Lutte contre le crime organisé et le terrorisme (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous reprenons l'examen du projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme.
Discussion générale (Suite)
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois . - Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je veux bien remonter à la définition grecque de la démocratie : c'est, d'après Platon, le régime de la loi écrite. La meilleure arme de la démocratie contre le terrorisme, c'est la loi !
Je rends hommage aux forces de l'ordre et aux magistrats. Sans céder à l'émotion, les menaces évoluant sans cesse, nous devons y adapter la loi, comme c'était l'objet du texte présenté récemment par MM. Bas, Retailleau, Zocchetto et moi-même.
Les problèmes à traiter sont lourds et nombreux, d'où la centaine d'articles que compte désormais ce texte. Il s'agit à la fois de rendre plus efficaces les investigations judiciaires et de lutter contre le terrorisme dans sa globalité, en s'attaquant à la constitution des réseaux et à leur financement.
En matière procédurale, l'enquête préliminaire doit désormais occuper une place essentielle, avec le couple nouveau formé par le procureur et le juge des libertés et de la détention - dont nous devrons revoir le statut. L'extension aux enquêtes préliminaires des technologies jusqu'ici réservées à l'instruction fait consensus entre nous, tant mieux.
Contre le blanchiment, la commission des lois a accepté de nombreux amendements pour renforcer Tracfin. S'agissant des contrôles administratifs - fouille des bagages, retenue administrative, définition de l'usage légal des armes à feu par les forces de sécurité, contrôle des personnes revenues d'un théâtre d'opérations de groupements terroristes - la commission a entendu renforcer les pouvoirs de l'administration tout en se maintenant fermement dans le cadre du droit constitutionnel et conventionnel. Nous débattrons de l'introduction d'un commencement de contradictoire dans l'enquête préliminaire : pour nous, l'enquête doit pouvoir se dérouler normalement.
Se jouera aussi la question de la perpétuité réelle : nous l'avons votée en adoptant la proposition de loi du président Bas, et là encore nous irons jusqu'au bout de nos convictions, conformément aux principes posés par le Conseil constitutionnel en 1994, pour que le tribunal soit tenu à une procédure spécifique dans le réexamen de la détention après trente ans.
La démocratie ne doit pas être désarmée, les magistrats doivent lutter à parité de moyens et d'armes contre les terroristes - et notre arme principale, c'est le respect du droit ! (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est saisie pour avis des articles 19 et 32 de ce texte, contre tout décrochage entre soldats engagés sur le territoire national et forces de sécurité intérieure. Le continuum entre menaces extérieurs et intérieures étant plus patent que jamais, l'opération « Sentinelle » a conduit au déploiement de 10 000 hommes sur le territoire pour participer à la protection des Français : nous en avons débattu le 15 mars et la commission s'est déplacée au fort de Vincennes le 27 janvier. Quelle doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national ? Comment faire en sorte que leurs compétences soient pleinement exploitées - car elles n'ont pas à servir de supplétif ?
L'effort demandé à nos soldats est considérable. Leur niveau d'exposition ne l'est pas moins : en janvier, quatre soldats étaient agressés devant la mosquée de Valence, et un passant, blessé par une balle perdue, portait plainte contre eux. De tels événements ont conduit les militaires à s'interroger, d'une part sur le cadre juridique dans lequel ils peuvent être amenés à faire usage de la force, d'autre part sur la protection dont ils bénéficient lorsqu'ils sont victimes d'agressions. Comme pour les policiers et les gendarmes, des interrogations subsistent aussi sur la situation où des terroristes sont en fuite après avoir commis un attentat : en l'état actuel du droit, leur neutralisation pourrait être sanctionnée par le juge.
Il serait sans doute périlleux et disproportionné de conférer à nos soldats les mêmes prérogatives sur le territoire national qu'en Opex. Un ajustement n'en était pas moins nécessaire.
L'article 19 marque heureusement le passage d'une vision statique de la protection à un mode opératoire en mouvement, avec une combinaison du feu et du renseignement militaire dans le cadre d'une traque anti-terroriste. Il ouvre l'usage des armes longues, inutiles dans le cadre de la légitime défense stricte. Enfin, il rapproche les modes opératoires hors et au sein du territoire national, avec la notion d'identification d'un ennemi et de prise d'ascendant sur lui.
Les modifications opérées par la commission des lois pour simplifier le texte tout en assurant sa compatibilité avec le triptyque « actualité de la menace, proportionnalité de la réaction, absolue nécessité de la réaction » dégagé par la jurisprudence de la Cour de Cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme, en rendent sans doute l'application plus aisée tout en préservant cette avancée.
Toutes les interrogations ne sont pas levées. Il conviendra notamment de s'assurer que l'amélioration de la protection juridique des militaires lors de l'enquête judiciaire sera bien effective.
L'article 32 instaure un régime juridique des caméras mobiles pour les policiers et les gendarmes. Expérimentées avec succès dans les zones de sécurité prioritaire depuis 2013, ces caméras permettent d'abaisser les tensions dans les situations difficiles. La commission des lois est heureusement revenue sur l'amendement, adopté par les députés, autorisant les personnes faisant l'objet d'une intervention à demander elles-mêmes le déclenchement de l'enregistrement.
Elle a adopté un autre amendement de notre commission permettant aux gendarmes de mieux employer les élèves stagiaires en fin de formation en leur conférant la qualité d'agents de police judiciaire (APJ).
Ce projet de loi est une étape supplémentaire dans le renforcement des moyens dont disposent les forces de sécurité intérieure et les forces armées pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Continuons à travailler pour que la situation spécifique des soldats engagés sur le territoire national soit prise en compte de la manière la plus pertinente. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances . - La commission des finances s'est saisie pour avis des articles relatifs à la lutte contre le blanchiment et au financement du terrorisme : face à l'évolution des risques, nos outils doivent être modernisés - la présidente André et moi-même nous sommes d'ailleurs rendus récemment dans les locaux de Tracfin. L'enjeu est cependant international, et la France devra veiller à ce que la Commission européenne prenne effectivement des initiatives pour harmoniser la législation des États membres en la matière.
Le chapitre IV reçoit, dans l'ensemble, notre approbation, et je remercie la commission des lois d'avoir repris nos propositions, qu'il s'agisse du plafonnement des capacités de rechargement et de retrait des cartes prépayées, de l'attribution du statut de prestataire de services de paiement aux plateformes de monnaie virtuelle, de l'accès direct de Tracfin au traitement des antécédents judiciaires (TAJ), ou encore des modalités de présentation des justificatifs de la provenance des sommes transférées en liquide. Quelques-uns de nos amendements n'ont pas été retenus, alors que la commission des finances pense qu'ils sont utiles. Ainsi de la possibilité pour Tracfin d'interdire aux banques de clôturer des comptes signalés : il serait contreproductif que les établissements de crédit, auxquels Tracfin pourra désormais signaler des situations à risque, décident de fermer ces comptes...
La commission des finances proposait une nouvelle rédaction de l'article 16 ter pour mieux encadrer le régime dit des cyberdouaniers en limitant son champ d'application aux seuls délits douaniers, en imposant une habilitation des agents et l'information du procureur de la République, qui aurait pu s'opposer à ces enquêtes. Ces dispositions, supprimées par la commission des lois, nous paraissaient bienvenues compte tenu des faiblesses du régime actuel et du développement de la fraude organisée via le commerce électronique, comme l'a souligné le rapport du groupe de travail de notre commission sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique.
La commission des finances a donné un avis favorable à l'adoption des articles 12 à 16 quinquies, ainsi qu'au I de l'article 33, sous réserve de l'adoption de ses amendements. (Applaudissements au centre et à droite)