Liberté de création, architecture et patrimoine (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
Explications de vote
M. Robert Navarro . - Dans ce texte, comme dans tous ceux qui touchent à des sujets très divers, il y a du bon et du mauvais. Je soulignerai ces points positifs puisque je le voterai.
Pas un seul article dans le projet de loi gouvernemental sur le patrimoine immatériel. Je viens d'un territoire où il se vit pourtant au quotidien : la langue occitane, la gastronomie, la corrida, les joutes sétoises ou encore le poulain de Pézenas. Ce qui est vrai dans l'Hérault l'est dans toute la France. Il y a de quoi se réjouir que le Sénat l'ait introduit dans le texte. La France respectera ainsi la Convention du 17 octobre 2003 de l'Unesco.
Nous avons trouvé un point d'équilibre sur le sujet hautement sensible des éoliennes : l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France sur les installations visibles depuis un espace protégé participera de leur acceptation par les habitants.
Autre point positif, le renforcement du mécénat dans nos territoires : les collectivités pourront autoriser les entreprises à déduire de leur cotisation foncière une fraction de leurs dons à des actions culturelles.
Reste une question que le Sénat n'a pas su régler : la taxation de l'informatique dans le nuage. Passons sur le pataquès de la suppression de la copie privée sur les stockages classiques. Étendre la redevance pour copie privée ruinerait le cloud français. Les scandales sur la protection des données personnelles aux États-Unis constituent un moment favorable pour renforcer nos entreprises. Si la loi peut taxer les services français, les services informatiques peuvent être rendus partout. Comme les nuages de Tchernobyl, ils ne s'arrêtent pas à la frontière : cessons de croire que nous pourrions l'y arrêter.
Mme Mireille Jouve . - Un an après l'assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo et les saccages de l'oeuvre d'Anish Kapoor, un mois après l'agression de Combo, l'auteur de CoeXisT, ce projet de loi est l'occasion de clamer haut et fort notre attachement à la liberté de création.
Nos politiques culturelles doivent garantir la diversité de la création, veiller au respect de la liberté de diffusion et élargir l'accès à l'art dans les territoires et auprès des publics qui en sont éloignés - entre autres, les jeunes et les handicapés.
Le groupe RDSE, pour défendre l'exception culturelle française, a fait voter un amendement supprimant la possibilité pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'accorder une dérogation aux seuils en matière de diffusion de titres francophones des radios. Notre volonté d'inscrire dans la loi la notion de politique de service public en faveur de la création artistique n'a malheureusement pas trouvé un écho favorable.
Le texte fixe des règles de partage et de transparence des rémunérations dans le secteur culturel. Nous les avons renforcées avec un amendement rendant public les bénéficiaires des aides accordées au titre des 25 % de la rémunération pour copie privée.
Toutefois, le groupe RDSE regrette la mise en place obligatoire des commissions culture dans les conférences territoriales de l'administration publique aux dépens de la souplesse.
À titre personnel, je déplore les dispositions relatives à l'archéologie préventive. Le rapport de Martine Faure soulignait que les dysfonctionnements actuels sont liés à l'absence d'outils de régulation efficaces. Il aurait fallu entériner la distinction entre l'Inrap et les services archéologiques des collectivités territoriales d'une part et les acteurs privés d'autre part. Notre commission a préféré consacrer les acteurs privés qui bénéficient du crédit impôt recherche, elle qui entend pourtant lutter contre la concurrence déloyale.
La réforme des abords des 43 000 monuments historiques emporte notre soutien : seul l'État peut garantir la protection du patrimoine au-delà des intérêts locaux. Idem pour le nouveau régime des sites patrimoniaux protégés, même si nous aurions apprécié une appellation plus attractive.
Les collectivités territoriales ne doivent pas être laissées en première ligne. Fort heureusement, les plans de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, soumis à l'avis de la commission régionale et à l'approbation du préfet, ont remplacé les PLU patrimoniaux. Nous nous réjouissons, en outre, que la commission régionale du patrimoine et de l'architecture soit présidée par un élu.
Sur l'architecture, les avis sont partagés au sein de mon groupe.
Pour ma part, je crois bon de susciter un désir d'architecture. Rendre le recours à l'architecte presque banal favorisera des constructions plus harmonieuses. Notre amendement rendant obligatoire l'affichage du nom de l'auteur du projet architectural en même temps que l'affichage des autorisations d'urbanisme sur le terrain préviendra certaines dérives sans engendrer de coûts. Le rétablissement du seuil de recours obligatoire à l'architecte en dessous de 150 m2 pour les particuliers est une bonne chose eu égard à la complexité actuelle des modes de calcul. La version médiane que nous avons trouvée pour les lotissements répondra bien à l'exigence de qualité architecturale qu'aux préoccupations de certains professionnels qui craignaient d'être marginalisés.
Le groupe RDSE votera ce texte à l'unanimité mais je resterai vigilante sur l'archéologie préventive. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Grâce au travail approfondi et minutieux de nos rapporteurs, nous pouvons adopter ce texte, dont le parcours fut chaotique, dans la sérénité.
Le Sénat lui a apporté une véritable valeur ajoutée. Le rapporteur Leleux a apporté des améliorations sur le mécénat, le médiateur de la musique, l'enseignement artistique et les conservatoires. Il a supprimé l'extension aux webradios du régime de licence légale que les députés avaient adopté sans étude d'impact. Il s'est montré attentif aux demandes des musées et des fondations sur les droits légués. Nous avons étoffé le sujet de la rémunération pour copie privée, soulevé par l'Assemblée nationale, afin de prendre en compte l'essor du numérique et de garantir une juste rémunération des photographes et des plasticiens.
Notre rapporteur a osé poser une question sur laquelle le texte demeurait muet : les ressources des chaînes de télévision. Elles sont minées par la diminution des abonnements et des recettes publicitaires. La dynamique que nous avons enclenchée n'a plus qu'à être poursuivie.
Sur l'architecture, le Sénat a privilégié une approche pluridisciplinaire sur les projets de lotissement. D'une manière générale, la recherche de la qualité architecturale doit s'accompagner d'une maîtrise des coûts en ces temps où collectivités et particuliers sont durement éprouvés par la crise.
Plutôt que de rejeter la périlleuse réforme du patrimoine, nos rapporteurs ont cherché à l'amender en ayant constamment à l'esprit la protection du patrimoine et des collectivités territoriales. Représentants des territoires, nous avons préféré les « sites patrimoniaux protégés » aux « cités historiques » et garantit une unité de protection du patrimoine en refusant le PLU patrimonial et en renforçant le rôle de la nouvelle commission nationale du patrimoine et de l'architecture ainsi que celui de l'Etat.
En matière d'archéologie préventive, nous avons évité la mise à l'écart des acteurs privés au profit de l'Inrap. L'objectif de qualité scientifique des fouilles, louable, ne doit pas nous conduire à priver les aménageurs de leur capacité à choisir entre opérateurs publics et privés. Le débat se poursuivra en deuxième lecture.
Ce texte, qui devait porter l'ambition du président Hollande pour la culture, succède à trois années de baisse des dotations aux collectivités territoriales.
M. Alain Gournac. - Très bien !
Mme Colette Mélot. - C'est d'abord un texte d'affichage. (Marques d'approbation à droite.)
M. François Bonhomme. - En effet !
Mme Colette Mélot. - Néanmoins, le groupe Les Républicains le votera pour ne pas laisser les professionnels plus longtemps dans l'attente et marquer son attachement à la protection du patrimoine. (Vifs applaudissements à droite.)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements au centre.) Ce texte est paradoxal. Il se voulait une grande loi culturelle, il déroule des mesures techniques. Il brandit le grand principe de la liberté de création à l'article premier pour l'affaiblir par un article 2 qui multiplie les objectifs de la politique culturelle sans les hiérarchiser. Il se voulait décentralisateur mais prend le chemin inverse...
Trop large, sans colonne vertébrale, ce texte montre que la technique ne peut pas tout. C'est son péché originel : il manque d'une vision de la culture en 2016.
Où est donc la lueur d'espoir ? Dans le travail de la présidente de la commission, des rapporteurs, du Sénat tout entier en séance et, madame la ministre, dans votre esprit d'ouverture et vos appels répétés à poursuivre la coopération en deuxième lecture.
Le groupe UDI-UC, par ses valeurs, par la diversité des femmes et des hommes qui l'animent, accorde beaucoup d'importance à un projet culturel pour la France. Nous voterons donc ce texte.
S'il ne nous appartient pas de juger si le remaniement ministériel a été une réussite, nous serons attentifs, madame la ministre, à votre attitude à l'avenir, que nous espérons conforme à celle que vous avez eue pendant cette discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Patrick Abate . - Après un examen éprouvant, voici le vote. Dans son intervention en discussion générale, M. Pierre Laurent avait lancé un appel à l'audace. C'était bien le moins pour ce texte attendu par le monde de la culture. Malheureusement, son appel n'a pas été suivi d'effets.
Sur l'archéologie préventive, le droit des artistes et l'architecture, ce texte était perfectible. Le groupe CRC a fait son possible : seulement cinq de ses amendements ont été retenus sur cent. Le Gouvernement est resté au milieu du gué. Exit la modification du 1 %, les dispositions sur les webradios, le CIR, les concours d'architecture... Bienvenue, en revanche, à la ségrégation de certains artistes, à l'incitation au travail clandestin des amateurs, à la concentration des industries culturelles...
Le Sénat a littéralement réécrit l'article 20 pour ouvrir grand les vannes de l'archéologie préventive aux opérateurs privés, faisant fi de leurs pratiques douteuses confinant au dumping social...
Autre élément révélateur : le sort réservé au médiateur de la musique. Au nom du sacro-saint principe de respect du secret des affaires, il a été réduit à un fantoche sans âme.
Les déclarations de bonnes intentions sur l'exception culturelle, la diversité, la production indépendante n'ont pas résisté à l'épreuve de l'élaboration de la loi.
Un dernier mot sur les architectes des bâtiments de France. Élus locaux, nous avons tous eu maille à partir avec l'un d'entre eux un peu tatillon (Marques de surprise et d'approbation au centre et à droite). Il n'est pas juste de mener contre eux une bataille à peine dissimulée. Ces 120 personnes qui ont à leur charge la protection de 44 000 monuments se sont montrés très utiles ! (M. Alain Fouché en doute.) Nous regrettons que tous nos amendements pour faciliter leur dialogue avec les élus locaux aient été supprimés.
Nous aurions pu défricher ensemble un chemin étroit entre l'individu consommateur, jamais assez flatté, et l'individu créateur, jamais assez bon marché ; le chemin qui mène à l'individu citoyen qui s'émancipe, apprend et développe son esprit critique. Plus concrètement, il aurait fallu prendre le parti d'un service public de la culture et des arts renforcés défendant les créateurs, protégeant le patrimoine et promouvant le bien-vivre ensemble. (Marques d'ironie à droite) Cela exigerait des moyens.
Nous comptons sur la navette pour rétablir les équilibres mis à mal au Sénat. Pour l'heure, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et marques d'ironie à droite)
M. David Assouline . - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Le débat a été riche et constructif. Cette loi était très attendue dans une France marquée par les attaques terroristes, la remise en cause de la laïcité et la fragilisation du tissu social par le chômage de masse. Notre culture, dans ce qu'elle a de plus magnifique, dans ses valeurs universelles qui ont infusé à travers les siècles et les territoires, est la première cible des terroristes, des extrémistes et des intolérants. Mais elle est aussi le premier antidote à la barbarie et à la haine. Rendons-lui sa force de protestation, d'utopie, de communion et de joie. (Marques d'ironie à droite.) La culture n'est pas un supplément d'âme, c'est notre âme ! Nous pouvons redonner du sens à la politique grâce à la culture, par elle.
Grace à vous, madame la ministre, ce texte affirme nettement la place de la culture et de l'art dans notre République, protège notre patrimoine et prend pleinement le virage du numérique. La libre création et la libre programmation des oeuvres et spectacles sont un bien commun de la nation.
À cet article premier, ambitieux, nous sommes fiers d'avoir adjoint un article premier bis qui affirme la liberté de diffusion. Dans une économie menacée par la concentration et l'uniformisation, la diffusion de la création est de moins en moins diverse, quel que soit le secteur considéré. Face à ce risque de négation de la création, il nous faut plus que jamais protéger la diversité. Nous avons fait adopter 44 amendements constituant autant d'avancées sur la protection du spectacle vivant, les écoles d'architecture ou encore la possibilité pour les EPCI de subventionner les petites salles de cinéma.
Malheureusement, le Sénat a fait marche arrière sur l'archéologie préventive, cédant à une conception libérale de ce secteur. C'est pourquoi nous nous abstiendrons (On feint de s'en étonner à droite) en espérant que notre vote pourra être favorable en deuxième lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Marie-Christine Blandin . - Ce projet de loi a été marqué par des contrastes saisissants entre le bon bilan de nos discussions et la maltraitance de l'ordre du jour. (Approbations sur plusieurs bancs)
Nos rapporteurs se sont montrés attentifs, même si les avis sont demeurés divergents sur des points sensibles. Vous-même, madame la ministre, avez sans délai maîtrisé la mécanique des amendements et fait preuve d'ouverture. L'échange et la pédagogie ont été de mise.
Cependant, jamais un texte n'aura été si malmené : cinq coupures ont haché nos échanges, sans parler de la fin de mission signifiée à Fleur Pellerin...
Sur le fond, ce texte est aussi plein de contrastes. Nous saluons les avancées sur les oeuvres confisquées pendant la guerre, sujet exhumé par Corinne Bouchoux ainsi que sur les droits des photographes.
L'agrément du ministère de la culture sur les directeurs des structures labellisés, entorse au principe de la libre administration des collectivités territoriales, a été retiré, nous nous en réjouissons.
En revanche, de vieux relents anti-éolienne ont ressurgi à propos de la protection du patrimoine que nous défendons tous ici. Et de détricoter les lois biodiversité et transition énergétique.
M. Jean Bizet. - Vous tuez les oiseaux ! Vous saccagez le paysage !
Mme Marie-Christine Blandin. - En l'état, le texte sonnerait le glas de la filière éolienne.
Au nom des moulins à eau, que personne ne veut détruire, vous bousculez les médiations en cours que M. Jérôme Bignon soutient pourtant. J'espère que la navette apportera plus de nuances au débat... Le bien commun ne se scinde pas : nous pouvons défendre les roues à aube et la qualité piscicole des rivières, le paysage et la part renouvelable dans l'énergie.
Pour l'audiovisuel public, nous apprécions que soit réévaluée la part pertinente de production interne et mis au débat de meilleurs retours financiers aux chaînes contributives des productions externes mais le retour de balancier ne doit pas à l'inverse condamner la diversité des créateurs.
Nous nous félicitions de la reconnaissance apportée aux activités des architectes paysagistes qui entendaient il y a peu encore leurs oreilles siffler ici même.
Le dépôt légal des livres numériques améliorera la protection des auteurs et de leur travail.
Grâce au Parlement, le texte se dégage désormais du dialogue étroit entre le ministère et certaines professions dans lequel il était initialement enfermé. La culture est d'abord l'affaire des habitants ; c'est elle qui leur donne le goût des autres et la capacité de faire humanité. Mais compte tenu des coups de canif que le texte a subi, nous le laisserons poursuivre la navette sans lui apporter notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste ; M. David Assouline applaudit également)
La séance est suspendue à 16 heures.
La séance reprend à 16 h 30.
Scrutin public solennel sur le projet de loi
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n° 170 sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 204 |
Pour l'adoption | 174 |
Contre | 30 |
Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la création, à l'architecture et au patrimoine.
Intervention du Gouvernement
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication . - Je remercie chaleureusement la présidente Catherine Morin-Desailly, les rapporteurs et tous les participants à nos débats, très constructifs. Merci pour l'accueil chaleureux que vous m'avez réservé.
Le projet de loi a été fort enrichi par la Haute Assemblée : le principe de la liberté de création, « pépite brillante » selon M. Leleux, a été affirmé. Cette liberté de créer s'inscrit dans un corpus juridique qui punit aussi l'incitation à la haine et à la violence pour lutter contre le rétrécissement des possibles et de l'imaginaire. L'articulation entre l'État et les collectivités territoriales dans les politiques culturelles sera approfondi au cours de la navette.
Autres acquis : les conditions d'emploi des artistes du spectacle vivant ou la protection des abords des monuments historiques et celles des espaces protégés.
Nos débats ont démontré l'attachement de notre pays à l'architecture, les amendements Robert et Assouline constituent des avancées utiles.
D'autres dispositions ont suscité des désaccords. Sur l'archéologie préventive en particulier, souhaitons qu'un consensus soit trouvé d'ici à la deuxième lecture.
Si le budget de la culture a été mis à contribution en début du mandat, je suis fière de mettre en oeuvre un budget en hausse de 2,7 % cette année.
Le débat se poursuivra d'ici au 21 mars, date fixée ce matin par la conférence des présidents de l'Assemblée nationale ; continuons d'oeuvrer ensemble pour enrichir ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La séance suspendue à 16 h 40, reprend à 16 h 45.