Débat sur l'avenir de l'industrie agroalimentaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de l'industrie agroalimentaire.
Mme Françoise Gatel, au nom du groupe UDI-UC . - L'agroalimentaire constitue un enjeu essentiel pour notre pays. C'est une filière stratégique, de 160 milliards d'euros, avec 97 % de PME. En Bretagne, une commune sur cinq accueille un site ou une unité. L'agroalimentaire, ce sont 495 000 emplois, une pépite à l'export. Mais ce résultat masque de grandes difficultés, notamment dans la filière volaille ou porc : 300 exploitations porcines disparaissent chaque année. Si on peut se réjouir de la reprise des abattoirs GAD par un groupe de distribution, elle a renforcé la dépendance des producteurs. Nombreux sont les sites en difficulté, AIM à Antrain par exemple.
La PAC, protectrice et généreuse, a longtemps soutenu l'agriculture française, qui s'est modernisée. Depuis, la conclusion d'accords internationaux - Uruguay round, Doha - la politique d'ouverture des échanges de l'Union européenne a ouvert la compétition avec les grands pays producteurs, dont le niveau de développement favorise l'exportation de produits et de main-d'oeuvre.
Aujourd'hui, la perte de compétitivité de l'agroalimentaire, longtemps fer de lance de notre économie, est réelle et préoccupante. Je vous renvoie au rapport de M. Deneux, sénateur centriste. Le niveau de prélèvements sur ces entreprises, le coût du travail sont bien plus importants qu'en Allemagne, sans compter la distorsion fiscale et sociale. Cela impacte la capacité d'investissement.
L'exportation est un levier d'ampleur pour soutenir ce secteur, avec l'explosion de la population mondiale.
L'agroalimentaire est le premier poste d'exportation en valeur absolue : 95 % de sa valeur est créée en France mais 27% seulement de son chiffre d'affaires est réalisé à l'export ; le potentiel est conséquent pour satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d'habitants de la planète, la marque France et synonyme de qualité.
Or beaucoup d'entrepreneurs déplorent le manque de lisibilité du dispositif d'aide à l'exportation. À quand un guichet unique pour nos PME ?
Des barrières non tarifaires constituent des freins importants, notamment le volet sécurité sanitaire imposé par la Food and drug Administration (FDA). Le comité Asie est une excellente chose, la Chine est devenue un importateur majeur. Les scandales sanitaires à répétition en Chine renforcent l'attractivité de produits importés...
Je vais entonner la ritournelle bien connue : la réglementation sanitaire et environnementale, essentielle, doit être harmonisée. Notre politique de sécurité alimentaire est un atout qui a conduit un groupe chinois à implanter une usine de production de lait à Carhaix. Malheureusement, la France, par sa surenchère normative, au-delà des exigences communautaires, fabrique une machine à perdre qui pénalise l'exportation, au bénéfice de nos concurrents.
M. Jean Bizet. - Exact !
Mme Françoise Gatel. - Un yaourt 100 % végétal ne peut plus être qualifié de tel car il contient de l'eau, un fromage peut être dit « aux noix » dans un département mais pas dans un autre...
Il faut améliorer la traçabilité des produits importés - je pense au soja OGM, sans parler de la viande de cheval dans les lasagnes, de sinistre mémoire...
La pénibilité du travail dans l'agroalimentaire rend ces métiers peu attractifs ; il faut valoriser ce secteur, adapter les dispositifs de formation, construire de réels parcours professionnels. Les usines allemandes emploient massivement un personnel venu d'Europe de l'est, payé sur la base du salaire du pays d'origine.
Encourageons la modernisation et la robotisation des chaînes d'abattage et de découpe. La restructuration des industries agroalimentaires françaises renforcera leur compétitivité. Le tissu des PME n'a pas toujours les moyens d'investir ; le programme des investissements d'avenir est une heureuse initiative, mais sa complexité tétanise les entrepreneurs...
En Bretagne, la création d'une milk valley va dans le bon sens, comme le projet innovant d'alimentation de poulets à base d'algues, lancé par les repreneurs de Tilly.
La production, comme la transformation, suppose que les entreprises soient présentes sur toute la gamme. Le critère du prix reste déterminant pour la majorité des consommateurs. Les entreprises doivent diversifier leurs circuits de distribution pour desserrer l'étau de la grande distribution. L'intégration du numérique dans les stratégies commerciales des entreprises est une piste à creuser : la vente en ligne ne cesse de progresser, c'est une belle occasion de développer une relation plus directe entre producteurs et consommateurs.
Il faut en effet lutter contre les abus de la grande distribution, face à laquelle les PME sont en position de faiblesse destructrice. Les enseignes se livrent une guerre des prix sans merci, étranglant leurs fournisseurs. La période de négociation annuelle s'apparente à de la maltraitance, tant le rapport de force est inégal. Au moment où le marché intérieur stagne, la guerre des prix sévit sans merci, pour en conquérir quelques miettes : un yaourt vaut aujourd'hui moins cher qu'il y a dix ans, alors que le produit a évolué. Aux pouvoirs publics de veiller à l'équité dans ces négociations. Aujourd'hui, le produit local finance le produit de grande consommation ! Voyez ce que dit Serge Papin, président de Système U ! C'est le coco de Paimpol - excellent haricot blanc - qui finance le coca cola américain !
Nous devons tous soutenir nos PME, tant à l'exportation que sur le marché national. Je salue le plan Nouvelle France industrielle ; nous devons initier un pacte d'avenir et de confiance entre tous les acteurs, afin de pérenniser une filière exemplaire, garante de cohésion sociale et de développement équilibré.
L'agroalimentaire ne doit pas être la sidérurgie de demain ! (Applaudissements)
M. Daniel Gremillet . - L'industrie agroalimentaire est notre premier secteur économique, tant en termes de chiffre d'affaires que d'emplois, qui ont été maintenus depuis les années 70. C'est le deuxième secteur derrière l'aéronautique, avec la plus forte croissance à l'export en 2013.
Quels sont les enjeux du 21ème siècle ? L'évolution démographique est un défi. À nous d'investir ces nouveaux marchés. Nous avons la chance de bénéficier d'une grande diversité de terroirs, d'une puissance de frappe industrielle, de produits de qualité qui allient compétitivité et traçabilité. Pour répondre à la demande, il nous faut mener une politique offensive, comme nous l'avons fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Les progrès techniques aideront notre agriculture à répondre aux défis du temps : oui, les biotechnologies sont une réponse, à condition que la France se dote de véritables pôles de recherche.
Autre opportunité à saisir : la cyberéconomie. La fin des quotas laitiers est une évolution majeure : c'est la première fois que sans débouchés, le secteur laitier n'a pas de clients ; c'est la première fois que l'Union européenne abandonne la filière laitière. Il faudrait inciter les exploitants à investir, avec un prêt de carrière à taux zéro (PTZ) par exemple.
Je sais que vous oeuvrez au plan de modernisation des bâtiments, monsieur le ministre. Il convient aussi de mettre en place un filet de sécurité.
Notre pays doit afficher une politique claire et volontariste. Nous avons de l'espace, de l'eau, du savoir-faire. Pourquoi une telle timidité ? Donnons confiance aux producteurs, aux entreprises agroalimentaires, définissons une stratégie et une ambition. Saisissons la chance d'écrire une nouvelle page de notre histoire agroalimentaire ! (Applaudissements)
M. Henri Cabanel . - Je suis heureux de ce débat et remercie Mme Gatel de cette initiative.
Les chiffres sont connus : 160 milliards de chiffre d'affaires, 500 000 emplois directs, 12 000 entreprises, 70 % de la production agricole française, deuxième secteur exportateur en valeur, après l'aéronautique.
La viticulture contribue à ces bonnes performances, j'en suis heureux. Malgré la crise russe et les événements climatiques, le secteur a plutôt bien résisté à la crise, grâce notamment au marché chinois, les Chinois investissent dans la poudre de lait dans le Calvados et apprécient le jambon de Bayonne...
Le gouvernement s'est saisi de ces enjeux et a pris conscience de l'inégal partage entre producteurs et distributeurs. « La guerre des prix est arrivée à ses limites », a d'ailleurs déclaré Mme Delga. La loi Lagarde a fait beaucoup de dégâts ; des décrets ont été publiés pour y remédier, le gouvernement a saisi l'Autorité de la concurrence, le racket au CICE est une réalité. En matière de certification, un amendement de M. Jégo à la loi Macron remet en cause le label « Viande de France » au motif que l'utilisation du drapeau tricolore constituerait une pratique commerciale frauduleuse, cette certification est pourtant gage de qualité. Quelle est la position du gouvernement sur ce sujet ? J'ai beaucoup de respect pour le label « Origine France garantie ». Je soutiens le made in France, il serait dommage de mettre en cause la certification qui marque le savoir-faire de nos territoires. Beurre d'Isigny, piment d'Espelette, jambon de Bayonne, ces noms font rêver... L'Hérault compte des dizaines de produits exceptionnels, parmi lesquels le navet de Pardailhan, l'huître de Bouzigues, le pélardon et je ne dis rien de nos vins.
Après la loi d'avenir agricole, aidons les agriculteurs à préserver leur métier et à se moderniser. Quel avenir pour les métiers de la terre et de la mer ? L'agriculture doit être raisonnable pour être durable. Dans l'Hérault, le vignoble bio s'est développé, dans une démarche de conscience mais aussi de stratégie d'entreprise. Il a gagné en image à l'international, car les goûts ont évolué. Valorisons les circuits courts : du producteur au consommateur. Les Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap) se multiplient dans toute la France. Le 2 décembre 2014, une charte de bonne pratique a été diffusée aux élus pour inciter le recours à ces produits dans la restauration collective.
En Languedoc-Roussillon, le succès est patent, notamment chez les producteurs de miel et de légumes. Pour ces derniers, la vente directe atteint 46 %. L'agroalimentaire peut compter sur l'engagement et l'audace de ces agriculteurs. Le gouvernement a annoncé le lancement du volet 2 Ecophyto. Une révolution culturelle est en marche.
Afin de mettre en oeuvre le projet agroécologique porté par la majorité, six axes ont été définis.
Nous avons le devoir de soutenir nos agriculteurs sur la voie de l'excellence, clarifier le processus de labellisation, simplifier les procédures, améliorer les relations entre producteurs et distributeurs.
Le secteur agroalimentaire est clé dans notre économie. Le Programme d'investissements d'avenir (PIA) avait prévu de soutenir la compétitivité des industries agroalimentaires. Que pouvez-vous nous dire sur ce point, monsieur le ministre, après le rechargement annoncé par le président de la République, monsieur le ministre ? (M. André Gattolin applaudit)
M. André Gattolin . - Les chiffres ont déjà été cités. Ils ont fait plaisir. Refaisons-nous plaisir : la France est le premier producteur européen de produits agroalimentaires, le quatrième exportateur mondial, le secteur compte 500 000 emplois et réalise un chiffre d'affaires de 160 milliards d'euros par an.
Ce tableau élogieux cache des réalités plus sombres ; la crise de la filière porcine, malgré les efforts, se poursuit depuis des années.
M. Michel Canevet. - C'est vrai.
M. André Gattolin. - Nous avons laissé la qualité se dégrader si bien que les salaisonniers français vont s'approvisionner à l'étranger pour importer des produits à plus forte valeur ajoutée que ceux que nous exportons. Mettons les porcs sur la paille et pas les éleveurs ! (Sourires)
Un système de régulation européen pourrait éviter une surproduction massive sur le marché du lait après la suppression des quotas. Le problème des prix ne touche pas ce seul marché.
Nos savoir-faire sont reconnus dans le monde entier, notre art culinaire est classé au patrimoine immatériel mondial. Nous devons rechercher la qualité plutôt que les volumes et la réduction des coûts. Après la loi d'avenir que vous avez portée, nous sommes à un tournant économique, écologique et climatique. Mon propos tient en quelques mots : indépendance, relocalisation, agroécologie, gouvernance alimentaire.
L'indépendance, d'abord, car nous ne sommes pas autosuffisants. Les élevages intensifs bretons sont nourris par du soja à 80 % OGM produit sur un million d'hectares en Amérique du sud. Un pot de yaourt peut parcourir 5 000 kilomètres avant d'arriver sur notre table. Privilégions les circuits courts. J'ignorais que la Normandie était si éloignée de Paris...
Merci monsieur le ministre d'avoir popularisé le terme d'agroécologie. Mettons des agronomes et non des chimistes dans les champs, réduisons les intrants et suivons le nouveau modèle de la PAC : les fermes usines sont à bannir. Je reprends le voeu exprimé par Joël Labbé à deux reprises à cette tribune afin d'obtenir un chiffrage des externalités négatives de l'agriculture industrielle et des externalités positives de l'agroécologie.
Enfin, une véritable gouvernance alimentaire est indispensable. Nous ne pouvons plus tolérer la spéculation sur les marchés alimentaires et que certains pays soient dépossédés de leurs terres à défaut d'avoir les moyens de les exploiter.
Monsieur le ministre, vous avez assumé la baisse de 25 % des aides au maintien de l'agriculture biologique pour 2014, au motif de « contingences techniques ». L'agriculture biologique est plus sensible aux aléas naturels ; si les aides à long terme sont elles aussi soumises à des aléas, le soutien à cette filière fragile perd tout son sens... Les écologistes comptent sur vous. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Patrick Abate . - Ce débat est bienvenu. Les négociations commerciales entre les grandes entreprises et les producteurs agroalimentaires relèvent du funambulisme, quand quatre grandes centrales concentrent désormais 93 % des achats. Si le déséquilibre des relations n'est pas nouveau, la commission des affaires économiques a décidé de saisir pour avis l'Autorité de la concurrence. Nous attendons des propositions, des solutions pour les acteurs de la filière agricole durement touchés par la crise.
La consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente a affaibli les producteurs. Ceux-ci vendent bien en-deçà de leur coût de production. L'association des industries agroalimentaires dénonce l'augmentation des demandes de marges rétroactives et des déréférencements.
La contractualisation décidée par le gouvernement précédent n'empêche ni la concurrence entre producteurs et régions de production, ni le dumping social. Sept centrales d'achat et 12 000 entreprises agroalimentaires font face à 500 000 exploitations agricoles...
Voilà plusieurs années que le groupe CRC fait des propositions pour encadrer les pouvoirs exorbitants des distributeurs. Il fut un temps où les parlementaires de gauche soutenaient l'introduction d'un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles. Un prix minimum indicatif pourrait servir de référence dans la négociation, non pour s'entendre sur les prix, mais élever un garde-fou, un filet de sécurité contre l'instabilité des marchés et l'appétit insatiable des grandes centrales d'achat. Tant pis pour le droit de la concurrence, il doit s'adapter à la crise... Les entreprises de la filière doivent renouer avec les profits, qui ne sont pas un problème en soi, le problème, c'est la manière dont on les partage.
GAD et d'autres ont licencié des centaines d'employés en Bretagne. Cela doit cesser. D'autant que la fin des quotas laitiers entraînera la libéralisation du secteur. Comment préserver le modèle français et ses 1 000 fromages dans ces circonstances ? peut-on lire dans Les Échos.
Soustrayons-le aux logiques purement marchandes, monsieur le ministre, à commencer par les négociations transatlantiques sur le libre-échange. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Guillaume Arnell . - L'industrie agroalimentaire est un secteur clé de notre économie, nos emplois, notre balance commerciale. Elle transforme les trois quarts de la production agricole française. Elle est toutefois menacée eu égard à l'internationalisation croissante des échanges. L'excédent commercial français demeure très fragile, il est surtout dû aux vins et spiritueux. L'érosion des parts de marché françaises appelle une réponse forte et coordonnée des pouvoirs publics et des acteurs du marché.
Le travail mené par MM. Bourquin et Chatillon sur la réindustrialisation de la France, ainsi que la mission de contrôle menée par la commission des finances du Sénat en 2013 ont montré la voie. La fusion d'Ubifrance et de l'Agence française des investissements internationaux pour créer Business France au 1er janvier 2015 devrait permettre de mieux accompagner les industriels à l'export, afin de développer une véritable culture dans ce domaine.
Le rôle de l'Union européenne est fondamental. Il est nécessaire de prévenir les problèmes de compétition en son sein. L'affaire des producteurs de volailles a mis en évidence des distorsions de concurrence entre la France et l'Allemagne. Pourquoi ne pas instaurer des minima sociaux européens ?
Il convient ensuite de protéger le marché intérieur. Bruxelles doit apporter des réponses adéquates au protectionnisme déguisé de nos partenaires. Le sucre, la banane et le rhum des Antilles sont concernés par des pays d'Amérique latine qui ont signé des accords de libre-échange avec l'Union européenne.
Les ajouts de sucre dans les produits alimentaires en outre-mer sont bien supérieurs à ceux de métropole, au seul prétexte que nos populations y seraient plus sensibles. Nous attendons toujours les arrêtés pour que soient harmonisés les taux de sucre prévu dans la loi sur l'outre-mer. Les dates de péremption des produits sont plus tardives outremer ; elles doivent être alignées sur celles pratiquées en métropole. Là encore manquent les textes règlementaires.
Le groupe RDSE souhaite que l'industrie agroalimentaire soit fermement soutenue, dans le respect des consommateurs, où qu'ils se trouvent. Monsieur le ministre, vos actes sont appréciés, nous comptons sur vous pour aller plus loin dans la protection des intérêts de la filière. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Merci.
M. Michel Canevet . - Je me réjouis de l'organisation de ce débat, alors que le potentiel de développement de l'industrie agroalimentaire est considérable : plus de 15 % de l'emploi industriel, 500 000 emplois directs et quatre fois plus d'emplois induits. L'industrie agroalimentaire améliore la balance commerciale française, si déséquilibrée - avec un excédent de 8 milliards d'euros chaque année.
L'industrie agroalimentaire valorise 70 % de la production de l'agriculture et de la pêche françaises, à l'heure où ces secteurs sont en crise - dans le Finistère, une centaine de jeunes s'installent chaque année pour 10 000 exploitations : le taux de renouvellement est insuffisant.
En septembre 2013, le président de la République affichait sa volonté de relancer l'industrie, avec notamment un plan pour le secteur de l'agroalimentaire. Monsieur le ministre, nous avons été déçus par la suppression du ministère délégué à l'agroalimentaire.
Le groupe UDI-UC a déjà exprimé sa volonté de voir les charges sociales baisser dans un secteur très exposé à la concurrence internationale. Les prix des matières premières sont très bas, mais l'on peut agir sur cette composante des coûts de production.
Je m'étonne de la publication, par le ministère, d'un audit d'inspection sur la fabrication des produits à base de viande, qui ne permettrait pas « d'évaluer avec une précision suffisante la fiabilité des dispositifs pour prévenir le risque sanitaire ». C'est fâcheux, il faut être très vigilant. L'administration doit être en mesure de certifier la qualité de nos produits.
Il revient aux entreprises d'engager la transition énergétique pour réduire les coûts. L'emballage, il en faut des plus propres, des plus sûrs, que l'on puisse valoriser davantage - cela créera des emplois. Les professionnels demandent depuis longtemps une meilleure identification des produits. Il importe de soutenir l'innovation dont fait partie la formation, comme l'initiative prise en Cornouaille autour du projet Gladys.
Les entreprises agroalimentaires n'utilisent pas suffisamment le CIR : 46 millions d'euros seulement en 2011 sur plus de 4 milliards d'euros au total.
Je conclus sur la nécessaire limitation des contraintes administratives en tout genre, en particulier dans la filière porcine. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean Bizet . - Il y a quelques jours le président de la République évoquait la France qui gagne en visitant une entreprise textile innovante. Il eût pu aussi bien parler de l'agroalimentaire... au passé, tant cette industrie commence à se fragiliser et perdre des parts de marché. Partout dans le monde les industriels de l'agroalimentaire sont optimistes, sauf en France. On sait que la France est une marque. Néanmoins, nos concurrents progressent et la dégradation ne date pas d'aujourd'hui. Réfléchissons à ce que tous ensemble, élus, pouvoirs publics, nous pouvons faire pour soutenir nos industriels.
Les industries agroalimentaires sont handicapées par deux types de contraintes. Il y a les normes européennes, mais aussi les normes nationales. Chaque pays a les siennes et les françaises sont sans aucun doute les plus rigoureuses. En voulant faire mieux, on fait mal. Disons « halte ! » à la sur-réglementation. Plus il y a de normes, plus elles sont difficiles à respecter.
Il y a le droit et son interprétation. J'ai des doutes, des craintes sur l'engagement de l'Autorité de la concurrence dans le domaine industriel, qui avait obligé Agrial à vendre deux cidreries, pour quels résultats ? L'une des deux a fermé. C'est un gâchis.
Les dossiers de concentration sont analysés en fonction des marchés. Il y a là une marge d'interprétation. Aux Pays-Bas, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. En France, le « marché pertinent » est analysé au cas par cas. Ces décisions nuisent à l'émergence de grands groupes de taille européenne. J'ai évoqué ce sujet avec le président Juncker aux côtés du président du Sénat, la commission des affaires européennes y est très attentive. Nous sommes prêts à y travailler avec vous au niveau communautaire.
Les entreprises ont une stratégie économique. Il faut valoriser leurs points forts. L'État doit les accompagner. Aux Pays-Bas, en Allemagne, tout est fait pour que les entreprises exportent, sans entraves administratives. La priorité absolue va à la compétitivité, comme l'a dit encore récemment devant moi le ministre allemand de l'économie. Nous, nous nous dispersons, donc nous nous fragilisons.
Il faudra prendre des orientations pour la filière laitière.
La fermeture qui risque d'advenir des abattoirs de la Manche - les seuls abattoirs porcins de Normandie - est la conséquence de fautes de gestion. Pour autant cette situation illustre le manque de vision politique depuis vingt ans. Ne laissons pas la main aux environnementalistes. En vingt ans, la production de porc a chuté de 25 millions de têtes à 19 millions. Je suis inquiet, monsieur le ministre, à cause des choix d'hier et de ceux d'aujourd'hui. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Sophie Primas . - L'industrie agroalimentaire est l'une des filières historiques de notre économie, cela a été dit. Elle joue aussi un rôle d'aménagement du territoire. C'est le principal débouché de notre agriculture. Vous avez rappelé son excédent commercial, fruit principalement d'exportations de vins et spiritueux.
Cela dit, la France perd des parts de marché, étant passée depuis l'an 2000 de la deuxième à la cinquième position, alors que la « marque France » bénéficie d'une image remarquable dans le monde. L'export est un tremplin pour l'innovation et un relais de croissance face à un marché international arrivé à maturité.
La restructuration du dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires, comme l'a montré le rapport de la commission des finances en 2013, doit être menée à bien et je prends acte des efforts de rapprochement entrepris dès 2012 par le gouvernement et de la création de Business France. Pouvez-vous monsieur le ministre dresser un bilan d'étape de la création de la filière prioritaire « Mieux se nourrir » ?
Autre souhait : le renforcement de la diplomatie économique ; en saisissant les opportunités du « grand export », en Chine en particulier, où les ventes de produits transformés ont crû de 15 %, en resserrant les liens entre les ETI et les grandes entreprises. La grande distribution à cet égard n'est pas que le diable ; elle peut guider, conseiller, porter. Quels objectifs, monsieur le ministre, et quels moyens pour notre diplomatie économique ? Quel impact des négociations transatlantiques sur notre industrie agroalimentaire ? Des craintes se sont exprimées, mais il y a là aussi, sans doute, des opportunités... (Applaudissements à droite et au centre)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Merci de cette initiative du Sénat et du groupe UDI-UC. L'industrie agroalimentaire en France, c'est 500 000 emplois, vous l'avez dit, un secteur qui participe de façon significative à l'excédent de la balance commerciale. La reconquête du marché intérieur y contribue aussi, il n'y a pas que l'export ! La balance est le solde des exportations diminué des importations, ne l'oublions pas. La France a une capacité d'attractivité, touristique notamment : l'enjeu n'est pas qu'industriel, il est aussi culturel.
Le ministère poursuit une double stratégie. Favoriser les exportations et réduire notre dépendance. Le ministère délégué à l'agroalimentaire a assumé une fonction importante. Un délégué international a été nommé. C'est la marque d'une volonté, d'un pilotage politique et administratif. Ministre de l'agriculture, je suis aussi le ministre de l'agroalimentaire : je le dis souvent, il n'existe pas de produit agricole qui soit consommé sans être transformé, transporté.
Modernisation et compétitivité : le CICE, le pacte de responsabilité sont un enjeu essentiel dans l'agroalimentaire, qui emploie beaucoup de main-d'oeuvre autour du smic. En 2015, 771 millions d'euros d'allègements de plus qu'en 2012 ont bénéficié au secteur ; en 2017, ce sera 1,1 milliard d'euros d'allègements de charges supplémentaires. Il fallait faire ce choix, à condition de veiller à ce que le CICE, qui bénéficie en particulier aux PME, ne soit pas absorbé dans les négociations commerciales. Cet effort de la Nation, s'il ne se traduit que par une baisse des prix, ne pourra pas continuer. Chacun a sa responsabilité, organisations patronales comprises.
La BPI est aussi mobilisée en faveur de ce secteur : elle dispose d'une ligne spécifique, M. Garot y avait veillé. Le montant des prêts accordés aux entreprises a augmenté de 40 %, le nombre d'entreprises aidées de 50 % entre 2011 et 2014. Il faut encore améliorer ces résultats.
Il faut, en plus, déployer une stratégie à moyen et long terme, qui nous a manquée. La question est de savoir où l'on veut aller. Traçons des perspectives : le plan de la nouvelle France industrielle le fait. J'étais ce matin avec Emmanuel Macron au ministère de l'Économie et trois plans d'engagement de l'État ont été décidés : le textile, longtemps considéré comme obsolète, qui retrouve une place industrielle ; la forêt et la filière bois ; l'alimentation, les industries agroalimentaires.
Les investissements dans les abattoirs sont une priorité. Il faut intégrer le critère de pénibilité, il y va de l'attractivité du secteur. Le manque d'investissement a été l'une des causes des difficultés que nous connaissons.
Les emballages du futur sont un autre axe stratégique, comme la connexion et le codage. La gestion du froid et des économies d'énergie pour des entreprises vertes est un enjeu majeur de l'industrie agroalimentaire : on conserve à - 18°C, faut-il vraiment descendre à - 50 ?
Garantir la qualité et la sécurité des consommateurs d'aliments et des boissons passe par la traçabilité. Ces plans seront mis en oeuvre. De plus, le PIA est mobilisé à hauteur de 120 millions d'euros pour la période 2015-2017, 14 millions sont investis dans la modernisation des serres. On sait combien c'est important en Bretagne, en Normandie, dans le sud-est et le sud-ouest aussi.
Une enveloppe de 20 millions d'euros est prévue pour les abattoirs. Le reste est en cours de discussion avec France Agrimer, qui pilote ces investissements. En outre, dans le programme Nouvelle France industrielle, nous consacrons 20 millions à l'abattoir du futur, au froid, au digital.
Un accord a été trouvé en juillet 2013 pour recruter plus de jeunes, d'apprentis et améliorer la qualité du travail. Nous poussons les filières agroalimentaires à trouver un accord de branche pour tout le secteur agroalimentaire : cela se soldera par 1,1 milliard d'euros d'allègements de charges supplémentaires.
Un point sur la filière Volaille. Quand je suis arrivé au ministère, l'entreprise Doux en était à la phase de liquidation judiciaire. J'ai maintenu les restitutions à l'export tout au long de l'année 2013. D'abord, il fallait trouver un fonds de retournement pour régler les dettes avec la banque Barclays. Ensuite, il fallait sécuriser les débouchés à l'exportation. J'ai pris rendez-vous avec un représentant de l'Arabie Saoudite. Une fois ces objectifs atteints, on a eu la stratégie euro-dollar. L'équilibre a évolué ; on était à 1,30 dollar pour un euro, on est à 1,04 ! On est maintenant en capacité de dégager des bénéfices et de créer des emplois en CDI. La France qui gagne est de retour, une filière qui disparaissait est en train de reconquérir le marché intérieur sur le poulet standard, aujourd'hui importé à 80 % - du Brésil, certes, mais même de Belgique, un pays de l'Union européenne !
Sur le porc, le constat est connu : on a perdu 5-6 millions de porcs depuis 2010, sur 20 millions ; pendant ce temps l'Allemagne passait de 40 à 60 millions. Que fait-on ? On agit. Sur l'investissement, c'est-à-dire sur les abattoirs Gad, Josselin. Nous menons la bataille sur deux fronts : un enjeu industriel et un enjeu d'emplois. Pour IADL ? Nous étudions la possibilité de reprise en Scop. Je n'abandonnerai pas la filière porcine sans apporter de réponses structurelles. Gérons les choses de manière plus adaptée ; les mêmes morceaux ne se vendent pas de la même façon selon les saisons : on vend davantage de grillades à la saison des barbecues. Je serai en juin à l'assemblée générale de la Fédération nationale porcine, à Ploërmel ; j'y ferai des propositions Nous avons simplifié les règles sur les ICPE, raccourci les délais.
La stratégie « Viande de France » porte actuellement sur les viandes non transformées, étendons-la aux viandes transformées, et notamment la charcuterie. L'amendement Jégo va à rebours de cette logique que je veux décliner avec « Miel de France », « Fleurs de France » - dire que la France a perdu sur les fleurs ! - ou « Légumes de France ». La traçabilité est un atout pour notre pays après la crise de la viande de cheval dans les lasagnes. Je défendrai cette position à Bruxelles. D'ailleurs, il est anormal que l'on utilise seulement 1 million sur les 12 millions d'euros prévus par l'Union européenne pour apporter des fruits et des légumes aux enfants dans les écoles. Je me battrai pour que cela change avant la saison.
L'export, voilà un sujet ! Quand je suis arrivé au ministère, il y avait Ubifrance, Sopexa - chacun faisait les choses dans son coin. À Shanghai, savez-vous combien nous avons de représentations ? Une pour la charcuterie, une pour le vin et ainsi de suite. La première chose que nous avons faite est d'installer un comité à l'export, et de nommer un attaché dans chaque ambassade stratégique. Avec Business France, nous parlerons enfin d'une seule voix ! Imaginez une demi-douzaine de Français devant un Chinois : l'un qui représente le nord de la France ; l'autre, le sud ; l'un qui fait de la charcuterie, l'autre des légumes. Déjà que les négociations avec les Chinois sont longues. Mettons un peu d'ordre, coordonnons-nous, nous y gagnerons en efficacité et cela coûtera moins cher.
La grande distribution, vaste sujet. Je sais combien les débats sont houleux, chacun se renvoyant la responsabilité. On parle des distributeurs et l'on passe sous silence le rôle des transformateurs.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Oui, monsieur Bizet, il faut ouvrir le débat sur la modification des droits à concurrence et le marché pertinent. La notion est européenne mais le poulet à vendre, lui, est international ! Rien de nouveau dans les négociations autour du pacte transatlantique : il ne se passera pas grand-chose avant les élections présidentielles aux États-Unis, m'a confirmé le commissaire européen. De toute façon, la transparence sera totale et les parlements nationaux seront consultés.
M. Canevet m'a interrogé sur la sécurité sanitaire et les contrôles dans les abattoirs. Après les observations de la Cour des comptes, nous avons divisé par deux le nombre de suppressions de postes dans la loi de finances pour 2013, stabilisé les effectifs dans la loi de finances pour 2014 et nous créons 60 postes de contrôleurs sanitaires.
Nous préparons l'arrêté de la loi Lurel - la banane, la canne à sucre, le rhum sont aujourd'hui soumis à la concurrence, c'est vrai. Cependant, la banane durable, le plan I, le plan II ; ce sont de vraies perspectives ! La banane des Antilles françaises est celle du monde qui est produite avec le moins de produits phytosanitaires.
Mangez-en...
Mme Françoise Gatel. - Elle est bonne !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous avons été dépassés par le succès des aides au maintien dans l'agriculture biologique. Il n'empêche : avec un plan de 190 millions d'euros en 2017 et un objectif de doublement de surface, on n'a jamais fait mieux pour le bio.
La suppression des quotas laitiers a été décidée en 2008, je n'y suis pour rien, monsieur Grémillet. Nous investissons dans les salles de traite. En Europe, les choses commencent à frémir, certainement parce que l'échéance approche : les Belges, les Polonais sont prêt à bouger. Il y aura sûrement des propositions.
Je reviens sur l'amendement Jégo : la stratégie interprofessionnelle d'identification est payante. Confortons-la plutôt que de la mettre à bas dans le projet de loi Macron.
Je vous ai adressé à tous un document décrivant les utilisations du CICE et des aides du pacte de responsabilité. Regardez-le.
Le ministre de l'agriculture, de la forêt et de l'agroalimentaire que je suis est très heureux de ce débat et il continuera de se battre ! (Applaudissements)
Prochaine séance lundi 16 mars 2015, à 21 heures.
La séance est levée à 19 h 30.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques