SÉANCE
du jeudi 23 février 2017
60e séance de la session ordinaire 2016-2017
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
Secrétaires : Mme Valérie Létard, Mme Catherine Tasca.
La séance est ouverte à 10 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.
Choc de simplification pour les entreprises
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan du « choc de simplification » pour les entreprises à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises . - La délégation aux entreprises, qui sillonne le territoire depuis deux ans, veut se faire l'écho des centaines d'entrepreneurs qu'elle a rencontrés depuis sa création en dénonçant le poids de l'administratif qui pèse sur les entreprises et, en particulier, sur les PME, moins armées pour y faire face. Excès de normes, maquis de règles, rigidité et instabilité ont un coût estimé à 60 milliards d'euros par l'OCDE, sans parler des emplois perdus, qui minore notre compétitivité et notre attractivité. Sur le critère du poids de la réglementation, la France est classée 115e sur 138 États par le Forum économique mondial.
La France a-t-elle pris la mesure de l'enjeu ? En mars 2013, le président de la République annonçait un choc de simplification : qu'en est-il quatre ans plus tard ? Notre délégation a confié à Olivier Cadic et à moi-même un rapport sur ce sujet. Après nous être rendus en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas, nous avons entendu à Paris des représentants des entreprises, les institutions chargées de la simplification, à commencer par le secrétaire d'État Jean-Vincent Placé - comment interpréter sa désaffection aujourd'hui ? - ainsi que des universitaires et des think tanks.
La volonté affichée en haut lieu a-t-elle donné des résultats ? L'inflation législative ne date certes pas d'hier mais elle s'accélère. Le volume des projets de loi augmente : le nombre d'articles qu'ils contiennent double en moyenne à l'issue de la navette parlementaire. On a tôt fait d'accuser les parlementaires quand le Gouvernement est comptable du cinquième de cette dérive à laquelle il contribue également par le recours aux ordonnances. L'Union des industries chimiques nous a transmis une courbe frappante retraçant l'évolution des normes d'hygiène, de santé et de sécurité. Il serait intéressant d'appliquer le même exercice à la fiscalité et au droit du travail. La France resserre encore un peu plus cet étau administratif en surtransposant les directives aux dépens de nos entreprises.
Le Gouvernement s'enorgueillit d'avoir lancé le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, créé un secrétaire d'État dédié ainsi qu'un Conseil de la simplification pour les entreprises et d'avoir pris 463 mesures de simplification. L'élan initial est pourtant rapidement retombé : le comité chargé d'expertiser les études d'impact du Gouvernement, annoncé le 10 juin 2015, n'a pas vu le jour. Une semaine après, Thierry Mandon changeait de portefeuille, et trois ministres se seront succédé à ce poste depuis. Quant au Conseil de la simplification, notre rapport classe ses recommandations en plusieurs catégories : anecdotiques, anti-Kafka, sans-papiers, sécurisantes, usurpées, à effet boomerang... La politique de simplification ne convainc pas. Du reste, 43 % des mesures prises ne sont pas effectives. Selon le Gouvernement, elle se traduirait par 5 milliards d'euros d'économies potentielles pour les entreprises. Ce chiffrage, invérifiable, ne tient pas compte du flux d'obligations nouvelles : pénibilité, compte personnel formation, transition énergétique. Plus qu'un choc de simplification, c'est un choc de réglementation.
Or il est possible de réussir. Les pays du Nord, l'Union européenne sous l'impulsion de Jean-Claude Juncker, y ont réussi. Là où la politique de simplification fonctionne, elle est un objectif politique, souvent transpartisan. Elle obéit à une méthodologie rigoureuse et repose sur des objectifs et le suivi d'indicateurs. Surtout, des résultats chiffrés et vérifiés sont obtenus. L'Allemagne a ainsi allégé le coût de la bureaucratie pour ses entreprises de 14 milliards d'euros entre 2006 et 2011. Enfin, la réduction du stock de règles s'articule souvent avec une régulation du flux de normes, grâce à une règle de compensation entre création et suppression de normes. Dans tous ces pays, un organe indépendant contrôle la qualité des études d'impact, sur lesquelles repose le pilotage de la simplification pour les entreprises. Chacun de ces organes est doté d'un collège de quelques membres experts issus du monde économique, sans mandat politique ni fonction administrative. Il rend un avis sur les projets de loi ou de règlement.
Le Sénat a proposé des mesures générales telles que le « one-in, two-out » et la fin de la surtransposition des directives. Il a adopté des mesures très attendues par les entreprises, malheureusement balayées d'un revers de main par le Gouvernement : la diminution des délais de paiement à 30 jours fin de mois ou encore la transformation du CICE en allégement de charges. La majorité sénatoriale a été force de propositions mais je laisse le soin à M. Cadic de présenter notre rapport. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Olivier Cadic . - (L'orateur, pour illustrer son propos, demande la projection d'une présentation PowerPoint sur les écrans de la salle des séances) La simplification en France est comme la Pénélope d'Homère, elle travaille beaucoup sans produire beaucoup de résultats. (Murmures) Tel Ulysse, notre délégation propose une odyssée, en quatre étapes, pour simplifier la vie des entreprises et augmenter notre efficacité.
À l'étranger, la simplification est un processus méthodique ; chez nous, elle tient plutôt du mirage politique. Ses acteurs s'épuisent à vouloir vider la mer avec une petite cuillère.
Depuis la loi organique de 2009, les études d'impact doivent accompagner les projets de loi ; propositions de loi et amendements y échappent. Celles qui sont rendues sont de qualité inégale, trop formelles et souvent réalisées à la dernière minute. Et notre pays continue de légiférer pour un oui ou un non, ce qui rend fous les entrepreneurs.
Interrogeons-nous sur nos méthodes. Quelle entreprise peut fonctionner sans service qualité ? Créons-en un pour la règle de droit sous la houlette du Premier ministre. Sa première mission sera de chiffrer le poids administratif. On nous rétorque que cela coûtera trois millions d'euros, ce sera toujours moins que le coût de la complexité. Nous pourrons ensuite arrêter des objectifs de réduction nette de la charge bureaucratique en élaborant un plan de réformes globales en début de mandat. Préparer - exécuter - contrôler - ajuster : voilà le cercle vertueux.
Deuxième proposition : alléger le stock de normes. Il faut élaguer le droit en vigueur - nous avons deux siècles d'activité législative derrière nous ! Nos raffineries sont-elles plus sûres grâce au cadre plus contraignant qui les enserre ? Non : elles sont l'objet de 26 % des accidents en Europe alors qu'elles ne représentent que 10 % du parc.
Troisième axe : concevoir une régulation au service des entreprises. Passons à un système où tout est autorisé, sauf ce qui est interdit. Il libérera l'administration comme les entreprises.
Quatrième préconisation : mieux légiférer. Prenons le temps d'associer les entreprises à l'élaboration de la loi. Test PME obligatoire, expérimentations en amont, étude d'impact fournie pour les projets de loi comme pour les propositions de loi et les ordonnances, contrôle par un Conseil de la simplification rendu indépendant, débat d'orientation préalable avant d'entamer l'examen d'un texte, mise à jour de l'étude d'impact après la première lecture, contrôle de la loi et de ses déclinaisons réglementaires, bref, nous devons revoir en profondeur notre façon de faire la loi.
La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent, aurait dit Albert Einstein. Changeons notre façon de faire de la politique. (Applaudissements sur les bancs au centre et à droite)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Le 28 mars 2013, le président de la République lançait le programme du choc de simplification. Un premier projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises était voté le 20 décembre 2014. Un Français sur quatre estime complexes ses relations avec l'administration, le problème ne se limite pas aux entreprises mais parlons d'elles. PME et TPE sont les plus touchées. Une réduction de 25 % de la charge administrative se traduirait par 15 milliards d'euros d'économies pour les entreprises. Les Français ne demandent qu'à entreprendre - voyez le succès du statut d'auto-entrepreneur.
Depuis juin 2014, un secrétaire d'État est dédié à ce chantier de la simplification. Les mesures adoptées sont variées : réduction du nombre de commissions locales d'aménagement, simplification du code du commerce, suppression de certains régimes de déclaration préalable ou d'autorisation imposés aux entreprises, transposition de deux directives européennes sur les marchés publics... Compte tenu de l'immensité de la tâche, cela paraît bien timide d'autant que seules 56 % des mesures sont aujourd'hui effectives.
Lors du déplacement de la délégation dans mon département des Hautes-Alpes, nous avons mesuré combien la complexité et l'instabilité normative sont des griefs récurrents contre l'État. Un dirigeant de PME disait qu'il lui faudrait un ETP pour suivre l'évolution de la réglementation. Celle-ci est souvent inadaptée, notamment au caractère saisonnier de l'économie locale. Dans les Hautes-Alpes comme ailleurs, le compte pénibilité et le prélèvement à la source inquiètent les entrepreneurs. Ils ne sont pas les seules victimes puisque les salariés auraient un meilleur salaire si le coût de la réglementation était moindre. Pour un pas en avant de simplification, nous en faisons deux en arrière de complexité. Quelque 400 000 normes applicables, 10 500 lois et 127 000 décrets en vigueur, notre stock doit être allégé. Inspirons-nous de l'Italie où l'émission d'une norme entraîne la suppression d'une autre et utilisons le numérique : une déclaration fiscale unique et dématérialisée regroupant les impôts, la TVA, la formation continue, les déclarations de CVAE et CFE, et la déclaration sur les dividendes et intérêts serait une vraie mesure de simplification Ainsi l'administration pourrait se concentrer sur le rescrit, qui garantit l'adaptation de la norme aux réalités du terrain.
Faisons en sorte que ce choc de simplification ne reste pas une formule et qu'il devienne une réalité pour tous les Français. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Dominique Watrin . - La simplification de la vie des entreprises constitue une question récurrente de cette législature, déclinée au fil des débats et des secteurs. Elle résoudrait à elle seule tous les maux qui affectent notre économie. Et pourtant, pour faire moins de normes, on en fait plus : ANI, loi Macron, loi Travail...
Nous sommes soumis à l'exigence de produire la meilleure norme possible car si la norme contraint certains acteurs, elle en protège d'autres - c'est le cas du droit du travail.
Nous ne nions pas les difficultés quotidiennes auxquelles les entreprises sont confrontées. À notre sens, elles sont exacerbées par la continuation de la RGPP : moins de fonctionnaires, cela signifie moins d'accompagnement des PME. Et l'on comprend mieux le sens de la règle selon laquelle le silence de l'administration dans les deux mois vaut acceptation. Derrière le leitmotiv de la simplification se cache une volonté de dérégulation, de déréglementation, voire de moins d'État.
Or, d'après un intéressant rapport de notre commission des lois, la situation des entreprises françaises n'est pas préoccupante du point de vue de la réglementation. Selon le sondage réalisé par KPMG en octobre 2016, seuls 8 % des chefs d'entreprise pensent que la simplification des procédures administratives pourrait avoir un impact sur leur activité. En revanche, la plupart s'inquiètent de leur accès au crédit. Au minimum, une consultation du système bancaire devrait être menée pour lever les freins ; c'est un minimum car ce dont nous avons besoin est d'une réforme bancaire, d'une modification de la politique de la BCE et d'une révision des critères de prêts. Il faudrait aussi encadrer la sous-traitance et mieux contrôler les circuits de l'aide publique. Le pouvoir d'achat de nos concitoyens doit être augmenté pour le bien de nos petites entreprises.
Vous l'aurez compris, le groupe CRC partage une partie du diagnostic de Mme Lamure, mais non ses solutions. Pour nous, inflation législative se conjugue avec libéralisme économique ; il entraîne une inflation de pans entiers du droit : droit boursier, droit de la concurrence, droit de l'énergie. Ce débat n'est pas neutre politiquement. Espérons qu'il aura eu un mérite : démontrer que l'évaluation qualitative doit l'emporter sur une évaluation comptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Hermeline Malherbe . - La simplification réduit la charge administrative, il y va de l'équité entre les entreprises. C'est un enjeu de croissance, de développement et, donc, d'emploi. Plus de simplification, c'est plus d'initiative, d'activité et d'emploi, avait déclaré le président de la République en 2013.
Comment libérer les entreprises des contraintes administratives tout en préservant un environnement juridique stable et sécurisé ? La question est posée depuis 1983, date à laquelle était créée une commission sur la simplification des démarches administratives des entreprises. Le bilan de ce quinquennat, disent certains, est médiocre. Je dirai plutôt qu'il est loin d'être optimal et que beaucoup reste à faire.
Je me réjouis que François Hollande ait pris ce sujet à bras-le-corps au début de son quinquennat, pour tous et pas seulement pour les entreprises.
Surtout, en quatre ans, nous avons fait évoluer les mentalités ; c'est essentiel. Au sein du Conseil de la simplification, une vraie collaboration s'est nouée entre les acteurs : représentants des PME, parlementaires et experts. Il est devenu une véritable « fabrique à simplifier », qui a produit 433 mesures pour les entreprises, dont le programme « Dites-le nous une fois », qui a engendré 4 milliards d'euros d'économies pour les entreprises, les marchés publics simplifiés - même si j'en connais un qui s'est éternisé - le guichet unique pour les entreprises ou encore la déclaration sociale unique. Et 40 nouvelles mesures ont été proposées cet automne encore. Il conviendra d'évaluer ces mesures. L'envoi en une fois de toutes les demandes administratives simplifiera aussi la vie des entreprises ; les missions des chambres consulaires doivent être citées, elles ont été oubliées par les autres orateurs.
Le groupe RDSE estime que la simplification va dans le bon sens, même s'il reste beaucoup à faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. Joël Labbé . - La lourdeur de notre administration est souvent moquée, et parfois avec raison, mais c'est de l'accumulation des normes sans souci de cohérence dont il est question. La simplification est au coeur de l'action du Gouvernement depuis 2013. Malheureusement, la saisine du Conseil de la simplification est encore trop complexe ; une proposition de loi pour la simplifier est encore en navette.
Nous sommes, au groupe écologiste, très attachés aux nouvelles formes de démocratie. Le site participatif « Faire simple » a recueilli plus de 4 000 contributions, 19 000 Français y sont inscrits.
Le principe instauré par la loi du 12 novembre 2013 selon lequel le silence de l'administration vaut approbation est à saluer pourvu que ce ne soit pas une façon de tirer les conséquences de la baisse du nombre de fonctionnaires.
Le dernier train des 415 mesures de simplification, selon l'expression de Jean-Vincent Placé, occasionnera 5 milliards d'euros d'économies pour les entreprises.
Saluons les efforts de l'État à l'égard des TPE-PME, qui représentent 99 % de notre tissu économique. Leur accès aux marchés publics doit être facilité : elles n'accèdent pour l'heure qu'à 50 % d'entre eux en volume et 30 % en valeur. Les normes agricoles et alimentaires sont identiques pour les petits ateliers et les grandes usines.
Mme Nicole Bricq. - C'est vrai.
M. Joël Labbé. - Cela freine l'ancrage territorial de l'alimentation, un sujet dont nous reparlerons ! La cuisine-usine de l'agroalimentaire et la petite cantine locale ne doivent pas être soumises aux mêmes règles.
La France est en bonne voie vers la simplification. Nous partions de loin ! Poursuivons sans renoncer à nos principes fondamentaux et aux contrôles nécessaires. J'espère que ces efforts seront poursuivis lors de la prochaine législature. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et socialiste et républicain)
Mme Nicole Bricq . - Depuis vingt ans, tous les gouvernements ont affiché leur volonté de simplification ; ce quinquennat en a fait une priorité. En 2013, François Hollande mobilisait préfets et directeurs d'administration centrale. Le 17 juillet 2013, le Gouvernement dévoilait les 200 premières mesures de son programme de simplification. Le Conseil de la simplification était créé le 8 janvier 2014, et un ministère voyait le jour : c'est un saut qualitatif.
Certes, seuls 56 % des mesures de simplification sont effectives mais, pour siéger au sein du Conseil de la simplification, je sais l'énergie titanesque qu'il faut déployer pour obtenir une décision. Monsieur Cadic, j'ignore si nous vidons la mer avec une petite cuillère ou une grande louche ; je sais, en revanche, qu'il y faut de la volonté !
Le Parlement a été saisi par l'exécutif. La loi de simplification des entreprises de 2014 a apporté des améliorations, de même que la loi dite Macron avec la réforme des prud'hommes ou encore la loi Travail.
Je veux insister sur le rôle de l'expérimentation. La loi Grandguillaume repose sur ce principe, pour lutter efficacement contre le chômage de longue durée. La clarification du bulletin de paie a fait l'objet d'une expérimentation dont les résultats devraient être généralisés au 1er janvier 2018. Il faut pérenniser France Expérimentation lancé par Emmanuel Macron, lorsqu'il était à Bercy, et le secrétaire d'État à la simplification, qui n'assiste pas à nos débats pour une bonne raison - il est au Vietnam. Le cadre réglementaire national n'étant pas toujours adapté, il faut faciliter l'expérimentation locale en ouvrant des dérogations. Si elles se révèlent positives, généralisons-les.
La question essentielle est la gouvernance de la simplification. Rendre indépendant le Conseil de l'expérimentation ? Le Sénat vient de dénoncer l'agenciarisation de la politique de l'État. La simplification mérite, en tout cas, un ministre de plein exercice et une administration dédiée.
Nous avons une réforme culturelle à mener et vous savez comme moi que ce sont les plus difficiles. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste)
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Je me félicite que nous débattions sur une base aussi sérieuse et riche - je parle du rapport Lamure-Cadic - et je déplore l'absence de notre ami Jean-Vincent Placé.
La France est toujours dans le top 10 des économies mondiales, mais pour combien de temps ? Le Forum économique mondial la classe aussi dans le top 30 des pays où le poids administratif est le plus lourd. Ce n'est pas anodin, car cela détermine les décisions de localisation de la production. On connaît les maux dont nous souffrons : instabilité réglementaire, arbitrages sans étude d'impact, surtransposition des directives européennes.
D'aucuns diraient que l'enfer, c'est les normes. Distinguons plutôt la bonne norme de la mauvaise. Ce sont souvent les conditions d'application qui sont kafkaïennes. Philippe Lentschener, dans Marque France, relève qu'une norme peut être aussi un standard de qualité, celle du point sellier Hermès, par exemple. Or notre pays est réputé pour son amour des gestes, son savoir-faire. Normer, c'est aussi garantir la fiabilité d'une procédure.
Cela dit, trop de créateurs, d'entrepreneurs dans notre pays doivent jongler avec des normes qui ne sont pas dans leur coeur de métier. Les entreprises du CAC 40 ont des armadas d'avocats, pas les petites, qui sont les vrais gisements d'emplois.
Le Gouvernement - qui aime l'entreprise, dit-il - prétendait déployer l'artillerie lourde. Nous allions voir ce que nous allions voir ! Eh bien, nous n'avons pas vu grand-chose... Certes, Guillaume Poitrinal et Laurent Grandguillaume ont fait un assez bon travail et des propositions de bon sens. Mais l'optimisme de la volonté cher à M. Placé ne suffit pas... Sur le site du ministère dédié à la simplification, M. Guérin, menuisier dans le Morbihan, écrit : « Je n'en peux plus des nouvelles complications administratives qui nous sont imposées sans explication et surtout sans interlocuteurs compétents et joignables ! Tout semble fait pour que toutes ces tâches administratives et juridiques ne puissent être réalisées par notre secrétaire mais confiées à des logiciels coûteux ou à des cabinets comptables qui se créent des rentes et grèvent les budgets des PME comme la mienne... Quelle énorme déception cette soi-disant simplification ! »
Mettons-nous à sa place. À quoi bon la règle « silence vaut acceptation » quand on ignore s'il ne s'agit pas de l'une des 1 200 procédures qui y dérogent ? Que vaut le choc de simplification, quand on impose le compte pénibilité et le prélèvement à la source ?
Alors que la mandature s'achève, il faudrait prolonger la réflexion de façon transpartisane, comme l'avaient fait MM. Lambert et Migaud à propos de la procédure budgétaire, et finalement... simplifier la simplification.
Pour cela, l'évaluation et le contrôle parlementaires doivent être musclés. En 2008, j'ai vu des parlementaires refuser de s'en donner les moyens... La simplification doit aussi devenir une hygiène de vie. Pourquoi pas un haut fonctionnaire dédié à la simplification dans chaque administration, comme il existe des hauts fonctionnaires de défense ? Des normes à durée limitée pourraient être utiles, de même qu'une nouvelle méthode de transposition des directives, immédiate et littérale dans une partie temporaire du code, plus approfondie ensuite.
Orientons l'administration enfin, vers le service aux clients en recyclant en front office les gains de productivité liés à la dématérialisation, plutôt que de lui assigner pour seules tâches de surveiller et punir, comme aurait dit Foucault.
Si nous y parvenons, tout en préservant notre tradition d'excellence, la France deviendra créatrice de valeur comme jamais ! C'est une mission ardue, mais passionnante. C'est le serment que nous pouvons faire aujourd'hui, à l'aube d'une nouvelle législature ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Martial Bourquin . - Le choc de simplification annoncé par le président de la République en 2013 est l'un des chantiers prioritaires du quinquennat. Il est en outre très attendu par les chefs d'entreprise, petites ou grandes. Les dirigeants de TPE-PME disent qu'il leur manque trois heures dix-huit par jour pour accomplir leurs missions, dont la moitié pour des tâches administratives.
Or les TPE-PME représentent 38 % du chiffre d'affaires global, 49 % de la valeur ajoutée et 43 % de l'investissement dans notre pays.
La Commission européenne estime pour sa part qu'une baisse de 25 % des charges administratives augmenterait le PIB européen de 0,8 % à court terme et 1,4 % à long terme.
Quittons les lunettes de l'idéologie : quand les choses vont dans la bonne direction, réjouissons-en nous ensemble ! La déclaration sociale nominative (DSN) à elle seule économise 3,7 millions d'euros par an aux entreprises, en remplaçant 24 déclarations. La suppression de l'annexe aux comptes annuels concerne 3,7 millions de micro-entreprises, la généralisation des états simplifiés 170 000. Zéro charges nouvelles pour les enquêtes statistiques, c'est le principe qui a été imposé. Le titre emploi service, encore, a considérablement réduit la charge administrative et les coûts liés à l'embauche des entreprises jusqu'à 19 salariés.
Autre exemple : les marchés publics simplifiés, auxquels les entreprises candidatent en fournissant seulement un numéro Siret... Depuis le décret du 26 septembre 2014, elles sont dispensées de fournir les documents que le pouvoir adjudicateur peut obtenir directement grâce à un système électronique : deux heures gagnées en moyenne par marché. Le seuil de mise en concurrence de 25 000 euros est un premier pas, nous proposions 40 000 euros, nos voisins sont à 60 000.
Il faut aussi éviter toute surtransposition, lutter contre le cancer - je pèse mes mots - des délais de paiement, qui privent les PME de 13 milliards d'euros par an. Quant à la fiscalité, beaucoup de chefs d'entreprise saluent la création du CICE.
Nous devons créer des écosystèmes productifs, pour restaurer un socle industriel puissant et rendre notre économie apte à faire face à la mondialisation. Il reste du travail à accomplir, mais les choses avancent, car le Gouvernement a pris les choses en main. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics . - Veuillez excuser Jean-Vincent Placé, en route vers le Vietnam. Ne voyez dans son absence aucune frilosité : il regrette de ne pouvoir être parmi vous.
M. Bourquin l'a dit, il reste du travail, mais beaucoup a été fait : facturation électronique, déclaration en ligne, télépaiement, DSN, Dites-le nous une fois, dématérialisation, principe selon lequel silence vaut accord, chèque emploi service universel (CESU)... pour ne parler que de ce qui me concerne !
Des économies pour les entreprises, ce sont des économies pour l'administration aussi, sans compter que la simplification peut aussi profiter - M. Watrin l'a dit - à nos concitoyens. Nous avons tous passé des après-midi à refaire nos déclarations d'impôts... Ce n'est plus ainsi.
Jean-Vincent Placé a souvent eu l'occasion d'échanger avec votre délégation. Le Gouvernement a toujours conçu la simplification comme un mouvement perpétuel en faveur de la compétitivité de notre pays. Simplifier, ce n'est pas déréguler. Ce n'est pas porter atteinte à la santé, à la sécurité, à l'environnement. C'est démêler les noeuds dans lesquels sont trop souvent pris les acteurs économiques. Ceux-ci participent aux travaux du Gouvernement. Le Conseil de la simplification pour les entreprises, créé en 2014, associe chefs d'entreprise, experts, élus et hauts fonctionnaires.
Notre méthode de travail, réaliste, pragmatique et concrète, est également caractérisée par la transparence - chaque proposition mise en oeuvre est évaluée - et le chiffrage : EY estime les gains produits à 5 milliards, dont 3,5 milliards pour la DSN, qui me tient particulièrement à coeur. Cette mesure n'est ni de gauche ni de droite : mise en oeuvre avant l'arrivée au pouvoir de la présente majorité, elle lui survivra... D'aucuns critiquent son inachèvement ; nous en sommes à la phase 3. Quelque 1,3 million d'entreprises y sont déjà reliées. C'est une véritable révolution. Le chiffrage que j'indique a été réalisé par un cabinet indépendant, selon des standards européens.
Vous avez évoqué la question du flux de nouvelles normes. Le constat est partagé ; les amendements parlementaires n'y sont pas étrangers... C'est sans doute le volet le plus difficile. Député, rapporteur général du budget, puis secrétaire d'État, j'ai vu la tentation de créer des dispositifs nouveaux et donc, le plus souvent, de la complexité. Un atelier a été créé pour évaluer l'impact des textes portés par le Gouvernement sur les entreprises, qui a permis d'avancer sur les enquêtes publiques par exemple.
Près de 460 mesures ont déjà été annoncées pour les seules entreprises. Certaines sont législatives, d'autres réglementaires, d'autres encore résultent de l'adaptation des processus de gestion. C'est considérable. En vrac : clarification des règles de propriété intellectuelle grâce à un guide de bonnes pratiques, simplification du droit des marchés publics, charte de non-rétroactivité fiscale de 2014, nouveaux rescrits tel le rescrit de branche, titre emploi service entreprise, DSN, simplification de l'embauche des apprentis appelés à effectuer des travaux dangereux... En matière fiscale, le moment déclaratif unique, la centralisation du paiement de la Tascom - 400 imprimés en moins -, la fin de la déclaration spécifique d'une dizaine de crédits d'impôt, la télédéclaration d'impôt sur les sociétés dès le 1er janvier et la possibilité de demander dès cette date le bénéfice du CICE. Nous avons également étendu le télérèglement en matière douanière, qui concerne désormais aussi la TSVR - ancienne taxe à l'essieu - et simplifié les régimes dits de suspension de droits et de taxes.
Les petites entreprises, poumons économiques de la France, sont souvent les plus exposées à la complexité, aussi avons-nous allégé leurs obligations financières et comptables : depuis avril 2014, un million de micro-entreprises, c'est-à-dire de moins de dix salariés, n'ont plus à établir l'annexe aux comptes annuels, et celles de moins de 50 salariés peuvent se contenter d'états simplifiés : 1,1 million d'heures de travail en moins ! Nous avons aussi travaillé à la réduction des enquêtes statistiques. Le Gouvernement s'est aussi attaché à améliorer la sécurité juridique des PME, grâce au rescrit ; la Direction de la législation fiscale publie désormais ses instructions à échéance fixe afin de faciliter la veille des entreprises. Autre exemple encore, méconnu malheureusement : le simulateur en ligne des coûts d'embauche développé par notre administration.
Nous continuons à travailler dans cette direction, particulièrement dans le domaine de l'innovation - les lauréats de France Expérimentation seront présentés le mois prochain.
Simplifier, sécuriser, faciliter : voilà les trois principes qui nous guident. C'est un exercice difficile, mais indispensable pour développer notre tissu productif, accroître le rayonnement international de nos entreprises et renforcer l'attractivité de notre territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)