Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord portant création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Quelques mots d'abord sur l'apparition de ce nouvel acteur dans le paysage multilatéral. La Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures ou AIIB, selon l'acronyme anglais, est née à l'initiative de la Chine, accompagnée d'une vingtaine de pays asiatiques. Il s'agissait de soutenir le développement des infrastructures, dont manque l'Asie, le besoin étant estimé à 8 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020.
La France a été l'un des premiers pays occidentaux à se joindre à la démarche, en concertation avec l'Allemagne et l'Italie.
Mieux valait que les grands pays européens soient présents pour veiller au respect de standards sociaux et environnementaux élevés, pour que les membres non régionaux pèsent dans la gouvernance de la banque, et pour veiller à la complémentarité - et non la concurrence - avec les institutions internationales existantes. Nous voulions accompagner cette action avec bienveillance et vigilance. Le slogan lean, clean and green devait ainsi se traduire concrètement dans les textes fondateurs. Et les membres non régionaux ont obtenu une minorité de blocage sur les décisions importantes, avec 25 % des droits de vote.
L'AIIB s'inspire de ce qu'ont fait ses aînées, on le constate à la lecture des documents stratégiques. Mais elle innove aussi : les coûts administratifs seront maintenus sous contrôle, les fonctions existant ailleurs - recherche, analyse économique - ne seront pas redoublées ; et un conseil d'administration non résident sera mis en place.
Les conditions de passation des marchés seront ouvertes et justes. La banque s'impliquera concrètement dans la lutte contre la fraude et la corruption.
Du Bosphore au Pacifique, son champ géographique d'intervention est large. Il l'est aussi quant aux secteurs couverts : énergie, eau et assainissement, d'abord, puis ports, développement urbain, technologies de l'information et de la communication, infrastructures rurales, etc...
La banque interviendra par des prêts, souverains ou non, des prises de participation minoritaire, des garanties ; et ce, dès le second semestre 2016, principalement en cofinancement avec la Banque européenne d'investissement (BEI), la Banque asiatique de développement ou la Banque mondiale. Les contacts avec l'Agence française de développement s'approfondiront dans les prochains mois.
Aspect très innovant pour la représentation européenne : les dix pays de la zone euro qui sont membres de l'AAIB se sont réunis et travaillent ensemble depuis plusieurs mois pour former une seule circonscription. C'est un outil de renforcement de notre zone économique et monétaire.
Le deuxième conseil d'administration de la banque s'est tenu récemment. La France n'y a participé que comme observateur, n'ayant pas ratifié la convention. L'Assemblée générale aura lieu à Pékin en juin. Puissions-nous y participer pleinement alors ! (Applaudissements des bancs socialistes et républicains aux bancs Les Républicains)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Le sujet pourrait sembler assez technique ; il est en réalité éminemment politique. La Chine a une ambition stratégique claire, celle d'assurer un leadership sur le continent asiatique. Les moyens varient pour y parvenir : tantôt des partenariats, tantôt l'attisement des tensions - le yin et le yang... La Chine ne veut pas se laisser enfermer dans un dialogue avec les États-Unis, elle recherche donc aussi la connectivité avec d'autres régions du monde, l'Afrique et l'Europe.
Ce projet de banque d'investissement est une colonne vertébrale, une sorte de Plan Marshall du XXIe siècle, pour mobiliser les énergies autour de son grand projet fédérateur.
Il n'a pas de lien officiel avec le projet stratégique de nouvelle route de la soie. Mais c'est un instrument financier pour atteindre les objectifs de la Chine... Deuxième économie du monde, celle-ci entend jouer un rôle majeur au niveau mondial. L'AIIB est un moyen pour elle d'entrer dans la gouvernance financière mondiale ; elle réclame depuis longtemps une réforme des institutions de Bretton Woods, en particulier du FMI. Elle procède ici sans agressivité mais par le rapport de force... Comme le disait un fameux général chinois, gagner la guerre sans la livrer !
C'est pourquoi la bienveillance et la vigilance que le ministre vient de mentionner seront utiles. Tâchons d'accompagner ces intentions en les soumettant aux meilleures pratiques. Il y va aussi de la gouvernance mondiale tout court puisqu'une chaise est réservée à l'Europe hors zone euro, une autre à la zone euro et une autre encore aux Brics. L'initiative commune de la France, de l'Allemagne et de l'Italie est une première historique. Mais qui pose d'autres questions, car avec la chaise de l'Europe zone euro ou la chaise des Brics, on peut redouter une évolution potentielle vers un siège européen au Conseil de sécurité des Nations unies. Cela supposerait que la France cède sa place...
L'AIIB marque l'arrivée massive de la Chine dans la gouvernance mondiale ; c'est heureux car le danger serait qu'elle joue un jeu solitaire. La France a sa part dans ce succès : lorsque le président Xi Jinping s'est rendu en Europe, c'est à l'Unesco qu'il a prononcé un grand discours sur la diversité culturelle.
Dans une situation internationale préoccupante où la crise attise les nationalismes, nous devons compter sur le multilatéralisme, un multilatéralisme dans lequel la France peut faire entendre sa voix. Voulez-vous la paix du monde par la domination d'une puissance ou par l'équilibre des puissances ? Le texte penche vers la deuxième hypothèse, qui correspond à notre vision. (Applaudissements)
M. Philippe Esnol . - L'AIIB, qui est au service de la stratégie commerciale chinoise et qui inquiète les États-Unis et le Japon, bouleverse-t-elle l'équilibre international ? Les besoins d'investissements asiatiques sont réels - pas moins de 8 000 milliards de dollars - et les institutions de Bretton Woods ne peuvent y pourvoir. L'AIIB entend compléter celles-ci, non s'y substituer.
La France pèsera de l'intérieur pour le respect des normes sociales et environnementales et l'équilibre des puissances au sein de l'institution, ce qui est une excellente chose. Un regret : le Royaume-Uni a obtenu un siège à lui seul, alors que le Brexit, que je sache, n'a pas encore eu lieu...
Il faudra renforcer le rôle de l'Agence française de développement ; nous comptons sur le rapport d'Yvon Collin pour nous éclairer sur ce point. Le groupe RDSE votera unanimement ce texte. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite)
Mme Nathalie Goulet . - Le président Raffarin a parfaitement expliqué le contexte politique et stratégique de la création de l'AIIB, dont on ne peut que se réjouir.
L'institution réunira l'Arabie Saoudite, l'Iran, Israël... C'est assez rare pour être salué.
L'AFD devra être associée, certes ; l'Agence islamique de développement également. L'Indonésie, premier pays membre au monde, pèsera-t-elle pour recourir aux outils de la finance islamique ?
L'aspect stratégique sera prédominant. Avec 3,44 % des droits de vote, la France aura un poids modeste, mais non nul. La chaise tournante des pays européens est une bonne chose.
Nous voterons ce projet de loi de ratification, en restant attentifs aux investissements chinois en terres agricoles sur l'ensemble du globe. Nos 3,44 % devront servir à exercer un réel contrôle et une influence sur la stratégie générale de la banque. (Applaudissements au centre et à droite ; Mme Bariza Khiari applaudit également)
M. Bernard Vera . - La création de l'AIIB a été annoncée en octobre 2013 par le président chinois, c'est intéressant de le noter, devant le parlement de la République d'Indonésie. Elle vise d'abord, clairement, à conquérir de nouveaux marchés en améliorant la qualité des infrastructures asiatiques par lesquelles transitent les produits chinois ou à destination de la Chine.
Il s'agit aussi pour la Chine de renforcer sa présence dans la gouvernance financière mondiale, où elle se sent insuffisamment représentée. Les États-Unis et le Japon craignent la concurrence que la nouvelle banque ferait aux institutions de Bretton Woods ; pour les pays européens, il y a là une opportunité d'insérer l'aide au développement de la Chine dans un cadre plus coopératif qu'actuellement.
Les pays européens ont également réussi à peser dans les négociations pour obtenir la transparence en matière de marchés publics, le respect de normes sociales et environnementales, le rééquilibrage des pourcentages au sein du capital - la Chine descendant de 50 à 30 %, la part des puissances non régionales passant à 30 % si les États-Unis et le Canada rejoignent la nouvelle institution.
La France a eu raison de signer cette convention. Nous pouvons en attendre des résultats bénéfiques pour nos entreprises et donc la population française. Le Laos, le Cambodge, le Vietnam sont satisfaits de ne pas être seuls face à leur grand voisin.
Le groupe CRC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et au banc de la commission)
Mme Éliane Giraud . - C'est un moment important et la démarche engagée par la France depuis juin 2015 est à saluer.
La stratégie chinoise dite de la route de la soie répond à un besoin d'investissement estimé à 8 000 milliards de dollars. L'AIIB vise à y répondre, et à limiter la dépendance des pays asiatiques par rapport aux institutions de Bretton Woods.
La France a oeuvré, avec les autres pays européens, pour promouvoir une approche coopérative. Sa participation financière représentera 3,37 % du total, soit 3,375 milliards de dollars, ce qui lui conférera 3,39 % des droits de vote.
L'engagement français a permis d'obtenir que la Chine ne détienne que 30 % du capital, sans droit de veto, et que les pays non régionaux disposent de 27 % des parts, 30% possiblement. Nous avons également veillé au respect de standards sociaux et environnementaux et à la transparence dans la passation de marchés.
La Chine sera désormais mieux insérée dans la gouvernance internationale, à la mesure de son poids économique, ainsi que dans la politique de développement à l'échelle mondiale.
L'Europe a peut-être fait sienne la maxime du général chinois, on peut gagner la guerre sans avoir à la livrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Marie-Christine Blandin . - Siéger ensemble, financer ensemble, construire ensemble, ne peut qu'apaiser les tensions. Nous nous réjouissons de cette création. L'AIIB devra satisfaire des besoins en infrastructures estimés à 8 000 milliards de dollars - la région a, il est vrai, un retard considérable en la matière.
C'est aussi un aspect de la politique étrangère de la Chine et un témoignage de sa volonté de renforcer son influence. Mais la négociation des statuts a permis aux pays européens d'obtenir de nombreuses garanties : mention du développement durable, des droits de l'homme, exclusion du travail forcé et du travail des enfants, notamment. Ce sont de belles avancées.
Bruno Bézard, directeur général du Trésor, a décrit la Chine comme « franc-tireur ». En Afrique notamment, elle traite ses affaires dans des conditions plutôt opaques. La France doit se montrer intransigeante en matière de respect des standards sociaux et environnementaux. Cette structure nouvelle sera utile, pour peu que la France sache demeurer bienveillante et vigilante. Le groupe écologiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Henri de Raincourt . - Je veux d'abord remercier le président de la commission des affaires étrangères, rapporteur de ce texte, pour son engagement et sa passion communicative sur tout ce qui a trait aux relations avec la Chine.
La création de l'AIIB traduit des évolutions profondes en cours sur la planète. La France, pour conserver son rang, doit s'y adapter, et jeter un regard pragmatique sur le rôle que veut jouer la Chine en Asie et dans le monde : telle était la conclusion du rapport Saisir les opportunités de la croissance, que M. Raffarin et moi-même avions commis.
Nos partenaires chinois sont très réactifs. Pour s'enrichir, il faut d'abord construire des routes, disait Deng Xiaoping. Cette banque permettra de construire des routes fiduciaires, filiale de la route de la soie. (On apprécie à droite)
Les objectifs de la Chine sont clairs : renforcer les canaux d'échange entre la Chine et le reste du monde. Les besoins sont estimés à 8 000 milliards de dollars d'ici 2020. Les capacités de prêt de la Banque asiatique du développement et de la Banque mondiale sont de 30 et 12 milliards...
Avec 57 membres fondateurs dont 14 issus de l'Union européenne, la gouvernance de l'institution marque un tournant très positif.
Quelle place pour la France dans ce nouveau multilatéralisme ? Elle doit prendre toute sa part, être pragmatique, sans renoncer à ses valeurs. Les garanties obtenues en matière sociale et environnementale en témoignent. Nous n'avons certes que 3,4 % des votes, mais sommes le deuxième actionnaire non régional.
Nous voterons évidemment ce projet de loi. Un souhait pour finir : que soient définies de grandes orientations pour une véritable politique de développement multilatéral. (Plusieurs voix à droite renchérissent) Le développement, clé de la paix, mérite que l'on s'y consacre pleinement.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Pascal Allizard . - Président du groupe d'amitié France-Pakistan - le Pakistan est membre fondateur de l'AIIB - je reviens d'un voyage sur place ; je veux signaler qu'un certain nombre d'entreprises françaises, bien positionnées sur les travaux d'infrastructures engagés dans le pays, peinent à trouver des financements auprès des banques françaises, qui craignent des représailles américaines. De plus, l'assurance-crédit, en dépit du rôle de la Coface, reste limitée.
Le projet de loi est adopté.
M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements)