Accession du Monténégro à l'OTAN (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro.
Discussion générale
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Ce projet de loi autorise la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord, signé à Bruxelles le 19 mai 2016 sur l'adhésion du Monténégro à l'OTAN. Il concourt à nos efforts de stabilisation des Balkans après l'adhésion de la Slovénie et Slovaquie en 2004, de la Croatie et de l'Albanie en 2009. Il représente également un gage de stabilité pour le Monténégro. L'enjeu est de première importance pour la sécurité européenne dans son ensemble. Notre pays a une responsabilité historique particulière à cet égard. Le succès du sommet des Balkans réuni à Paris, dans le cadre du processus de Berlin, à l'invitation du président de la République le 4 juillet dernier s'inscrit dans cette ligne.
Le Monténégro, dès le lendemain de son indépendance, en juin 2006, a signifié sa volonté de se rapprocher de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et d'en devenir membre. Ce pays a mené d'importantes réformes, des forces armées, en augmentant son effort de défense, à 1,7 %, légèrement en deçà de l'objectif de 2 % fixé par les alliés, mais aussi des services de renseignement et dans le domaine de la justice, pour renforcer son indépendance, lutter contre la corruption et garantir l'État de droit. Acte a été donné de son progrès aux sommets de Lisbonne en 2010 et de Chicago en 2012.
Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN des 1er et 2 décembre 2015, les alliés ont pris par consensus la décision d'inviter le Monténégro à engager d'ultimes pourparlers en vue de son adhésion, qui ont abouti à la signature du protocole le 19 mai 2016. Le Monténégro a participé en tant qu'invité au sommet de l'OTAN en juillet 2016. À ce jour, 21 pays sur 28 l'ont déjà ratifié.
Cette adhésion sera bénéfique pour la France, en raison du rôle du pays dans les Balkans occidentaux. Le Monténégro s'est séparé pacifiquement de la Serbie le 3 juin 2006 et son indépendance a été reconnue immédiatement par l'ensemble de la communauté internationale.
Entre la Croatie et l'Albanie, l'appartenance du Monténégro à l'OTAN assurera sa continuité littorale le long de la côte adriatique qui a son importance stratégique. Le Monténégro participe déjà à des opérations avec l'OTAN à l'étranger, en Afghanistan ou au Mali.
La France a veillé à ce que l'adhésion du Monténégro à l'OTAN ne rime pas avec une relance de la politique dite « de la porte ouverte ». Pour la France, l'élargissement de l'OTAN n'est ni une priorité ni une fin en soi. Il s'agit d'une décision souveraine des pays souhaitant l'adhésion et de l'Alliance d'accepter ou non cette adhésion. Nul État tiers n'a de droit de regard sur cette décision.
Nous avons obtenu, conformément aux principes retenus par le sommet de Varsovie, des conditions pour l'examen des candidatures d'autres pays qui ne feraient pas consensus ; afin qu'elles soient évaluées, notamment, en fonction de leur capacité à assumer les responsabilités et obligations liées au statut de membres et à contribuer à l'effort de défense euro-atlantique.
L'élargissement de l'OTAN, complémentaire, mais clairement distinct de celui de l'Union européenne, répondait à la demande de sécurité du continent européen et en particulier à celle des anciens pays membres du pacte de Varsovie. Nous continuons à refuser, vingt-cinq ans plus tard, le partage de l'Europe en plusieurs zones d'influence. L'adhésion du Monténégro à l'OTAN ne préjuge en rien de son accession à l'Union européenne, dont le processus est toujours en cours, selon des critères distincts, même si certains d'entre eux se recoupent.
Jugez donc ce projet, que je vous demande d'approuver, après l'Assemblée nationale, pour ce qu'il est, circonscrit au Monténégro, dont l'adhésion sera positive pour la sécurité des Balkans occidentaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Marie Bockel applaudit également)
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Peu après son indépendance en 2006, le Monténégro a choisi de rejoindre la communauté euro-atlantique. Ce pays multiethnique et multiconfessionnel y voit une garantie de sa sécurité et de sa stabilité. L'adhésion du Monténégro s'inscrit dans la politique de la porte ouverte envers les pays d'Europe de l'Est, pour garantir la paix et la stabilité du continent.
L'adhésion du Monténégro est la dernière étape du processus lancé par le sommet de Bucarest en 2008, dont la mise en oeuvre a été problématique. La Croatie et l'Albanie ont adhéré à l'OTAN. Le Monténégro, seul pays à remplir les conditions posées à l'adhésion, parmi les autres candidats, a fourni de nombreux efforts, notamment pour lutter contre la corruption, reconnus dès décembre 2009 par les alliés, qui engagèrent alors les négociations aboutissant à leur feu vert en décembre 2015.
Le Monténégro a engagé un plan de modernisation de ses forces armées, entièrement dirigé vers l'objectif de l'adhésion à l'OTAN. Il participe à l'opération Resolute Support en Afghanistan, ou à l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie.
Son adhésion renforcera la continuité de la présence otanienne sur la côte adriatique. Laisser à l'écart le Monténégro après l'intégration de la Croatie et de l'Albanie n'aurait guère de sens. Si l'adhésion est stratégiquement fondée, elle a fait l'objet de débats, la minorité serbe y étant hostile, parce qu'elle gardait un souvenir cuisant des bombardements de l'OTAN sur la Serbie. Les législatives du 16 octobre 2016 ont été remportées par les partisans de l'adhésion.
En outre, la Russie considère que l'expansion de l'OTAN représente un danger pour sa sécurité - le premier même, selon sa nouvelle doctrine militaire.
Le rapport de Robert del Picchia, Josette Durrieu et Gaétan Gorce, de 2015 sur les relations avec la Russie montre que l'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne joue un grand rôle dans la dégradation des relations avec la Russie. Toutefois, en l'occurrence, l'opposition de la Russie porterait surtout une question de principes.
Après réflexion et débat, la commission des affaires étrangères propose de ratifier cette adhésion, pour renforcer la stabilité de la région balkanique, tout en renforçant la présence de l'OTAN.
À l'heure où M. Trump vient d'être élu, un refus dirigé à l'encontre de ce petit pays qui manifeste une volonté sincère de s'intégrer, dont la France porterait la responsabilité, parce qu'elle serait le premier pays membre de l'alliance à l'exprimer, serait aussi un mauvais signal.
En revanche, cette adhésion, dont il faut souligner qu'elle n'est en aucune manière dirigée contre la Russie, doit, à notre sens, être la dernière, il faut clairement s'y engager.
Il est, par ailleurs, nécessaire de poursuivre les efforts de dialogue et de coopération avec la Russie dans le cadre du Conseil OTAN-Russie qui, après avoir suspendu ses activités en raison de la crise ukrainienne, a tenu trois réunions durant l'année 2016, ce qui est un signe encourageant.
Enfin, il faut souligner, comme l'a fait justement le ministre, que l'adhésion du Monténégro à l'OTAN ne préjuge en rien de son adhésion à l'Union européenne.
Je vous propose d'adopter le présent projet de loi. (Quelques applaudissements)
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Bernard Vera . - L'adhésion du Monténégro à l'OTAN est le prolongement d'une dynamique expansionniste vers l'Est, en dépit des accords conclus avec M. Gorbatchev en 1990, et de ceux qui ont suivi.
Cette expansion isole la Russie, nous entraîne dans une logique de guerre froide, dans une spirale de tensions dangereuses. Le ministre des affaires étrangères allemand, M. Steinmeier, s'en inquiète, à juste titre, considérant que « celui qui croit augmenter le niveau de la sécurité avec des parades de chars sur le front Est de l'Alliance, se trompe ».
Après le retour de la France dans le commandement intégré de cette organisation, puis la ratification du protocole de Paris sur l'OTAN, la France a renoncé à son indépendance, notre diplomatie se conformant à une vision atlantiste, impossible à concilier avec une politique promouvant la paix et la coexistence pacifique. Il est temps, à l'heure où M. Trump est devenu président des États-Unis, et remet en question la clause d'assistance mutuelle, que la France retrouve enfin sa propre voix et son indépendance.
La course aux armements ne peut qu'aggraver les conflits. L'ONU a plus que jamais un rôle médiateur à jouer face à l'accroissement des tensions.
Persuadés que la résolution des conflits doit s'appuyer sur les résolutions de l'ONU, convaincus que l'OTAN et sa course à l'armement ne peut que conduire à la multiplication des conflits, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean-Noël Guérini . - Ce protocole s'inscrit dans la politique de « porte ouverte », faisant accéder à l'OTAN les pays issus de l'ex-pacte de Varsovie.
L'adhésion du Monténégro peut faire débat. Mais nul ne peut nier ses progrès en matière militaire - il participe déjà aux opérations en Afghanistan notamment - ou pour garantir l'État de droit - les élections législatives ont vu la victoire des partisans de l'adhésion.
La Russie est cependant inquiète de cet élargissement. Si le cas du Monténégro peut encore passer, nous savons qu'il en sera autrement pour d'autres candidats, en particulier la Géorgie, l'Ukraine et la Serbie.
Puisque 21 des 29 membres ont déjà ratifié ce texte, difficile néanmoins de ne pas le faire à notre tour. Cela ne nous interdit pas toutefois de prévoir des réserves pour les élargissements suivants et de préciser qu'il ne s'agit nullement d'une agression envers la Russie. Dans le contexte de tensions actuelles, nul besoin de provoquer (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Jean-Marie Bockel applaudit aussi)
M. Jean-Marie Bockel . - Le Monténégro a affirmé en une décennie son indépendance. Les opposants à l'adhésion à l'OTAN ont été battus aux législatives. Ce pays progresse dans la voie de la démocratie, c'est à souligner dans la région. Il est entré en négociations avec l'Union européenne en vue de son adhésion il y a un peu plus de quatre ans - mais il s'agit d'un sujet distinct.
L'adhésion du Monténégro permettra à l'OTAN de mieux stabiliser les Balkans et de renforcer la continuité de son action sur le littoral ouvrant des capacités d'intervention au Kosovo, en Bosnie et en Serbie.
Le Monténégro voit sa sécurité renforcée. L'on nous soumet ici un accord clairement « gagnant-gagnant ». Il fallait aussi préciser que l'OTAN n'a pas vocation à s'étendre au-delà, pour ne pas inquiéter outre mesure la Russie.
L'arrivée de M. Trump nous oblige à trouver les voies d'une défense européenne, qui ne repose pas uniquement sur l'OTAN. Je tenais à le signaler en votre présence, monsieur le ministre. Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements de MM. Xavier Pintat, rapporteur, et Christian Cambon)
Mme Leila Aïchi . - Ce texte s'inscrit dans un contexte particulièrement troublé. Les propos virulents de M. Trump contre l'OTAN et le positionnement européen posent question. En outre, du point de vue de la Russie, l'adhésion du Monténégro est considérée comme une provocation.
S'il est vrai que les partenariats du Monténégro avec l'OTAN, pour la paix, et avec l'Union européenne, permettront au Monténégro de renforcer sa démocratie, il faut avoir conscience que notre défense ne peut reposer uniquement sur l'OTAN.
N'est-il pas temps d'avancer enfin vers une défense européenne, en faveur de laquelle je plaide inlassablement, d'actualiser notre stratégie de sécurité ? Alors que le modèle européen est en proie à des déstabilisations de toute part n'est-il pas temps de dépasser les déclarations d'intentions et d'avancer concrètement sur ce dossier ? Je rappelle à nouveau l'importance d'une Europe, acteur politique stratégique autonome, mettant le poids de son influence au service du système de sécurité collective pour la prévention et la résolution des conflits.
Considérant que l'OTAN est un frein à une telle défense européenne, le groupe écologiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)
M. Gilbert Roger . - Après les adhésions de la Bulgarie et de la Slovénie en 2004, de la Croatie et de l'Albanie en 2009, l'adhésion du Monténégro sera un gage de stabilité pour les Balkans. Elle lui permet de consolider sa transition démocratique, d'assurer l'État de droit, de lutter contre les corruptions. Le Monténégro participe déjà à des opérations militaires en lien avec l'OTAN et l'Union européenne. Il a fait le choix de l'Europe, en adoptant l'euro dès sa création et en postulant aussitôt à l'adhésion à l'Union européenne. L'adhésion à l'OTAN a recueilli l'accord de 60 % de la population.
La Russie a dit s'y opposer mais le pays n'a jamais été inclus dans le territoire de la périphérie russe ou soviétique, contrairement à l'Ukraine et à la Géorgie ; la Russie a également déclaré officiellement qu'elle respecterait le choix du Monténégro.
Cette adhésion ne préjuge en rien d'autres adhésions : la Macédoine, la Bosnie, l'Ukraine ou la Géorgie ne sont pas prêtes à adhérer à l'OTAN.
Cet éloignement ne préjuge en rien non plus des relations avec l'Union européenne. Aussi la majorité du groupe socialiste, sauf quelques abstentions, dont celle de Mme Jourda, votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Marie Bockel applaudit également)
M. Jacques Legendre . - Je m'exprime ici à titre personnel, bien que sur le temps de parole de mon groupe. Je salue la qualité du rapport de M. Pintat, sur un sujet complexe. L'adhésion du Monténégro peut paraître mineure, vu sa taille : avec 1 850 hommes sous les drapeaux, on peut légitiment s'interroger sur sa capacité à contribuer à la sécurité de l'espace euro-atlantique, pour reprendre l'un des critères du traité.
Mais c'est le contexte stratégique qui pose question. Certes les agissements inacceptables de la Russie en Ukraine appelaient des sanctions. Toutefois, il n'est dans l'intérêt de personne d'aggraver les tensions. La Russie perçoit l'extension de l'OTAN comme une menace. Il n'est pas question de donner à la Russie un droit de regard sur l'OTAN ni de partager l'Europe en sphères d'influence.
Nous ne pouvons pas, pour autant, ne pas prendre en compte les préoccupations d'un acteur majeur de la sécurité européenne, qui doit devenir un partenaire solide. Les liens culturels et économiques entre le Monténégro et la Russie sont anciens et forts. Même si le Monténégro n'a pas la même importance stratégique que l'Ukraine, cette adhésion complique les relations Est-Ouest.
De plus, l'adhésion à l'OTAN est souvent perçue comme un premier pas vers l'accession à l'Union européenne : les précédents ont tous débouché sur une adhésion à l'Union européenne, sauf l'Albanie. Disons-le d'emblée, nous ne pouvons donner aucune perspective d'adhésion au Monténégro, que ce soit à court ou à moyen terme. La capacité d'absorption de l'UE est aujourd'hui totalement saturée, même s'agissant d'un petit pays, et l'Union doit en priorité concentrer ses efforts sur la redéfinition de son projet et de son fonctionnement avant de songer à s'élargir. Évitons de reproduire les erreurs des années 2000 !
D'ailleurs, si le Monténégro a fourni des efforts pour consolider l'État de droit et lutter contre la corruption, il est encore bien loin de répondre aux critères d'adhésion à l'Union européenne.
Évitons donc toute précipitation. Je reste circonspect à l'égard de l'adhésion du Monténégro à l'OTAN, que je ne soutiens pas.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. le président. - Le vote sur l'article unique vaudra vote sur l'ensemble du texte.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je comprends les propos personnels de M. Legendre, mais le texte d'aujourd'hui concerne bien l'adhésion à l'OTAN, et aucunement à l'Union européenne.
On critique la corruption du Monténégro, alors qu'un rapport de Transparency International établit qu'il est l'un des États les moins corrompus des Balkans, et qu'il l'est peut-être moins que certains États membres de l'Union européenne.
C'est un petit pays, avec moins de 2 000 soldats, mais il participe à de nombreuses opérations internationales. Acceptons-nous la pression de Moscou, ou même de Trump ? Serons-nous le premier pays à refuser cette adhésion ? Prenons garde à l'importance et au sens de notre vote : je vous invite à voter ce texte.
L'article unique est adopté ; en conséquence, le projet de loi est définitivement adopté.