Éloge funèbre de François Fortassin
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent ainsi que M. le ministre de la cohésion des territoires.) C'est une voix du Sénat écoutée, tolérante qui s'est éteinte avec François Fortassin. C'est une figure charismatique et chaleureuse de la Bigorre qui s'en est allée.
II luttait, nous le savions, depuis de longs mois, avec beaucoup de courage, contre la maladie qui l'avait affaibli mais qui ne l'empêchait pas d'être toujours présent au Sénat, de participer aux travaux de notre Bureau avec la simplicité, l'accessibilité et la chaleur qui étaient sa marque.
François Fortassin nous a quittés trop tôt et cet amoureux de la vie, de son pays et de son territoire, nous manque.
Oui, c'est avec émotion que nous avons appris sa disparition le 15 mai dernier, au lendemain même de la cérémonie d'installation du président de la République, dont il avait parrainé la candidature et qu'il avait soutenu, mais son état de santé ne lui a pas permis d'être présent à l'Élysée.
Nous lui avons rendu un dernier hommage en votre nom, le 19 mai, à l'occasion d'une émouvante cérémonie au coeur de sa commune natale de Sarp au milieu de ses proches et de ceux qui lui étaient chers.
J'étais accompagné de plusieurs membres du Bureau du Sénat dont François Fortassin était membre depuis 2008 - nos collègues Françoise Cartron et Frédérique Espagnac - et de deux présidents de groupes politiques - Didier Guillaume et Jacques Mézard, depuis quelques jours alors membre du Gouvernement.
Cet hommage trouve aujourd'hui, après la reprise de nos travaux en séance publique, son prolongement dans notre hémicycle.
François Fortassin représentait le département des Hautes-Pyrénées au sein de notre assemblée depuis le 3 mars 2001, date du décès de François Abadie. Il en était le suppléant depuis 1983, quelques mois avant les élections sénatoriales.
François Fortassin était un humaniste. Ses convictions républicaines et laïques trouvaient leur expression dans les valeurs du radicalisme qu'il portait haut et fort avec un mélange de douceur, de sens de l'écoute, mais aussi de force.
Il restera toujours fidèle à ces valeurs, qu'il retrouva au Sénat au sein du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, et sur la scène politique parmi les Radicaux de gauche.
C'est, disait-il, « le parti qui correspond le mieux à ma sensibilité : on y privilégie l'humanisme et l'épanouissement individuel. J'ai été influencé lors de mes études d'histoire par les figures d'Alain, de Clemenceau, de Pierre Mendès-France, et plus tard par celle de Maurice Faure, René Billères, Michel Crépeau et bien sûr François Abadie ».
François Fortassin était professeur certifié d'histoire et géographie. Né dans cette commune de Sarp, dans la vallée de la Barousse qui lui était si chère, il avait, après des études secondaires au lycée de Saint-Gaudens et des études universitaires à Toulouse, enseigné au lycée Théophile Gautier, puis au collège Victor Hugo de Tarbes.
Après quelques engagements syndicaux, sa formation historique, ses convictions républicaines, son attachement à la laïcité et son lien viscéral au terroir bigourdan le conduisirent naturellement à l'engagement politique.
Élu conseiller municipal en mars 1971, il devient six ans plus tard maire de sa commune natale, mandat qu'il exercera jusqu'en 2001, durant 24 ans, avant d'être contraint d'y renoncer pour respecter la loi sur la limitation du cumul des mandats, tout en conservant les fonctions de premier adjoint.
Il fut, en tant que maire de Sarp, le principal artisan de la création de la communauté de communes de la vallée de la Barousse. Le défenseur inlassable de son territoire qu'il était s'investit aussi fortement dans le syndicat des eaux de la Barousse et du Comminges.
Sa carrière d'élu local conduisit François Fortassin à exercer le mandat de conseiller général du canton de Mauléon-Barousse.
Il fut aussi, durant près de vingt ans, membre du conseil régional de Midi-Pyrénées où il présida le groupe des radicaux de gauche.
Il fut enfin, d'avril 1992 à mars 2008, président du conseil général des Hautes-Pyrénées, fonction qu'il marqua durablement de son empreinte.
À la tête de l'assemblée départementale, il s'engagea, durant seize ans, sur tous les grands dossiers concernant les Hautes-Pyrénées avec le souci premier de maintenir un aménagement équilibré et harmonieux des territoires, notamment entre les territoires ruraux et l'agglomération tarbaise.
Il se battit pour donner une nouvelle impulsion au développement économique du département, créa un « fonds d'aménagement rural » et un « fonds d'équipement urbain » pour soutenir financièrement les communes du département. En matière scolaire, le Conseil général réalisa sous son impulsion la réhabilitation des collèges et soutint le développement d'un pôle universitaire à Tarbes.
Mais ce qui tenait tout particulièrement à coeur à François Fortassin était la reconversion du Pic du Midi en un haut lieu touristique, le « Vaisseau des étoiles ». Il fit de ce symbole majeur, avec Lourdes - voyez la diversité républicaine dans ce département -, de l'attractivité et du rayonnement des Hautes-Pyrénées, une priorité qu'il assuma en présidant le syndicat mixte. Celui qui n'a pas passé avec François Fortassin une ascension puis une soirée au haut du Pic du Midi entre terre et étoiles, gastronomie et chants montagnards, n'a pas connu la quintessence de la vie et de l'air pur partagé. Je peux vous en porter un témoignage, plus lucide à la montée qu'à la descente. (Sourires)
François Fortassin, disait-il, n'avait pas prévu cette carrière nationale. Je le cite : « je ne m'étais pas fixé d'objectifs mais, à un moment donné, François Abadie a vu en moi son successeur. Cela s'est fait comme ça, simplement. Ce mandat national n'a pas été une préoccupation majeure, mais je l'ai assumé avec beaucoup de bonheur ».
François Fortassin était un sénateur heureux, qui portait un regard personnel et aiguisé par l'expérience sur le mandat sénatorial : « le Sénat est une chambre de réflexion très utile. Ce que je déplore le plus dans la période actuelle, c'est la dégradation du politique à laquelle on aboutit à travers les réseaux sociaux. Il est bon d'avoir une chambre où puisse s'engager la réflexion et qui ne soit pas dans la précipitation ou l'émotion de l'instant ». À méditer collectivement.
C'est le message que François Fortassin nous délivra constamment, avec le sens du rassemblement, de l'écoute et du dialogue qui le caractérisaient, à l'occasion de chacune des réunions du Bureau du Sénat où ses interventions justes et de bon sens emportaient bien souvent l'adhésion.
Notre collègue était un républicain modéré mais n'était pas modérément républicain. Il portait au Sénat les valeurs qui étaient les siennes, qu'il s'agisse de la construction européenne pour laquelle il réclamait inlassablement - même quand ce n'était pas du tout la mode...- , « plus d'Europe et mieux d'Europe », ou de la laïcité pour laquelle il s'est toujours battu, considérant qu'il fallait affirmer constamment et avec vigueur les valeurs que la République porte.
Dans l'hémicycle sénatorial, François Fortassin, à titre personnel ou au nom de son groupe du RDSE, s'intéressait à tous les sujets. Membre successivement des commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, où j'ai travaillé avec lui, des finances, puis des affaires sociales, ses prises de parole furent innombrables, et toujours utiles.
J'ai en mémoire ses dernières interventions à la fin de l'année dernière sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté ou sur deux textes législatifs relatifs aux activités sportives, autre sujet qui le passionnait.
Il déposa encore au début de cette année deux propositions de loi visant à garantir le principe de l'indépendance de la justice et à rétablir les critères de classement des communes situées en zone de revitalisation rurale.
Homme de convictions, François Fortassin était aussi un homme de passions. Il partageait avec ses concitoyens bigourdans celles de la montagne, de la chasse, de la tauromachie et du rugby, sans oublier bien sûr les plaisirs de la table auxquels l'épicurien jovial qu'il était ne demeurait pas insensible...
Je ne saurais enfin oublier la passion de François Fortassin pour le Tour de France. Celui qui accueillait, il y a quelques mois, l'organisateur de l'épreuve en vue de l'édition 2017 qui se déroule en ce moment même y voyait, je le cite : « quelque chose de magique, un miracle permanent et 3 500 kilomètres de sourires... ». Il en fit ainsi un instrument de promotion des Hautes-Pyrénées à l'occasion du passage annuel de l'épreuve sur les routes et les cols mythiques de son département.
François Fortassin a voué l'essentiel de son existence et de son énergie à son travail d'élu et de parlementaire.
Je souhaite redire notre sympathie attristée aux membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat et à ses collègues de la commission des affaires sociales.
Je souhaite aussi exprimer à chacun des membres de sa famille, à ses six enfants et à tous les habitants de Sart avec qui j'ai partagé un moment entre l'esplanade de l'église - symbole de laïcité assumée - et la salle des fêtes, les condoléances très sincères de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs, auxquelles j'ajoute ma peine et ma tristesse personnelles.
François Fortassin, dont le visage est ici présent sur son fauteuil, portait une parcelle vivante de République. (Applaudissements)
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires . - Le 15 mai dernier, nous avons tous appris avec tristesse que François Fortassin venait de nous quitter. Quatre jours plus tard, à Sarp, dans la vallée de la Barousse à laquelle il tenait tant, nous étions nombreux à lui rendre hommage : vous, monsieur le président du Sénat, son successeur Michel Pélieu, son ami et successeur dans « notre » assemblée, allais-je dire, le président Didier Guillaume, l'ensemble de ses collègues du groupe RDSE et d'autres encore. Oui, nous étions nombreux à Sarp, aux côtés de sa famille et de ses amis, pour une journée de recueillement et pour rendre à François Fortassin l'hommage qu'il méritait. Je ne l'oublierai pas (M. le ministre s'interrompt un instant.) - vous comprendrez mon émotion. Je n'oublierai pas cette journée, parce qu'elle fut riche en émotions, mais aussi parce que c'était mon premier déplacement en tant que ministre de l'agriculture.
Mon ami François et moi n'aurons jamais eu l'occasion d'échanger dans une relation de parlementaire à ministre. Ces échanges auraient été riches, constructifs, pleins d'humour et d'amitié. Il aurait su faire remonter ses analyses du terrain avec ce « bon sens », expression que vous avez employée à juste titre à son propos, monsieur le président, qui le caractérisait, ce pragmatisme qui lui a permis de tracer une trajectoire politique remarquable.
Le pyrénéiste François Fortassin a ainsi gravi tous les échelons du cursus honorum politique grâce à sa passion pour les autres et pour son territoire.
Élu conseiller municipal de Sarp en 1971, puis maire en 1977, réélu constamment jusqu'en 2001, car la confiance ne s'efface pas. Conseiller général de 1979 jusqu'en 2015, président du conseil général des Hautes-Pyrénées de 1992 à mars 2008, il a succédé à François Abadie au Sénat, dont il était le suppléant, élu sénateur quelques mois plus tard, puis réélu dix ans plus tard, en 2011, dès le premier tour, preuve que les grands électeurs des Hautes-Pyrénées savaient que François Fortassin était un ardent défenseur de leur territoire mais aussi un fantassin de la République.
C'était un homme de fidélité aux valeurs républicaines, à son territoire, à la Haute Assemblée, au parti radical.
Pour avoir souvent parlé avec lui de ses responsabilités politiques, celle qu'il a le plus appréciée était celle de président de l'institution départementale qui lui donnait directement prise sur le réel, pour mener à bien des projets concrets en faveur de son territoire et de ses concitoyens. Il a mis toute son énergie au service du développement de son département, en maintenant constamment l'équilibre entre les territoires ruraux et l'agglomération tarbaise, ce qui n'est pas toujours facile : fonds d'aménagement rural, fonds d'équipement urbain pour soutenir financièrement les communes du département dans leurs opérations d'aménagement : ce fut plus qu'une réussite, un exemple.
En matière touristique, la reconversion du Pic du Midi, fut une priorité à laquelle il fut très attaché, nous sommes ici plusieurs à pouvoir en témoigner, il mit en place une réserve internationale du ciel étoilé dont il était très fier.
L'eau et l'irrigation étaient une autre de ses priorités, enjeu fondamental pour nos territoires et notre agriculture.
François Fortassin était d'abord un élu de terrain, soucieux d'efficacité, d'amélioration de la situation de ses concitoyens des Hautes-Pyrénées. Il s'exprimait au Sénat dans une totale liberté, chère au RDSE, où nous avons été collègues, inhérente à son caractère. Homme de terrain, libre, pragmatique, loin des dogmes et des postures, respectueux, il était tout simplement un sénateur utile à la fabrique de la loi et à la République.
Je n'oublie pas son accueil amical dans cette Haute Assemblée où il était particulièrement attachant, atypique, reconnu et apprécié. Rares étaient les semaines où il ne prenait pas l'avion de Tarbes ou de Pau pour rejoindre ce Sénat qu'il aimait tant. À ne plus le voir dans nos réunions de groupe, ni dans l'hémicycle, ni au restaurant du Sénat, ces derniers temps, nous avions deviné qu'il menait son dernier combat, si difficile, dans la plus grande dignité.
François était un ardent défenseur des valeurs républicaines. J'étais ainsi à ses côtés, lors d'une séance de questions au Gouvernement, lorsqu'il priait le garde des sceaux de respecter l'indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs. Ce fut sa dernière expression publique.
Profondément épris de liberté, de solidarité et de tolérance, Il se battait aussi pour la laïcité qu'il associait à l'école où il avait exercé. Il pratiquait ces valeurs au quotidien dans le sport, notamment le rugby qu'il pratiquait et je ne vous dévoilerai pas ici son surnom dans la mêlée... C'était aussi un vrai passionné de cyclisme, autre sport enraciné dans ses Pyrénées, en particulier du Tour de France. Je puis vous annoncer que ce jeudi 13 juillet, quand le Tour de France passera dans la vallée de la Barousse, il y aura un moment d'émotion. Je puis vous révéler que durant les chaudes sessions extraordinaires de juillet, il multipliait les allers-retours entre l'hémicycle et son bureau, tout proche de celui de son président de groupe ; il se peut que lors de certaines échappées ou arrivées au sprint, deux ou trois amendements n'aient pu être défendus... (Sourires)
C'était aussi un aficionado de tauromachie.
Un amendement dont il était très fier, dont il parlait souvent, lui valant un franc succès dans son département, et dont il obtint l'adoption à la quasi-unanimité au Sénat, fut inséré ici au projet de loi résultant du Grenelle de l'environnement : « Les herbivores doivent manger de l'herbe ». Selon ses propres propos, illustrant son bon sens légendaire, « si l'on avait fait manger de l'herbe aux vaches, on n'aurait jamais eu la vache folle ».
Cette voix pragmatique et sincère d'un authentique républicain qui savait toujours ramener les débats à l'essentiel, à savoir, l'utilité de la loi, sa perception par les citoyens et ses effets véritables sur le quotidien des Français, cette voix s'est éteinte et nous manquera.
Homme de passion, homme de son territoire, ayant la République chevillée au corps, François Fortassin restera une grande figure du radicalisme, un grand élu local du sud-ouest, un parlementaire assidu, utile et toujours libre dans son expression comme dans ses votes.
Ceux qui le connaissent savent qu'il a désormais trouvé sa place dans le ciel étoilé au-dessus des Hautes-Pyrénées, quelque part au-dessus du Pic du Midi.
Au nom du Gouvernement de la République, j'adresse à sa famille, à ses proches, à ses administrés, mes condoléances les plus sincères et les plus attristées. (Applaudissements)
M. le président. - Observons ensemble un moment de recueillement.
(Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que le ministre observent un moment de recueillement.)
La séance est suspendue à 14 h 45.
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
La séance reprend à 15 heures.