Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (Suite)
M. Philippe Paul . - Je salue la qualité de la revue stratégique. Nous ne pouvons que partager le constat d'une France plus que jamais menacée. Cette revue stratégique étant le préalable à une nouvelle loi de programmation militaire, je vous engage à prévoir la construction d'un nouveau porte-avions. Près de vingt ans ont séparé les premières études sur le Charles-de-Gaulle et son lancement, en 2001. Ne perdons pas non plus notre savoir-faire. Enfin, cela enverrait un message fort à nos armées.
Mme Florence Parly, ministre. - Ce modèle d'armée complète que nous défendons, implique la capacité d'agir depuis la mer. Nous le faisons grâce à nos trois bâtiments de projection et de commandement (EPC). Cette capacité de projection passe aussi par le décollage d'avions depuis la mer. Le porte-avions est un outil d'action majeur mais aussi un outil de crédibilité à l'égard de nos alliés. Dès la prochaine loi de programmation militaire, nous lancerons des études pour assurer le renouvellement de cette composante. Le Charles-de-Gaulle, qui sera retiré du service actif en 2040, devra être remplacé. Il faudra aussi s'interroger sur l'éventuelle nécessité d'acquérir un nouveau porte-avions.
M. Claude Haut . - L'industrie spatiale française jouit de nombreux atouts. Elle est un facteur d'indépendance technologique et de rayonnement.
L'espace exo-atmosphérique est désormais stratégique car il peut devenir un espace de confrontation. Le problème de son « arsenalisation » se pose.
Quels seraient les contours de notre stratégie en la matière dans la prochaine loi de programmation militaire ?
Mme Florence Parly, ministre. - La revue stratégique aborde cette question en insistant sur les nouvelles menaces. Les nouvelles technologies banalisent l'accès à l'espace, l'ouvrant à des acteurs non étatiques. Le risque d'une militarisation existe également puisqu'il n'existe pas de réglementation sur son utilisation militaire.
L'espace est particulièrement approprié pour le développement de la coopération européenne. Dès 2018, nous mettrons en service trois satellites d'observation CSO d'une très grande précision. Nous travaillons à l'introduction d'autres systèmes spatiaux. Ce matin, au ministère de la recherche, nous avons conclu que nous avions besoin d'une équipe de France unie entre institutions et industriels.
Mme Christine Prunaud . - La revue stratégique évoque la dissémination toujours plus importante des armes. Leur vente a toujours aidé à équilibrer notre balance commerciale.
Le Gouvernement entend-il revoir notre politique d'exportation des armements ?
Mme Florence Parly, ministre. - Sans exportation, un certain nombre de programmes militaires ne pourraient être menés à bien : les exportations font partie intégrante de notre modèle industriel. L'industrie de défense contribue pour 14 milliards d'euros à la résorption du déficit commercial, elle représente 4 000 entreprises, petites et grandes, et 160 000 emplois.
Exporter ne signifie pas s'exonérer de toute règle : nous respectons les règles internationales en vigueur.
Mme Christine Prunaud. - Il est difficile d'appeler à la désescalade de l'armement quand on est l'un des plus gros vendeurs d'armes au monde... Une partie des armes que nous vendons sont détournées. Nous devrons avoir des exigences sur l'utilisation des armes que nous vendons - je pense au Yémen. Et je ne crois pas juste d'opposer le respect de nos règles et la défense de l'emploi.
M. Olivier Cigolotti . - Deux axes contradictoires ressortent de la revue stratégique : un enjeu sécuritaire et une concomitance des menaces qui épuise nos armées. Les matériels sont anciens : nos véhicules de l'avant blindés (VAB) ont 31 ans d'âge moyen... La situation est particulièrement tendue. Ne devrait-on pas concentrer les crédits sur le renouvellement des matériels plutôt que dépenser des sommes élevées en entretien ?
Ensuite, comptez-vous tenir compte de cette revue stratégique dans la définition des OPEX ?
Mme Florence Parly, ministre. - L'usure des matériels est liée à leur utilisation, en particulier aux conditions qu'ils subissent au Sahel. Dans le projet de loi de finances pour 2018, une enveloppe particulière sera consacrée à la protection, pour régénérer des matériels, en particulier le blindage des VAB. Cela fait partie des priorités.
Comment le dispositif OPEX peut-il évoluer ? Nous n'envisageons pas la réduction de nos engagements à très court terme. Mais nos victoires au Levant appellent à revisiter le dispositif en lien avec nos alliés. Le président de la République nous a demandé d'examiner une éventuelle adaptation du dispositif au Sahel.
M. Rachel Mazuir . - La principale nouveauté de cette revue stratégique tient à la prise en compte du cyberespace ; mais il faudra aller plus loin. Le Secrétariat général prépare une revue stratégique spécifique à ce domaine : je regrette que le cyberespace n'ait pas, plutôt, été mieux intégré à la revue dont nous parlons aujourd'hui. Cette revue annonce que la France se dotera d'une posture permanente de cyber-sécurité, avec notamment la mobilisation de l'article 51 de la Charte des Nations unies en cas de cyberattaque.
Madame la ministre, quelles conséquences organisationnelles ? Quels moyens, humains et financiers, vous paraissent-ils nécessaires pour doter nos armées d'une capacité cyber ?
Mme Florence Parly, ministre. - Les missions cyber sont trois : renseignement, protection défense et riposte neutralisation. Nous avons besoin du renseignement humain pour la première, la deuxième nécessite des murailles épaisses et une défense de l'avant ; la troisième, celle de la lutte offensive, mobilise l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et les armées.
La revue cyberdéfense rendra bientôt ses conclusions ; elle a apporté sa pierre à la présente revue. Les quelque 3 000 cyber-combattants verront leur nombre croître dans la prochaine LPM.
Mme Isabelle Raimond-Pavero . - La revue stratégique se fait l'écho de l'importance croissante des nouvelles technologies. Dans la sphère numérique - big data, numérisation des objets - ou robotique, les groupes terroristes peuvent profiter d'innovations qui servent aussi à nos forces. Comment le commandement militaire prend-il ces questions en compte ? Faut-il faire travailler ensemble start-up et chercheurs ?
Le projet « Intelligence Campus » vous paraît-il correspondre à ce nouveau mode d'organisation ?
Mme Florence Parly, ministre. - Vous mettez le doigt sur un des points les plus importants : l'innovation, qu'elle soit à court ou long terme. La Délégation générale à l'armement doit contribuer à un écosystème favorable à l'innovation pour permettre des fertilisations croisées entre mondes civil et militaire et pourquoi pas des technologies plus frugales et moins coûteuses.
J'ai parlé avec le directeur du renseignement militaire de l'initiative « Intelligence Campus », que je n'ai pas encore visitée.
Nous avons besoin de plateformes, pour simuler, et nous devons intégrer les outils cyber dans tous les nouveaux équipements. Il faut s'assurer qu'un tiers ne prenne pas le contrôle sur nos futurs navires, par exemple.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Nous devons mettre en adéquation nos moyens et nos ambitions.
M. le Président. - Je cède la place à notre collègue Catherine Troendlé, qui va tenir sa première présidence de séance plénière ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-président
M. Olivier Cadic . - La photo est émouvante : à Saint-Martin, après le passage d'Irma, un militaire porte une petite fille endormie dans ses bras ; pourtant, l'image a provoqué une polémique, où l'on a accusé l'armée de « propagande », voire et même de « néocolonialisme ». Chacun sait, aussi, dans un autre registre, le peu de réalité que recouvrent les articles sur les prétendus avantages exorbitants et le train de vie des sénateurs. Pour autant, ces fausses informations ont une incidence et nous montrent que, quels que soient les efforts entrepris contre les cyberattaques, ils resteront sans effets réels s'ils ne sont pas complétés d'une stratégie de contre-influence.
Les sociétés européennes sont perméables à la propagande djihadiste, mais aussi aux actions menées par des puissances étatiques de premier rang qui manipulent les campagnes électorales, on l'a vu aux États-Unis. Le Pentagone estime que les réseaux sociaux sont la plus grande menace militaire actuelle. Je m'étonne que la revue stratégique n'en parle pas. Madame la ministre, quelle stratégie de contre-influence comptez-vous mettre en oeuvre ?
Mme Florence Parly, ministre. - Les réseaux sociaux sont le premier vecteur de diffusion du terrorisme. L'espace numérique est un espace de combat.
Aujourd'hui, des moyens croissants sont consacrés au cyber. Le Service d'information du gouvernement scrute quotidiennement les informations qui circulent. Nous demandons aux fournisseurs d'accès l'origine de la diffusion de fausses informations.
Je n'ai pas une réponse complète, je l'avoue. Si nous l'avions, nous pourrions contrer ces attaques.
M. Olivier Cadic. - « Pour gagner une guerre, mieux vaut un bon général, que deux mauvais ! » disait Napoléon - mais face aux fake news, nous n'en avons aucun !
M. Yannick Vaugrenard . - Vous faites état d'un risque de décrochage technologique - c'est vrai. Aujourd'hui, avec peu de moyens, des groupes terroristes peuvent mettre en échec nos troupes conventionnelles : il faut en tenir compte pour le renouvellement de nos systèmes d'armes.
Quelles nouvelles pistes proposerez-vous pour favoriser la nécessaire symbiose entre défense et recherche ? Il faut, également, une forte base industrielle : comment l'accord entre les chantiers de Saint-Nazaire, Naval Group et l'Italien Fincantieri, s'inscrit-il dans cet objectif ? Peut-on croire, ensuite, à un Airbus militaire ?
Mme Florence Parly, ministre. - La DGA dispose d'outils pour favoriser l'innovation à travers le programme 191 du ministère des armées : financement de thèses, recherche durable via le CNES, dispositif Astrid, contrats d'étude pour 700 millions d'euros, une mission pour l'innovation participative.
Je souhaite renforcer cet effort, en particulier pour l'amélioration de la collaboration avec l'écosystème et les start-up, mais aussi en prenant en compte l'innovation civile et en favorisant l'innovation de rupture.
La mission du budget concerné devrait passer de 730 millions d'euros à 1 milliard d'euros par an d'ici 2022.
Enfin, s'agissant de la reprise de STX et des chantiers de Saint-Nazaire, les équipes travaillent à un projet qui sera présenté à la fin du premier semestre 2018.
M. Dominique de Legge . - Cet état des lieux ne devait-il pas être complété par celui de la situation humaine et matérielle des armées ? Compte tenu de la gravité de celle-ci, la trajectoire est-elle suffisante ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Très bien !
Mme Florence Parly, ministre. - À partir de 2018, les moyens montent en puissance - c'était nécessaire pour faire face aux menaces nouvelles et reconstruire le potentiel. Mais il faut aussi préparer l'avenir, donc trouver le juste équilibre entre les priorités d'aujourd'hui et les perspectives de long terme - comme mes prédécesseurs ont su prendre, il y a trente ans, des décisions dont nous touchons aujourd'hui les dividendes.
J'ai conscience des contraintes qui pèseront. Mais la nécessité de faire face aux menaces ne doit pas nous empêcher de vérifier l'utilisation de chaque euro dépensé.
M. Dominique de Legge. - Je ne remets pas en question votre bonne volonté. Reconstituer le potentiel et préparer l'avenir, dites-vous ? Avec une impasse de 4 milliards sur le budget de cette année ? Les avions ont plus de 30 ans. Vous chiffrez à 2,5 milliards les investissements nécessaires sur le parc immobilier. Face à la menace et au vu de l'héritage qui est le vôtre, l'effort que vous proposez risque bien d'être insuffisant...
M. Henri Leroy . - La gendarmerie est indispensable à la sécurité et à la défense. Nous ne pouvons ignorer la porosité entre menace terroriste et trafics, sur lesquels la gendarmerie dispose d'une expertise certaine. Comment les valoriser ?
Il n'est point de défense sans ressources humaines. Or elles sont épuisées. Nos militaires ne mériteraient-ils pas une amélioration de leurs conditions ?
Mme Florence Parly, ministre. - La gendarmerie intervient sur 95 % du territoire, qui compte la moitié de la population. La gendarmerie est une force de souveraineté, qui intervient, notamment grâce à ses formations spécialisées, en complément des autres forces armées - en métropole, outre-mer et à l'étranger ; elle fait le lien entre les opérations intérieures et extérieures, un acteur clé de l'anticipation, de la résilience de la Nation et de la dissuasion. L'interopérabilité et la complémentarité des forces est donc un atout majeur.
Quant aux ressources humaines, vous rappelez avec raison qu'elles sont indispensables : c'est le sens du plan en faveur des militaires et de leurs familles, que je présenterai dans quelques jours - car sans famille heureuse, pas de soldat efficace.
M. Serge Babary . - À moi d'évoquer la question du maintien en condition opérationnelle de nos armées. Le président Cambon a parfaitement présenté la situation, la politique du toujours plus loin et du toujours plus longtemps avec toujours moins n'est plus tenable. Nos matériels sont plus qu'usés, nos soldats fatigués. Si des efforts budgétaires ont été fournis, c'est tout le volet soutien qui mérite d'être repensé. Qu'entendez-vous faire, madame la ministre ?
Mme Florence Parly, ministre. - C'est un sujet de préoccupation majeure, pour moi comme pour mes prédécesseurs. À très court terme, parce que nos matériels sont effectivement très sollicités, j'ai jugé indispensable, dans le cadre des arbitrages budgétaires au sein de l'enveloppe globale allouée pour 2018, d'augmenter de 400 millions d'euros les moyens consacrés au maintien en condition opérationnelle. M. Cambon a raison, le taux de disponibilité actuel n'est pas acceptable ; précisons toutefois qu'il n'est pas celui-là quand sont engagées des opérations.
M. Christian Cambon, président de la commission. - Heureusement !
Mme Florence Parly, ministre. - Le taux est particulièrement préoccupant dans le domaine aéronautique. D'où la demande d'audit que j'ai faite à M. Chabert qui nous fera des propositions dans quelques semaines. Il ne suffit pas d'investir, encore faut-il pouvoir utiliser les matériels dans lesquels la Nation a investi.
M. Serge Babary. - Merci, nous continuons toutefois d'avoir des inquiétudes sur la réalité de ce qui nous sera proposé pour 2018.
M. Ronan Le Gleut . - La revue stratégique affiche de très grandes ambitions que nous sommes nombreux à partager tout en nous interrogeant sur notre capacité budgétaire à y répondre. Comment la revue stratégique s'articule-t-elle avec la loi de programmation militaire ? Dans le milieu militaire, cela lui vaut d'être qualifiée de « rotule »... Quelle articulation aussi avec l'Initiative européenne d'intervention, voulue par le président de la République, et l'OTAN ?
Mme Florence Parly, ministre. - L'Initiative européenne d'intervention sera ouverte à tous les États européens volontaires qui partagent la même vision sécuritaire et veulent fournir les efforts nécessaires au lancement d'engagements communs, de l'évacuation de ressortissants à des opérations de haute intensité. L'Initiative ne se limite pas nécessairement au cadre de l'Union européenne, elle est parfaitement transposable à l'OTAN ou à des formats ad hoc. L'objectif est de dépasser les cadres institutionnels pour bâtir une culture stratégique commune entre Européens.
Mme le président. - Nous voici arrivés à la fin de ce débat. Je vous remercie pour votre participation à cette forme nouvelle de débat à caractère interactif. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
La séance est interrompue quelques instants.