Questions cribles sur la réforme du collège
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la réforme du collège à Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Françoise Laborde . - La réforme qui nourrit la polémique depuis bientôt un mois s'inscrit dans la continuité de la loi de refondation de l'école. Elle porte sur le contenu des enseignements, les outils pédagogiques, le temps scolaire. Même si nous nous inquiétons du décalage entre le décret et sa mise en oeuvre, le groupe RDSE réaffirme son attachement au collège unique, qui a ouvert les portes de la connaissance au plus grand nombre, comme le voulait Jean Zay, ministre de l'éducation du Front populaire. Trois heures d'accompagnement personnalisé en 6e suffiront-ils ? Sera-t-on prêt à organiser des enseignements interdisciplinaires à la rentrée 2016 ?
La réussite scolaire dépend de la maîtrise orale et écrite de la langue. Ne faut-il pas augmenter les heures de français en 6e plutôt que de les réduire ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Cette réforme a un objectif : la réussite pour tous. C'est d'autant plus vrai que nous parlons d'enfants de moins de 15 ans. Nous aussi, nous réaffirmons notre attachement au collège unique - ce qui ne veut pas dire collège uniforme. C'est bien pour cela que nous développons l'accompagnement personnalisé, le travail en petits groupes, les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI).
L'accompagnement individualisé sera dispensé à raison de trois heures par semaine, pour aider les élèves en difficulté mais aussi faire progresser les meilleurs. Le français n'y perdra pas davantage que les autres disciplines. Pendant les heures d'EPI les élèves pratiqueront ce que les Anglo-saxons appellent le learning by doing. Jouer une pièce de théâtre, n'est-ce pas aussi progresser en français ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Françoise Laborde. - Quel sera l'impact de la réforme sur le brevet des collèges ?
Mme Aline Archimbaud . - La réforme du collège applique les choix faits lors de la loi de refondation de l'école. Le collège doit désormais, après des choix coupables, concilier exigence pour tous et attention pour chacun.
Dans les zones difficiles, de nombreux enseignants innovent déjà ; les EPI vont renforcer les processus de coopération à condition que les équipes bénéficient de temps et de formation. La réussite exige aussi la mixité sociale : comment comptez-vous l'améliorer ?
Pour réussir, il faudra des enseignants supplémentaires... En Seine-Saint-Denis, 500 postes supplémentaires sont prévus. C'est un effort mais cela reste insuffisant. Il faudra aussi, comme en Finlande, favoriser la coopération entre les élèves, et non la concurrence.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - La mixité, nous la promouvons afin que chaque établissement ait le même niveau d'exigence. Des parents craignent que leurs enfants soient tirés par le bas en raison de la présence dans tel ou tel établissement d'élèves en difficulté. Nous dissiperons leurs craintes avec des établissements offrant les mêmes formations exigeantes, des programmes qui renforcent l'acquisition des fondamentaux et une nouvelle sectorisation en lien, évidemment, avec les conseils départementaux. La réforme donnera lieu à un nouveau brevet en 2016.
En Seine-Saint-Denis, nous avons créé 330 postes à la rentrée. Nous poursuivrons cet effort.
Mme Aline Archimbaud. - L'innovation pédagogique doit aussi porter sur la coopération entre les élèves, c'est une question de fond. De même, l'école doit valoriser toutes les formes d'intelligence.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - La semaine dernière, vous avez promu, madame la ministre, un nouveau découpage entre enseignements obligatoires et enseignements pratiques interdisciplinaires. Comment le croire quand le volume horaire des enseignements disciplinaires régresse de 108 h 30 à 104 heures sur tout le collège ? Les EPI varieront d'un collège à l'autre. Qui enseignera quoi ? Ne va-t-on pas vers la bivalence ? Vous annoncez 4 000 postes pour accompagner la réforme, est-ce suffisant ? Quelle formation pour les enseignants ? Ce sont les cadres A les plus mal lotis de la fonction publique avec seulement trois jours de formation continue par an, contre huit en moyenne dans l'OCDE.
Vous annoncez la mise en route de la réforme à l'automne : selon quel calendrier, et avec quels moyens - crédits de formation et ETP ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Oui, pour que la réforme réussisse, nous devons mettre l'accent sur la formation et l'accompagnement des enseignants. Nous avons quinze mois pour y travailler avec eux.
C'est vrai, nous introduisons un volet de 20 % d'heures livré à la liberté des établissements - mais le collège unique n'est pas fragilisé, l'encadrement est national, horaires comme programmes. Quant aux EPI, huit thèmes nationaux ont été dégagés, qui s'appuient sur les programmes. Les disciplines fondamentales ne sont pas lésées, au contraire. Nous voulons des élèves moins passifs, plus créatifs, davantage acteurs.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Quels seront les moyens dévolus à la formation continue ? Ils stagnent depuis 2010. Je ne suis pas sûre que les Éspé aient bien intégré la question - la Cour des comptes en doute aussi. En 2009, l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) a rendu un rapport sur l'enseignement intégré des sciences et technologies : c'est un succès mais le processus est complexe et repose sur le volontariat des enseignants.
Mme Françoise Cartron . - Je suis fière d'avoir rapporté dans cet hémicycle la grande loi de refondation de l'école, largement débattue et amendée par le Sénat.
Le temps était venu d'avancer, d'engager la réforme du collège - moment critique de la scolarité pour les plus fragiles - à laquelle le Conseil supérieur de l'éducation a donné un avis favorable début avril. Aucune précipitation : le décret est paru deux ans après le vote de la loi. (Marques d'ironie à droite) Les associations de parents d'élèves soutiennent la réforme, il faut enseigner mieux plutôt d'enseigner plus.
La réussite de la réforme repose sur les enseignants. Quelles sont les modalités de la concertation avec la communauté éducative dans les semaines et mois qui viennent ? Quels moyens pour leur formation ? Le temps est passé de la polémique, (exclamations à droite) est venu celui de la construction. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Merci pour cette question... (Rires à droite) Il faut bien distinguer l'hostilité de principe à la réforme et les interrogations de la communauté éducative, auxquelles il faut répondre. Nous souhaitons construire avec elle les textes d'application.
La réforme ne se fait pas à moyen constant : création de 4 000 postes, augmentation de la dotation globale horaire de chaque établissement.
Cet automne, les formateurs seront sur site ; ils se déplaceront dans les établissements. Aucune réforme ne réussit sans accompagnement. Nous avons quinze mois devant nous. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Françoise Cartron. - Merci. Pour la formation, il faut mobiliser toutes les forces, y compris les inspecteurs qui sont proches du terrain. Il faut dire aux enseignants qu'ils ne sont pas seuls.
M. François Bonhomme. - On est sauvés !
Mme Catherine Morin-Desailly . - Nulle part dans le rapport annexé à la loi de refondation de l'école ne figurent les modalités de la réforme du collège... (Exclamations de dénégation à gauche) Ce qui explique les interrogations des enseignants et des élus. Je veux aborder la question de l'orientation. Les parcours de découverte professionnelle disparaissent, ce qui les remplace est pris sur le temps disciplinaire. Veut-on retarder l'orientation jusqu'à la seconde ? Décourager les élèves de s'orienter vers l'apprentissage et l'enseignement professionnel ?
Le renouvellement des programmes se traduira par de nouveaux manuels scolaires, pour toutes les classes et toutes les disciplines. Une aide est-elle prévue pour que les collectivités territoriales puissent faire face à cette dépense d'une ampleur inédite ? (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - D'une certaine façon on pourrait presque nous reprocher d'avoir attendu trop longtemps pour publier le décret. (On le nie à droite) Vingt-deux mois... La réforme était prévue par la loi de refondation de l'école, votée après cinq mois de débats. Nous avons commencé par l'école primaire, nous réformons désormais le collège avec des programmes repensés et un fonctionnement en cycles de trois ans.
L'orientation professionnelle est un enjeu fondamental à mes yeux. C'est bien pour cela qu'un des EPI est intitulé « Monde économique et professionnel ». Les élèves de 5e, sans attendre la classe de 3e, seront sensibilisés au monde de l'entreprise, aux métiers, à l'apprentissage. Ils pourront par exemple construire une mini-entreprise...
Mme Catherine Morin-Desailly. - Et les manuels ? Pourquoi êtes-vous revenue sur les dispositifs que nous avions mis en place pour favoriser l'apprentissage ? (Applaudissements au centre et à droite) Chaque enfant doit pouvoir choisir en connaissance de cause son orientation, en fonction de ses aptitudes et ses appétences. Le collège unique n'est pas le collège uniforme.
Enfin, jamais dans les débats sur la loi Peillon il n'a été question du collège. Comprenez l'étonnement du Parlement et de la communauté éducative !
Mme Catherine Troendlé . - Votre réforme a suscité une levée de boucliers. Suppression du latin et du grec, enseignement des Lumières ou du christianisme médiéval transformé en option, disparition des classes bilangues et européennes. Les groupes d'amitié France-Allemagne de l'Assemblée nationale et du Sénat se sont émus, j'ai publié une tribune cosignée par cinquante sénateurs. Une pétition a recueilli des dizaines de milliers de signatures (Exclamations amusées sur les bancs socialistes) Mais vous refusez de revoir votre copie... Les professeurs d'histoire-géographie, de langues vivantes ou d'arts plastiques sont inquiets, la majorité des Français sont opposés à votre réforme, mais vous continuez de faire la sourde oreille... Vous publiez un décret en catimini au lendemain d'une grève nationale, vous passez en force ! Entendez-vous rouvrir une phase de concertation ? (Applaudissements à droite)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Madame Morin-Desailly, il y a une différence entre l'orientation d'office d'un jeune en apprentissage et notre perspective qui vise à donner les moyens aux enfants de choisir leur vie.
Madame Troendlé, distinguons la réforme des programmes de celle du collège. Les programmes relèvent d'un conseil indépendant. Une consultation a été lancée. C'est seulement après avoir recueilli l'avis des 800 000 enseignants qu'ils seront définis. La consultation va au-delà, j'ai par exemple sollicité de grands historiens pour le forum du 3 juin. Je vous appelle à la sérénité. Nous voulons des programmes plus clairs, plus progressifs et plus efficaces.
Mme Catherine Troendlé. - Les deux réformes sont liées... Vu le climat d'opposition des enseignants eux-mêmes, comment parler de sérénité ?
M. Christian Manable . - Dans le rapport annexé à la loi de refondation, les objectifs étaient très clairs : une école juste pour tous et exigeante pour chacun. Toutes les composantes du système éducatif doivent se mobiliser. Jean-Claude Delahaye écrivait récemment que la refondation concernait tous les élèves, qu'elle n'était pas nivellement par le bas mais élévation du niveau de tous, qu'il fallait porter en priorité attention aux plus fragiles, ceux dont le destin scolaire est lié à l'origine sociale. Quelle est la place du collège dans la refondation de l'école ?
Comment se traduira le développement de la compétence numérique dans la réforme du collège ? Les jeunes doivent apprendre à mieux maîtriser les outils dont ils se servent tous les jours. Quel sera le rôle des collectivités territoriales dans ce service public numérique éducatif ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Vous évoquez l'excellent rapport de M. Delahaye : on parle trop peu du million d'enfants pauvres qui connaissent des difficultés sociales quotidiennes, qui décrochent faute de soutien. La refondation de l'école s'intéresse à ces enfants-là, pour combattre l'autocensure, leur redonner envie de croire en leurs chances.
Non, le latin et le grec ne sont pas supprimés. Au contraire, nous voulons ouvrir leur enseignement à tous les collégiens - pourquoi ne l'offrir qu'à 15 % d'entre eux ?
Le président de la République a annoncé un plan d'un milliard d'euros sur trois ans pour le numérique - maîtriser les outils et apprendre la civilité numérique.
M. le président. - Monsieur Manable, il vous reste deux mots !
M. Christian Manable. - Le numérique... (« Bravo » à droite) nécessite des investissements dans les infrastructures. Pour être connecté, il faut des tuyaux. L'intervention publique reste indispensable en milieu rural.
M. Jacques Grosperrin . - Vous menez cette réforme avec tant de brutalité et de dogmatisme que vous vous êtes mise à dos l'opinion publique, la communauté éducative et les intellectuels, les vrais...
M. Didier Guillaume. - Que c'est nuancé...
M. Jacques Grosperrin. - Comment en êtes-vous arrivée là ? Je vous en donne acte, l'autonomie est une bonne chose. Mais pour le reste, quel échec ! Vous supprimez les classes bilangues en 6e - 80 000 élèves y sont scolarisés, les effectifs en allemand s'étaient maintenus. Les parents inscriront leurs enfants dans le privé... L'allemand risque d'être délaissé au profit de l'espagnol... Le latin et le grec sont menacés, supprimés en tant qu'enseignements autonomes... Vous tirez tout le monde vers le bas. Décidément, le socialisme a du mal avec l'excellence. (Protestations sur les bancs socialistes)
Quand entendez-vous associer le Parlement à votre réforme ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Quand les parlementaires se sont-ils prononcés ? En 2013, lors de l'examen de la loi de refondation de l'école. L'apprentissage de la langue vivante 2 sera plus précoce.
M. Didier Guillaume. - C'est une très bonne mesure.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Toutes les enquêtes montrent que cela favorise leur apprentissage. Alors que les classes bilangues ne concerneraient qu'une minorité, nous facilitons l'apprentissage des langues pour tous. De même, nous permettons aux enfants qui choisissaient une langue vivante autre que l'anglais en primaire de pouvoir étudier l'anglais en langue vivante 2 dès la 6e.
M. Jacques Grosperrin. - Vous êtes passée en force, vous avez confisqué la parole du Parlement. Votre rétropédalage ne trompe personne... Il aurait été plus judicieux d'engager une expérimentation. (Applaudissements à droite)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les Français sont réputés pour leur piètre maîtrise des langues étrangères...
M. Didier Guillaume. - Ça va changer !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Trois heures par semaine d'enseignement ludique, ce n'est pas suffisant pour devenir bilingue... la plupart des postes à responsabilité exigent aujourd'hui le plurilinguisme.
Les classes bilangues, européennes, internationales étaient fondamentales. Pourquoi contraindre tous les élèves à acquérir un vernis de langue vivante 2 en 5e alors qu'ils ne maîtrisent pas toujours les fondamentaux ? Le bilinguisme pour tous en 5e, c'est un mensonge. Le collège unique est un échec. Le saupoudrage n'est pas une solution. À l'étranger, cette réforme est mal perçue, il est à craindre que l'enseignement du français en Allemagne, par exemple, en souffre.
Quelque 400 millions d'euros sont nécessaires pour financer cette réforme, mais vous n'avez inscrit que 60 millions de crédits. Qui en fera les frais ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Tous les postes de demain requerront une maîtrise des langues étrangères, ne réservons pas leur enseignement à une élite. (Applaudissements à gauche)
Comme vous, je suis contre l'uniformité ; les 20 % d'autonomie vont dans le bon sens. Enfin, cessez de prétendre que la loi de 2013 ne prévoyait pas la réforme du collège. Quant aux manuels, je vous rassure, ils seront prêts pour la rentrée de 2016.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous n'avez pas répondu sur le financement ! N'aurait-il pas mieux valu augmenter le nombre de classes bilangues ?
M. Didier Guillaume. - Mais vous avez supprimé des postes !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Alors que l'on ne pourvoit pas tous les postes au Capes d'allemand, disposerons-nous d'assez d'enseignants bien formés ?
La séance est suspendue à 15 h 55.
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
La séance reprend à 16 h 5.