Consommation (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant les ordonnances n°2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n°2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en oeuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services.
M. Martial Bourquin, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Le 17 janvier dernier, la CMP est parvenue à un accord à l'unanimité, et ses conclusions ont d'ores et déjà été adoptées par l'Assemblée nationale le 26 janvier. Ce projet de loi avait à l'origine une ambition limitée, bien qu'indispensable : donner force de loi à deux ordonnances relatives au droit de la consommation tout en apportant des corrections techniques à la recodification du code de la consommation. Le Sénat, en première lecture, y a ajouté des dispositions de fond votées dans le cadre de la loi Sapin 2 et censurées par le Conseil constitutionnel en tant que cavaliers législatifs ou contraires à la règle de l'entonnoir : aménagement des modalités du droit de rétractation en cas d'achat de métaux précieux, remboursement des frais et taxes aéroportuaires en cas d'annulation de transports aériens outre-mer et, surtout, droit de substitution annuel pour les contrats d'assurance emprunteur.
Cette dernière disposition faisait débat depuis des années. L'Assemblée nationale l'avait adoptée, dans le cadre de la loi Sapin 2, aussi bien pour les contrats en cours que pour les nouveaux contrats. Le Sénat, souhaitant lui aussi favoriser la concurrence sur ce marché, avait cependant limité cette mesure aux nouveaux contrats.
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cependant, une législation nouvelle peut affecter les contrats en cours à condition que cela réponde à un motif d'intérêt général suffisant et que la mesure soit proportionnée à cet objectif. Les conditions nous paraissant remplies, Audrey Linkenheld et moi-même avons proposé à la CMP d'étendre le droit de substitution aux contrats en cours, ce qu'elle a accepté.
Le motif d'intérêt général est double. Tout d'abord, nul ne le conteste, le marché de l'assurance emprunteur est oligopolistique, entre les mains des filiales des grands groupes bancaires, avec un taux de commissionnement de 40 à 50 euros pour 100 euros de prime, ce qui est économiquement injustifiable. Le droit de résiliation permettra aux titulaires des huit millions de contrats concernés, pour six milliards d'euros de primes, de bénéficier d'assurances moins chères, soit auprès d'un concurrent, soit en obtenant la renégociation de leur contrat. L'argent économisé pourra être réinvesti dans la consommation quotidienne.
Ensuite, la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation rend les consommateurs captifs. La durée des contrats d'assurance emprunteur s'allonge, en effet, avec celle des prêts immobiliers, et peut atteindre jusqu'à vingt ans. C'est contraire à l'esprit de la loi Chatel de 2005.
La mesure est d'autant plus proportionnée qu'elle ne s'appliquera qu'à partir du 1er janvier 2018, ce qui laissera aux professionnels le temps de s'adapter et assurera l'homogénéité entre les contrats : pour les nouveaux contrats, en effet, le nouveau droit de résiliation ou de substitution s'exercera à partir de 2018, puisqu'il existe déjà au cours des douze premiers mois depuis 2014.
Je vous invite donc à voter ce texte qui renforce les droits des consommateurs et rendra 3 milliards d'euros aux familles, accélérant la relance du bâtiment et favorisant l'accession à la propriété. C'est l'intérêt des familles, et c'est l'intérêt de notre économie. (Applaudissements à gauche)
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - Ce texte achève le toit de la grande maison des droits des consommateurs. La recodification du code de la consommation, préparée depuis une décennie et entrée en vigueur le 1er juillet, offre aux consommateurs plus de lisibilité sur leurs droits et aux entreprises plus de sécurité juridique.
S'agissant du crédit immobilier, la directive du 4 février 2014 a favorisé l'avènement d'un marché intérieur responsable, qui protège le consommateur, avec notamment une fiche d'information standardisée et une évaluation de la solvabilité de l'emprunteur.
Autres mesures qui sont le fruit d'un travail de qualité, que je tiens à saluer : le remboursement des taxes d'aéroport et les aménagements apportés au droit de rétractation en cas de vente de métaux précieux.
Sur le droit de substitution annuel de l'assurance emprunteur, le Gouvernement s'en remet à l'accord unanime trouvé en CMP, traitant indistinctement les nouveaux contrats et le stock de contrats en cours.
Je veux vous remercier pour vos travaux et souhaite que ce texte rencontre l'approbation la plus large. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Le Scouarnec . - Le projet de loi introduit de nouvelles obligations renforçant l'information des emprunteurs : information générale, fiche d'information standardisée, évaluation de la solvabilité, devoir d'alerte et de conseil, évaluation du bien acheté... C'est une bonne chose.
L'assurance emprunteur, elle, devait pouvoir être résiliée chaque année ; mais cette disposition de la loi Sapin 2 avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Or la concurrence fait défaut dans ce secteur : ce marché de 6 milliards d'euros est accaparé à 88 % par les banques, qui réalisent jusqu'à 50 % de marge, et l'assurance représente en moyenne 30 % du coût du crédit... Faire baisser les primes serait bienvenu en temps de crise.
Surtout, en laissant à l'emprunteur sa liberté de choix tout au long de la durée du contrat, on garantit l'effectivité du droit à l'oubli, comme le souligne UFC-Que Choisir. Car un emprunteur, ancien malade, peut devenir éligible au droit à l'oubli en cours de contrat ; pourquoi continuerait-il à payer des surprimes exorbitantes, jusqu'à 300 % de la prime de base ?
Vous le savez, nous ne sommes pas, par principe, friands d'ordonnances ; mais il est indispensable que le droit de substitution soit inscrit dans la loi. Le groupe CRC votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements à gauche)
M. Guillaume Arnell . - Si le rôle du Sénat est quelquefois mis en cause, sa contribution au présent texte illustre de manière éclatante son utilité et la qualité de ses travaux.
La CMP a adopté à l'unanimité l'amendement incluant les outre-mer dans le dispositif de remboursement des taxes aéroportuaires, en cas d'annulation de vol, dont elles avaient été exclues par erreur par la loi de transition énergétique : nous nous en réjouissons.
Sur l'assurance emprunteur, l'épilogue est heureux, après les longues controverses jurisprudentielles et doctrinales ayant suivi l'adoption des lois Lagarde, Hamon et Sapin 2. Il faut protéger les consommateurs contre le monopole des banques, qui pratiquent des taux exorbitants.
Les dispositions contenues dans les deux ordonnances sont variées et essentiellement techniques. La première entérine une réécriture du code à la consommation, renforçant l'intelligibilité et l'accessibilité d'un droit qui a beaucoup évolué depuis 1993. Il est désormais ordonné selon la chronologie de l'acte d'achat, tandis que les règles encadrant les pouvoirs de l'administration sont clarifiées et regroupées.
La seconde ordonnance, celle du 25 mars 2016, est relative aux contrats de crédit aux consommateurs. Elle transpose la directive du 4 février 2014, qui donne un cadre juridique commun aux crédits immobiliers et hypothécaires.
En mai 2016, le groupe RDSE avait approuvé la proposition de résolution affirmant la nécessité de protéger le système de crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle. De la même manière, notre groupe approuvera ce texte tel qu'il ressort des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, socialiste et républicain et écologiste)
M. Jean-Claude Luche . - Ces ordonnances étaient attendues et nécessaires. La refonte du code de la consommation, pour laquelle le Gouvernement avait déjà reçu habilitation en 2008 et 2010, n'avait pas abouti ; c'est chose faite depuis l'ordonnance du 14 mars 2016. Elle était devenue nécessaire, compte tenu des réformes successives et des nouvelles normes européennes. Le code a été rendu plus lisible pour les consommateurs et les professionnels, son organisation clarifiée, et des notions centrales comme celles de consommateur ou de professionnel ont été définies ; les procédures de contrôle de l'administration sont sécurisées. Je salue tout particulièrement le travail sur la partie réglementaire, avec notamment des annexes précieuses comportant un modèle de formulaire de rétractation, un modèle d'assurance emprunteur ou encore les informations à connaître avant de signer un contrat de crédit immobilier. Je pense aussi aux dispositions applicables au rachat de métaux précieux et à la création d'une nouvelle contravention pour sanctionner la détention, l'absence de retrait et de rappel des denrées alimentaires impropres à la consommation. Une table de concordance et l'accompagnement de la DGCCRF faciliteront la transition.
La seconde ordonnance transpose la directive du 4 février 2014, prise après la crise des subprimes, qui avait pourtant peu touché la France où le crédit hypothécaire est très peu développé. Il faut se réjouir néanmoins des nouvelles règles, qui améliorent encore l'encadrement du marché du crédit immobilier.
Le 9 mars 2016, la Cour de cassation censurait l'application aux contrats d'assurance emprunteur du droit de résiliation annuel prévu par le code des assurances. Il fallait trouver une solution équilibrée et conforme à la jurisprudence constitutionnelle, ce qui a été fait. Les prêteurs seront ainsi mis en concurrence sur un marché où les banques pratiquent des taux de marge de près de 50 %. Différer l'application de ce nouveau droit apaisera les inquiétudes des banquiers, même si cela ne paraît pas entièrement justifié pour le stock...
La réussite de cette réforme dépendra en définitive de l'information du consommateur.
M. Marc Daunis. - C'est vrai.
M. Jean-Claude Luche. - Trop souvent encore, l'assurance emprunteur est contractée de manière automatique, en même temps que l'emprunt. Et les prêteurs sont réticents à accepter les substitutions - c'est un ancien employé de banque qui vous le dit...
Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC, socialiste et républicain, RDSE et écologiste)
M. Jean Desessard . - Je ne voudrais pas répéter les arguments excellemment avancés par les précédents orateurs. Un point cependant...
M. Marc Daunis. - Ah !
M. Jean Desessard. - Fin décembre, nous avons eu de vifs débats sur la rétroactivité du droit de substitution de l'assurance emprunteur, autrement dit son application au stock des contrats en cours. La proposition de notre rapporteur, que je remercie, a permis de surmonter les réticences en laissant un temps d'adaptation aux banques ; elle a été adoptée à l'unanimité par la CMP, ce qui assoit la position du Parlement face au juge constitutionnel.
Comme le disait Joël Labbé, le motif d'intérêt général justifiant la rétroactivité existe bel et bien, malgré l'agitation du puissant monde bancaire. Il oppose le risque de démutualisation, mais l'argument vaudrait aussi bien pour les nouveaux contrats.
Le groupe écologiste votera le texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Delphine Bataille . - La CMP, ce n'est pas si fréquent, a voté unanimement en faveur de ce texte qui offre de nouveaux droits à nos concitoyens. La première ordonnance ratifiée, consensuelle, recodifie à droit constant le code de la consommation pour plus de lisibilité, tout en harmonisant les pouvoirs de contrôle de l'administration pour plus de sécurité juridique et d'efficacité. Rendre le droit de la consommation plus accessible et plus sûr, c'est augmenter le pouvoir d'achat et faciliter l'exercice de nouveaux droits, comme l'action de groupe.
La seconde ordonnance transpose la directive favorisant l'émergence d'un marché unique du crédit immobilier. Elle améliore la protection du consommateur et crée un statut européen pour les intermédiaires. Le crédit immobilier est très encadré en France, mais les nouvelles obligations n'en sont pas moins bénéfiques pour les emprunteurs.
L'assurance emprunteur obligatoire, qui protège les emprunteurs contre les risques de la vie et garantit aux prêteurs le remboursement du capital, est très importante. La loi Sapin 2 avait ouvert un droit de substitution pour les contrats en cours ou à venir, mais le Conseil constitutionnel y avait vu un cavalier législatif. De nombreux parlementaires sont néanmoins restés mobilisés.
La loi Consommation de 2014 a amélioré l'information de l'emprunteur, lui a donné la liberté de choisir son assureur, à condition que le contrat choisi offre les mêmes garanties que celui proposé par la banque, mais aussi la possibilité de substituer un nouveau contrat sans frais ni pénalités au cours des douze premiers mois, afin d'encourager la concurrence dans un secteur où les tarifs sont très élevés : les primes peuvent représenter 30 à 40 % du coût de l'emprunt, voire plus de 50 % pour un prêt à taux zéro. Mais les dispositions de la loi Consommation ne sont pas suffisamment utilisées, faute pour les consommateurs d'information et de temps pour exercer leur droit.
Or les marges sont très importantes : huit millions d'emprunteurs sont concernés. Merci donc à M. Bourquin pour son travail.
Le Sénat, en première lecture, avait restreint ce droit aux seuls contrats nouveaux. Mais il est loisible au législateur de modifier des contrats en cours pour des motifs d'intérêt général. Nous nous félicitons de l'accord trouvé en CMP, grâce à nos rapporteurs et au soutien de Yannick Vaugrenard.
Dès 2018, ce marché oligopolistique sera ouvert à de nouveaux acteurs ; des personnes malades pourront renégocier leurs primes. Le groupe socialiste et républicain votera ce texte qui redonnera du pouvoir d'achat aux ménages. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Daniel Gremillet . - Revenons sur un point qui nous occupe depuis plusieurs mois, donnant lieu à quelques passes d'armes : le droit de substitution d'un contrat d'assurance emprunteur. Je salue cette avancée considérable, notamment pour des personnes en risque aggravé.
Certains avaient voulu raccourcir les étapes de notre décision. Pour ma part, j'y vois la preuve du sérieux du Sénat, qui devait prendre le temps de la réflexion. Nous ne disposons toujours pas de l'étude d'impact promise, cela devrait venir ce printemps.
D'un point de vue de la procédure parlementaire, d'une part, il pourrait être difficile de légiférer sur ce point après la loi de 2014 sur les études d'impact. Nous avons, d'autre part, été confrontés à la règle de l'entonnoir. Mais la commission des affaires économiques a pris le temps de réfléchir à la possibilité d'une application du droit de substitution aux contrats en cours. À la suite de cette réflexion, nous avons décidé de ne pas l'autoriser en l'état.
C'est encore une fois la sagesse du Sénat qui permit le succès de cette commission mixte paritaire.
M. Charles Revet. - Et oui, le Sénat apporte beaucoup !
M. Daniel Gremillet. - Les députés eux-mêmes l'ont reconnu, il était préférable de ne pas permettre une substitution des contrats en cours tout de suite. La rédaction retenue permet de toucher tous les emprunteurs. Je me réjouis grandement de cet accord en CMP.
On a parlé d'un gain de trois milliards d'euros. Dans un tel contexte, on sait bien que ce sont les initiés qui seront les plus réactifs. Les plus fragiles financièrement risquent fort de ne pas oser aller voir leur banque, par crainte de remettre en cause l'emprunt qui a leur permis d'accéder à la propriété - le projet d'une vie.
Avec la convention Aéras a été dressée une liste de pathologies ne donnant pas lieux à une majoration. Le monde des assureurs doit l'appliquer.
Je propose que le groupe de travail se réunisse dans quelques mois pour tirer le bilan de cette belle avancée. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Marc Daunis. - Très bien !
La discussion générale est close.
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
En conséquence, le projet de loi est adopté définitivement.
M. Charles Revet. - Belle unanimité !