Débat sur l'élevage
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Sauvegarde et valorisation de la filière élevage », à la demande du groupe RDSE.
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Didier Guillaume applaudit aussi) Le Sénat représentant les collectivités locales et les territoires, deux sujets au coeur des préoccupations des Français, on ne s'étonnera pas que ce débat sur l'élevage succède au précédent sur le rail.
L'élevage traverse une crise grave, qu'on peut qualifier de sans précédent, en raison d'une accumulation de difficultés. Les mesures nationales et européennes n'ont pas suffi à garantir les prix payés aux producteurs, qui se sont effondrés.
Le lait - sauf peut-être la poudre de lait, qui se négocie mieux - est loin d'être rétabli. Dans vingt ans, si rien n'est fait, la France ne comptera plus que 30 000 éleveurs laitiers, moitié moins qu'aujourd'hui.
Un drame silencieux se joue dans nos campagnes : une ferme qui disparaît, c'est un coup porté au territoire. Beaucoup s'arrêtent, plutôt que de ne pas vivre de leur travail.
Au-delà des plans d'urgence, il faut une vision stratégique, une planification pour que la France reste une grande Nation agricole. C'est pourquoi le groupe RDSE a souhaité ce débat. Au sein de notre agriculture, l'élevage représente 37 % de la production. Les éleveurs ne comptent pas leurs heures, investissent, pour finalement vendre à perte.
Une telle injustice suscite la colère, comme à l'été 2015. Vous y avez apporté des réponses, monsieur le ministre, dès juillet puis septembre 2015, avec deux plans de soutien à l'élevage, puis cette année encore, le 6 octobre dernier, avec le pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles, qui concerne aussi les producteurs de céréales, en difficulté en raison des intempéries de cet été.
Parmi les mesures prises de plus longue date, la baisse de dix points de charges permet aussi de redresser la compétitivité de nos éleveurs - sans mettre fin au dumping lié au recours à des travailleurs détachés en provenance des voisins de l'est de l'Allemagne. L'harmonisation fiscale et sociale doit se poursuivre en Europe.
L'heure est aussi à un moratoire sur les normes. La commission des affaires économiques recommande leur simplification et leur allègement, les éleveurs doivent y être associés.
Sur le bien-être animal, sachons raison garder. Les éleveurs sont ouverts à la question, ne soyons pas otages de quelques groupes militants qui ont moins de sollicitude à l'égard des éleveurs qui se suicident...
Pour que la France reste compétitive, il faut encourager la modernisation des exploitations, alléger les lourdeurs administratives liées à une application zélée du principe de précaution, soutenir l'exportation, et je salue la mise en oeuvre cette semaine du dispositif de court terme à l'exportation de produits agricoles et agroalimentaires vers l'Algérie, le Liban et l'Égypte.
Il convient aussi de soutenir les filières de proximité, la qualité liée aux petites structures qui font vivre le territoire. Les produits carnés français sont réputés pour leur traçabilité. Les éleveurs de race locale vendent mieux leurs produits. L'étiquetage ne doit pas en rester au stade de l'expérimentation !
Un meilleur partage de la valeur ajoutée s'impose : on l'a vu avec l'affaire Lactalis. Les agriculteurs sont le maillon faible dans les négociations commerciales, comme le dit le commissaire Phil Hogan, comme face aux distributeurs.
La loi Sapin II va plus loin que la loi de modernisation de l'agriculture, nous nous réjouissons de ses avancées. En attendant, souhaitons une ouverture lors du comité des relations commerciales de décembre.
L'Union européenne manque à ses devoirs. Les Allemands s'empêtrent dans des postures politiques : je pense à l'embargo russe. Elle manque à ses devoirs lorsqu'elle ne protège pas ses éleveurs de l'arrivée massive de viande canadienne, avec le Ceta. La dérégulation a aussi montré ses limites, avec la fin des quotas laitiers.
Les électeurs... (Sourires) je veux dire les éleveurs, souhaitons qu'ils ne boudent pas les urnes pour marquer leur mécontentement ! Bref, nous leur devons plus d'attention. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Henri Cabanel . - L'agriculture française a été fortement éprouvée par les crises économiques, climatiques, sanitaires ces dernières années. Les éleveurs, en particulier, sont déboussolés, malgré des plans d'aide sans précédent au cours du quinquennat.
La PAC n'assume plus son rôle. La libéralisation effrénée est une catastrophe : la fin des quotas laitiers a plongé les éleveurs dans un monde sans loi, et les prix se sont effondrés. Surproduction oblige, des milliers de vaches laitières ont été abattues, ce qui a fait fondre les prix de la viande... Notre proposition de loi, ce printemps, a été votée à l'unanimité par le Sénat.
La modernisation indispensable des exploitations est freinée par leur sous-capitalisation. La méthanisation doit aussi être encouragée, le Gouvernement a dessiné des pistes.
Autre chantier : la différenciation qualitative. Il faut développer les circuits courts, les labels, sans que cela entraîne un coût exorbitant pour les consommateurs. Des éleveurs de l'Hérault vendent directement au consommateur, redonnant vie par la même occasion au seul abattoir public du département - celui de Pézenas, dont la réputation avait tant souffert de la vidéo publiée par l'association L214.
Quant à la question du bien-être animal, mettons en avant comme vous le faites, monsieur le ministre, les établissements qui font des efforts en sa faveur, par la formation du personnel entre autres choses.
Au-delà de la survie de nos paysans, il s'agit d'assurer notre autosuffisance alimentaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur ceux des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)
M. Alain Marc . - Les défis à relever sont nombreux pour les éleveurs qui, pourtant, créent chaque jour de la valeur ajoutée, nous nourrissent, exportent, dynamisent les territoires.
L'élevage de ruminants est pratiqué dans une exploitation sur deux, et le cheptel bovin français est le premier d'Europe. C'est un métier passion, à trois cent soixante-cinq jours par an. Hélas, 40 % de nos producteurs laitiers ont disparu en dix ans, et les revenus des éleveurs sont les plus faibles de la profession. Il faut leur assurer un revenu décent.
Le projet de TTIP menace nos éleveurs, quand on sait que les éleveurs américains nourrissent leurs vaches aux OGM, aux hormones et aux antibiotiques, dans des exploitations de 32 000 bêtes - on est loin de la fameuse ferme des 1 000 vaches qui a tant défrayé la chronique chez nous...
En France, chaque animal est tracé, les pratiques rigoureusement contrôlées, ce n'est pas le cas aux États-Unis. Plus de 50 000 emplois, en France, seraient menacés par cet accord - et que dire du Ceta ?
Je veux vous interpeller sur l'accumulation des normes et la propension française à surtransposer le droit européen, qui écrasent nos éleveurs. Monsieur le ministre, qu'attendez-vous pour protéger nos éleveurs, pour prendre vos responsabilités ? (Applaudissements à droite)
M. Michel Le Scouarnec . - Malgré d'utiles mesures d'urgence, l'élevage traverse une crise profonde. Il faut sauver ce pan de notre agriculture et de notre patrimoine. Les prix ont tellement baissé que nos éleveurs ne s'en sortent plus. La déréglementation des relations commerciales les a ruinés, alors que les marges de la grande distribution explosent. Même Xavier Beulin considère que le tout-marché ne fonctionne pas et qu'il faut revoir la PAC.
Il est urgent de garantir un prix de vente rémunérateur pour les producteurs, grâce à un coefficient direct qui lie le prix au prix de vente au consommateur. Le système du quantum a fonctionné longtemps après sa mise en place en 1945. Selon ce système, les cinquante premiers quintaux de la production de blé sont vendus au prix fort, le reste étant laissé au marché, fonctionne encore aux États-Unis pour les jeunes bovins. Qu'attendons-nous pour y revenir ?
Le libéralisme à tout crin est voué à l'échec. Plutôt que de nous rendre dépendants des marchés extérieurs, que ne faisons-nous pousser en Europe des espèces telles que le soja argentin ou le maïs brésilien, selon des normes exigeantes !
De même, il faut soutenir davantage les jeunes qui s'installent. La nouvelle surprime est conditionnée à un investissement de 200 000 euros, n'est-ce pas une erreur, en pleine crise que d'inciter à l'endettement ?
Plus de 500 agriculteurs se sont installés cette année en Bretagne. Chambres d'agriculture, région, jeunes agricultures proposent un accompagnement qui va jusqu'au plan de professionnalisation personnalisé, gage de réussite. Inspirons-nous de ces exemples locaux ! C'est aussi une façon de lutter contre l'isolement, l'individualisme. Nous croyons à la dimension collective, à la solidarité, à l'humain qui doit rester au coeur de tout. (Applaudissements à gauche)
M. Joël Labbé. - Belle conclusion !
M. Jean-Claude Requier . - Il fallait que la situation fût particulièrement grave pour que les éleveurs, passionnés par leur métier, quittent leur exploitation pour descendre dans la rue à l'été 2015. Comme le disait Jean-Pierre Coffe : jardiner n'est pas une contrainte, mais l'élevage est un esclavage.
Où en sont nos filières ? Le porc français s'essouffle, contrairement à ses voisins, et alors que les Russes, sous embargo, construisent des porcheries à tour de bras. Le lait souffre tout particulièrement depuis la fin des quotas laitiers ; le boeuf reste dans un équilibre fragile.
La sauvegarde de l'élevage passe par une véritable stratégie, voire une planification. La filière a intérêt à développer ses labels pour valoriser ses produits : la création du logo « Viandes de France » est un exemple, mais il faut avancer vers l'étiquetage obligatoire.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est fait.
M. Jean-Claude Requier. - Les marges ensuite. La grande distribution a reconstitué les siennes au détriment des éleveurs, et le rapport de force reste très défavorable à ces derniers.
Il faut aussi alléger les normes, ne pas aller au-delà des recommandations européennes. « Retrouver le chemin du bon sens », comme disait Daniel Dubois. Dans le Lot, où vous vous rendez demain, monsieur le ministre, 111 communes sortiraient de zone défavorisée. Ce qui ferait perdre 9 millions d'euros par an et mettrait en danger 1 300 exploitations. Il existe des réalités locales, montagnardes, que la nouvelle carte ne doit pas oublier.
L'élevage, ce sont avant tout des femmes et des hommes à qui il faut redonner espoir. (Applaudissements)
Mme Anne-Catherine Loisier . - Le sociologue François Purseigle disait de l'élevage français, qu'il était « aujourd'hui effacé, éclaté, fragilisé, économiquement assujetti, socialement déclassé ». Beaucoup d'éleveurs ne vivent plus de leur travail ; il y a danger. L'élevage pourrait disparaître comme hier la métallurgie ou le textile. Est-ce là la France que nous voulons ?
L'élevage nourrit et emploie, entretient les paysages, représente 37 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
La filière doit se réorganiser pour répondre au défi alimentaire, nourrir demain 9 milliards d'êtres humains. Comment le faire sans appauvrir le sol ou mettre en péril la planète ? Sur ce plan, les éleveurs français ont un temps d'avance, grâce à une approche globale de la production, de la santé humaine et animale, de l'environnement.
Plusieurs évolutions sociétales mettent en cause les modèles passés. La baisse de la consommation de viande se poursuit depuis les années 2000. La montée des contraintes liées à l'environnement et au bien-être animal renchérit aussi la production. Les Français ne sont plus que 14 % à acheter leur viande en boucherie traditionnelle, alors qu'ils étaient encore 50 % au début des années 80.
La PAC, ensuite, ne joue plus son rôle, et les éleveurs français font face à une concurrence déloyale. Malgré 1,4 milliard d'aides publiques, dites-vous, les éleveurs vivent mal, très mal, et leur métier est de moins en moins attractif. Les aléas climatiques vont encore renchérir l'alimentation du bétail, et les éleveurs craignent de nouveaux scandales sanitaires.
Qu'est-ce que le Ceta apportera aux éleveurs ? Quid de la nouvelle carte ?
Peser sur la nouvelle PAC, simplifier les procédures, soutenir nos exportations, garantir un revenu décent aux éleveurs, encourager le regroupement et la contractualisation... N'est-ce pas l'heure d'un nouveau pacte avec les éleveurs, pour les aider à relever les défis cruciaux de notre siècle ? (Applaudissements au centre et à droite et sur les bancs du groupe RDSE)
M. Joël Labbé . - J'étais tout à l'heure au Conseil économique, social et environnemental pour la présentation du rapport de Cécile Claveirole sur l'agro-écologie. Comment mettre en oeuvre ces intentions louables ?
Hier soir, il était question des outre-mer. On dit aujourd'hui « RUP », cela me donne des boutons... J'ai dit à Mme Bareigts que l'Anses n'avait toujours pas de procédure simplifiée d'autorisation des produits de biocontrôle, que la question des PNPP restait aussi en suspens. Cela devient urgent !
Nous vivons l'horreur de la doctrine dominante en Europe : « libéraliser d'abord, réguler éventuellement ensuite ». Une dynamique pernicieuse est à l'oeuvre : les plus grands s'agrandissent et industrialisent leur production ; aux plus petits, on offre « la sortie dans la dignité », soit une reconversion professionnelle. On entend sans cesse que 15 % de la profession doit disparaître pour permettre aux autres de vivre, à grands renforts de subventions... Est-ce audible ?
Les distributeurs profitent de la faiblesse des producteurs. Nous espérons que votre action contre Carrefour, monsieur le ministre, assainira les choses !
La reconnaissance des magasins de producteurs est une autre bonne initiative.
L'excès d'offre de viande a fait baisser les cours. Le porc souffle grâce à la reprise des exportations, mais gare à la prochaine crise en Chine...
Il faut encourager la transmutation de la « ferme France », et de la « ferme Europe ». L'avenir est à la polyculture-élevage, l'autonomisation en énergie et en alimentation animale. Sinon, on continuera à voir les Français consommer 40 % du poulet importé, alors que la France exporte des volailles...
Trouverons-nous un jour une majorité pour favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation, les projets alimentaires territoriaux ?
Comment continuer à entretenir un système qui méprise autant ceux qui nous nourrissent ? (M. Michel Le Scouarnec applaudit)
M. Franck Montaugé . - Ce débat est bienvenu, dans un contexte difficile. Je me limiterai à des propositions. Dans le Gers, le déclin démographique et économique est étroitement lié au déclin de la polyculture-élevage, une agriculture adéquate à des coteaux à faible potentiel agronomique et à la pluviométrie aléatoire, qui s'était développée au cours des siècles dans un cadre familial et s'était toujours adaptée.
Les progrès du vote pour l'extrême droite soulignent l'urgence de rendre un avenir aux éleveurs. L'avenir de la filière bovine est en jeu !
Dans le Gers, les cheptels allaitants disparaissent les uns après les autres. Entre 2013 et 2015, le revenu annuel moyen des éleveurs n'a jamais été supérieur à 4 000 euros...
Il faut maintenir les actuelles zones défavorisées simples , et leur ajouter des zones « handicap » : au total, on atteindrait le niveau des aides consenties aux zones de montagne.
Je me réjouis des effets positifs de la loi Montagne et de sa révision. Nous avons la possibilité de donner corps à la notion d'équité entre les territoires, dont on parle beaucoup.
Enfin, et c'est aussi un enjeu environnemental avec le réchauffement climatique, il faudrait créer un tarif photovoltaïque spécifique pour les installations sur les toits des bâtiments d'élevage bovin fondé sur le même critère que celui de l'aide conjoncturelle de 2015. Cette solution économique, structurelle, renforcerait les territoires à énergie positive labellisés, comme dans le Gers, par le ministère de l'écologie.
Parallèlement, les éleveurs doivent continuer à se structurer et à moderniser l'outil de travail, grâce aux coopératives et à des montages originaux. Grâce à l'association entre éleveurs, exploitant et collectivités, l'abattoir d'Auch a été sauvé.
Pour finir, j'insisterai sur le soutien permanent de l'État à la filière. Le budget pour 2017, que la majorité sénatoriale refuse d'examiner en séance, en témoigne une nouvelle fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
M. Daniel Gremillet . - M. Mézard a raison de parler d'un drame silencieux. Tant qu'il y a des manifestations, il y a encore de la vie ; on n'entend pas les éleveurs... Demain, quand il n'y aura plus assez d'éleveurs, nous débattrons, comme nous l'avons fait pour les médecins, des vétérinaires à la campagne.
Le budget 2017, monsieur le ministre ? Bien mais peut mieux faire... Les investissements sont très lourds dans l'élevage. La stagnation, voire la légère diminution, de l'accompagnement est à comparer avec des politiques plus offensives, comme en Allemagne.
Attention à l'application de la loi NOTRe. Le plan bâtiments a eu un succès formidable (M. Stéphane Le Foll, ministre, confirme), appuyé par les régions et par les départements. Désormais, les régions ont la compétence économique. Pourront-elles compenser la disparition de l'aide des départements ?
Les prêts bonifiés ont moins d'intérêt en période de taux d'intérêt bas. Comme d'autres pays, nous aurions pu en profiter pour repenser notre politique d'investissement. C'est dommage, cela n'aurait pas coûté plus cher.
Le dossier des zones défavorisées est important. Comment peut-on intégrer les éleveurs isolés ?
L'élevage est le dernier rempart avant la désertification. Si on ne donne pas envie à des éleveurs de s'installer, la fracture entre les territoires s'aggravera. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe RDSE)
M. Yannick Botrel . - Ce débat vient à point nommé quand la filière élevage est particulièrement malmenée, comme d'autres productions agricoles. Embargo russe, blocage et ralentissement de nos exportations de viande bovine par la FCO pour des raisons sanitaires, surproduction laitière, changements dans la consommation - la moitié de la viande de boeuf consommée, par exemple, l'est sous forme de viande hachée - ou encore suspicion jetée sur la qualité des produits par certains épisodes médiatiques, tout cela concourt à la crise. Grâce au ministre, l'État a été présent.
Mais parlons d'avenir et de résilience des exploitations agricoles face aux aléas. Elle dépend du modèle technico-économique. En Bretagne, des éleveurs réfléchissent à l'autonomie alimentaire de l'exploitation. (M. Stéphane Le Foll, ministre, en confirme l'intérêt) Le soja, que nous importons et qui coûte bien plus cher depuis 2007, entraîne une mortalité plus rapide des vaches laitières. Il faudrait passer à un couple maïs-légumineuses, bien préférable. L'agronomie est une voie de résilience mais il y en a d'autres : au sein de la PAC, la place du régime assurantiel, l'existence de paiements contracycliques et le renforcement des aides agro-environnementales. Enfin, et c'est une évidence, le renforcement du pouvoir de négociation des éleveurs.
L'avenir réside dans l'adaptation de la PAC et la capacité de nos exploitations à résister aux crises. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Mouiller . - L'intervention de l'État est essentielle quand tant d'exploitations sont au bord de la faillite. Monsieur le ministre, vous avez annoncé le 18 novembre des aides ponctuelles, pour limiter les volumes et faire remonter les cours. C'était nécessaire : la crise laitière, avec l'afflux de vaches laitières dans les abattoirs, a touché l'élevage des races à viande. Mais cela ne suffira pas.
Dans les Deux-Sèvres, je rencontre des éleveurs fiers de leur métier, mais malheureux de ne pas pouvoir en vivre. L'État doit réduire les charges administratives, sociales et normatives qui pèsent sur eux. Notre spécialité française de surtransposer les directives entraîne des surcoûts pour nos agriculteurs et une perte de compétitivité de nos exploitations par rapport à celles de nos voisins. Dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture, le Sénat a imposé le principe d'une norme abrogée pour une norme créée. Malheureusement, elle n'est toujours pas adoptée.
L'État doit aussi faciliter l'achat de viande française par les collectivités et par les partenaires publics. Une demande d'entretien des représentants de la filière bovine avec le ministre de la défense n'a pas reçu de réponse. Nous avons, dans notre proposition de loi sur l'ancrage territorial de l'alimentation, prévu un quota minimum de 40 % de produits locaux ou répondant à des critères de développement durable dans la restauration collective : nous attendons que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
La réponse passe par une démarche offensive à l'export. Nos territoires n'ont pas à pâtir de la politique extérieure de la France, comme en Russie ou en Turquie. La filière attend la réunion du comité export qui ne s'est pas réuni depuis 2015. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe RDSE)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - La situation est connue : crise de la filière bovine ; la filière porcine, en crise l'an dernier, doit toujours être surveillée ; la filière laitière voit ses prix se redresser après une crise de deux ans. Le constat est partagé. Que faisons-nous ?
Deux questions dans ce débat : d'abord, les aides publiques ; ensuite, le marché et les prix. Le ministre ne décide ni du prix ni des variations du marché ! En 2012, la tonne de céréales était à 200 euros ; elle est de 120 euros aujourd'hui. Fermer notre marché ne servirait à rien : nous exportons 7 à 8 milliards de litres de lait sur une production totale de 25 à 26 milliards de litres. La régulation européenne ne nous met pas à l'abri d'un déséquilibre mondial, la contraction de la demande chinoise a été déterminante sur les marchés du lait et du porc. Son redressement, également : les Chinois investissent désormais dans des tours de séchage en Bretagne pour exporter de la poudre de lait et le cours du porc s'est relevé, indépendamment de l'embargo russe.
La réforme de la PAC, négociée en 2013, n'était pas si mauvaise : son budget a été préservé, ce n'était pas évident. Nous avons obtenu le montant des fonds du deuxième pilier : c'est considérable pour la France. Notre débat serait très différent si cela n'avait pas été le cas, il le serait aussi si je ne m'étais pas battu pour le maintien des aides couplées à l'élevage. Pour la prime à la vache allaitante, 680 millions d'euros ! Il faut aussi citer le transfert de plus d'un milliard d'euros pour l'ICHN, vers l'élevage. Les aides seront mieux réparties : 54 % des aides sont allées à 20 % des agriculteurs en 2013, 47 % des aides à 20 % des agriculteurs en 2019.
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est un choix d'équilibre, la PAC a été réorientée. Cela suffit-il ? Non : l'aide ne suffit pas à faire face à la baisse des prix, liée au marché mondial. Pour éviter l'emballement de la production, avec la fin des quotas laitiers, j'ai proposé d'utiliser les articles 221 et 222 ; il a fallu attendre huit mois pour que la décision soit entérinée. Nous veillerons à ne pas revenir dans une guerre des prix alors que Rabobank indique qu'il y aura une remontée des prix du lait en 2017 pour redonner des marges à nos producteurs, qui en ont grand besoin.
La chute des prix des céréales est liée à des récoltes exceptionnelles en Ukraine ou en Amérique latine. Avec une population mondiale à 9 milliards, on croyait que les prix flamberaient forcément : on sait aujourd'hui que c'est plus compliqué.
La politique contracyclique - plus d'aides quand les prix sont bas et moins quand ils sont hauts - est séduisante. Mais les prévisions budgétaires à Bruxelles sont pluriannuelles, peu flexibles ; si nous prévoyons une année à zéro aide, il y aura zéro aide l'année suivante. Le Parlement européen vote des dépenses, pas des recettes puisqu'elles résultent des contributions des États. Si nous voulons une politique contracyclique, intéressante, nous devons trouver une méthode différente. Nous proposons qu'une partie des aides du premier pilier nourrissent une épargne de précaution pour faire face aux aléas, y compris économiques. Cette épargne serait assujettie à une fiscalité adaptée. Nous aurons ce débat prochainement, dès que le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux aura rendu son rapport.
Soutenir la compétitivité, c'est d'abord soutenir l'investissement dans les bâtiments d'élevage. Ce soir, je rencontre l'Association des régions de France sur le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE). Le glissement de deux points du premier pilier vers le deuxième pilier a eu des résultats : nous avons investi 600 millions d'euros en deux ans. Preuve que la demande est là ! Les investissements sur la biosécurité là où a sévi l'influenza aviaire sont importants dans le Sud-Ouest. On devrait atteindre le milliard sur cinq ans. Un outil plus performant, plus économe et plus respectueux du bien-être animal, c'est plus de compétitivité.
Deuxième axe, l'allègement des charges. Nous avons abaissé les cotisations sociales de 765 millions d'euros. Si on ajoute les exonérations Fillon, on arrive à 1,1 milliard d'euros. Mais il faut aussi tenir compte des charges opérationnelles, phytosanitaires et autres. Les Néozélandais sont les meilleurs : ils investissent dans quoi ? Dans l'herbe. Sans aller jusque-là, nous devons nous en inspirer pour définir une stratégie adaptée à nos atouts.
Les prêts bonifiés sont moins utiles quand les taux d'intérêt sont à 0,25 %. Nous avons transféré ces crédits vers la dotation aux jeunes agriculteurs, pour encourager les investissements. Les jeunes agriculteurs en sont satisfaits.
Les normes ? Je connais le sujet par coeur. Avec Mme Royal, nous avons diminué les normes sur les ICPE - après le porc hier, la volaille aujourd'hui, nous étendons la simplification au boeuf !
La France était en contentieux avec l'Union européenne sur la directive nitrates. Nous avons dû réviser la carte des zones vulnérables. Aujourd'hui, alors que nous en sommes sortis, c'est l'Allemagne qui est rattrapée : tout le territoire est classé en zone vulnérable du fait de l'élevage.
Oui, il faut simplifier. Vingt ministres de l'agriculture de l'Union européenne étaient réunis à Chambord dernièrement. Il y a consensus sur un budget de la PAC maintenu ; la traçabilité - le développement du logo « Viande de France », que la France a obtenu, a été un bouleversement et sécurise les débouchés intérieurs, notamment pour les produits transformés ; la simplification et un système assurantiel face aux aléas - un ministre a même parlé d'un nouveau pilier de la PAC.
La France a dû corriger 0,8 % des surfaces éligibles aux aides européennes ; il a fallu réaliser une orthophotographie des 26 millions d'hectares, à la haie près. D'où les retards dans les versements du solde 2015, après le passage de la DPU à la DPB, quand il y a eu modification des parcelles.
L'ICHN est versée à 89 %, restent 4 800 dossiers à traiter. Ils le seront d'ici décembre. Les agriculteurs recevront des attestations en attendant.
Les zones défavorisées simples (ZDS) doivent être mises en place en 2018. J'aurais pu laisser ce travail à mon successeur. Il y a d'abord eu la carte élaborée sur les seuls critères européens. Nous avons édité une deuxième carte ce matin, qui inclut le critère de l'herbe, des prairies permanentes ; nous gagnons 4 % de surfaces. Cela règle des problèmes dans l'Est, dans le Limousin, dans le Sud-Ouest. Nous élaborerons une troisième carte d'ici le 6 décembre. Ne croyez donc pas que le ministère vous oublie, j'avance progressivement.
Les vegans ne s'en rendent pas compte : si l'on ne mange plus de viande, plus de prairies permanentes et d'animaux à photographier ! Plus de Normandes, de Salers, de Limousines, de Rouge des Prés, de Blondes d'Aquitaine, d'Aubrac, de Vosgiennes... L'élevage est un enjeu économique, un enjeu d'aménagement du territoire et un enjeu culturel. (Applaudissements)