Publicité dans les programmes jeunesse de la télévision publique (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

Discussion générale

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication .  - Cette proposition de loi, due à M. Gattolin, supprime toute publicité des programmes de la télévision publique destinés aux moins de 12 ans.

Le Gouvernement était d'abord réservé. France Télévisions a déjà pris des engagements forts pour réduire l'exposition des enfants à la publicité. Les programmes de l'émission les Zouzous, pour les 3 à 6 ans, sont déjà exempts de publicité. Une corégulation avec tous les professionnels a abouti à la signature d'une charte, en 2009, visant à promouvoir une alimentation saine et l'activité physique à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014 ; associant les associations, les agro-industriels, les publicitaires et les pouvoirs publics, elle envisage le sujet dans toutes ses composantes, dans le but d'encourager une saine hygiène de vie.

Le Gouvernement craignait en outre les conséquences de cette proposition de loi sur le financement de l'animation française, dont France Télévisions est le premier pré-financeur européen, avec un investissement de 29 millions d'euros par an. La diversité et la qualité des programmes proposés aux enfants sont pour nous une priorité. La France peut d'ailleurs s'enorgueillir d'une production riche et de qualité : les programmes français d'animation représentent 45 % de l'offre totale diffusée, ce qui est une situation unique en Europe.

L'animation française est une filière d'excellence. Il est important que les enfants de France se retrouvent dans les valeurs, les talents, l'imaginaire de la production nationale, que les auteurs français intègrent la situation des enfants d'ici. Premier genre à l'export, elle emploie 5 500 personnes dans une centaine d'entreprises réparties sur tout le territoire. Le soutien à l'animation est un enjeu culturel, éducatif, industriel ; le Gouvernement ne saurait donc accepter qu'elle soit fragilisée.

Ces réserves sont aujourd'hui levées.

Plusieurs d'entre vous, à commencer par M. Gattolin, ont exprimé la volonté de ne pas déstabiliser l'animation française. L'article premier a donc été réécrit ; souple, il permet au Gouvernement d'intervenir en tant que de besoin par voie réglementaire pour tenir compte des préconisations du CSA. C'est d'ailleurs déjà le cas, avec le décret du 27 mars 1992.

En outre, depuis l'adoption du texte par l'Assemblée nationale, le Gouvernement et France Télévisions ont négocié un contrat d'objectifs et de moyens qui prévoit un montant annuel minimum de 420 millions d'investissements dans la production audiovisuelle, et une augmentation des ressources publiques affectées à l'entreprise. France Télévisions aura les moyens d'atteindre les objectifs qui lui ont été fixés. Il faudra toutefois être vigilant sur les conséquences pour l'animation et suivre l'évolution du financement de la production à destination de la jeunesse.

La substitution d'un financement public à une recette privée nous oblige enfin à veiller au dynamisme de la contribution à l'audiovisuel public. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Démarche équilibrée et vigilance : le principe qui sous-tend ce texte est bon. Le Sénat a ouvert le chemin en adoptant le principe de la suppression des messages publicitaires - autres que de prévention - pendant les programmes destinés aux moins de 12 ans et pendant les quinze minutes qui les précèdent et les suivent. Cette interdiction vaut aussi pour les messages publicitaires sur les sites internet des chaînes.

L'interdiction est ciblée, complète, adaptée et mesurée.

Le service public devient ainsi un espace de confiance pour les parents, ce qui lui donne un avantage compétitif. Cette proposition de loi n'est pas contre le service public ; au contraire, elle confirme son identité. Les chaînes privées, elles, sont soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA, dont traite l'article premier. L'interdiction de la publicité sur les chaînes privées n'avait d'ailleurs pas de sens, puisqu'elle finance leurs programmes destinés aux jeunes.

Je veux toutefois dissiper des craintes. Nous ne disons pas que toute publicité est condamnable. La consommation d'une barre chocolatée ou d'une boisson pétillante n'est pas mauvaise en soi si les parents assurent une surveillance minimale. Mais les enfants laissés seuls de longues heures devant la télévision sont un objet de convoitise pour des multinationales qui ne reculent devant rien pour vendre leurs produits...

L'Assemblée nationale a adopté conforme l'article 2 et modifié l'article premier. L'État en a tiré les conséquences dans la rédaction du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions, qui prévoit des recettes publicitaires en baisse de 20 millions d'euros, ce que compensent l'augmentation de la subvention publique pour 17 millions et la baisse de 3 millions des prélèvements sur recettes brutes.

Les craintes relatives au financement de la production audiovisuelle n'ont donc plus lieu d'être, et cette deuxième lecture se présente sous un tout autre jour. Reste à examiner cet article premier, qui d'ailleurs n'était pas indispensable puisqu'un décret en Conseil d'État de 1992 prévoit déjà les dispositions utiles. Mieux vaut voter le texte conforme, et considérer que le décret mentionné est celui de 1992.

Le texte a le soutien de l'Union nationale des associations familiales (Unaf), des associations de familles catholiques et de plusieurs professions médicales. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a dénoncé le marketing numérique agressif, et 87 % des Français se disent favorables à la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse. Un large vote de notre assemblée renforcerait l'image du Sénat. Je remercie tous les collègues qui se sont impliqués sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, RDSE, UDI-UC et Les Républicains)

M. Patrick Abate .  - L'enjeu de santé publique est réel. La consommation audiovisuelle des enfants et adolescents ne cesse de croître pour atteindre plus de deux heures par jour ; ce sont 8,3 millions de consommateurs que ciblent les publicitaires. Quelque 70 % des parents pensent que leurs enfants sont ainsi influencés dans leurs préférences alimentaires, entre autres, avec des conséquences sur leur santé : obésité, etc.

Nous restons toutefois dubitatifs. La proposition de loi manque cruellement d'ambition en limitant l'interdiction au service public audiovisuel. Celle de Jacques Muller et Évelyne Didier élargissait, elle, l'interdiction aux chaînes privées et à d'autres créneaux horaires, renforçait les sanctions et le contrôle en matière de placement de produit, la sensibilisation et l'éducation à la publicité ; leur proposition de loi ouvrait aussi le chantier du financement de l'audiovisuel.

Celle-ci, en l'état, aura des effets néfastes. Il serait illusoire de croire que les enfants et adolescents ne regardent que les programmes jeunesse du service public. La plupart, notamment les plus défavorisés, regardent seuls la télévision... France Télévisions ne représente en outre que 28 % des parts d'audience et ne diffuse que 200 heures de programmes jeunesse, contre 640 pour Gulli. Et les programmes les plus regardés par les enfants et adolescents sont des émissions de téléréalité, ce qui n'est pas la spécialité du service public...

En outre, France Télévisions a déjà perdu 746 millions d'euros entre 2009 et 2012 avec la suppression de la publicité après 20 heures. Réduire encore la voilure remettrait en cause les objectifs de production du contrat d'objectifs et de moyens, d'autant que les compensations prévues ont été supprimées dans la navette. Le secteur privé récupèrera cette manne publicitaire... alors que les investissements des publicitaires se concentrent déjà sur les chaînes privées !

Nous proposerons donc un amendement qui généralise l'interdiction. La politique des petits pas peut mener au gouffre... Certes, le service public doit être plus vertueux. Mais lorsqu'il s'agit de la santé de nos enfants, pourquoi rester au milieu du gué ? On a bien généralisé l'interdiction de la publicité sur l'alcool et le tabac. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; MmPatricia Schillinger applaudit également)

Mme Françoise Laborde .  - Selon le psychanalyste Serge Tisseron, dans une société démocratique, tous les citoyens sont censés connaître le registre des messages qu'ils reçoivent, or les enfants n'y parviennent pas avant 6-7 ans ; plus jeunes, ils prennent la publicité pour de l'information...

M. Jean Desessard.  - Tout à fait.

Mme Françoise Laborde.  - À un âge où les enfants ont une relation surtout affective avec les marques, la publicité les abuse. Elle a un impact néfaste sur leur développement, engendre des comportements prescripteurs avec, à la clé, des problèmes d'obésité, raison pour laquelle le Québec, la Suède et la Norvège ont interdit, respectivement en 1980, 1991 et 1992, la publicité dans les programmes jeunesse.

Le Mexique et Taïwan, en 2016, ont interdit la publicité télévisuelle de certains aliments destinés aux jeunes. L'OMS invite à réduire l'exposition des enfants et la force des messages commerciaux, d'autant qu'on fait aussi à destination des enfants la publicité de produits issus de la sphère adulte, comme le maquillage, qui véhiculent des stéréotypes de genre... Le service public a un devoir de vigilance - et le bon sens veut que l'interdiction s'applique aussi aux sites internet associés, où la confusion entre contenu du site et contenu publicitaire est savamment entretenue.

Le décret du 27 mars 1992 confère au CSA le soin de vérifier que la publicité télévisuelle est identifiable comme telle ; or ce n'est pas le cas. Les indicatifs publicitaires sont trop courts, la rupture dissimulée entre fiction et publicité... Il faut mieux contrôler la publicité déguisée, neutraliser les techniques de frappe marketing ciblées sur les enfants. La BBC a ainsi interdit à ses présentateurs de programmes jeunesse d'apparaître dans une publicité sans autorisation préalable.

En suivant cet exemple, il est possible d'affaiblir ces messages. Cette proposition de loi nous paraît particulièrement utile pour protéger les enfants d'une publicité qui les abuse ; aucun membre du RDSE ne s'opposera à son adoption conforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Claude Kern .  - Nous voici, je l'espère, au terme de l'examen de ce texte. Je veux souligner le travail de Jacques Muller, repris par André Gattolin.

Il est urgent de revoir la règlementation sur la publicité à destination des enfants, dont les effets néfastes sont avérés. Ce texte est équilibré, puisque l'interdiction est ciblée, complète, adaptée au service public de l'audiovisuel. Exit les publicités de l'alimentation et du jouet dans les programmes destinés aux moins de 12 ans... Pour l'audiovisuel public, la perte de recettes se chiffre à 20 millions d'euros. Mais le Gouvernement et France Télévisions ont pris acte de la volonté du Parlement d'avancer : le contrat d'objectifs et de moyens le dit, cette perte ne pèsera pas sur les comptes et n'entraînera pas un moindre financement de l'animation française. Je salue votre engagement, madame la ministre.

L'ajout d'une référence, à l'article premier, à un décret en Conseil d'État a fait débat, les chaînes privées craignant de se voir appliquer cette interdiction. Cette crainte n'a pas lieu d'être. La rapporteure, estimant cet ajout sans conséquence, appelle à une adoption conforme. Nous passerons ainsi des paroles aux actes. L'Unaf soutient ce texte, qui protège les enfants et fait de la prévention. 87 % des Français y sont favorables.

Le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi qui pose, en filigrane, la question du financement de France Télévisions. Nous ne ferons pas l'économie d'une réforme structurelle, après la révolution numérique. Nous soutenons les propositions formulées en 2015 par Jean-Pierre Leleux et André Gattolin : hausse de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), reversement intégral aux opérateurs de télécommunications et, à long terme, contribution forfaitaire universelle sur le modèle allemand. Ce sera l'un des grands chantiers culturels du prochain quinquennat.

Pour le bien-être et la santé de nos enfants, je vous invite à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements au centre et à droite et sur les bancs du groupe écologiste ; Mme Patricia Schillinger applaudit également)

M. David Assouline .  - L'intention est bonne, les outils proposés le sont-ils ? Il s'agit de protéger les enfants de messages sur lesquels ils ne peuvent se faire leur propre jugement, faute de distance suffisante. France Télévisions, exemplaire en la matière, a déjà supprimé la publicité dans les programmes destinés aux moins de 6 ans. Cette proposition de loi, en revanche, ne s'intéresse pas aux chaînes privées...

On sanctuariserait les enfants parce qu'il s'agit du service public ? C'est se méprendre. Les enfants regardent beaucoup les programmes pour adultes : téléréalité, séries... Et puis, un enfant qui n'est pas surveillé sait se servir de la zapette, il ne va pas forcément rester sur France Télévisions ! D'ailleurs, les enfants regardent de plus en plus YouTube : 570 000 vues à chaque chanson de Disney, 60 millions de vues pour Petit ours brun, 9 millions de vues pour Le Roi lion. Avant et après, des publicités pour des jouets de guerre, pour Flunch et McDonald's. Et là, aucun contrôle ! L'absence de contrôle du CSA sur le Net, de moralisation, est un problème général qu'il faudra poser. Bref, l'argument de la sanctuarisation bat de l'aile.

Croit-on que les familles, rassurées, mettront leurs enfants devant les programmes jeunesse de France Télévisions, qui bénéficiera ainsi d'un avantage compétitif ? Ce sera l'inverse... Pour investir dans la production française, celle qui reflète nos valeurs, il faut de l'argent ! Le contrat d'objectifs et de moyens compense la perte de recettes ? Rendez-vous l'année prochaine lors de la discussion budgétaire... La perte n'aura pas lieu qu'en 2018 : dès à présent, les annonceurs se désengagent, comme ce fut le cas lors de la suppression de la publicité après 20 heures : ils se sont aussi désengagés avant 20 heures.

Augmenter d'un euro la redevance compensera la perte, disait-on. L'Assemblée nationale n'a pas suivi, malheureusement... Êtes-vous sûrs que la hausse de la taxe sur les télécoms sera pérennisée ? Quelles seront les intentions des futurs gouvernements ? Le candidat de la droite estime que le périmètre de France Télévisions est trop large, que cela coûte trop cher au contribuable, qu'il faut réduire la voilure...

Bien sûr, il faut protéger les enfants des prédateurs. Mais rien n'empêchera les pressions hormis l'éducation des enfants et des familles, et la moralisation de l'audiovisuel en général. Croire à la sanctuarisation, en ciblant le service public, c'est se tromper. D'autant que France Télévisions est déjà vertueux, que les spots publicitaires font l'objet d'un contrôle en amont, que l'on met l'accent sur la prévention...

Les Français seraient favorables à 87 % à l'interdiction ? C'est un sondage, vous devriez savoir à présent que ce n'est pas de la science...

M. André Gattolin.  - Du calme...

M. David Assouline.  - Les Français veulent qu'on protège leurs enfants, ils auraient sans doute été favorables à ce que l'interdiction soit étendue aux chaînes privées ! Un sondage n'est pas un argument d'autorité, surtout commandé par l'auteur de la proposition de loi...

M. André Gattolin.  - Qui le nie ? Assez de persiflage !

M. David Assouline.  - Reconnaissant les bonnes intentions de la rapporteure et de l'auteur du texte, nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi. Mais notre abstention n'est pas passive : nous escomptons qu'elle sera étendue à toutes les chaînes en 2018, et que le financement de France Télévisions aura été garanti. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Claudine Lepage applaudit également).

Mme Nicole Duranton .  - Les députés ont accepté l'interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse et la plupart des assouplissements que nous avions proposés, le texte devrait donc être adopté aujourd'hui sans difficulté, comme il l'a été en commission. Il atteint son objectif tout en respectant les intérêts économiques en présence.

Je félicite Corinne Bouchoux pour son investissement et pour l'équilibre qui a été trouvé.

En première lecture, nous avons introduit une limite d'âge raisonnable, à 12 ans. Surtout, nous avons supprimé la hausse de 50 % de la taxe sur la publicité prévue par le texte initial : les 7,5 millions d'euros auraient été répercutés sur les clients.

Difficile de chiffrer le manque à gagner pour France Télévisions. Le groupe l'estime à 20 millions d'euros. Une réforme du financement de France Télévisions est, en tout état de cause, urgente, alors que les recettes de la publicité sont appelées à se réduire comme peau de chagrin à cause du transfert vers d'autres supports. Notre commission a engagé la réflexion, avec le rapport de MM Leleux et Gattolin. Le soin de mener cette réforme reviendra au prochain Gouvernement.

Le service public est dans son rôle lorsqu'il refuse la publicité pour les moins de 12 ans. Cette exemplarité justifie l'effort fait par chaque citoyen pour le financer.

Les temps évoluent, la durée d'exposition des enfants à la télévision est incomparable avec ce que nous connaissions, l'obésité se répand. Nous pouvons nous réunir autour d'un service public protecteur et qui ait valeur de modèle. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe écologiste)

M. André Gattolin .  - Cette proposition de loi s'inspire d'un texte déposé en 2010 par notre ancien collègue Jacques Muller, que je salue. C'est en tenant compte des critiques et des évolutions du paysage audiovisuel que j'ai déposé, en 2013, une nouvelle mouture, qui aboutit aujourd'hui.

Les effets de la publicité sur le comportement et le développement des enfants sont indéniables. Dégradation des pratiques alimentaires, confusion des valeurs : cela affecte leur manière d'être, en famille, à l'école, en société.

Cette proposition de loi transcende les clivages politiques, elle recueille l'aval d'une large majorité de citoyens, des associations familiales, du monde de la santé et de l'éducation. De plus en plus de pays légifèrent : Allemagne, Pays-Bas, Grèce, Espagne, Royaume-Uni, Belgique... Dans trois pays scandinaves, la publicité pour les enfants est proscrite sur toutes les chaînes de télévision.

Les réticences sont d'ordre économique, et portent sur l'impact financier du texte pour France Télévisions. Je salue la réactivité du groupe, qui a déjà intégré cette perte dans ses prévisions, même si le chiffrage retenu m'étonne. En tout état de cause, elle ne dépassera pas 0,3 à 0,7 % du budget global du groupe, et sera largement compensée par de nouvelles recettes tirées notamment des partenariats avec Warner et YouTube.

Nul ne peut m'accuser de ne pas me soucier de l'avenir de l'animation française, dont la production progresse. Le secteur français du jouet, en forte progression, n'a lui non plus pas grand-chose à craindre - ce sont les entreprises étrangères qui ont les moyens de se payer l'essentiel de l'espace publicitaire.

Offrons à nos enfants, quelques heures par jour, un paysage audiovisuel libéré de la publicité. Ce petit pas du législateur sera un grand pas pour la protection de nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Rédiger ainsi cet article :

Après l'article 80 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 80-... ainsi rédigé :

« Art. 80-...  -  Les programmes des services de communication audiovisuelle ne relevant pas du titre III destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d'intérêt général. Cette restriction s'applique durant la diffusion de ces programmes ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion. Elle s'applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet de ces mêmes services nationaux de télévision qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans.

« Est considérée comme un programme des services de télévision destiné aux enfants et adolescents de moins de douze ans la fiction, l'émission ou toute oeuvre audiovisuelle répondant à un ou plusieurs des critères suivants :

« - La conception du programme pour les enfants ou les adolescents.

« Peuvent notamment être pris en compte la présence de personnages jeunes, les thématiques touchant les enfants et les adolescents, le langage, les codes et la musique employés, le cadre de l'action ;

« - La diffusion du programme à des horaires appropriés à ces publics ;

« - L'habillage spécifique du programme, qui l'identifie comme s'adressant à ces publics ;

« - L'élaboration ou le suivi du programme par l'unité en charge de la jeunesse au sein du service ;

« - La promotion du programme par le service comme s'adressant à ces publics, dont les sites internet, la communication dans la presse, la communication professionnelle, la présentation des programmes par la régie publicitaire. »

M. Patrick Abate.  - Il s'agit d'élargir l'interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse à toutes les chaînes, pas seulement publiques. Ce serait, pour le coup, un pas de géant...

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure.  - Proposition radicale et respectable, mais ce n'est pas la logique retenue par la commission : avis défavorable.

Mme Audrey Azoulay, ministre.  - Même avis. La France défend fortement, à Bruxelles, l'idée de réguler les plateformes de vidéos sur internet, dans le cadre du travail en cours sur les services médias audiovisuels.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Ne déstabilisons pas le modèle économique des chaînes privées en effet ; ce texte ne vise que les chaînes publiques, et le secteur privé a ses propres difficultés...

M. David Assouline.  - Ce débat nous ramène à celui qui eut lieu lors de la suppression de la publicité sur la télévision publique. La gauche avait pu la soutenir, pour libérer le service public de l'emprise du commerce, de la dictature de l'audimat, comme l'on disait à l'époque... Mais beaucoup la défendaient pour que cette manne publicitaire revienne au privé ! On peut habiller de très belles intentions des projets moins avouables...

J'entends l'argument de la rapporteure, partisane d'une politique de petits pas. Mais j'entends aussi certains collègues fermer la porte à l'extension de l'interdiction aux chaînes privées : là, la protection des enfants semble moins importer...

Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

Mme Marie-Christine Blandin.  - Le texte de Jacques Muller, que j'avais cosigné avec Évelyne Didier, Jean-Pierre Bel et Jean-Pierre Sueur n'avait hélas pas trouvé de soutien suffisant. Alors, mieux vaut gravir ensemble ce soir une petite marche que de rester face à un grand escalier romantique que l'on contemple, mais qui ne nous élève pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

L'amendement n°2 devient sans objet.

Interventions sur l'ensemble

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Je veux rappeler à ceux qui défendent avec fougue le modèle de l'audiovisuel public que la commission que je préside est aussi compétente en matière d'éducation et de jeunesse - et nous avons reçu les associations familiales, de nombreux éducateurs et intervenants à ce titre.

Cette proposition de loi serait applicable à compter de 2018. Elle clarifie le modèle du service public par rapport à l'offre privée ; il faudra néanmoins s'attaquer au financement de l'audiovisuel public - nous aurons l'occasion d'y revenir.

Le fatalisme de certains, qui considèrent que les enfants sont de toute façon laissés à eux-mêmes devant la télé, les ordinateurs et les tablettes, m'étonne : à vous de les éduquer aux nouveaux usages des écrans.

M. Jean-Pierre Leleux .  - Ce texte va dans le sens des propositions d'évolution du modèle économique de France Télévisions que nous avons faites ; l'objectif reste selon moi la suppression totale de la publicité sur le service public. (M. David Assouline s'exclame)

Je rejoins David Assouline sur un point : ce texte a ses limites car les enfants regardent de nombreux écrans. Mais c'est un utile premier pas, et je le voterai ainsi que le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, ainsi qu'au centre)

Mme Patricia Schillinger .  - Jacques Bigot et moi-même voterons ce texte. Il restera à avancer sur la publicité pour adultes, pour les serviettes hygiéniques ou les prothèses dentaires par exemple, qui donnent une bien mauvaise image des femmes - et, plus rarement, des hommes. (Applaudissements)

M. Patrick Abate .  - Ce texte ne nous satisfait pas plus en deuxième lecture qu'en première lecture. Nous prenons acte de la sincérité de l'engagement de ses auteurs pour protéger les enfants - que nous partageons -, mais c'est un tout petit premier pas. Reconnaissons-le, avec humilité, si nous voulons un jour progresser. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste; Mme Françoise Laborde et M. Jean-Marie Bockel applaudissent également)

M. André Gattolin .  - Je veux remercier chacun pour la qualité des débats - supérieure à celle que j'ai constatée à l'Assemblée nationale... (Mouvements divers)

Je crois pour ma part aux petits matins de gaité, pas aux grands soirs de désespoir... (Exclamations) Ce ne sont pas des slogans, juste de la poésie ! (Sourires) Nous ne sommes nullement naïfs pour autant : les tablettes se multiplient - elles arrivent même dans les écoles, où la ministre de l'éducation nationale veut les répandre - et il faut réguler les contenus numériques. C'est un chantier européen : la commission des affaires européennes a d'ailleurs rédigé une proposition de résolution européenne pour que nous avancions sur ce sujet. Je constate avec satisfaction qu'il n'y a pas de divergence de fond sur l'objet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et au centre)

M. Jean-Marie Bockel .  - Jacques Muller, présent dans les tribunes, a déposé sa proposition de loi le jour de son départ du Sénat - et de mon retour ici... Alors que nous nous posons des questions sur l'avenir de nos enfants et les valeurs que nous voulons transmettre, il faut des marqueurs forts. Ce texte est un signal fort, je le voterai par profonde conviction, et non seulement par amitié alsacienne... (Applaudissements au centre et sur les bancs du groupe écologiste)

M. David Assouline .  - À mon tour, je salue la qualité des débats - étendus à la question du financement de l'audiovisuel public. Dommage que les sénateurs extérieurs à la commission de la culture n'y prennent pas plus souvent part...

Mme Catherine Génisson.  - Nous sommes quelques-uns...

M. David Assouline.  - Question d'horaire sans doute...

Aucun fatalisme de ma part. Mais je conteste l'idée de sanctuarisation, l'illusion que les enfants ne regardent que les programmes jeunesse et seulement ceux du service public.

M. André Gattolin.  - Il y a, pour cela, la directive sur les services médias audiovisuels !

M. David Assouline.  - Ce texte est un premier pas - avec de possibles effets pervers.

Songeons donc aux prochains pas : on n'a pas beaucoup avancé depuis mon rapport sur la jeunesse et les nouveaux médias de 2007, où j'avais prévu la plupart des développements auxquels nous assistons...

À la demande du groupe socialiste et républicain, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°75 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 213
Pour l'adoption 213
Contre 0

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, au centre et à droite)

Prochaine séance demain, jeudi 8 décembre 2016, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 5.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus