la Chancellerie y a ajouté le chantier des ressources humaines, qui arrivera à sa conclusion au printemps. Un projet de loi de programmation quinquennale en sera la traduction.
La baisse de 39 % du programme « Administration pénitentiaire » pour 2018 s'explique par le séquençage du programme de construction annoncé par Jean-Jacques Urvoas : les terrains ne sont pas tous disponibles et les délais entre acquisition de foncier et lancement des travaux peuvent être longs.
Le président de la République a toutefois reconnu devant la CEDH le scandale de la surpopulation carcérale : 68 000 détenus pour 59 000 places. La création d'une agence a été annoncée pour mieux organiser l'enfermement et promouvoir les peines alternatives, et il conviendra de solliciter la garde des Sceaux sur les critiques formulées par l'Observatoire international des prisons.
Il convient de réfléchir sur les peines et sur les conditions de travail de l'administration pénitentiaire. Reste que les prisons continuent d'accueillir des personnes atteintes de pathologies psychiatriques graves - qui concerneraient, selon certaines évaluations, 30 % des détenus. Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous a alertés sur ce sujet et nous connaissons l'hostilité des médecins psychiatres à l'internement.
Tous les programmes connaissent des augmentations substantielles et l'effort en faveur du numérique connait un effort remarquable. Le programme « Conduite et pilotage de la justice » augmente de 15,3 % en crédits de paiement. Les moyens de faire entrer la justice dans l'ère du numérique sont au rendez-vous. Ce sont aussi ceux de regagner la confiance de nos concitoyens qui éprouvent une forme de défiance à l'égard de notre justice la jugeant à raison trop lente et trop complexe. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Éliane Assassi . - Le budget de la Justice augmente de 2,9 %. C'est plus que les 2,6 % constatés en moyenne depuis 2012, mais c'est inférieur à la hausse exceptionnelle de l'an passé. L'Union syndicale des magistrats regrette ce ralentissement qui traduit un manque d'ambition.
L'orientation est la même que les années passées : le programme de l'administration pénitentiaire absorbe l'augmentation en grande partie. Augmenter les moyens, oui, mais pour quoi faire ? Le retard structurel de notre justice n'est pas rattrapé ! La France est quatorzième sur vingt-huit en Europe avec 72 euros par habitant par an consacrés à la justice ! En nombre de juges par habitant, la France est vingt-quatrième sur vingt-huit avec huit juges professionnels pour 100 000 habitants.
Un Français attend 304 jours en moyenne pour voir son affaire jugée en première instance, contre 19 au Danemark !
Mettons un terme à l'inflation carcérale, comme l'ont déjà fait nombre de pays européens. Il faut aussi réhabiliter les établissements vétustes, voire insalubres comme Fresnes, privilégier les alternatives à l'emprisonnement et le milieu ouvert.
La protection judiciaire de la jeunesse a été fragilisée par une application indiscriminée de la RGPP entre 2007 et 2012 ; ce budget ne la renforce guère. La justice des mineurs n'est hélas pas un chantier prioritaire du quinquennat. On peut s'étonner que les crédits de la justice des mineurs, signalée comme un enjeu majeur par le président de la République, ne soient pas en forte augmentation.
L'aide juridictionnelle pâtit elle aussi de crédits insuffisants malgré une hausse de 8,7 % alors que c'est le seul outil destiné aux plus démunis ! Nous vous proposerons de l'abonder. Les avocats qui prennent en charge ces dossiers ne sont pas rémunérés mais indemnisés en fin de procédure ; ils assurent seuls le coût de ce service public. Il est temps de revoir le financement de l'aide juridictionnelle. Il y a urgence à instaurer une justice plus humaine.
Les membres du groupe CRCE voteront contre les crédits de la mission. Nous attendons les propositions de la garde des Sceaux avec impatience.
Mme Sophie Joissains . - « Dans un État de droit, rien n'est possible sans une justice forte. Si elle est lente ou lointaine, ou inégalitaire, ou même seulement trop complexe, la confiance se trouve fragilisée », disait le Premier ministre lors de son discours de politique générale. Belle promesse, comme nous en avons tant entendu en début de mandature...
J'espère que notre pays pourra remonter au classement du Conseil de l'Europe, mais je reste sceptique sur les effets que ce budget pourra avoir.
Le Sénat a pris sa part de la réflexion et adopté deux textes sur la proposition du président Bas le 24 octobre. Je crains que la loi de programmation promise par le garde des Sceaux pour le premier semestre 2018 n'arrive trop tard, en tout cas après la programmation pluriannuelle des finances publiques.
L'aide juridictionnelle à laquelle Jacques Mézard et moi-même avons consacré un rapport en 2014 est fondamentale ; ses moyens augmentent de 8,7 % en 2018 mais son financement n'est pas pérenne, il faudra donc y revenir. Faut-il taxer les contrats d'assurance ? Une mission a été confiée à l'IGF et l'IGJ : puissent-elles trouver des solutions.
En 2017, plus de 450 postes étaient vacants chez les magistrats. Le taux de vacance atteint 7,44 % chez les greffiers. Certes, le solde sera réduit par les créations de 100 postes de magistrats et 108 postes de greffiers mais il faudra au moins dix-huit mois pour en sentir les effets.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'est vrai !
Mme Sophie Joissains. - Pourquoi de tels taux de vacance ? L'attractivité de certaines juridictions est en cause, mais pas seulement.
Autre sujet : les dettes et charges à payer pour frais de justice qui s'élèvent à 122,6 millions d'euros et que ce budget ne traite pas.
Le taux d'encellulement individuel est inférieur à 40 % et la densité carcérale est de 120 %. Les chiffres disent l'ampleur des efforts à faire. La lutte contre la radicalisation impose des efforts particuliers.
La ministre a déclaré devant la commission des lois que l'objectif des 15 000 places de prison ne serait pas atteint, alors que le président de la République s'y était engagé. C'est tout à fait regrettable.
Les membres du groupe UC ne pourront voter ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Alain Marc . - L'augmentation des crédits apparaît modeste, compte tenu de la situation critique de notre justice.
La hausse de 19 % des crédits prévue d'ici à 2022 par la loi de programmation des finances publiques du Gouvernement reste très inférieure à celle préconisée par la proposition de loi Bas.
Les créations nettes d'emploi prévues en 2018 sont insuffisantes : 148 contre 600 en 2017 et aucune pour les greffiers. Les dotations pour les charges et dettes pour les frais de justice sont elles aussi insuffisantes ; et les hausses des crédits de fonctionnement et d'investissement sont en trompe l'oeil. L'immobilier du ministère est trop souvent en piteux état. Tout a été concentré sur le palais de justice de Paris.
Il sera impossible de construire les 15 000 places promises par le président de la République, la ministre nous l'a confirmé. Et les établissements existants se dégradent.
Le projet de budget présente de trop nombreuses lacunes et ne prend pas la mesure de la situation, dramatique, du personnel pénitentiaire.
Les membres du groupe Les Indépendants ne voteront pas ces crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nathalie Delattre . - Dans l'attente des résultats de la réflexion engagée par la ministre, ce budget ne peut être que de transition.
La proposition de loi Bas propose d'isoler organiquement le programme « Administration pénitentiaire » qui représente 41 % des crédits de la mission Justice puis, de faire respecter la loi car, comme le disait le radical Clemenceau : « Toute tolérance devient à la longue un droit acquis ».
M. Yvon Collin. - Très bien !
Mme Nathalie Delattre. - Le budget ne répond pas à la catastrophe que rencontrent nos juridictions : engorgement, manque de moyens, sous-effectifs, vétusté, délais interminables.
Nous regrettons l'abandon de l'objectif de construction de 15 000 places, même si j'ai bien noté le lancement des travaux de la prison de Bordeaux-Gradignan, dont je vous remercie vivement.
L'annonce par le président de la République de la création d'une agence des travaux d'intérêt général reste en deçà des attentes. Il est anormal pour un grand pays comme le nôtre de tolérer un tel niveau de surpopulation carcérale. Mais la construction de places de prison ne résoudra pas tous les problèmes. Réfléchissons plutôt au sens de la peine et infligeons des peines pour donner à réfléchir et pour protéger la société.
Et puis, certains individus ont souvent besoin d'être protégés contre eux-mêmes : je pense aux cas psychiatriques et pathologiques.
Dans un rapport de mai 2010, l'ancien président du groupe RDSE, Gilbert Barbier, établissait que 10 % des détenus n'avaient rien à faire en prison ; et près de 30 % des détenus pourraient être pris en charge autrement. En cause, la division par deux du nombre d'établissements psychiatriques dans notre pays ces trente dernières années.
La prison n'est pas un lieu de soins. Ce n'est donc pas par ce budget que nous sortirons de cette impasse. La création d'unités spéciales dans les prisons, évoquée par le bleu budgétaire, est une bonne première étape.
Les membres du groupe RSDE s'abstiendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. François-Noël Buffet . - Ce budget est au rang des priorités gouvernementales avec 262 millions d'augmentation des crédits. Cette hausse est continue depuis plusieurs années ; et pourtant la justice reste en souffrance. Les délais s'allongent, passant au civil, en première instance, de 7,5 mois à 1 an en 10 ans et, en appel, de 37 à 40 mois, quand le stock d'affaires en attente augmentait d'un quart. Les postes annoncés ne compensent pas les vacances : il faudrait 1 600 à 1 800 agents dans l'administration pénitentiaire, 400 magistrats et 150 greffiers !
En 2016, 16 % des peines devenues exécutoires deux auparavant n'avaient pu être exécutées.
Nous dénonçons depuis des mois un problème de méthode. Les deux propositions de loi Bas sont un avant-goût de début de ce plan. Nous réclamons en particulier une loi de programmation susceptible de faire oeuvre, comme en 2002, de boussole pour la Chancellerie, en augmentant de 37 % ses crédits sur cinq ans et en priorisant ses dépenses.
Ne balayons pas l'ancien monde d'un revers de main, d'autant que vous ne savez pas vraiment où vous voulez aller - tirez au moins les enseignements de ce qui s'est fait avant. Comment nous demander d'adopter un budget dont on ne connaîtra l'application qu'à partir de l'an prochain, au gré de la prochaine loi sur la justice ?
Nous avons, dans la proposition de loi, dessiné une trajectoire quinquennale de hausse de 29 % ; la vôtre, quadriennale, est deux fois moins ambitieuse - le compte n'y est pas !
À nos propositions pour mieux maîtriser les délais, à nos demandes d'encourager la procédure de conciliation, vous ne répondez pas. Seule réponse budgétaire : la création de 50 postes en administration centrale pour la numérisation des procédures, alors que ce sont les juridictions qui ont besoin de renforts. Quant à la simplification des procédures, elle attendra.
Nous avons proposé de réduire de moitié le seuil d'aménagement de peine ; la ministre a dit qu'il fallait y réfléchir, mais les crédits sur cette action, eux, baissent de 46 % ! Comment voulez-vous régler les problèmes connus, récurrents, en baissant les moyens pour le faire ? Ce budget ne permettra pas non plus d'assurer l'exécution des peines : 5 000 places manqueront au plan 15 000 du candidat Macron... Et les moyens ne suffiront pas même à entretenir le parc pénitentiaire.
Au vu de ce constat partagé sur tous les bancs, le groupe Les Républicains ne peut voter aveuglément les crédits de cette mission.
Les politiques partiales, partielles, de désencombrement des prisons à tout prix n'ont pas marché. Des rustines ont été posées sur un système qui est aujourd'hui en danger. Les effets d'annonce ne suffisent plus à rassurer les professionnels de l'institution judiciaire, ni les Français qui trouvent leur justice trop lente et trop complexe.
Le constat est affligeant ; la proposition de loi Bas a proposé des solutions balayées certes élégamment par la garde des Sceaux.
Pas d'engagement non plus sur l'organisation administrative du ministère, qualifiée d'archaïque par la Cour des comptes. Le ministère n'est parfois pas à même d'anticiper le remplacement d'un photocopieur : Nous en sommes là ! Derrière l'institution judiciaire, c'est l'État qui risque de perdre son autorité.
Je terminerai sur une phrase de Sénèque : « il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. »
M. Bruno Retailleau. - Elle est aussi de Philippe Bas ! (Sourires)
(Applaudissements nourris sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Pierre Sueur . - Je complèterai le propos, très juste, de Jacques Bigot en m'attachant aux questions immobilières. Avec Hugues Portelli, j'ai rédigé un rapport intitulé Les contrats de partenariats : des bombes à retardement ? Le point d'interrogation était peut-être de trop. Le palais de justice de Paris en est un ; il coûtera 2,3 milliards en vingt-sept ans. Dès 2018, ce seront 73 millions d'euros...
La Santé fait elle aussi l'objet d'un partenariat public-privé. Ces opérations obèrent lourdement le budget de la justice.
Le parc immobilier carcéral voit ses crédits baisser de 29,3 % ; ceux des aménagements de peine de 23 %. Il faut construire des places de prison - car dans notre pays, des prévenus s'entassent parfois à trois dans des cellules de 9 mètres carrés.
Robert Badinter disait que la condition pénitentiaire est la première des causes de la récidive. Il est impératif de développer les alternatives à la prison, les aménagements de peine, la préparation à la sortie. Ce que font six ou sept établissements actuellement.
Attention aussi aux courtes peines souvent l'occasion pour les jeunes de faire connaissance avec le milieu de la délinquance.
Un dernier mot sur la prison de Saran dans le Loiret : Jean-Jacques Urvoas m'avait écrit que les travaux seraient finis fin 2017, ils n'ont pas commencé. Mme Belloubet m'a écrit qu'ils seront finis à la fin du premier trimestre 2018, d'autres sources disent plutôt fin 2018 : Monsieur le secrétaire d'État, puissiez-vous intervenir pour qu'ils commencent au moins cette année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR).
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Veuillez excuser l'absence de Mme Belloubet, la garde des Sceaux, qui se trouve en Nouvelle-Calédonie avec le Premier ministre.
Ce budget du ministère augmente de 3,9 % en 2018. Des ajustements de 0,14 million d'euros sur l'aide juridique, de 3,6 millions sur les crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, de 3,6 millions d'euros sur les crédits de fonctionnement courant des services judiciaires, de 1,1 million d'euros sur la protection judiciaire de la jeunesse qui seront répartis entre le secteur associatif habilité et le secteur public, de 0,8 million sur le programme « Conduite et pilotage de l'action de la justice » et d'autres modifications mineures ont été opérés à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale.
1 000 emplois seront créés en 2018 et les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention progresseront de 4,9 %.
Entre 2017 et 2022, les crédits progresseront fortement et de manière sécurisée. À l'horizon 2020, la progression est plus rapide que celle prévue par la proposition de loi Bas. Certes, vous prévoyiez davantage de créations d'emplois - plus de 13 000 contre 6 500 - mais c'est parce que nous sommes plus réalistes sur le recrutement de surveillants : rien ne sert de créer des emplois si on ne peut les pourvoir.
Ces moyens nouveaux doivent s'accompagner d'une rénovation en profondeur de notre justice. Nous avons l'ambition de déverrouiller le fonctionnement de la justice, dans un esprit consensuel.
Ce budget améliorera le fonctionnement quotidien de la justice avec un total de 148 emplois créés : 100 magistrats et 48 greffiers assistants de magistrats ; 183 pourront aussi, grâce à la numérisation, être affectés à de nouvelles missions.
Les crédits de fonctionnement augmenteront de 9,9 % et les crédits immobiliers des services judiciaires augmenteront de 30,8 %. Le Gouvernement n'aura plus recours au partenariat public-privé pour les prochaines opérations.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est temps !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Les travaux de la prison de Saran démarreront en janvier et devraient prendre fin en juin 2018.
La question des délais de jugement est essentielle. Les chantiers lancés par la garde des Sceaux sur la transformation numérique et la simplification des procédures doivent permettre d'améliorer la situation. Plus de 74,8 millions sont ouverts au titre des frais de justice soit 10 millions de plus qu'en 2017. C'est moins que ce qui a été dépensé en 2016, mais c'est qu'il y a eu alors un fort apurement de dettes, d'où une dépense particulièrement élevée.
La plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) souvent décriée à tort, permet d'économiser 50 millions par an.
Ce budget renforce aussi l'efficacité des peines. La construction de 15 000 nouvelles places de prison est bien une priorité. 470 emplois seront créés en 2018, qui permettront les ouvertures des établissements d'Aix2, de Draguignan et de Paris La Santé. La garde des Sceaux est consciente de la nécessité de fidéliser les agents pénitentiaires ; 26 millions seront débloqués pour une première vague de projets. Mais soyons réalistes : 15 000 places, c'est un objectif à fixer sur dix ans.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Pourquoi cette promesse, dès lors ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Pour renforcer l'efficacité des peines, la garde des Sceaux a lancé des chantiers de réflexion, en particulier sur les travaux d'intérêt général - et la création d'une Agence nationale des travaux d'intérêt général. 150 emplois seront créés pour le suivi des personnes sous main de justice. Le renseignement pénitentiaire bénéficiera, lui, de 35 emplois supplémentaires. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous allons créer 20 centres éducatifs fermés et 40 postes d'éducateurs en milieu ouvert. Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse augmente de 8,7 %, pour atteindre 438 millions d'euros, à quoi s'ajoutent 83 millions de ressources affectées.
Dernier marqueur du budget, l'attention aux plus démunis. L'unité de valeur qui servira de base au calcul de l'indemnisation des avocats de l'aide juridictionnelle sera fixée.
Je tiens à vous remercier de vos interventions qui préludent à un débat riche au moment de la présentation de la programmation pluriannuelle de la Justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mme Josiane Costes applaudit également.)
Examen des crédits et des articles rattachés
M. le président. - Amendement n°II-374, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros)
Programmes |
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
|
Justice judiciaire dont titre 2 |
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|
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Administration pénitentiaire dont titre 2 |
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100 000 000 |
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100 000 000 |
Protection judiciaire de la jeunesse dont titre 2 |
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Accès au droit et à la justice |
100 000 000 |
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100 000 000 |
|
Conduite et pilotage de la politique de la justice dont titre 2 |
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|
Conseil supérieur de la magistrature dont titre 2 |
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|
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TOTAL |
100 000 000 |
100 000 000 |
100 000 000 |
100 000 000 |
SOLDE |
0 |
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Mme Éliane Assassi. - Les quelques efforts réalisés dans l'accueil des justiciables dans les palais de justice et les modifications à la marge des dispositifs d'accès au droit ne suffiront pas à masquer une politique budgétaire catastrophique en matière d'aide juridictionnelle, pourtant seule à même d'assurer une assistance par un avocat aux plus démunis.
Notre amendement est d'appel ; il abonde le programme « Accès au droit et à la justice » par une partie des crédits du programme « Administration pénitentiaire » à hauteur de 50 millions sur l'action 2 et 50 millions sur l'action 4.
M. le président. - Amendement n°II-407 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Jacquin et Kerrouche, Mme Rossignol, MM. Jomier et Tissot, Mmes Meunier et Monier, MM. P. Joly et Durain, Mmes S. Robert et Harribey, MM. Antiste et Kanner, Mme Lepage, M. Iacovelli, Mmes Préville et Taillé-Polian, M. Féraud, Mmes G. Jourda et Conconne, M. Lalande, Mme Grelet-Certenais, M. Cabanel, Mme Ghali, M. Assouline, Mme Tocqueville, MM. Temal et Manable, Mmes Lienemann et Cartron, M. Marie et Mme Espagnac.
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros)
Programmes |
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
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Justice judiciaire dont titre 2 |
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Administration pénitentiaire dont titre 2 |
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Protection judiciaire de la jeunesse dont titre 2 |
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Accès au droit et à la justice |
19 065 848 |
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19 065 848 |
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Conduite et pilotage de la politique de la justice dont titre 2 |
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19 065 848 |
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19 065 848 |
Conseil supérieur de la magistrature dont titre 2 |
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TOTAL |
19 065 848 |
19 065 848 |
19 065 848 |
19 065 848 |
SOLDE |
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Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Cet amendement a le même objet. Pour bénéficier de l'aide juridictionnelle totale, il faut gagner moins de 1 007 euros par mois. C'est un seuil très bas. La piste des assurances a déjà été explorée. C'est un chantier à ouvrir en 2018, or rien ne semble indiquer une ambition sérieuse sur ce point.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n°II-374. Le plafond d'accès à l'aide juridictionnelle a déjà été relevé de 941 à 1 007 euros par la réforme de 2014. Le plafond est de plus indexé sur l'inflation. Le dispositif semble en adéquation avec les besoins constatés.
Demande de retrait de l'amendement n°II-407 rectifié bis.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Les crédits du programme 101 progressent de 8,7 % ; ceux des points départementaux d'accès au droit de 11 %. Au total, en quatre ans, les moyens publics consacrés à l'aide juridictionnelle ont augmenté de 39 %, ce qui a permis de relever le plafond de revenus avant accès et de revaloriser la rémunération des avocats. Avis défavorable à l'amendement n°II-374.
Concernant l'amendement n°II-407 rectifié bis, les dépenses visées par les crédits qu'il ponctionne sont très rigides, consistant essentiellement en des loyers. Retrait ou avis défavorable.
Les besoins de l'aide juridictionnelle sont couverts par les crédits de 2018 ; ils ne le seraient pas si le plafond était relevé, ce qui est une des questions posées par la mission d'inspection.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Les ressources extrabudgétaires que le rapporteur a évoquées sont au même niveau que l'an dernier. Un plafond de 1 007 euros, cela ne choque-t-il personne ? Peut-on me répondre « Circulez, il n'y a rien à voir » sur un sujet aussi important ?
L'amendement n°II-374 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°II-407 rectifié bis.
Les crédits de la mission « Justice » ne sont pas adoptés.
L'article 57 ter est adopté.
L'amendement n°II-405 rectifié n'est pas défendu.
Prochaine séance, demain, mercredi 6 décembre 2017, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 25.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus