Égalité réelle outre-mer (Procédure accélérée - Suite)
Mme la présidente. - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Discussion générale (Suite)
Mme Lana Tetuanui . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) L'intitulé du projet de loi qui nous réunit est idéaliste, voire utopique compte tenu des particularités géographiques et économiques des territoires d'outre-mer. Je retiens toutefois l'objectif honorable et vertueux de convergence. Nous avons beau habiter l'océan Pacifique, nous sommes Français et prétendons aux mêmes droits car nous respectons les mêmes devoirs inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme.
Il est bien risqué d'attendre les dernières semaines de la législature pour présenter un texte dont le succès dépend des modalités d'application et des moyens budgétaires qui lui seront consacrés. Le constat est sévère mais indéniable.
Ce projet de loi s'appuie sur le rapport de Victorin Lurel qui a mis en exergue des écarts considérables de développement. Le Gouvernement de ma collectivité, présidé par Édouard Fritch, met tout en oeuvre pour les réduire.
La Polynésie française se distingue d'abord par le fait nucléaire, ensuite par son statut. Notre large autonomie, depuis 1984, nous place hors champ de la plus grande part de ce projet de loi - je rends d'ailleurs hommage aux parlementaires polynésiens qui se sont battus pour elle. Par solidarité, je ne m'opposerai pas aux avancées qu'il contient, notamment pour Mayotte. Quelques-unes de ses mesures sont au bénéfice de la Polynésie française : la prise en charge des frais de rapatriement ou de voyage pour le décès d'un proche, la reconnaissance de nos handicaps structurels liés à notre isolement, notre superficie et notre vulnérabilité face au changement climatique ou encore le maintien d'une offre de transports continus et réguliers avec la Métropole.
Mes amendements porteront notamment sur l'intégration du principe d'accès à la formation professionnelle - c'est une requête du patronat polynésien -, le dispositif « passeport talent » pour attirer des investisseurs ou encore la possibilité de bénéficier de l'expertise de l'ANRU.
Cela dit, je ne vous cacherai pas que les priorités de la Polynésie française sont tout autres : signature des accords de Papeete, sanctuarisation de la dotation globale d'autonomie promise par François Hollande et indemnisation des victimes des essais nucléaires.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
Mme Lana Tetuanui. - Un plan de convergence ? Pourquoi pas... Nous n'avons pas eu besoin d'une loi pour adopter, dès les années quatre-vingt-dix, un pacte de progrès. A chaque collectivité d'outre-mer sa démarche. Néanmoins, je suivrai la ministre en soulignant combien nos commissions ont amélioré le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Serge Larcher . - C'est avec émotion que je m'adresse à vous. Hasard du calendrier, je prends, peut-être, la parole dans cet hémicycle pour la dernière fois.
Le président François Hollande s'était engagé à encourager un nouveau modèle de développement de l'outre-mer. Oui, c'est en partant de nos handicaps structurels que l'on pourra mobiliser nos atouts et notre potentiel au sein de la République.
La longue conquête de l'égalité formelle n'a pas mis fin aux écarts économiques et sociaux. Les solutions insatisfaisantes apportées jusqu'ici ont alimenté le sentiment d'un outre-mer vivant sous perfusion. À ceux qui le pensent, je réponds que notre destin est lié à celui de la France. Nous étions dans les tranchées de Verdun, nous avons combattu l'arbitraire du gouvernement de Vichy, nous avons grossi les rangs de la France libre et ceux de la Résistance ; nous avons payé l'impôt du sang.
L'égalité réelle implique un changement de paradigme : mettre fin au saupoudrage de dispositifs dérogatoires pour assurer une véritable égalité des chances. L'égalité réelle rend effective l'égalité de principe.
Condorcet, le premier, dans ses Cinq mémoires sur l'instruction publique, a identifié l'éducation comme le levier prioritaire de l'égalité de fait, et à sa suite, Jules Ferry en 1870.
Le concept a été approfondi par John Rawls puis par Amartya Sen. Il est nécessaire, disent-ils, de créer les conditions sociales de l'égalité par la prévention du développement des inégalités.
L'article 12 crée un fonds de continuité pour faciliter le retour des ultramarins au pays ; l'article 34 prévoit des mesures pour attirer les jeunes talents et favoriser les investissements dans les territoires. L'article 10 septies, qui reconnaît la pluriactivité, constitue une avancée notable.
Pas de développement sans plan Marshall de la formation, nos territoires souffrant d'un échec scolaire et d'un taux de chômage dangereux pour le vivre ensemble.
Les entreprises ont moins besoin de subventions que de dispositifs pérennes. L'article 51 crée des zones franches globales, c'est une bonne chose. Reste à s'assurer que les mesures prises ne soient pas mises en cause à chaque changement de gouvernement.
Enfin, la reconnaissance par la France et l'Europe de la spécificité des territoires d'outre-mer doit demeurer notre objectif commun. C'est à cette condition que nous atteindrons l'égalité réelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Abdourahamane Soilihi . - Ce texte a fait l'objet d'une belle unanimité à l'Assemblée nationale le 11 octobre. Saluons la recherche de ce compromis qui a présidé à l'action de la commission des lois.
Ce texte définit un principe, une méthodologie et les instruments pour atteindre l'égalité réelle : le plan de convergence à dix-vingt ans et une stratégie de rattrapage de long terme.
Une attention particulière est portée à Mayotte. L'île a effectué son entrée dans le droit commun en janvier 2014 avec des bases de calcul des valeurs fiscales qui, parce qu'elles ne reflètent pas les réalités mahoraises, pénalisent lourdement les ménages et les entreprises.
L'harmonisation des institutions publiques à Mayotte n'est pas une option, c'est une exigence absolue. La loi du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte a institué, en dépit de son intitulé, une « collectivité unique » exerçant les compétences d'un département et celles d'une région d'outre-mer. Les insuffisances institutionnelles actuelles l'empêchent d'assurer leur plein exercice.
Je souhaite que l'Etat prenne en compte la situation du conseil départemental, des communes et enfin, des EPCI pour compenser les charges liées aux difficultés de gestion dont les collectivités sont victimes.
Transcrire Mayotte 2025 dans ce texte est prématuré. Il faut auparavant soustraire Mayotte à la catégorie des collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution pour l'insérer dans les collectivités régies par l'article 73. Ainsi le recensement, base du calcul des dotations, n'est pas mis en place de manière satisfaisante. Le Gouvernement avait promis des solutions rapides en 2017, il n'en a rien été. Stopper l'immigration illégale est un devoir, après les événements de 2016. La coopération régionale, moyen le plus sûr de juguler les flux, est obstinément refusée par les Comores. Il est urgent de désorganiser les réseaux, qui détournent le droit du sol, organisant des accouchements à la maternité de Mayotte et des reconnaissances frauduleuses de paternité. Il est urgent de prendre des mesures sévères : l'accaparement des terres par les clandestins suscite de violents conflits. Tant la paix sociale que l'économie sont fragilisées par cette migration massive. Renforcement des contrôles en mer et des reconduites à la frontière, faisons entendre aux clandestins qu'ils ne sont pas en territoire conquis. Le système d'asile est engorgé, au détriment des personnes qui ont réellement besoin d'une protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Les intentions sont louables mais que de retard ! En 2015, lors d'un débat sur l'octroi de mer, j'avais souligné combien cette taxe sur l'insularité qui pousse les administrations à une rationalisation de leurs consommables, une gestion plus tendue et, donc, à une moindre capacité de l'action publique.
L'égalité formelle de la déclaration de 1789 perd son sens lorsque tous ne bénéficient pas des mêmes conditions matérielles d'existence. Aussi l'égalité réelle ne peut-elle signifier que deux choses : égalité des chances et égalité d'accès aux biens et services.
La République étant une et indivisible, fallait-il un texte spécifique sur les outre-mer, constitué de 116 articles hétérogènes, suggérant qu'ils forment un ensemble uniforme ? À mon sens, mieux vaudrait traiter de ces territoires dans chaque texte de loi. Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre Mayotte, avec une densité de population cinq fois supérieure à la Métropole et confrontée à des problèmes migratoires considérables, la Guyane et sa superficie de 80 000 km2 de surface et la Polynésie dont le territoire est grand comme l'Europe avec seulement 1 % de terres immergées ?
L'égalité réelle, c'est aussi mettre fin aux disparités artificielles, notamment les avantages réservés aux fonctionnaires d'outre-mer. Ils sont un frein à l'initiative privée, ils renchérissent le coût de la vie pour tous, à commencer pour les plus pauvres.
Ce texte n'est pas dénué d'ambition, mais il est sous-dimensionné, notamment dans le domaine économique. L'élaboration du plan de convergence sera un défi.
Notre groupe UDI-UC forme le voeu, en ce début d'année 2017, que l'ambition de ce texte soit réalisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également)
Mme Karine Claireaux . - Diversité, richesse, potentiel : voilà les qualités des territoires d'outre-mer. De l'Arctique au Pacifique en passant par le canal du Mozambique, notre pays est la première puissance maritime mondiale. Mais la géographie ne fait pas le développement, en témoignent les écarts considérables de niveau de vie entre les outre-mer et la Métropole.
Pour faire des outre-mer des avant-garde de la République dans la mondialisation, l'égalité réelle est indispensable. Le projet de loi comporte des mesures heureuses, notamment les plans de convergence, malheureusement détricotées par la commission contre l'avis des ultramarins. Je déposerai nombre d'amendements de rétablissement, sur la prise en compte des spécificités ultramarines au sein du Conseil d'orientation des retraites ou de la stratégie nationale de santé, par exemple.
Je regrette qu'aucun accord sur la réforme de la sécurité sociale à Saint-Pierre-et-Miquelon n'ait été trouvé, empêchant l'examen du projet d'ordonnance en conseil des ministres le 11 janvier dernier, même si j'ai bien pris note de votre amendement.
Je salue les dispositions prometteuses, notamment de l'extension des bénéficiaires de l'assurance-vieillesse aux parents au foyer sur notre territoire ou encore de la création d'une aide au fret et je me réjouis de l'éligibilité de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy à la troisième part du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion.
La continuité territoriale est enfin, pour nous, primordiale ; les ultra-marins ne doivent pas être soumis au bon vouloir d'une puissance étrangère. Nos amis danois et néerlandais y parviennent dans tous leurs outre-mer, pourquoi pas nous ?
Vivant à la périphérie, nous finirons, grâce à vous, par arriver au coeur de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Georges Patient . - Le mot « réel », ajouté à celui d'égalité appliqué aux outre-mer dérange, voire gêne, ceux pour qui appliquer l'égalité aux outre-mer est déjà bien suffisant.
Je sais que la Constitution ne reconnaît que l'égalité tout court, mais celle-ci n'est pas appliquée. Il fallait réveiller les consciences, tant les inégalités demeurent vivaces. Avec ce texte, l'égalité prend force de loi.
Certains limitent l'aspiration à l'égalité à une demande d'assistanat à outrance. Ce texte fait tout le contraire, puisqu'il donne aux outre-mer les moyens d'un développement économique autonome dans la reconnaissance de leurs spécificités. Il existe plusieurs outre-mer, non un outre-mer.
La Guyane est ainsi trop souvent assimilée aux économies insulaires ultramarines, alors que, continentale, elle s'étend sur près de 84 000 km2, soit plus que toutes les autres collectivités d'outre-mer réunies. Elle dispose de ressources naturelles et d'une démographie dynamique. Un plan de convergence reconnaîtra ces spécificités.
Survivance coloniale, 95 % du foncier appartient à l'État, qui refuse de la cadastrer, qui s'exonère de toute taxe et néglige l'exploitation en dépit de ressources nombreuses.
Je compte aussi sur cette loi pour supprimer les discriminations financières, en particulier sur l'octroi de mer, minoré d'un prélèvement important pour la collectivité de Guyane.
Ce texte traduit la volonté de l'engagement du président de la République que je tiens à saluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Guillaume Arnell applaudit aussi)
M. Jacques Cornano . - Cité par le rapport de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Aimé Césaire disait « L'égalité est ou n'est pas ; elle ne se dilue pas ». En Guadeloupe, je vous le dis franchement, l'égalité n'est pas car la continuité territoriale ne s'y applique pas. Développement endogène, plans de convergence : cela forme un beau programme mais je crains qu'il ne se déroule pas de manière égalitaire.
Depuis 1946, aucun gouvernement n'a reconnu le caractère archipélagique de la Guadeloupe. Le candidat Hollande l'avait pourtant promis. J'ai multiplié depuis 2012 les démarches pour réduire les contraintes à l'insularité. Ce texte est une réponse tardive. En attendant, la population de Marie-Galante est passée de 30 000 à 10 000 habitants, et le sentiment d'impuissance est fort.
Que le Gouvernement reconnaisse la continuité territoriale de la Guadeloupe et de la France hexagonale. Nos territoires, qui souffrent d'une triple insularité, reçoivent moins à ce titre que la Corse...
J'ai des difficultés, dans ces conditions, à me projeter dans l'égalité réelle promue par ce texte. J'attends de connaître la position du Gouvernement sur la continuité territoriale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Ericka Bareigts, ministre . - Je salue votre expression très libre.
Monsieur le rapporteur, nous travaillons, comme vous, jusqu'au bout ; c'est à l'honneur du Sénat et du Gouvernement. Tous les bancs l'ont remarqué, sur l'accompagnement de Mayotte notamment. Ce n'est pas suffisant : il faut un changement de méthode.
La problématique énergétique, Madame Archimbaud, a été abordée dans la loi de transition énergétique, à travers les programmations pluriannuelles de l'énergie pour chaque territoire, assorties d'objectifs de développement d'énergie propre. Elle n'avait donc pas sa place dans ce projet de loi.
Madame Hoarau, nous, à La Réunion, avons été privés de lois d'habilitation, et c'est bien dommage, mais cela ne nous empêche pas de prévoir des plans de convergence : la Constitution l'autorise, à titre expérimental. C'est même une nécessité !
Il n'y aura pas de développement économique sans développement humain, c'est-à-dire sans éducation, sans formation, sans ouverture au monde par la multiplication des échanges. Il y a soixante-dix ans, le seul lien vers le monde extérieur était l'Hexagone : jeunes et chefs d'entreprises n'envisageaient pas - et n'envisagent toujours pas - la collaboration avec l'Afrique, l'Asie ou l'Amérique.
C'est sans doute pourquoi le rapporteur de la commission des lois a conservé le rapport sur les connectivités, qui est à cet égard fondateur. Il faudra, par exemple, ouvrir notre ciel, élargir les horizons de nos compagnies aériennes.
La question du caractère archipélagique de certains territoires renvoie à celle des compétences - nous aurons ce débat.
Monsieur Robert, je me réjouis de vous voir sur ces bancs - ce qui donne à certains de vos collègues l'occasion de vous rencontrer.
M. Éric Doligé. - C'est bas.
Mme Ericka Bareigts, ministre. - Je tiens à vous dire que la caricature et l'insulte ne transforment pas le mensonge en vérité. Je n'entends nullement museler le débat, et crois beaucoup au contraire en la démocratie. Simplement, mettons un terme aux postures politiciennes, et avançons. Je ne peux laisser parler d'indigence de la loi. Diète budgétaire ? Sans doute sous le précédent quinquennat... Et que penser de ceux qui veulent supprimer 500 000 fonctionnaires pour faire 100 milliards d'euros d'économies ?
Vous dites préférer la liberté à l'égalité réelle ? Moi, je veux les deux, et même une troisième : la fraternité, c'est-à-dire la République, dans les outre-mer comme dans l'Hexagone. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, des écologistes et du RDSE)
La discussion générale est close.
La séance est suspendue à 18 h 55.
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.