Convention internationale France-Colombie
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
Discussion générale
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie . - Après plusieurs années de négociations depuis 2009, la convention signée le 25 juin 2015 à Bogota a été adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin dernier. Elle offrira le cadre adapté à la France et la Colombie pour éviter les doubles impositions et lutter contre la fraude.
La Colombie est en voie, avec l'aide de la France, d'accéder à l'OCDE : son cadre juridique a été évalué favorablement au regard des standards internationaux.
L'article 10 de la convention pose le principe de l'imposition des dividendes dans l'État de résidence de leur bénéficiaire et prévoit la possibilité que l'État de la source puisse les imposer aux taux maxima de 5 % ou 15 %. S'agissant des intérêts, l'article 11 limite l'imposition à la source à un taux de 10 %.
Un contribuable en situation de double imposition pourrait avoir recours à l'arbitrage. La France est en pointe dans la lutte contre l'évasion des bases fiscales : on le voit dans ce texte qui évite la double imposition.
Troisième puissance économique d'Amérique du sud, forte de 50 millions d'habitants, la Colombie se montre toujours plus attractive pour les investisseurs. Porte d'entrée dans le continent, elle constitue un marché stratégique pour la France - son 17e excédent commercial -, qui y exporte notamment du matériel de transports, des produits pharmaceutiques. Les flux d'investissements directs étrangers (IDE) y sont importants ; 150 filiales d'entreprises françaises sont d'ailleurs présentes en Colombie.
La signature historique, le 26 septembre, de l'accord de paix, mettant fin à 52 ans d'une guerre civile atroce, entre le Gouvernement colombien et les FARC, où j'ai eu l'honneur de représenter la France, doit être une occasion pour la France de renforcer ses liens avec ce pays. Cet accord est soumis à référendum dimanche, pour lequel les sondages estiment que le « oui » l'emportera à 60 %, mais les sondages sont peu fiables en Colombie. En tout cas, le nouveau cadre créé par cet accord, favorable au développement des échanges commerciaux et des investissements directs, vous donne une raison supplémentaire d'adopter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances . - Après la paix, la prospérité. Après plus d'un demi-siècle de conflit, l'accord signé lundi, devrait lever le dernier obstacle à la normalisation de la situation dans la troisième économie d'Amérique latine.
Le Gouvernement colombien mène une politique d'ouverture au commerce et aux investissements, dont témoigne cette convention, qui complète l'accord sur les investissements du 12 juillet dernier. Aujourd'hui, les deux pays ne sont liés par aucune convention fiscale : les entreprises et les particuliers risquaient donc la double imposition, et, en Colombie, une retenue à la source de 33 %, ce qui les amenait à passer par l'Espagne, qui a une telle convention avec la Colombie depuis 2013.
Cette convention est non seulement conforme aux standards de l'OCDE, mais va plus loin.
Les deux pays gardent toutefois leur souveraineté fiscale sur les activités extractives, qui représentent 70 % des exportations, donc stratégiques par la Colombie, dont le sous-sol est très riche. La définition de l'établissement stable prévue par la convention pour ce secteur - supérieur à deux mois, contre six mois pour le droit commun - est avantageuse. En France, un régime dérogatoire est prévu par les investissements immobiliers. Les deux pays partagent une même vision dans la lutte contre l'évasion fiscale.
Deux clauses anti-abus générales et des clauses sectorielles forment au total un dispositif très complet. La convention est jugée pleinement conforme par le forum de l'OCDE sur la transparence fiscale.
Cette convention, exemplaire du point de vue de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, témoigne d'une forte communauté de vues. Elle est nécessaire, équilibrée et ambitieuse. Ratifions-la ! (Applaudissements)
M. Thierry Foucaud - Il va sans dire que la signature de cette convention est anecdotique à côté de celle de l'accord de paix de Cartagena del Atlantico. Espérons que cela sonne le glas des assassinats, disparitions, enlèvements de journalistes ou de syndicalistes.
La Colombie figure dans le top 20 des producteurs de pétrole. C'est évidemment loin d'être secondaire, au regard du présent texte. Le pays est confronté aux problèmes du développement local, de lutte contre l'emploi informel. Cette convention correspond aux règles de l'OCDE, mais ne va pas assez loin dans le travail commun entre nos deux administrations fiscales. Elle ne se préoccupe que de revenus des capitaux et du patrimoine, dans le droit fil de la loi n°1739 de 2014 qui a modifié une bonne partie des règles fiscales en vigueur en Colombie en faveur des investissements privés nationaux comme étrangers.
Le pays ne pourra pas faire face aux défis d'un développement durable que grâce à une large socialisation des problèmes économiques.
Nous ne pourrons que nous abstenir.
M. Richard Yung . - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Ce débat vient à point, par le hasard du calendrier ; après l'accord de paix historique de lundi dernier et avant le referendum de dimanche prochain. Espérons que ce sera l'occasion d'agir sur la face obscure de la Colombie, que vient d'évoquer Thierry Foucaud : trafic de drogue, violence, corruption.
La France est présente en Colombie, notamment dans les secteurs pétrolier, hôtelier, dans ceux du BTP, avec Vinci, des assurances, avec Axa et de la distribution à travers par exemple le premier employeur du pays : Casino. La Colombie améliorera ses infrastructures. Elle a 50 millions d'habitants et un PIB de 250 milliards de dollars. Nos échanges bilatéraux ont triplé depuis 2006, de sorte que notre excédent commercial atteint désormais 620 millions d'euros par an.
Cette convention offrira un cadre juridique propice pour le renforcement des investissements français, qui ne seront plus soumis à la retenue à la source de 33 % et n'auront plus à transiter par l'Espagne. Nous nous en réjouissons.
Cette convention contient également des stipulations complexes en matière de lutte contre la fraude fiscale avec un système d'échange direct d'information plus contraignant que celui préconisé par le projet BEPS de l'OCDE.
Les renseignements pourront être utilisés à des fins autres que fiscales, par exemple contre le narcotrafic. Cette convention facilitera la vie de nos concitoyens vivant en Colombie. Les subsides reçus pour les étudiants et assimilés seront exonérés. Nous soutiendrons ce très bon texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. André Gattolin . - Cette première convention fiscale entre la France et la Colombie arrive en même temps que l'accord de prix qui mettra ce pays en face de nouveaux défis. Après des décennies de chaos, la tentation pourrait être grande pour le Gouvernement de chercher un profit immédiat dans une exploitation débridée de son sous-sol.
On le sait moins, la Colombie est le deuxième pays par la richesse de sa biodiversité et le troisième pour les assassinats de militants écologistes et de défenseurs de l'environnement... Il ne faudrait pas que des groupes français participent à une exploitation sans limites.
Ce texte comporte un bon arsenal anti-abus, conforme aux derniers standards de l'OCDE, qui a jugé la Colombie fiable.
Le groupe écologiste votera pour la ratification de cette convention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Requier . - Saluons l'accord de paix qui tourne une page longue et douloureuse. Les défis que la Colombie doit relever sont immenses, notamment la lutte contre les inégalités sociales et foncières ou la lutte contre le narcotrafic.
Cette convention va de pair avec l'accord de protection des investissements ; elle établit un cadre juridique stable en évitant la double imposition en établissant un régime favorable aux investissements français et un dispositif de lutte anti-fraude. Espérons que de telles conventions soient signées avec d'autres pays. Nous voterons pour sa ratification et souhaitons une mise en oeuvre aussi rapide que possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Nathalie Goulet . - Le groupe UDI-UC s'abstiendra. Certes, ce texte comporte des avancées, mais il ne contient rien sur le blanchiment d'argent lié au narcotrafic. Or la Colombie est à un des bouts de l'autoroute du dixième parallèle entre l'Amérique du Sud et l'Afrique de l'Ouest. Avec 1,5 milliard d'euros par an pour la seule cocaïne, le narcotrafic nourrit le terrorisme.
En attendant un mémorandum sur la question du blanchiment, nous ne nous opposons pas à cette convention, mais nous nous abstiendrons.
M. Philippe Dominati . - Nous examinons cette convention à un moment particulier puisque la Colombie tourne une page de son histoire. L'Union européenne a retiré les Farc de sa liste des organisations terroristes. Si la guérilla de l'ELN est toujours active, cela ouvre la voie à une implantation de nos concitoyens et de nos entreprises.
De nombreuses entreprises françaises y sont implantées, comme dans la grande distribution, Renault ou Accor. La Colombie deviendra sans doute un eldorado pour de jeunes entrepreneurs français.
Cette convention facilitera les investissements français en Colombie et colombiens en France, complétant un précédent accord. Issue de longues négociations, commencées en 2009, c'est une première en matière fiscale.
Elle renforce également la lutte contre la fraude, après l'accord multilatéral de Berlin du 29 octobre 2014 qu'ont signé la France et la Colombie, première étape très importante avec la garantie de la transmission de l'information par les autres signataires qui le demandent. Mais cela ne sera vraiment efficace que lorsque les échanges seront automatiques.
L'accord de 2014 le permettra à partir de 2017. La fraude fiscale représente 35 milliards d'euros par an pour la France !
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi qui permettra d'engager une nouvelle étape dans la lutte contre la fraude fiscale. (Applaudissements depuis les bancs du groupe socialiste et républicain jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Éric Doligé, rapporteur. - Madame Goulet, je pense comprendre la position de votre groupe. Mais le blanchiment ne relève pas des conventions fiscales ; c'est le Groupe d'Action Financière (GAFI) qui en est chargé. Cela étant, à l'article 6 de la convention, la notion de « bénéficiaire effectif » permet de démasquer prête-noms et sociétés écrans. Cela pourra clarifier des mouvements financiers et faciliter la lutte contre le blanchiment.
Mme Nathalie Goulet. - Je ne reviendrai pas sur la position du groupe ; merci toutefois de vos explications qui auraient pu la changer.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Vos collègues du groupe UDI-UC en commission des finances s'étaient prononcés en faveur de ce texte.
Le projet de loi est adopté définitivement.