Lutte contre la fraude sociale (Suite)
Mme la présidente. - Nous reprenons l'examen de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale.
Demande de retrait de la proposition de loi
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - Je maintiens mon rappel au Règlement de tout à l'heure : Mme la rapporteure a été mise en cause personnellement.
L'article premier n'ayant pas été voté, je demande le retrait de l'ordre du jour de cette proposition de loi.
Je regrette que la discussion ait été guidée par l'idéologie plutôt que le pragmatisme, ce qui est hélas trop fréquent dans notre pays.
M. Charles Revet. - C'est vrai !
M. Alain Milon, président de la commission. - Le groupe Les Républicains n'a jamais eu l'intention de stigmatiser les allocataires du RSA. Simplement, nous souhaitons donner aux départements les moyens de verser cette allocation aux bénéficiaires qui sont vraiment éligibles. Le montant en jeu peut paraître faible, 160 millions d'euros, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières... Les fraudes fiscales concernent l'État, les fraudes sociales, les départements. À chacun de faire son travail. Le rapport de la Mecss promet d'être passionnant.
Personne, ici, n'a le monopole du coeur. L'objectif était que les personnes éligibles au RSA puissent en bénéficier pleinement. (Applaudissements à droite ; M. Olivier Cadic applaudit aussi)
Mme la présidente. - Je consulte le Sénat sur cette demande de retrait de l'ordre du jour.
M. Éric Doligé . - Merci au président de la commission qui a dit le fond de notre pensée. J'ai le plus grand respect pour les personnes en difficulté. Jamais je n'aurais osé employer un terme comme « sans-dents ».
« Comment ose-t-on s'attaquer au handicap ? » me disiez-vous en 2012, quand je proposais de reporter l'application de la loi de 2005, en raison des obstacles techniques et administratifs. À peine arrivés au pouvoir, vous vous êtes ralliés à cette idée... Avec vous, on a toujours tort d'avoir raison trop tôt.
Après tant de propos de mauvaise foi, je suis ravi que cette discussion s'arrête là. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean Louis Masson . - Pour une fois que nous examinions un texte intéressant, dommage de l'abandonner en cours de route. Sous la dictature de la bien-pensance, on n'aurait plus le droit de dire ce qu'on pense, jusque dans l'enceinte du Parlement ? C'est une honte pour la démocratie. On peut ne pas être d'accord, mais les donneurs de leçons doivent se taire.
M. Bruno Retailleau . - Merci à Éric Doligé, l'auteur de cette proposition de loi et à Corinne Imbert qui a fait un travail remarquable, tout à fait équilibré. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Des propos inadmissibles ont été tenus en commission des affaires sociales, comme si ce texte nous renvoyait aux heures les plus sombres de notre histoire. J'ai même entendu à l'instant que le prénom de notre collègue rapporteur rimait avec Marine... C'est inadmissible.
La majorité gouvernementale fait une triple erreur. Elle fait comme s'il y avait une bonne et une mauvaise fraude.
Mme Catherine Génisson. - Jamais nous n'avons dit cela !
M. Bruno Retailleau. - La fraude est la fraude ; quels qu'en soient les auteurs, elle rejaillit toujours sur l'immense majorité de nos concitoyens qui se comportent convenablement. Vous oubliez ensuite que ce qui est en jeu, c'est la soutenabilité des aides publiques. Enfin, la République est un équilibre des droits et des devoirs.
Je suis heureux que la Mecss poursuive son travail, qui porte à la fois sur la fraude aux cotisations et la fraude aux prestations - vous l'auriez voulue hémiplégique... La recherche de l'équilibre, voilà ce qui nous différencie.
Enfin, nous nous targuons habituellement de débattre dignement. Puisse cette belle tradition sénatoriale se perpétuer lorsque l'intérêt général est en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit aussi)
M. Gérard Roche . - J'ai entendu des propos bien durs. Jamais je n'ai attaqué M. Doligé ni Mme Imbert, j'ai seulement dit que cette proposition de loi me paraissait inappropriée : pour régler un problème financier, elle s'en prenait à un symbole. M. Masson se plaint d'un manque de démocratie, c'est lui qui n'est pas démocrate : nous avons voté et supprimé l'article premier.
Peut-être les réactions eussent-elles été moins violentes si le groupe UDI-UC, qui appartient à la majorité sénatoriale, avait été associé à la préparation de ce texte.
M. Michel Vergoz. - On va tout savoir...
M. Gérard Roche. - Être au centre, ce n'est pas être faible, c'est dire ce qu'on pense. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Laurence Cohen . - Je me réjouis que ce texte injuste soit retiré. Dans un contexte de chômage galopant, stigmatiser les plus fragiles aurait été indigne de notre Haute Assemblée. Exagérations, dites-vous. Nous n'avons pas inventé les articles ! Les présidents de conseils départementaux le disent, la procédure de délivrance du RSA est extrêmement complexe, les demandeurs font souvent des erreurs. Et vous ne proposez rien pour la simplifier !
Bien sûr, les fraudeurs doivent être sanctionnés. Mais cela vaut aussi pour les entreprises, pour ceux qui se rendent coupables d'évasion fiscale - 60°à 80 milliards d'euros par an, tout de même. Là-dessus, vous ne dites mot ! Tant mieux si cette proposition de loi est retirée. (M. François Marc applaudit)
Mme Aline Archimbaud . - Je comprends les préoccupations financières des présidents des conseils départementaux. Mais la solidarité nationale est de la responsabilité de l'État. On ne peut pas lier les deux sujets.
Objectivement, une proposition de loi contre la fraude sociale qui se limite à la fraude au RSA, sans rien sur la fraude aux cotisations et le travail au noir, c'est complètement déséquilibré. Aujourd'hui, alors que soufflent les vents mauvais du populisme, c'est accréditer ceux qui sèment la division entre les Français. Chacun a des droits et des devoirs : chômeurs et employeurs. Ceux qui cautionnent le travail dissimulé aussi.
Mme Nicole Bricq . - Retirer cette proposition de loi est sage, mais elle n'aurait jamais dû venir en séance : après l'examen en commission, vous saviez qu'une partie de la majorité sénatoriale ne vous suivrait pas.
M. Éric Doligé. - On a encore le droit de faire ce qu'on veut !
Mme Nicole Bricq. - Quelle urgence y avait-il à aborder ce sujet, alors que des discussions sont en cours entre les départements et le Gouvernement sur une recentralisation partielle du RSA, et que le Premier ministre doit faire des annonces en juin ? Votre choix était de posture.
Sur l'accès aux droits, dont vous prétendiez traiter, le Gouvernement a montré l'exemple avec la réforme de la prime d'activité, dont le succès ne se dément pas. Le meilleur moyen de renforcer l'accès aux prestations, c'est de les rendre automatiques, non de les cibler.
Nous nous sommes exprimés par un vote dont vous tirez les conséquences : c'est la démocratie, et c'est très bien ainsi.
M. Éric Doligé. - Pour vous, la démocratie, c'est le 49-3 ! (Rires à droite)
M. Georges Labazée . - Les CAF font déjà tous les contrôles nécessaires. J'ai été président d'un conseil général, plus qu'attentif à la question du RSA, et je sais à quelles complexités administratives et financières les départements se heurtent... N'en rajoutons pas !
M. Jean-Noël Cardoux . - Si la Mecss travaille sur la fraude, c'est que Pascale Gruny avait déposé un amendement au dernier PLFSS demandant au Gouvernement un rapport sur le sujet ; M. Milon avait préféré avec raison que la Mecss s'en charge. Elle continuera à examiner l'ensemble du problème, car quelle qu'en soit la forme, il n'y a qu'une fraude. (Applaudissements à droite)
M. Daniel Chasseing . - Je ne vois dans cette proposition de loi aucune stigmatisation des bénéficiaires du RSA. Mais les élus ici savent quelles sont les difficultés financières des départements... Les gens qui sont vraiment éligibles au RSA ne s'opposent en rien à la lutte contre la fraude. Il faut les aider à trouver un travail, à se réinsérer. Si on lit l'article 7, c'était là tout l'objet de ce texte qui a été mal lu.
M. Charles Revet. - Tout à fait.
M. Marc Laménie . - Ce sujet est particulièrement délicat. Saluons le travail des collègues de la commission des affaires sociales. On parle beaucoup de la fraude : fraude sociale, évasion fiscale, etc. 160 millions d'euros, cela semble peu mais il s'agit d'argent public dont nous sommes tous responsables. Respectons-nous ; respectons la liberté d'expression. Soyons rigoureux. Je m'associe à cette demande de retrait.
Mme Corinne Imbert, rapporteure . - Merci à monsieur le président de la commission de la confiance qu'il m'a faite, à M. Savary qui m'a accompagné pendant les auditions, à M. Retailleau pour ses propos à mon égard.
Élue départementale depuis 2008, en charge de l'action sociale, et professionnelle de santé, c'est peu dire que je suis attentive aux autres, et je regrette que l'objectif de cette proposition de loi ait été mal compris. Passer d'un système déclaratif à une collecte automatique d'informations aurait permis d'améliorer l'accès aux droits. Le travail d'intérêt général, en contrepartie d'une aide sociale facultative, n'était pas un signe de mépris mais le moyen de remettre les bénéficiaires en contact avec le monde du travail et de les dédouaner de l'aide perçue. J'espère que nos prochains débats seront plus sereins.
M. Alain Milon, président de la commission . - Monsieur Roche, les propositions de lois sont issues des groupes politiques, et ne sont rendues publiques qu'à leur dépôt. Dès que la Conférence des présidents a choisi d'inscrire celle-ci à l'ordre du jour, la commission des affaires sociales, saisie, a désigné un rapporteur, et tous ses membres ont été avertis des auditions. Vous n'avez pas dû bien lire tous vos e-mails... C'est dommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - Je constate qu'il n'y a pas d'opposition à la demande de retrait de la proposition de loi de l'ordre du jour. Il en est donc ainsi décidé.
La proposition de loi est retirée de l'ordre du jour.