Rappel au Règlement
Mme Esther Benbassa . - Le 16 septembre, lors du débat sur la question des réfugiés, j'ai évoqué le retard pris par le Gouvernement pour faire face à cette grave crise humanitaire. À court d'arguments, monsieur le ministre, vous avez cherché à m'humilier publiquement, m'avez qualifiée de marionnette courant les plateaux de télévision pour y débiter des inexactitudes et des mensonges, histoire, avez-vous dit, de faire avancer mon petit plan de communication personnel. Vous m'avez reproché de théoriser dans la presse sur ce « Waterloo moral » qui vous gêne tant, oubliant que la formule était de Cécile Duflot.
Avec une grossièreté que je ne vous connaissais pas, vous avez achevé ainsi : « je pense même que, le soir, certains qui ne passent pas à la télévision après avoir fait de telles déclarations parlent aux caméras de surveillance de leur parking pour être sûrs de figurer sur un écran. » Le directeur des études politiques du Parti socialiste, l'historien Alain Bergougnioux, jugeait récemment que « les problèmes qui se posaient en Méditerranée étaient suffisamment graves pour agiter les consciences. » il ajoutait : « on aurait peut-être dû être plus actifs ». Comptez-vous le ridiculiser à son tour ?
Avec une petite sénatrice écologiste, on pourrait donc tout se permettre... Mais je ne suis pas prête à renoncer à mon droit de critique et je respecte, comme tous ici, le métier de parlementaire. J'aurais aimé qu'un éminent représentant de l'exécutif l'eût aussi. C'est le seul moyen de débattre en démocratie. Monsieur le ministre, vos paroles, ce 16 septembre, ont été peu dignes de votre fonction et peu respectueuses de notre Haute Assemblée. Je pense que cela justifie des excuses.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de ce rappel au règlement.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Pendant des semaines, j'ai dû subir des propos réitérés qui étaient autant de contrevérités. J'ai éprouvé le besoin de rétablir une certaine forme de vérité... J'ai estimé qu'on ne pouvait en permanence mettre en cause l'action du Gouvernement avec des arguments qui n'étaient pas justes et que mon droit était d'y répondre. Si rétablir la vérité est une insulte, alors il n'y a plus de place pour le débat démocratique. Aussi longtemps que j'entendrai des propos qui mettent en cause l'honneur du Gouvernement, je me ferai un devoir d'y répondre.
Droit des étrangers en France (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
Discussion générale
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Ce texte sur les droits des étrangers en France, qui a fait l'objet d'un débat approfondi en commission des lois, vient après le texte sur l'asile. Trois principes nous guident : mieux accueillir et mieux intégrer les étrangers en France ; accueillir plus de talents ; lutter résolument contre l'immigration irrégulière, car sans reconduite à la frontière des personnes qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire national, il n'y pas de politique d'immigration soutenable.
Avant toute chose, je veux corriger certains propos, excès, outrances, amalgames qui convoquent les instincts plutôt que la raison, attisent les peurs et donnent de l'action des pouvoirs publics une image fausse.
La réalité des flux migratoires d'abord. Assiste-t-on à une hausse sensible des demandeurs d'asile, à un déferlement sur notre territoire ? La demande d'asile en 2014 a baissé de 2,34 %. Elle n'a pas augmenté depuis le début de l'année, car les flux de migrants, sous l'emprise des réseaux de passeurs, se dirigent plus volontiers vers l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, quand ce n'est pas vers la mort : en août 2014, 3 000 personnes ont perdu la vie.
L'immigration légale explose-t-elle ? Depuis des décennies le nombre de personnes bénéficiant d'un titre de séjour en France est stable et n'excède pas 200 000 personnes ; 90 000 relèvent de la politique familiale, dont 20 000 seulement au titre du regroupement familial - imaginer que cantonner le regroupement familial pour maîtriser les flux migratoires est illusoire ; 65 000 sont des étudiants - nous avons abrogé la circulaire Guéant, trop restrictive, qui n'était pas conforme à l'image de notre pays. Les étudiants étrangers sont une chance pour notre économie, pour l'innovation. Quelque 20 000 personnes sont accueillies pour des raisons de santé.
Le nombre d'étrangers en France représente 6 % de la population française, comme au début du XXe siècle, loin derrière d'autres pays de l'Union européenne. Ces chiffres incontestables, établis par l'Insee en toute indépendance, montrent qu'il n'y a pas de vague migratoire, contrairement à toutes les peurs entretenues par certains.
Parallèlement, notre lutte contre l'immigration irrégulière s'est durcie. Je ne conteste pas les chiffres donnés par le rapporteur mais leur présentation biaisée. Il met dans le même ensemble les ressortissants hors union européenne reconduits forcés, mais aussi ceux qui, Roumains ou Bulgares, touchaient la prime au retour - dispositif coûteux et inefficace que nous avons supprimé -, et ceux qui repartent de manière volontaire auxquels on délivre une obligation de quitter le territoire français (OQTF)... Le nombre des reconduites forcées à la frontière est passé de 13 000 en 2009 à 17 000 cette année, soit une hausse de 13 %...
Nous démantelons aussi les filières de l'immigration clandestine : nous avons démantelé 25 % de filières de plus en 2014 qu'en 2013 et encore 25 % de plus cette année ; 190 filières depuis le début de 2015. Nous avons mis hors d'état de nuire 3 300 personnes contre 1 800 en Allemagne pour un flux approchant outre-Rhin le million de personnes. Une fois encore, les chiffres sont là. Alors que 13 000 postes ont été supprimés dans les forces de police et de gendarmerie entre 2007 et 2012, notre politique de fermeté s'accompagne de créations de postes, notamment pour reconstituer des unités mobiles qui avaient été supprimées.
Madame Benbassa, nous avons également amélioré les conditions d'accueil des réfugiés en France avec la création de 18 500 places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), auxquelles s'ajoutent 11 500 places d'hébergement d'urgence ; 250 postes ont été créés à l'Ofpra pour réduire les délais de traitement des dossiers de 24 à 9 mois.
Le Gouvernement n'a pas attendu la publication de clichés de la presse pour agir. C'est à son honneur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Si vous le dites...
M. Philippe Kaltenbach. - Nous en sommes fiers.
M. Roger Karoutchi. - Tout va bien alors !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non, tout ne va pas bien... Mais dans une situation difficile nous travaillons. J'appelle chacun à ne pas céder aux sirènes de la facilité, à éviter les commentaires aussi faux que simplistes.
Le Gouvernement s'efforce de trouver des solutions qui n'ont pas été mises en oeuvre, de mobiliser des moyens budgétaires qui n'ont pas été prévus par le passé et de prendre des dispositions législatives qui n'ont pas été prises.
Le présent texte a trois objectifs. D'abord, mieux accueillir et mieux intégrer. Chaque année, 5 millions de passages sont enregistrés dans les préfectures pour obtenir ou renouveler un titre de séjour. Autant de temps perdu pour s'intégrer ou apprendre le français. C'est pourquoi nous créons un titre pluriannuel de séjour, que l'étranger peut obtenir après un an de présence en France. Fort heureusement, et contrairement à ce qui avait été annoncé, la commission des lois ne l'a pas supprimé.
Nous rehaussons aussi le niveau de langue requis et celui du contrat d'intégration créé par François Fillon en 2003. Les moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont renforcés pour ce faire.
Nous créons ensuite un passeport talent de quatre ans pour attirer les artistes, les intellectuels, les chercheurs, les ingénieurs ; nous entendons faciliter l'accès à l'emploi des étudiants étrangers de niveau master.
Nous voulons aussi être plus efficaces dans la lutte contre l'immigration irrégulière. D'abord, par une stricte application de la directive retour. Conformément aux recommandations du rapport de M. Buffet et de Mme Assassi, nous substituons l'assignation à résidence, plus digne, à la rétention, compliquée lorsqu'il s'agit de familles.
Nous clarifions aussi les compétences du juge administratif et du juge judiciaire : le second devient seul compétent en matière de rétention, le premier en matière d'éloignement. Je regrette que la commission des lois soit revenue sur ce point et sur le délai de 48 heures donné au juge judiciaire pour statuer. Une clarification est pourtant nécessaire.
Ensuite, la présence de la presse dans les lieux de rétention, disposition que la commission a supprimée. Le Gouvernement est attaché à la transparence. La France n'a aucune raison d'avoir honte de ce qu'elle met en oeuvre.
Enfin, l'accueil des personnes malades. C'est l'honneur de notre pays d'apporter protection à ceux qui ne peuvent pas se soigner dans leur pays.
M. Stéphane Ravier. - C'est dans la déclaration de 1789, ça aussi ? (Mme Natacha Bouchart proteste)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je comprends que cela ne fait pas partie de vos préoccupations, monsieur Ravier... Chacun a le droit d'être soigné en France. Quand le traitement contre sa maladie n'existe pas mais aussi quand on n'y a pas accès. Le Gouvernement a suivi les conclusions d'un rapport de l'Igas et de l'Iga, un dispositif uniforme piloté par l'Ofii. Les médecins qui relèvent de l'Intérieur, madame Assassi, ont les mêmes règles déontologiques que leurs confrères. Nous agissons avec humanité. Et le Parlement a des pouvoirs d'investigation et de contrôle...
Je souhaite que le débat s'apaise, que le sujet ne soit pas instrumentalisé à des fins de politique intérieure, qu'on ne joue pas sur les peurs. Ma seule préoccupation est la rigueur des faits, des chiffres, des procédures. Cette question d'intérêt national ne devrait pas nous diviser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois . - Je pars dans ce débat avec un handicap : il est difficile de traiter cette question en dix minutes... La procédure accélérée a été engagée, alors que le texte a été préparé dès 2013 ; nous avons regretté et regrettons toujours qu'il n'ait pas été présenté conjointement avec le texte sur l'asile.
Comme vous, monsieur le ministre, je tiendrai un discours de vérité et de rigueur. Ce texte n'apporte des améliorations qu'à la marge. Depuis les années 1980, l'immigration a fait l'objet en moyenne d'un texte par an... Je vous proposerai de simplifier.
Vous avez évoqué les statistiques. Je m'appuierai sur les données de la police de l'air et des frontières, et sur la réponse du ministère au questionnaire budgétaire. En 2014, 92 257 titres de séjour ont été délivrés pour un motif familial ; 16 280, soit 17,85 %, au titre du regroupement familial. L'immigration familiale représente la moitié de l'immigration régulière.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'est bien de le dire !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'immigration économique, elle, ne représente que 9 % des titres délivrés en 2014 ; 14 000 personnes ont été accueillies au titre de l'asile. Tels sont les chiffres.
Je n'ai jamais dit que les reconduites à la frontière avaient diminué, j'ai dit qu'elles n'avaient pas augmenté. Le taux d'exécution des éloignements est constant et très faible : 15 % pour les étrangers hors Union européenne, 50 % pour les citoyens de l'Union européenne. Bref, vous n'avez pas mieux fait que les autres.
M. Bruno Retailleau. - Vexant...
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Il n'y a eu aucun progrès depuis 2010. C'est pourquoi la commission des lois souhaite renforcer l'éloignement. Notre commission des lois a adopté 120 amendements. Elle a restreint les conditions d'octroi de la carte pluriannuelle de séjour, renforcé les moyens de contrôle de l'administration, prévu un débat annuel au Parlement. Le titre pluriannuel ne doit pas devenir la règle, mais rester l'exception. Le pouvoir d'appréciation du préfet a été maintenu pour éviter toute attribution d'un titre de séjour automatique. En matière d'accueil des étrangers malades, nous avons rétabli le critère de l'existence de soins dans le pays d'origine.
Nous avons renforcé l'effectivité des mesures d'éloignement en précisant les dispositions relatives à l'assignation à résidence, en soumettant les attestations d'hébergement au maire et en prévoyant une caution financière. Le juge des libertés aura toujours cinq jours pour se prononcer. Nous avons aussi rétabli le forfait de l'aide médicale d'État.
Bref, nous avons redonné du corps à ce texte pour une immigration régulière contenue et une immigration irrégulière combattue. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Le texte de la commission des lois est équilibré. Deux points ont retenu l'attention de la commission de la culture, en premier lieu l'apprentissage de la langue française. La langue est vecteur d'histoire, de culture, de valeurs. Être laxiste sur ce sujet ne rend service à personne. Comment trouver un emploi sans maîtriser la langue ? Si on n'y insiste pas, on risque de favoriser le repli sur soi, le communautarisme, de contribuer à faire régresser la condition des femmes. Le niveau exigé, A1.1, est ridiculement bas, le plus faible parmi les pays européens.
Apprendre le français est un droit, mais aussi un devoir. Les étrangers doivent passer un à un les degrés. Le Gouvernement entend relever les exigences par décret, le niveau A2, conversation simple, sera exigé pour obtenir la carte de résident. Mais il faut aller plus loin. Ne peut-on exiger de l'étranger qu'il puisse mener une « conversation simple » pour obtenir une carte pluriannuelle de séjour ? Qu'il sache « exprimer ses idées » en français pour accéder à une carte de résident ? Qu'il soit considéré comme un interlocuteur indépendant pour prétendre à la naturalisation ? Cela me semble le bon sens. Nous devons tous avoir à l'esprit l'adage selon lequel « quand on n'a pas les mots, on a la violence »...
Nous nous félicitons de l'amélioration de l'accueil des talents. Il faut cependant être plus volontariste, cibler les filières d'avenir et les spécialités déficitaires. Cinquième au monde, nous ne cessons de perdre du terrain - nous étions encore troisième il y a peu. Il faut donner la priorité à certaines filières, différencier les zones géographiques de provenance des étudiants, renforcer le suivi et le contrôle de la scolarité.
Ce texte manque d'ambition et de hauteur. Ayons le courage de sortir d'une logique de guichet pour bâtir une politique volontariste de recrutement des étudiants talentueux. Nous avons tous à y gagner. (Applaudissements au centre et à droite)
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°11, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 717, 2014-2015).
Mme Éliane Assassi . - Notre groupe a déposé cette motion afin de rejeter l'ensemble du projet de loi revu par la majorité de droite de la commission des lois. Il suffit d'écouter le rapporteur pour savoir que la nouvelle mouture du texte présentée par la commission des lois aggravera les conditions d'accueil en France et la précarité des étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière. Nous ne pouvons pas l'accepter.
Après le projet de loi sur le droit d'asile, vous renforcez encore les contrôles sous couvert d'une multiplication des demandes abusives. Pourtant, les décisions de protection sont assez stables : sur 37 500 demandes, 8 800 ont abouti en 2007 ; en 2013, 11 400 personnes ont obtenu le titre de réfugié, sur 65 900 demandes.
La question de l'asile et de l'immigration ne se limite pas aux notions de flux et de stocks. C'est une question de géopolitique internationale avant tout. Notre monde est un monde de réfugiés : 163 millions, ils seront demain un milliard à cause du réchauffement climatique. Qu'allons-nous faire ? Contrairement à ce qu'affirment agressivement Marine Le Pen, et les tenants de la « forteresse Europe », « aucune frontière ne vous laisse passer facilement ; elles blessent toutes » comme l'écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado.
Nous devons repenser notre ordre mondial. La mondialisation financière, au fond, c'est la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine, c'est la guerre. (Protestations à droite)
Pour notre part, nous pensons qu'il faut combattre l'anarchie libérale, fonder un modèle égalitaire entre les pays du Nord et du Sud comme le préconise le juriste Robert Charvin.
Sans cela, nous continuerons de laisser toute la place au Front national.
M. Stéphane Ravier. - Je confirme !
Mme Éliane Assassi. - Ne faut-il pas plutôt présenter l'immigration comme une chance ? La question « trop ou pas assez d'immigrés » ne se pose pas.
M. Stéphane Ravier. - Moi, j'ai la réponse : il y en a trop ! (M. Roger Karoutchi rit)
Mme Éliane Assassi. - Sur l'accueil des étrangers malades, si un médecin de l'Ofii, dépendant du ministère de l'intérieur, vaut sans doute un médecin de l'ARS, dépendant du ministère de la santé, ce changement de compétence entretient la confusion entre accueil pour raisons médicales et maîtrise sécuritaire de l'immigration.
Le Premier ministre a annoncé la création de 900 postes dans les forces de l'ordre pour lutter contre l'immigration irrégulière. Et la responsabilité du patronat qui utilise cette main-d'oeuvre ? La question est économique ; c'est celle du chômage et des salaires. Sans se faire d'illusion sur le sort de cette question préalable, nous insisterons dans les débats sur les libertés fondamentales. Aucune entorse ne doit être faite aux principes. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Même avis.
M. Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste pense qu'il y a lieu de débattre de ce texte qui crée un titre pluriannuel de séjour, améliore les conditions d'accueil des étrangers en France et renforce la lutte contre l'immigration clandestine. Nous voterons contre la motion.
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°11 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°4 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 19 |
Contre | 321 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
Mme Esther Benbassa . - Ce texte visait à l'origine à améliorer les conditions d'accueil et d'intégration des étrangers en France et à lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière dans le respect des directives européennes.
Entre autres dispositions satisfaisantes, le titre pluriannuel de séjour. En revanche, ce texte restreint la liberté de circulation de certains ressortissants de l'Union européenne qui sont jugés en abuser. Le défenseur des droits l'a dit, cette disposition vise les Roms.
Il reste des marges de manoeuvre pour améliorer ce texte. Hélas, la droite a remis sur le tapis tout ce dont on discutait il y a dix ans : remise en cause du regroupement familial et j'en passe. Comme si la droite, dont le capital électoral est mince...
M. Roger Karoutchi. - Ah ! En comparaison de celui des écologistes ?
Mme Esther Benbassa. - ...s'efforçait de reprendre les idées de Marine Le Pen.
Notre pays est loin de compter, comme on le dit, trop d'immigrés. Ils représentent 0,3 % de la population ; c'est moins que la moyenne dans les pays de l'OCDE. Le FN, chers collègues du groupe Les Républicains, doit vous remercier, comme il a des raisons de le faire sur le regroupement familial.
Dans les chiffres que vous citez, il y a des Français qui font venir leurs conjoints étrangers. L'encre de la disposition sur les étrangers malades était à peine sèche que la commission des lois du Sénat l'a supprimée.
Ceux qui voient les immigrés comme des intrus savent-ils ce qu'est l'immigration ? Vous en débattez sous les lambris dorés de la Haute Assemblée. La France n'attire plus les talents. Aux États-Unis, les lauréats des prix Nobel et autres médailles Fields ont des noms à consonance étrangère. C'était le cas avant en France... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Mesdames et messieurs, qui ramassera vos poubelles, qui fera votre ménage, gardera vos enfants ou petits-enfants ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain et citoyen) (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Ravier. - Des Français !
Mme Esther Benbassa. - Arrêtez de voir dans les immigrés des ennemis !
Mme Natacha Bouchart. - Cessez de dire n'importe quoi ! Un peu de respect !
M. Stéphane Ravier . - Une déferlante migratoire et il y a encore des idiots utiles qui, dans des cercles parisiens, prêchent la xénophilie. Cela nous coûte 70 milliards d'euros par an ! La fraude est massive. L'immigration économique n'est que de 9 %.
Ce n'est pas parce que la France est le pays de Molière qu'elle doit ouvrir les bras à tous les malades imaginaires. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) le dit : ceux qui demandent un titre de séjour pour des raisons médicales sont dans leur majorité - 90 % à Metz - des déboutés du droit d'asile.
Après des décennies d'inaction, agissons : des expulsions dans les 24 à 48 heures, l'exigence de cautions, de la fermeté, en somme. Mieux accueillir et mieux intégrer, d'accord, mais pour les Français d'abord. Ils souffrent. Combien sont en fin de droit de chômage, peinent à boucler leurs fins de mois ? Occupons-nous d'eux plutôt que de dépenser des milliards pour accueillir toute la misère du monde.
Mme Cécile Cukierman. - Eh bien !
M. Jacques Mézard . - L'heure ne favorise pas un débat serein. Nous venons d'en avoir la démonstration. (M. Stéphane Ravier proteste) Les polémistes, en droite ligne des ligues de la IIIe République, se sont emparés successivement de ce dossier, damant le pion aux représentants de l'intérêt national que nous sommes. Il est vrai que les majorités successives ont été incapables de montrer le chemin collectif de la raison.
Monsieur le ministre de l'intérieur, nous vous soutiendrons sans ambigüité. Car vous alliez un discours de dignité et de fermeté.
L'actualité nous met face à nous-mêmes. « Étrangement, l'étranger nous habite. De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même, écrivait Julia Kristeva. Oui, l'altérité nous place face à nous-mêmes et à nos responsabilités.
Nous aurions aimé un texte apaisé, et non électoraliste. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes du populisme qui nous rendent étrangers à nos valeurs républicaines de tolérance.
Nous pouvons et devons accueillir des étrangers, pourvu que le creuset républicain puisse fonctionner, sans cela ce sera le communautarisme.
Dignité et fermeté, c'est la ligne suivie par ce texte : création d'un titre pluriannuel de séjour, droit d'accès aux centres de rétention pour les journalistes, assignation à résidence plutôt que rétention. Autant d'avancées. Cependant, il aurait fallu aller plus loin : sur les mineurs étrangers, et notamment sur les mineurs isolés ; en prévoyant la délivrance automatique d'une carte de dix ans après expiration de la carte pluriannuelle de quatre ans, pour éviter de multiplier les exceptions.
Cela n'étonnera personne : nous ne voulons pas de la nouvelle sanction pénale créée par la commission des lois qui surchargera des prisons déjà encombrées.
La proposition n° 50 du candidat François Hollande d'accorder le droit de vote des étrangers a-t-elle rejoint le cimetière de l'oubli où gisent tant d'autres promesses électorales ? Pourtant, avant même l'élection présidentielle, le 8 décembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle avait été votée par le Sénat, avec l'indispensable soutien d'une large majorité des membres du groupe RDSE.
Dans le même temps, fleurissent tant de projets qui n'avaient jamais été évoqués pendant la campagne et dont l'on aurait pu se passer, comme la réforme des collectivités territoriales... À l'heure où l'étranger renvoie à une image fallacieuse du moi désemparé, espérons que nous ne revivrons pas le débat sur l'identité nationale ! Le Sénat doit rester fidèle à sa tradition de sagesse et de défense des libertés, à l'heure où l'on tente de remettre en cause le bicamérisme de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre)
M. Michel Mercier . - Il y a cinquante ans, Jacques Chaban-Delmas ouvrait les débats budgétaires, à l'Assemblée nationale, en invoquant cette trilogie : liturgie, litanie, léthargie...
Ne pourrait-on faire de même, s'agissant du droit des étrangers, domaine régi par un seul texte, l'ordonnance du 2 novembre 1945, jusqu'en 1980. Nous en sommes à la 22è loi en trente-cinq ans... Preuve de l'impuissance du législateur.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous nous avez expliqué, et je suis enclin à vous croire, par respect et amitié, que vos résultats étaient bons : plus de reconduites à la frontière, une immigration stable, plus de filières démantelées. Mais alors, pourquoi ce texte qui ne renverse pas la table ? Pour réussir, vous n'en avez pas besoin. Le rapporteur en a fait une analyse honnête : certaines mesures sont bonnes, d'autres moins.
Faut-il donc se préparer à un nouveau texte dans deux, trois ou quatre ans ? Certainement...
Posons-nous les bonnes questions. La France a-t-elle besoin d'immigration ? Oui (M. Bernard Cazeneuve, ministre, acquiesce) Disons-le clairement. Un Français a-t-il le droit de faire venir un étranger qu'il aime dans notre pays ? Oui, c'est le socle du regroupement familial et cela ne doit pas changer.
Avec mon groupe UDI-UC, je vous propose de réfléchir, de renverser la vapeur en s'interrogeant non sur l'immigration irrégulière, mais sur l'immigration régulière, catégorie par catégorie. La France n'attire plus les talents, c'est un véritable problème. C'est au Parlement qu'il revient de se prononcer sur des niveaux d'immigration. Je n'aime pas plus que vous ou le président de la République, le mot « quota ». On ne peut pas traiter l'immigration avec toujours les mêmes mots, ou en se jetant à la figure les mêmes préjugés, en préconisant toujours les mêmes solutions, avec les résultats que l'on sait... Sortons des sentiers battus, trouvons enfin d'autres chemins ! (Applaudissements au centre, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain et à droite)
M. Christian Favier . - Ce texte, sur lequel a été engagée la procédure accélérée, est malvenu à la veille des élections régionales, alors que les populismes se déchaînent sans vergogne, Marine Le Pen évoquant les invasions barbares, Nadine Morano des atteintes à la prétendue « race blanche ».
Hélas, le Gouvernement a oublié les valeurs de gauche qu'il défendait autrefois. Il facilite l'éloignement et déroule le tapis rouge pour les talents ; aucune avancée, donc, toutes les associations et le Défenseur des droits le disent.
L'immigration autorisée est maintenue dans un étroit carcan administratif. Des mesures visent les Roms, une première en Europe et une grave atteinte à la liberté de circulation au sein de l'Union. Quant à l'accent mis sur l'assignation à résidence, le but est, en réalité, de rendre plus efficace les procédures d'éloignement. Les médecins de l'Ofii qui dépend du ministère de l'intérieur seront en charge de l'accueil des étrangers malades, comment ne pas y voir une volonté de maîtriser les flux ? Pourquoi maintenir un régime spécifique pour les collectivités territoriales d'outre-mer ?
Après avoir combattu « l'immigration choisie » de Sarkozy, voici que le Gouvernement crée un passeport « talents » et des salariés jetables à la merci de leur employeur.
En réalité, la commission des lois s'est inscrite dans la ligne de la loi du 16 juin 2011 mieux connue sous le nom de loi Besson : refus de délivrer certains titres de séjour de plein droit, suppression de la délivrance de plein droit d'un visa pour un conjoint de Français, suppression de la délivrance de plein droit d'une autorisation de séjour pour les parents d'un enfant malade, sanction pénale en cas de manquement à l'obligation de pointage, et j'en passe. La fuite du rapport de M. Buffet dans Le Figaro illustre la manipulation politicienne de ce dossier.
Contre une vision frileuse et rabougrie, le groupe CRC continuera de le dire : l'immigration est un atout pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
M. Philippe Kaltenbach . - Nous examinons maintenant un projet de loi relatif, non plus aux droits des étrangers, mais à la maîtrise de l'immigration, titre choisi par la commission des lois qui en dit long sur sa volonté d'affichage politique. MM. Retailleau et Buffet, dans L'Opinion, ont publié une tribune où ils affirment qu'avec ce texte le Gouvernement ouvre grand les vannes de l'immigration.
M. Jean-Pierre Sueur. - Belle manière d'aborder ce débat ! C'est scandaleux ! (On approuve sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Philippe Kaltenbach. - Il faut dépassionner ce débat, si M. Ravier nous en laisse la possibilité.
M. Roger Karoutchi. - Entreprise vouée à l'échec !
M. Philippe Kaltenbach. - Les chiffres sont là ! La population immigrée est stable en France...
M. Roger Karoutchi. - Ca ne veut rien dire !
M. Philippe Kaltenbach. - Les données citées, incontestables, (M. Roger Karoutchi en doute), montrent que les marges de manoeuvre sont faibles, sauf à interdire aux Français de se marier à un étranger ou à enjoindre aux universités de refuser les étudiants non français, mesures que seule peut envisager Marine Le Pen...C'est pourquoi j'encourage nos collègues du groupe Les Républicains à ne pas courir derrière le Front national, et nous avons vu que M. Ravier va loin.
Ce texte facilite l'insertion des étrangers avec la création d'un titre pluriannuel de séjour. Depuis 2012, des efforts avaient déjà été faits pour diminuer les files d'attente en préfecture qui se forment dès trois heures du matin.
Le texte du Gouvernement était équilibré : il renforçait les garanties données aux étrangers en situation irrégulière et veillait à ce que les mesures d'éloignement des clandestins soient mises en oeuvre dans des conditions dignes.
Le groupe socialiste est prêt à un débat serein. Ce n'est peut-être pas le cas du groupe Les Républicains. Ce matin, M. Karoutchi présentait des amendements revenant sur le regroupement familial et le droit du sol, contraires à nos engagements internationaux.
Fermeté, dignité et humanité dans notre politique migratoire, oui, cela est possible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Roger Karoutchi . - Je suis sidéré d'entendre tout et son contraire : on reproche presque à la majorité sénatoriale de faire des amendements, de travailler en commission, sur un texte qu'elle n'a pas demandé !
Pourquoi d'ailleurs un tel texte aujourd'hui, à deux mois des élections régionales ? N'est-ce pas notre rôle de dire que ce texte préparé il y a 18 mois n'est pas adapté à la situation, qui a bien changé ? Le rôle du politique n'est-il pas d'abord de s'adapter aux réalités ? Il aurait fallu retirer ce texte, déjà dépassé, et en redéposer un autre après les régionales.
En matière de délinquance, de terrorisme, vous avez pris des mesures fortes et changé la politique - au sens noble - de l'État. C'était normal, et nous vous avons soutenu. Pourquoi ne pas évoluer sur ce thème ? On ne lutte pas contre l'immigration irrégulière avec des incantations. Il faut des moyens, cela coûte cher. Or Bercy ne vous suit pas, le bleu budgétaire que je présenterai demain en commission des finances montre que les crédits des chapitres 303 et 104 ne bougent pas !
Comment se fait-il, en France, dès lors que l'on parle d'immigration, on soit suspecté d'extrémisme ? Le problème s'est toujours posé en France. Les vagues migratoires du début du siècle, ou pendant les trente glorieuses, accompagnaient la croissance de notre pays ou comblaient un déficit de natalité. À l'époque, nous avions les capacités matérielles, économiques, sociales, de les intégrer. Il y a toujours eu des débats au Parlement et dans l'opinion, lors des arrivées massives de Polonais, d'Italiens et de Portugais, sur la baisse de la démographie vis-à-vis de l'Allemagne et la volonté de réarmer le pays.
Quand on a le sens à la fois de l'histoire et de l'avenir, il n'y a rien d'indigne à demander que le Parlement définisse un plafond des entrées sur le territoire national ; notre souveraineté est en jeu. La France de 2015 n'est pas celle de 1975, de 1930, encore moins de 1890. Les Français ont le droit de savoir comment on fait l'avenir.
Je le dis et le redis en commission des finances : nous ne mettons pas les moyens nécessaires à l'intégration, à l'apprentissage du français - aucun examen pour apprécier le niveau, aucun moyen nouveau pour l'éducation civique, pour l'Ofii, pour l'intégration. Inculquons d'abord nos valeurs républicaines aux immigrés réguliers et aux réfugiés.
M. Philippe Kaltenbach. - C'est prévu !
M. Roger Karoutchi. - L'immigration doit être un sujet comme un autre. On devrait pouvoir fixer le plafond, les conditions d'entrée, etc...
Les mesures prises après la guerre ou sous le Gouvernement Chirac étaient liées à la situation économique, sociale, sociétale du pays.
M. Philippe Kaltenbach. - Le regroupement familial !
M. Roger Karoutchi. - Ces mesures sont acceptables dès lors qu'elles sont décidées par le Parlement. Regardez autour de vous, dans nos quartiers, nos zones rurales : la société française est fragilisée, sous tension. Il faut définir ensemble notre capacité à accueillir l'immigration régulière, et à la limiter pour réussir l'intégration, pour éviter que des personnes en situation régulière ne se sentent quand même exclues de la société française.
Au centre de rétention administrative du Mesnil Amelot, les effectifs policiers ont continué à baisser depuis 2012. Les fonctionnaires n'en peuvent plus.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'est vrai.
M. Roger Karoutchi. - La question n'est pas de savoir si l'immigration est une chance ou non. La France d'aujourd'hui n'est plus la France des trente glorieuses. Résultat : on accueille les clandestins, mais on n'intègre pas bien les étrangers en situation régulière ou qui ont obtenu le droit d'asile. Au premier semestre 2015, l'Ofpra a accordé l'asile à 14 800 personnes - autant que pour toute l'année 2014. Nous devons gérer le problème sans tension et sans angélisme. C'est avec de la responsabilité, des moyens, non de l'incantation que l'on luttera contre l'immigration irrégulière et maitrisera l'immigration régulière. (Applaudissements à droite)
Mme Natacha Bouchart . - Ma ville de Calais concentre les problématiques les plus cruciales en fait d'immigration clandestine, et fait régulièrement la une de l'actualité. Je suis déçue par le texte voté par l'Assemblée nationale, qui ne fera qu'aggraver les flux migratoires, créant un appel d'air pour les milliers, voire les millions de personnes qui attendent de passer en Europe depuis l'Afrique ou du Moyen-Orient. Je connais la situation dramatique qui les pousse à fuir leur pays, mais assouplir les règles ne réglera pas le problème.
Ce texte est un contresens. Comment peut-on en conscience renforcer l'attractivité de la France pour les migrants alors que jamais la pression n'a été si forte ? Je le constate tous les jours à Calais : notre politique migratoire est en situation d'échec. Ce texte sonne le glas de l'immigration choisie face à une immigration subie, perçue comme une fatalité. J'invite les tenants de l'angélisme qui refusent ce parler vrai à venir à Calais : 4 000 hommes, femmes et enfants - contre 3 000 en juin - y attendent un hypothétique passage en Angleterre.
Grâce à une contractualisation avec la ville, qui a mis à disposition un centre d'accueil de jour, et une aide financière de l'État, la situation sanitaire des camps s'est améliorée. Mais à côté, un campement sauvage s'est installé, véritable bidonville. Impossible d'aider ces personnes, qui ne sont pas identifiées. Cela génère de la violence, et un développement de trafics en tout genre, soutenus par les extrémistes No Borders, que la justice laisse faire. L'humanité ne peut aller sans la fermeté. Notre pays doit rester fidèle à sa tradition d'accueil et d'asile, mais en fixant des règles. L'humanité, c'est aussi pouvoir accueillir de façon décente les immigrés : leur proposer un toit, un travail, une formation, les assimiler un jour dans la communauté nationale.
Ce texte faciliterait l'émergence de jungles partout en France, comme à Calais. Que dire des gestes désespérés des migrants dans le tunnel sous la Manche et dans le port de Calais ? Des activistes qui les instrumentalisent dans le but de nuire à l'ordre public ? Des conséquences sur l'économie locale ? Des réseaux de passeurs qui se nourrissent de la misère humaine ? De la montée de la violence ? De l'impuissance des forces de l'ordre, source de dépressions voire de suicides ? Est-ce cela, l'humanité de la politique migratoire du Gouvernement ? Non, c'est un désastre moral, conséquence d'un État qui baisse la garde.
La politique européenne, définie il y a trente ans, n'est plus adaptée. Ce dimanche, à Calais, 23 hommes ont été interpellés en flagrant délit. Pourtant le procureur de la République a fait savoir qu'il ne les poursuivra pas, estimant qu'il ne serait pas juste de ne poursuivre qu'une partie des coupables ... Le parquet aurait-il reçu des instructions, pour se rendre ainsi complice des manipulations des No Borders ? La coupe est pleine. Un tel laxisme est effarant : c'est une incitation à continuer ! Face à ces intrusions sur le site d'Eurotunnel, il faut renforcer les sanctions. J'ai déposé un amendement dans ce sens.
Le laxisme de la justice est le premier pas de l'abaissement de l'autorité de l'État. Ce texte en est l'aboutissement. Quatre déboutés sur cinq ne sont pas reconduits à la frontière. Il est temps de rétablir l'autorité de l'État.
Telle est notre divergence de fond avec votre texte. Calais est un laboratoire des dysfonctionnements de l'État. Qu'il cesse donc de se défausser ! Il faut prendre systématiquement les empreintes digitales des migrants pour pouvoir les suivre ; autoriser la détermination de l'âge osseux par radiographie afin de priver les délinquants de l'excuse de minorité.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Natacha Bouchart. - Mes valeurs sont claires.
Monsieur le ministre, vous garant de l'État de droit, vous devez imposer une concertation à Mme Taubira sur la réponse pénale à apporter. La limite de l'État de droit, c'est les tas de droits, disait un excellent juriste. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Leconte . - Première grande réforme du Ceseda depuis 2012, ce texte crée un titre pluriannuel de séjour au terme de la première année sur le territoire, tourne la page de la circulaire Guéant, sécurise les droits des migrants en clarifiant le rôle du juge administratif et du juge judiciaire et rend plus opérationnelle la lutte contre l'immigration irrégulière.
N'en déplaise à M. Karoutchi, l'admission au séjour en France est globalement stable. Nos marges de manoeuvre sont donc faibles, sauf à refuser les étudiants étrangers, à refuser le droit d'aimer et de vivre en famille en France...
J'ai vécu vingt ans à l'étranger. J'avais quitté une France obnubilée par l'égalité ; je l'ai retrouvée, en 2011, obnubilée par l'origine des gens. Le nombre d'étrangers est pourtant stable. Constat d'échec de l'intégration, qui passe par le respect, pas par l'obligation d'assimilation. Vouloir faire de l'étranger qui arrive un pré-Français déjà intégré, c'est le meilleur moyen de rater l'intégration. On devient Français parce qu'on se sent libre d'aimer, de travailler, de circuler en France. Cette liberté est au coeur de notre identité depuis 1789.
C'est un atout pour la France dans un monde global. Notre attractivité nous permet de peser sur les affaires du monde, de propager nos valeurs. Quelle tristesse de voir la classe moyenne marocaine se tourner vers Istanbul pour un week-end plutôt que vers Paris.
Le jeune et dynamique continent africain se détourne de la France, pour des questions de visas. Veillons à ne pas handicaper notre attractivité en réduisant trop notre réseau consulaire. La politique de séjour reste une prérogative nationale, quand les visas de court séjour sont gérés au niveau européen. La politique européenne mérite plus de cohérence, poursuivons la réforme de Schengen.
Ce n'est pas avec des déclarations martiales, des quotas, des passe-droits qu'on luttera contre l'immigration irrégulière, mais avec des critères clairs, comme ceux énoncés par la circulaire Valls.
Le rapport de M. Buffet revient sur des principes affirmés à l'Assemblée nationale et empêchera ce texte de remplir les objectifs souhaités par le gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'était le but.
M. Jean-Yves Leconte. - M. Karoutchi, à voir ses amendements, a la nostalgie des années Sarkozy : diviser l'immigration par deux en cinq ans, financer sur fonds publics des bus vers la Roumanie, remettre en cause la rétention des étrangers : des déclarations martiales alors que les élus demandent en masse des régularisations ! Ce n'est pas acceptable. Il faut plutôt réduire les zones grises, clarifier les droits. C'est ainsi que la France sera digne de son histoire et abordera l'avenir avec confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Colette Giudicelli . - Les drames humains se multiplient aux portes de l'Europe. Notre commission des lois s'est rendue à Menton, à Calais - où l'action de Mme Bouchart nous a épatés - mais aussi au centre d'accueil de Mineo, près de Catane. Nous y avons entendu l'innommable. Un réfugié m'a dit : « vous vous êtes émus de l'image de ce petit garçon échoué sur une plage. Moi, j'ai vu cela tous les jours et plus ». Nombre de migrants économiques se mêlent aux réfugiés politiques. Les passeurs n'hésitent pas à faire payer la traversée 2 000 à 3 000 euros pour un adulte et 1 000 euros pour un enfant, mais si la mer est agitée, ils jettent les gens par-dessus bord.
S'il faut répondre à ces situations de détresse, nous devons aussi faire preuve de fermeté. Au moment où le nombre de réfugiés s'accroît, l'immigration clandestine progresse. Les migrants refusent de se laisser prendre les empreintes digitales, préférant se rogner la peau des doigts. Les centres de rétention les laissent alors partir, ils deviennent clandestins.
M. Jean-Yves Leconte. - Hors sujet !
Mme Colette Giudicelli. - En huit mois, 20 450 personnes ont été interpellées à Menton. Certes, les contrôles ont été rétablis, mais nous craignons le développement de filières visant à utiliser le dispositif de mineurs isolés étrangers, qui coûte fort cher aux départements, dont les Alpes-Maritimes, le droit européen n'autorisant pas la reconduite à la frontière des mineurs isolés.
La lutte contre l'immigration clandestine doit être une priorité européenne. Frontex ne suffit pas : les conditions ont changé, le texte du Gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux.
Tous les immigrés, réguliers ou clandestins, doivent être traités dignement. Cela ne signifie pas pour autant laxisme et faiblesse. Donner la priorité à l'assignation à résidence, est-ce réaliste ? Cela permettra-t-il davantage de reconduites ?
Selon la Cour des comptes, 1 % seulement des 50 000 déboutés du droit d'asile font l'objet d'une décision d'éloignement. Peut-être serait-il temps de revoir les avantages offerts aux étrangers en situation irrégulières, notamment l'Aide médicale d'État (AME) ? De supprimer la circulaire de novembre 2012 qui assouplit les critères de régularisation des sans-papiers ?
La commission des lois a eu raison d'accentuer les dispositions sur la lutte contre l'immigration non maîtrisée. Une politique migratoire humaine mais ferme est possible. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains)
Mme Catherine Tasca . - Après la réforme du droit d'asile, ce texte est le deuxième volet d'une réforme visant à rendre plus efficace et plus humaine notre politique migratoire. Les drames en mer ont créé un émoi qui doit être suivi d'actions déterminées. Je salue la réactivité du président de la République et du Gouvernement dans cette crise.
Ce projet de loi sécurise le parcours des étrangers en situation régulière, crée un titre de séjour pluriannuel, améliore l'attractivité de notre pays et renforce la lutte contre l'immigration clandestine. Le bilan du gouvernement, quoi qu'on en dise, est bon : les éloignements ont augmenté de 13 % entre 2012 et 2015. Accuser la gauche d'être immigrationniste est infondé et démagogique. L'exécution des OQTF sera facilitée : délais abrégés, modalités procédurales adaptées. L'interdiction de retour sur le territoire est généralisée. En contrepartie, dans le respect des droits des migrants, l'assignation à résidence est privilégiée et le placement en rétention des mineurs rendu quasiment impossible. En contrepartie, les moyens des forces de l'ordre sont accrus.
La carte de séjour pluriannuelle de quatre ans est une avancée, qui évitera aux étrangers les longues files d'attente, humiliantes et fastidieuses, en préfecture. Un système de contrôle vérifiera que l'étranger continue à remplir les conditions, les pouvoirs de l'administration étant encadrés néanmoins par l'Assemblée nationale.
Citons aussi la carte pluriannuelle Passeport talents, ainsi que l'autorisation de séjour pour les étudiants justifiant d'un niveau master et désireux de créer une entreprise.
Bref, le texte de l'Assemblée nationale était cohérent et équilibré.
Je salue la qualité du travail de notre rapporteur. Hélas, le texte de la commission des lois a brisé l'équilibre initial, en complexifiant les procédures pour les étrangers en situation régulière, notamment en supprimant toute délivrance de plein droit d'un titre de séjour ou rendant plus difficile le regroupement familial, quitte à aller à contre-courant d'un droit considéré comme acquis.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Catherine Tasca. - Dommage que la commission des lois ait cédé à l'idéologie, soumettant les étrangers en situation régulière à des brimades inutiles. C'est à contre-courant de l'esprit de ce texte, et ce n'est pas rendre service à la France. Ce débat vaut mieux que la démagogie : nous attendons qu'il fasse évoluer le regard de nos concitoyens sur l'étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Dominique Gillot . - Merci, monsieur le ministre, de proposer à la représentation nationale ce texte très attendu. La politique migratoire est l'objet d'approches manichéennes et caricaturales, dans une logique de dénigrement et de fuite en avant, dont tous les étrangers, en situation régulière ou non, sont les victimes. La France a de longue date fait appel à la main d'oeuvre étrangère, mais, comme souvent en temps de crise, la xénophobie est de retour, comme l'illustre le texte de la commission des lois, qui fait fi d'un engagement du président de la République.
M. Roger Karoutchi. - Ça...
Mme Dominique Gillot. - Les enjeux de l'immigration sont trop importants pour qu'on joue à convoquer des instincts primaires afin de jeter dans le creuset du populisme notre histoire commune. J'avais déposé une proposition de loi sur ce sujet, reprise en partie dans la loi ESR, en partie ici.
Le savoir et le capital humain sont des enjeux centraux. Nos universités doivent pouvoir attirer les meilleurs étudiants. L'enseignement supérieur contribue à l'influence d'un État, à la diffusion de ses idées, de sa langue, de sa culture. Campus France a été créée en 2010. Malheureusement, la circulaire Guéant du 31 mai 2011 a abîmé notre image à l'étranger, détournant de brillants étudiants francophones. En affirmant la vocation des étudiants étrangers à rentrer dans leur pays, elle illustrait la contradiction entre la volonté d'attirer les cerveaux et la peur du risque sécuritaire. Résultat, la France a été détrônée par l'Australie auprès des étudiants, et n'occupe plus que le quatrième rang mondial.
Depuis 2012, le Gouvernement a changé la donne. L'abrogation de la circulaire Guéant a rétabli notre image, mais il reste beaucoup à faire. La complexité du parcours administratif, l'installation d'un climat généralisé de suspicion a eu des conséquences dommageables.
La carte pluriannuelle de séjour pour les étudiants en licence évitera une attente en préfecture souvent perçue comme vexatoire. Le redoublement ne doit pas être un motif pour mettre un terme au contrat d'intégration.
La carte « compétence et talent » a été un échec, symbolique des errements de la politique migratoire précédente.
Mme la présidente. - Concluez.
Mme Dominique Gillot. - Le nouveau passeport Talents, mieux conçu, restaurera l'image de la France. Notre politique d'accueil va gagner en cohérence et sortir de la logique du soupçon.
Il n'y a pas d'immigration subie. La France ne doit pas être refermée sur elle-même. Elle doit s'ouvrir à tous les talents, à la création, à l'excellence, aux amoureux de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - À entendre l'opposition, le contexte aurait changé et le projet de loi n'aurait plus d'intérêt. En creux, elle suggère que le Gouvernement mène une politique laxiste, qui n'est pas à la hauteur des enjeux.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - En réalité, nous avons anticipé la dégradation de la situation.
En 2011, il y a eu une crise migratoire à la suite des événements en Tunisie. Qu'a fait le Gouvernement de l'époque ? Quels moyens nouveaux ? Quels effectifs pour les forces de l'ordre, pour l'accueil des demandeurs d'asile, combien de places en centre d'accueil des demandeurs d'asile, combien de postes créés à l'Ofii ou à l'Ofpra pour traiter des dossiers dont le nombre doublait ?
Depuis que nous sommes aux responsabilités, le nombre de demandeurs d'asile est stable. Est-ce le signe d'un laxisme absolu ? Nous créons 18 500 places en Cada, nous augmentons de 200 les personnels de l'Ofpra, de l'Ofii et des préfectures pour la mise en place d'un guichet unique, nous créons 5 500 postes de policiers et de gendarmes, dont 900 pour faire face aux flux migratoires... Bref, nous corrigeons bien des manquements des politiques passées. Ne faites pas comme si nous n'avions rien fait ! Vous aviez supprimé 15 000 postes dans les forces de l'ordre.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Vous n'avez pas de vision, vous ne faites que regarder dans le rétroviseur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La politique, c'est avant tout l'art de regarder la réalité, ce n'est pas un exercice de rhétorique politicienne. Le taux d'exécution des OQTF est de 20 %, quelle que soit la période, dit le rapporteur. Toutefois, dans ces chiffres, nous ne tenons plus compte des retours volontaires, des aides au retour versées à des migrants européens, des OQTF flash : plus de politique de gribouille ni de gonflette statistique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 13 000 reconduites à la frontière en 2009, 15 161 en 2014, 17 000 cette année.
Je regrette vos propos Madame Bouchart. Le Gouvernement agit.
Laxisme, manque de détermination du gouvernement à Calais ? C'est faux. Trente filières ont été démantelées à Calais depuis le début de l'année, cela représente 750 personnes. J'ai affecté 550 policiers supplémentaires, et ce week-end encore des forces mobiles supplémentaires. Je salue leur travail et leur rends hommage. Ils ne sont pas laxistes, mais exécutent mes instructions.
Mme Natacha Bouchart. - C'est la justice qui est laxiste.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Depuis le début de l'année, 1 600 migrants en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière : ce chiffre n'a cessé de croitre depuis 2012.
Si la lande été occupée par les migrants, c'est parce que, à votre demande, nous avons évacué les squats en centre-ville. Vous saviez que nous procéderions à l'aménagement de la lande. Les moyens ? 12 millions d'euros d'aide européenne sur Jules Ferry, 18 millions pour la lande. Nous allons héberger 1 500 migrants, pour 18 millions d'euros, et créer 2 000 places en Cada, pour 14 millions. Peut-on dire que l'État abandonne Calais, quand il y investit 44 millions d'euros ? Je n'ai pas été inspiré par des raisons politiciennes. Quand j'étais maire de Cherbourg et que M. Sarkozy décidait de fermer Sangatte en 2002, je n'ai pas eu droit au moindre soutien. Venir ensuite vous accuser, à la tribune du Sénat, de créer un appel d'air en ouvrant un centre d'accueil de jour humanitaire à Jules Ferry, ce n'aurait pas été très digne, sur le plan humanitaire ou politique. Cela aurait traduit un certain sectarisme, un comportement bien politicien... Je ne change pas de position, et continuerai à tenir mes engagements. L'État continuera à créer des places en Cada pour des raisons humanitaires et non politiques.
Citez-moi un article de ce projet de loi de nature à aggraver la situation à Calais ! Clarifier les compétences du juge judiciaire et du juge administratif facilitera les éloignements. Je continuerai d'appeler à un débat serein et sincère, qui ne soit pas préempté pour des raisons liées au calendrier électoral. Il y a à Calais des personnes en grande détresse ; j'en suis informé, vous le savez, y compris par vos textos.
Certes, les régionales approchent mais mettre en cause ma disponibilité à la tribune du Sénat n'est pas convenable, compte tenu des engagements de l'État à Calais, engagements que j'ai l'intention de maintenir et d'intensifier. Je ne ferai jamais de la politique de cette manière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 7 octobre 2015 à 14 h 30.
La séance est levée à minuit cinquante.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques