Rappel au Règlement
M. Jean Louis Masson . - Il y a six mois, le Parlement a voté une réforme du mode d'élection du président de la République, grâce à la connivence des principaux partis de la gauche et de la droite parlementaire. Le but est d'écarter certaines candidatures, en modifiant les règles de parrainage des maires, en rognant sur l'égalité de traitement médiatique des candidats. Les premières conséquences sont apparues hier, avec l'annonce par la première chaîne de télévision d'un débat réservé à quelques candidats. Je suis certes minoritaire ici, mais je veux protester solennellement contre ce scandale démocratique.
Lutte contre l'exposition aux perturbateurs endocriniens
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution visant à renforcer la lutte contre l'exposition aux perturbateurs endocriniens, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.
Mme Marie-Christine Blandin, auteure de la proposition de résolution . - Si la France a quelque avance sur l'Union européenne dans la lutte contre les perturbateurs endocriniens, nous le devons aux chercheurs qui ont mis en avant la notion d'exposome, à l'action du Comité de la prévention et de la précaution, à six ministres de la santé et dix ministres de l'écologie, ainsi qu'à nos collègues : Yvon Collin, à qui l'on doit la loi d'interdiction du bisphénol A dans les biberons de 2009, Gilbert Barbier, auteur d'un rapport de l'Opecst en 2011, Nicole Bonnefoy, auteur d'un rapport d'information sur les pesticides en 2013, Patricia Schillinger et Alain Vasselle, qui ont défendu récemment une proposition de résolution européenne sur l'identification des perturbateurs endocriniens, en même temps que le député Jean-Louis Roumégas.
La présente proposition de résolution invite à poursuivre sur ce chemin, alors que la Commission européenne freine, sujette au lobbying des industriels. Ici, une plainte des fabricants de plastiques et d'organisations agricoles a conduit à l'annulation par le Conseil d'État de l'arrêté encadrant l'utilisation des pesticides. À Bruxelles, les industriels bataillent contre une définition large des perturbateurs endocriniens.
La crise sanitaire, silencieuse, blesse et tue : le cancer touche un homme sur deux et deux femmes sur cinq. Il aura fallu du temps pour identifier l'effet de ces molécules qui pénètrent dans l'organisme et modifient les messages normaux des hormones. Les foetus sont atteints quand les mères sont exposées.
Nul ne laisserait un mécanicien remplacer les freins d'une voiture par l'accélérateur, mais on laisse des substances chimiques brouiller la formation de l'appareil urogénital du foetus, programmer le cancer du sein d'une petite fille à naître, fausser la communication interne de nos organes...
UFC-Que Choisir a identifié quatre cents cosmétiques avec perturbateurs. Messieurs, votre gel douche au paraben ne mérite pas de menacer votre fertilité ! Mesdames, les phtalates de votre vernis à ongles ne valent pas la puberté de votre fille ! Bricoleurs, la rénovation de votre maison à coup de solvants ne justifie pas que vous risquiez un cancer ! Et l'on trouve même de la dioxine, du glyphosate, des pesticides, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des cancérogènes probables dans douze types de couches pour bébé... J'ai bien dit « probables ». Mais accepterait-on de monter dans un avion si le risque de crash est « probable » ? (M. Jean Desessard applaudit)
Les plus jeunes sont parmi les plus exposés : crèches et écoles devraient être exemptes de tout perturbateur, de tout pesticide.
L'Anses alertait sur les dangers de l'exposition aux pesticides pour les agriculteurs, l'Inserm sur l'impact des pesticides sur la qualité de l'eau et de l'air. Le Commissariat général au développement durable a relevé en moyenne quinze pesticides à chaque point de contrôle de la qualité de l'eau...
Cela justifie que l'on interdise de traiter les cultures à moins de cinq mètres des points d'eau et fossés. Nous proposons d'étendre cette règle aux abords des habitations et des écoles.
Une classe d'insecticides couramment utilisée pourrait nuire aux performances cognitives : elle aurait coûté 14 millions de points de quotient intellectuel...
On brandit souvent l'argument du coût économique pour ne rien faire. Pourtant le coût estimé des pathologies liées aux perturbateurs endocriniens est de 82 milliards d'euros par an en France.
Comment agir à Bruxelles ? Faute d'outils conceptuels adéquats, c'est-à-dire de critères des perturbateurs endocriniens, l'Union européenne en est réduite à des mesures de sauvegarde. La Commission européenne, condamnée le 16 décembre 2015 par le tribunal de l'Union européenne, travaille à un texte au champ très réduit - puisqu'il prend en compte les seuls phytosanitaires et biocides - et fondé sur la notion de danger, ce qui ne correspond pas au principe de précaution. Du coup, les interdictions françaises pourraient être menacées.
Nous appelons à la constitution d'un groupe scientifique indépendant et de haut niveau sur la question. Est-il normal que les associations informent plus vite les citoyens que les instances officielles ?
Parce que les perturbateurs endocriniens sont omniprésents et dangereux, parce que la France doit rester ferme, nous vous appelons à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
M. Gilbert Barbier . - Cette proposition de résolution fait suite au rapport de l'Agence Santé publique France. Comme celle de Mme Schillinger et M. Vasselle, présentée la semaine dernière devant la commission des affaires sociales, elle considère, propose, souligne et constate... Je reste un peu sceptique sur la portée de telles initiatives.
Tout le monde semble aujourd'hui découvrir le sujet des perturbateurs endocriniens. Tant mieux, dirons-nous. Il y a dix ans, j'ai rédigé un rapport sur le sujet. Les perturbateurs endocriniens existent depuis la nuit des temps en milieu naturel, mais il est vrai que le développement des sciences fait que chaque jour arrivent sur le marché de nouvelles molécules dont on ne connaît pas d'emblée les éventuels effets cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques. Pour cela il faut des études de cohorte sur une génération.
Les deux résolutions affirment, probablement à juste titre, que le principe selon lequel « la dose fait le poison » n'est plus de mise. Pourtant, les études montrent des effets en courbe de Gauss pour certaines molécules. Il faut laisser du temps aux chercheurs. Il serait parfois plus dangereux d'interdire avant d'être sûr de disposer d'un produit de remplacement inoffensif.
La métabolomique est une science récente. Grâce aux spectromètres de masse, les polluants sont détectés à des doses bien inférieures au seuil réglementaire.
La classification des substances entre perturbateurs supposés, suspectés et avérés pose problème, car l'évaluation évolue en permanence et les résultats ne sont pas toujours concordants.
Je veux souligner l'importance de la recherche scientifique mondiale. Depuis 1997, l'OCDE a déjà défini une dizaine de lignes directrices, d'autres restant à définir, pour admettre ou non qu'une substance a une action perturbatrice. C'est tout sauf simple, car des mécanismes autres qu'oestrogéniques, androgéniques ou thyroïdiens sont possibles. L'effet cocktail est avéré. Qu'en sera-t-il demain des nanoparticules, des biosimilaires ? Quelle est la valeur des méthodes de screening largement utilisées aujourd'hui ?
Le rôle des agences de contrôle est central. L'Europe tergiverse, c'est vrai, mais la législation Reach s'applique progressivement. En France, je veux décerner un satisfecit au Gouvernement qui a lancé une Stratégie nationale contre les perturbateurs endocriniens. Celle-ci est bien faite même si elle manque de moyens.
Nous devrions parler d'une même voix et soutenir ce plan d'action. C'est pourquoi je m'abstiendrai sur ce texte, un peu dissonant. À l'auteur, je pose d'ailleurs la question : êtes-vous sûre que le cannabis n'est pas un perturbateur endocrinien ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et au centre)
M. Charles Revet. - Excellente question !
M. Gérard Roche . - La santé des Français nous préoccupe tous, mais devons-nous, sur un simple soupçon, faire jouer le principe de précaution ? Faisons plutôt preuve de bon sens. Bien sûr, nous ne pouvons pas faire confiance aveuglement aux entreprises, mais nous ne pouvons pas non plus interdire toute recherche, tout développement, toute innovation. Laissons donc les scientifiques nous guider. Le paragraphe sur la recherche dans la proposition de résolution est pertinent. Oui à la recherche indépendante, dotée de moyens financiers renforcés. Il faut en outre soutenir la coordination internationale de la recherche ; un groupe international d'experts est nécessaire. Au législateur de tirer ensuite les conséquences des travaux des chercheurs.
La Commission européenne a dépassé ses prérogatives en adoptant des critères de dangerosité restrictifs, qui nécessitent un niveau de preuve très élevé. Mais il suffit d'appuyer les recommandations faites au Gouvernement par notre commission des affaires européennes. En la matière, le trop est l'ennemi du bien. Ne soyons ni naïfs ni hâtifs. Chaque membre du groupe UDI votera en conscience, sans consigne de vote, mais je crois savoir que certains de mes collègues s'abstiendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Annie David applaudit aussi)
Mme Esther Benbassa . - Mme Archimbaud ne peut être présente aujourd'hui pour défendre son texte. J'imagine sa déception car c'est un combat qui lui tient à coeur.
Pour ma part, je défends à la commission des lois les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Ce qui nous réunit aujourd'hui n'est pas si différent, puisqu'il s'agit d'assurer à nos concitoyens le droit à l'information et de protéger leur santé, notamment celle des plus vulnérables.
Les perturbateurs endocriniens sont, selon l'académie de médecine, des substances ou des mélanges exogènes, qui modifient le fonctionnement du système endocrinien et provoquent des effets sanitaires nocifs dans un organisme intact et sa descendance. Ils sont suspectés de provoquer des cancers hormono-dépendants, d'être reprotoxiques, d'avoir des effets néfastes sur la thyroïde, sur le développement neurologique, sur le métabolisme et sur le système cardiovasculaire. L'enjeu de santé publique est donc considérable. Malgré l'annonce en 1999 d'une stratégie commune européenne sur les perturbateurs endocriniens, peu a été fait. Les lobbies veillent...
Il est indispensable de les combattre et de donner les moyens nécessaires à la recherche publique, pour éclairer les décideurs. De même, les contrôles doivent être opérants. Là aussi, c'est une question de moyens. Il est scandaleux de trouver dans des cannettes et des boîtes de conserve, comme Santé Environnement France l'a montré, du bisphénol A, interdit en France depuis 2015 !
Les femmes enceintes et les enfants sont les premières victimes des perturbateurs endocriniens. Les politiques de prévention doivent être repensées pour faire face à ce défi. Un chèque bio pour les femmes enceintes pourrait être mis en place. Autres pistes : l'interdiction de pulvériser des produits phytosanitaires à proximité des habitations ou des écoles, ou la sensibilisation des personnes travaillant avec les enfants.
Il ne s'agit pas d'hygiénisme ou de précaution mais de définir une politique de santé publique protectrice des générations à venir. (Applaudissements à gauche)
Mme Patricia Schillinger . - Les perturbateurs endocriniens requièrent l'action urgente, énergique et concertée des pouvoirs publics, des chercheurs, des industriels, des associations et des citoyens. L'OMS les définit comme des substances ou mélanges qui altèrent une ou plusieurs fonctions du système endocrinien et provoquant de ce fait des effets néfastes sur la santé de l'organisme intact ou de celle de sa descendance. Contrairement aux produits toxiques, ils n'ont pas d'effet directement néfaste sur une cellule ou un organe, d'où un temps de latence long, qui peut franchir une génération. Ce qui fait le poison n'est pas la dose, mais la durée d'exposition. La relation dose-réponse n'est pas nécessairement linéaire : les effets à faible dose peuvent donc être plus importants. Ces effets sont susceptibles de se transmettre à la descendance.
Cent scientifiques, dans une tribune publiée le 30 novembre 2016, ont sonné l'alarme. Les perturbateurs endocriniens sont partout : dans l'alimentation, l'eau, l'air, les plastiques, cosmétiques, les produits d'hygiène, phytosanitaires, biocides... Impossible d'agir individuellement, seule la règlementation de ces substances est efficace. Ainsi le bisphénol A a été interdit dans les biberons en France, puis en Europe, puis à l'intérieur des boîtes de conserve en France seulement.
En 2014, la France s'est dotée d'une stratégie efficace de lutte contre les perturbateurs endocriniens dans le cadre du troisième plan national santé-environnement, fondée sur la recherche, la surveillance des effets des perturbateurs endocriniens, la sensibilisation des professionnels et du grand public, l'expertise, l'influence sur les travaux réglementaires au niveau européen.
Cette proposition de résolution trace de nouvelles pistes. Il est bon que toutes soient explorées. L'alinéa 15 invite le Gouvernement à intervenir avec fermeté au niveau européen. C'est aussi le sens de la proposition de résolution européenne que j'ai déposée avec M. Vasselle à la suite de notre rapport d'information, et qui a été adoptée le 12 janvier par la commission des affaires européennes : elle appelle l'Union européenne à appliquer sans tarder le principe de précaution.
Il n'existe pas de définition européenne des perturbateurs endocriniens, faute de critères d'identification. La Commission européenne, qui devait les établir au plus tard en 2013, a été condamnée par le tribunal de l'Union européenne le 16 décembre 2015. Elle a enfin présenté deux projets le 15 juin 2016, revus le 18 novembre, dont je déplore l'approche morcelée. Surtout, la Commission a retenu trois critères : des effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture, une altération du fonctionnement du système endocrinien, et que les effets néfastes soient la conséquence du mode d'action endocrinien. Comme nous l'a expliqué le professeur Barouki, très peu de substances seront ainsi visées, car il est difficile d'établir avec certitude un lien de causalité entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste sur la santé. Au nom du principe de précaution, nous proposons pour notre part d'interdire aussi les perturbateurs présumés, caractérisés par un lien de causalité plausible entre l'exposition et l'effet. La prochaine réunion d'experts auprès de la Commission aura lieu le 28 février ; quel est le sentiment du Gouvernement ?
Le comité Reach a récemment classé quatre phtalates comme hautement préoccupants, c'est encourageant. Mais il faut se défaire de l'idée qu'il existerait des doses non dangereuses. Si nous manquons l'occasion qui se présente, nous n'avancerons pas. Même si l'article 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'interdit pas les restrictions à la libre circulation des marchandises pour protéger la santé et la vie, une interdiction globale serait-elle jugée conforme au principe de proportionnalité ?
Face à des industriels organisés et puissants, il faut soutenir la recherche, garantir son impartialité et encourager la coopération internationale. Le groupe socialiste votera cette proposition de résolution dans un esprit combatif, réaliste mais alarmiste. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Vasselle . - Limiter l'exposition aux perturbateurs endocriniens est un enjeu de santé publique important. Les règlements européens interdisent leur usage dans les biocides et produits pharmaceutiques. Encore faut-il savoir de quoi on parle. La Commission européenne a proposé des critères bien trop restrictifs. Dans notre proposition de résolution européenne, Mme Schillinger et moi-même proposions d'interdire les perturbateurs endocriniens avérés et présumés, en adoptant pour les perturbateurs seulement suspectés une approche différenciée et fondée sur le risque. Le texte présenté par Mme Blandin va beaucoup plus loin puisqu'il propose d'interdire aussi les substances suspectées. Ce n'est pas ce que préconise l'Anses. Dès lors, je ne peux approuver les paragraphes 14 et 15, excessifs, non conformes à une application proportionnée du principe de précaution. Mieux vaut développer la recherche sur la dangerosité de ces produits. Je vous invite à la prudence : selon le cabinet Redqueen, si tous les perturbateurs endocriniens suspectés étaient retirés du marché, la rentabilité des exploitations agricoles chuterait de 40 %...
L'effet cocktail est réel et les perturbateurs endocriniens ont une nocivité à faible dose. Il ne s'agit donc pas de substance « toxique » mais « dangereuse », les mots ont un sens.
Nous avons préféré, dans notre proposition de résolution européenne, la définition suivante : une substance est un perturbateur endocrinien si elle a des effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture, qu'elle altère le fonctionnement du système endocrinien, et que le lien de conséquence de l'un à l'autre est biologiquement plausible. Favorable à une application raisonnée du principe de précaution, le groupe Les Républicains ne pourra pas voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Annie David . - Je ne peux que me réjouir de ce texte qui fait écho à une pétition européenne de citoyens s'inquiétant de l'influence exercée par les lobbies au détriment de la santé publique.
Les perturbateurs endocriniens sont partout : dans l'alimentation, les plastiques, les cosmétiques, les produits du quotidien. Certes, ils ne sont pas tous cancérigènes. Mais le principe de précaution doit s'appliquer. Je déplore l'inaction de la Commission européenne, qui a attendu d'être sanctionnée par la Cour de justice pour proposer enfin, le 21 décembre, trois critères cumulatifs et très restrictifs, et seulement pour les pesticides puisqu'elle s'est permis d'introduire une dérogation pour d'autres produits. Le vote a été reporté et la dérogation devrait être retirée, mais il est à craindre que les critères restrictifs demeurent.
Les effets de l'exposition à des perturbateurs endocriniens sont connus : baisse de la fécondité, malformations, cancers, etc.
L'effet cocktail est reconnu ainsi que son impact sur la descendance. La santé doit prévaloir sur l'économie et l'emploi. Depuis l'interdiction du bisphénol A dans les biberons en 2009, la lutte contre les perturbateurs endocriniens fait l'objet d'un relatif consensus politique.
C'est pourquoi j'appelle le Gouvernement à s'opposer fermement à la définition proposée par la Commission européenne et réaffirme, le 28 février prochain, l'importance du principe de précaution.
Le mois dernier, le Sénat a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne de Mme Schillinger et M. Vasselle, soutenue par les scientifiques qui dénoncent la « fabrique du doute » par les industriels.
Le présent texte s'inscrit dans la continuité de cette résolution européenne, en promouvant la recherche et en appuyant une redéfinition des perturbateurs endocriniens au niveau européen. J'y vois une meilleure protection de la santé publique. Nous aimerions que le Sénat la vote avec la même unanimité que notre groupe. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen, écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean Bizet . - La question des perturbateurs endocriniens est sensible et complexe. Leur existence ne fait aucun doute, mais relativisons leurs conséquences sur la santé humaine. Gilbert Barbier l'a dit : ils font partie du quotidien de l'homme du XXIe siècle et pourtant l'espérance de vie n'a jamais été aussi élevée...
Certains sont présents dans la nature ; le sel versé sur nos routes l'hiver, par exemple, modifie le sex-ratio des batraciens. Faut-il l'incriminer de même que le soja ? Madame la ministre, si quelqu'un vous offre un bouquet de trèfles, méfiez-vous. Même s'ils ont quatre feuilles : ils modifient la production d'oestrogènes...
Les méthodes naturelles sont séduisantes mais pas toujours possibles ; les argiles contiennent des métaux lourds.
L'interdiction du bisphénol A dans les biberons, les boîtes de conserve ou les tickets de caisse a montré les limites de ces mesures : le bisphénol F est présent plus longtemps dans l'environnement et contient du fluor, puissant halogène. Bref, une interdiction immédiate et totale des perturbateurs endocriniens est irréaliste. Cette collision entre lanceurs d'alerte médiatisés et politiques à la recherche d'une meilleure image de marque est un mécanisme bien connu et très français, qui étonne nos voisins européens... Faisons confiance à la science, méfions-nous de la rhétorique complotiste, traquons avec la même rigueur les marchands de mort et les marchands de doute.
Une unique agence environnementale européenne appuyée sur des experts ad hoc serait bienvenue. Le rapport de l'Anses semblait même répondre à une commande ministérielle... Le rapport Vasselle-Schillinger a raison de déplacer le problème sur le plan européen et international. Avec la plupart de nos collègues, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements à droite)
Mme Patricia Schillinger - Très bien !
Mme Nicole Duranton . - Je remercie Aline Archimbaud, Patricia Schillinger et Alain Vasselle pour leurs travaux sur un enjeu de santé publique qui doit transcender les clivages politiques.
Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques qui affectent le système hormonal et provoquent de nombreuses maladies. Dangereuses, ces substances sont pourtant utilisées dans de nombreux produits, et présentes dans l'alimentation ou dans l'air. Pis, elles ne diminuent pas, malgré les alertes scientifiques de plus en plus nombreuses.
La réglementation européenne ne précise guère ce que sont les perturbateurs endocriniens. La Commission européenne devait arrêter une définition avant le 14 décembre 2013. Elle l'a finalement fait au 15 juin 2016 après que le tribunal de l'Union européenne l'a condamnée pour son inaction dans la précision de cette définition.
La commission des affaires européennes et le Sénat, comme à leur habitude, entendent contribuer à ces travaux : la résolution européenne Schillinger-Vasselle élargit ainsi la définition européenne.
Il est plus que nécessaire d'investir dans la recherche pour prévenir les dangers des perturbateurs endocriniens. Je salue la création, annoncée par la commission, d'un groupe d'experts de haut niveau.
N'allons pas interdire des perturbateurs endocriniens supposés, dont la disparition ferait baisser le rendement des pommes de terre et des betteraves de 30 à 40 %, faute de produits de substitution.
La résolution propose aussi d'améliorer la protection des enfants, en interdisant la pulvérisation des produits phytosanitaires à proximité des écoles.
Elle va globalement plus loin que le droit européen, trop loin même. Je ne la voterai pas. (Applaudissements à droite)
présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité . - Je connais l'engagement ancien et constant, toujours constructif de Mme Archimbaud, et tiens à saluer son travail.
Les perturbateurs endocriniens se trouvent en effet partout. Mais attention à ne pas confondre les perturbateurs endocriniens, dont les effets sont néfastes, avec toutes les substances qui ont une action sur le système hormonal. Les perturbateurs endocriniens provoquent des maladies - cancers, diabète, obésité, troubles de développement du cerveau - les femmes enceintes et les enfants y étant particulièrement sensibles. Les effets sanitaires peuvent être transgénérationnels, mais aussi affecter la faune et la flore alentour. J'y suis donc particulièrement sensible.
Les perturbateurs endocriniens coûteraient 150 milliards d'euros par an, soit 1 % du PIB européen. Les autorités publiques ont donc réagi. La stratégie française mobilise tous les leviers d'action : la recherche, avec des financements dédiés ; l'expertise, avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement, et du travail (Anses) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; la demande aux autorités européennes de mettre fin systématiquement aux Autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits à la dangerosité avérée ; l'information des professionnels et des usagers.
Le Gouvernement a également agi fortement pour supprimer le bisphénol A, dont les effets sur le cerveau, le système cardiovasculaire ou immunitaire sont désormais bien documentés. En 2015, son utilisation dans les produits en contact avec les mains - les tickets de caisse par exemple - a ainsi été interdite. La Commission européenne réfléchit à son interdiction ; elle est effective en France pour les biberons. Le 6 octobre 2016, le Parlement européen a voté l'objectif de sa disparition complète. Attention toutefois à s'assurer de l'innocuité des substituts, tel que le bisphénol S.
Il reste fondamental de soutenir la recherche, pour identifier précisément les perturbateurs endocriniens. Un appel à projets a été lancé, un colloque organisé, et les fonds du plan Europhyto seront mobilisés, a annoncé Mme Royal.
La Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE) a soutenu le programme de recherche à hauteur de 750 millions d'euros, par exemple, pour identifier les effets du BHA et du BHC, évoqués par l'UFC-Que Choisir.
Le 16 février 2017, quatre phtalates ont été identifiés comme perturbateurs endocriniens, ouvrant la voie à leur interdiction.
La reconnaissance réglementaire des perturbateurs endocriniens est indispensable, malgré les oppositions des industriels. C'est un outil prioritaire du Gouvernement. UFC-Que Choisir rappelle que les perturbateurs endocriniens sont encore nombreux dans les cosmétiques. La France demande que le règlement Reach reconnaisse le bisphénol A comme un perturbateur endocrinien. Hélas, la Commission européenne a retardé son action, ne présentant un nouveau projet de règlement qu'en 2016, après trois ans de retard et une condamnation par le tribunal de l'Union européenne. La France s'est beaucoup mobilisée pour redéfinir les perturbateurs endocriniens, espérant les exclure des pesticides et des biocides et incluant les substances supposées dans la définition.
Je salue la résolution européenne votée ici même la semaine dernière ; preuve que cette question de santé publique peut transcender les clivages partisans. Reste à faire évoluer la législation européenne.
Des discussions sont en cours sur les épandages à proximité d'habitations, d'écoles et d'hôpitaux. Le ministère a saisi les préfets et 70 arrêtés ont été pris. Depuis 2016, en outre, des zones de non-traitement peuvent être délimitées ; en 2019, l'utilisation des pesticides par les jardiniers amateurs sera interdite.
Je vous invite à voter cette résolution à une très large majorité. (Applaudissements à gauche)
À la demande du groupe écologiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°103 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l'adoption | 160 |
Contre | 144 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements à gauche)
La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 5.