Attaques terroristes
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - « Je préfère mourir debout que vivre à genoux ». Tels étaient les propos de Charb, en septembre 2012. Ils sont morts debout : Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris et leurs camarades, Elsa Cayat, Michel Renaud, Mustapha Ourad, Frédéric Boisseau. Eux qui n'avaient que leur crayon, leur carton, leurs convictions, leur vie, ils ont été frappés par les balles du fanatisme qui croit qu'on peut aussi tuer les idées, la liberté. Oui, liberté, celle de penser, celle de s'exprimer, celle de dessiner, y compris quand cela nous dérange.
Clarissa Jean-Philippe, policière municipale, Frank Brinsolaro, Ahmed Berabet, policiers, sont morts dans l'exercice de leurs fonctions. Ils sont morts pour l'état de droit, pour l'ordre républicain, victimes de leur devoir.
Yohan, Yohav, Philippe, François-Michel, leurs vies innocentes se sont arrêtées par la haine nourrie dans l'ignorance de l'autre à la veille de la journée consacrée par eux à la prière. L'antisémitisme, celui de la porte de Vincennes, après celui de Créteil, de Bruxelles, de Toulouse, c'est l'antithèse du visage de la France.
Notre pays s'est rassemblé. Je voudrais saluer l'action du président de la République, du Gouvernement, et la vôtre, monsieur le ministre de l'intérieur, saluer l'esprit de responsabilité des mouvements politiques de la majorité comme de l'opposition. La République vient de se dresser dans cette épreuve, elle a cheminé dans un long cortège de dignité, de refus et de silence.
Oui, « Liberté, j'écris ton nom !... Par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie ». Oui, « vivre ensemble », c'est tellement plus fort que nos différences ! Oui, « fraternité » n'est pas qu'un mot au triptyque républicain.
Samedi, dimanche, ils étaient des milliers, ils étaient des millions, partout, à Paris, dans chacune de nos villes et chacun de nos bourgs, pour crier que la France qui est la nôtre, c'est celle de la fraternité et que jamais elle ne se laissera aller aux complaisances de la haine, du rejet, du fanatisme.
Mais cette levée en masse, cette levée de citoyens nous oblige ! Ces drames nous obligent à l'unité, au courage, à l'action. Nos mains, nos esprits ne peuvent trembler. Il nous faut lucidement faire notre devoir d'exigence absolue.
Il nous faut analyser en profondeur comment, dans le pays des Lumières, peut se construire une telle expression de la barbarie et du crime.
Il nous faut traiter les questions concrètes auxquelles nos concitoyens attendent des réponses : la question de l'organisation du renseignement, celle du prosélytisme dans nos prisons, celle des réseaux sociaux utilisés pour véhiculer des messages de haine, celle de l'éducation, tant à la citoyenneté qu'à la connaissance de l'autre au travers de ses origines, de sa religion. Ces questions, et d'autres encore, nous avons le devoir de les entendre et d'y répondre.
La compassion, la tristesse vont nous étreindre encore : ce matin à la préfecture de police et à Jérusalem, dans quelques jours aux Invalides. Mais, pour que la paix soit mieux qu'une incantation, il nous faut agir, en nous écoutant les uns les autres, dans l'exigence et sans faiblesse. C'est notre devoir de parlementaire. Le Sénat fera son devoir. J'y veillerai et je prendrai les initiatives qui m'incombent.
Je vous propose maintenant de nous lever, d'observer un moment de silence et de le conclure par cet hymne qui nous a rassemblés si nombreux ces jours derniers et qui est toujours le ciment de la République. (Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence avant d'entonner l'hymne national)
Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC. - Aujourd'hui, le Parlement rend hommage à toutes les victimes des attaques terroristes perpétrées la semaine dernière, mercredi 7 janvier au siège de Charlie Hebdo et vendredi 9, au supermarché Hyper Casher. Les sénateurs du groupe CRC, qui ont chevillé au corps le combat pour la liberté de la presse et la liberté d'expression, contre toutes les censures, contre l'antisémitisme, la xénophobie et le racisme, s'inclinent devant ces morts pour la liberté. Dans cette France plongée dans la violence et la peur, les mobilisations de samedi et dimanche derniers soulèvent un immense espoir. Le peuple a rendu hommage aux victimes et dit sa profonde aspiration à vivre ensemble, en paix, à faire respecter la devise de la République : liberté, égalité, fraternité.
Cette vague humaine était digne, pacifique ; nul message de haine n'a pris le dessus. Penser, écrire, dessiner librement : tel fut le message dominant. « Liberté, j'écris ton nom », disait Éluard. Ces millions de femmes et d'hommes ont lancé un immense appel aux dirigeants de notre pays pour que cela ne se reproduise plus, pour que les idéaux affichés sur les frontons redeviennent réalité pour tous. Le débat démocratique commence. À nous de faire fructifier le meilleur. Cela suppose de combattre le racisme, la haine des musulmans, l'antisémitisme. Avec nos concitoyens, nous voulons parler de liberté, d'égalité, de fraternité, de paix, de solidarité. De sécurité aussi, sans laquelle il ne peut y avoir de liberté. Nous voulons aussi débattre de la prison, de l'école, de culture. Donner les moyens aux services publics, engager un vaste plan d'éducation populaire, afin que la République puisse réinvestir les zones de misère sociale. Tout cela aura un prix. Ce n'est pas le dogme de l'austérité qui apportera un début de réponse.
Le temps est encore au recueillement, à l'émotion, à la solidarité mais très vite, il faudra passer à l'action, donner un sens au « vivre ensemble ». Après l'émotion, il faudra marcher ensemble vers une société plus juste, plus solidaire, qui place la justice et l'éducation en son coeur, et non plus l'argent roi. Le groupe CRC s'y attachera.
Aujourd'hui, nous pensons très fort aux victimes, à leurs proches, à leurs collègues. (Applaudissements unanimes)
M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE . - La France et la liberté sont blessées. Parce que le premier mot de la devise nationale est liberté, parce que depuis plus de deux siècles, en dépit des guerres, des crises, des souffrances, de nos erreurs, liberté et France sont indissociablement unies aux yeux du monde. Parce que l'attentat a frappé ceux qui incarnaient au plus haut degré cette liberté, ceux qui les protégeaient, des otages martyrs, la Nation s'est levée, criant face à la barbarie sa réponse : ignorer la peur, faire face, combattre.
Le choc est d'autant plus fort que les victimes sont des hommes de liberté, capables de rire de tout et d'abord d'eux-mêmes, rendant l'intolérance ridicule.
La force de ce cri impose à tous les responsables d'être à la hauteur du message car le temps de la colère suivra de près le temps de l'émotion, si le temps de l'action ne vient pas vite. Il le faut pour châtier les assassins et pour poser les bases d'une politique de nature à assurer la sécurité de nos concitoyens dans une République apaisée.
Le 11 septembre 1848, Victor Hugo disait que les véritables amis de l'ordre ont toujours été les plus sérieux amis de la liberté. Sans autorité, il n'y a pas de démocratie. Il n'y a plus de place pour le laxisme, l'angélisme. Il appartient au pouvoir exécutif de restaurer l'État, de faire appliquer la loi et les décisions de justice. Il y a quelques semaines, je saluais l'action du ministère de l'intérieur et des forces de l'ordre, qui viennent d'être applaudies par le peuple. Si la loi n'est plus adaptée, on la change : c'est notre rôle. Sinon, on l'applique. « Que doit faire le législateur ? II doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances ». C'est du Danton dans le texte.
La révolution numérique doit nous amener à faire évoluer la loi : internet ne saurait être une zone de non-droit. Il faut aussi donner aux forces de l'ordre les moyens de leur action. Chérif Kouachi a séjourné dans le Cantal, chez son mentor en matière de djihadisme, à quelques kilomètres d'une gendarmerie -qui vient d'être fermée...
Nous devrons examiner rapidement nos responsabilités sur les causes de ces drames. Causes endogènes dans nos quartiers, dans le développement d'un communautarisme incompatible avec nos principes républicains, dans un système éducatif débordé : comment lutter contre l'illettrisme dans des classes où des majorités d'élèves ne parlent pas le français ? Causes exogènes dues à la politique extérieure au Proche-Orient et au Maghreb, politique d'ingérence dans les pays tiers ; Jacques Chirac, en 2003, avait vu juste ainsi que son Premier ministre d'alors.
L'homme sait faire mal à l'homme. Les massacres ont ponctué l'histoire. Ce qui change, ce ne sont que les méthodes. Ces crimes ont été commis au nom de Dieu, comme cela est récurrent depuis des siècles du fait des extrémistes de toutes religions. En 1209, on disait sur notre sol : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Les djihadistes d'aujourd'hui sont de la même veine : ils veulent attenter à la vie terrestre pour mériter la vie éternelle.
Qualifié dans cette enceinte de laïque intégriste, président du groupe pour lequel la République laïque est l'essence même du combat politique, je dis ici que la République laïque est toujours plus nécessaire pour garantir les valeurs de la France, qu'aucun gouvernement ne doit céder en rien à toute dérive communautariste. Plus que d'un observatoire de la laïcité nous avons impérativement besoin d'une politique laïque à tous les niveaux. La religion doit demeurer dans la sphère privée, c'est cela le vrai moyen de rejeter le sectarisme et l'intolérance, pour que vive la République. (Applaudissements unanimes)
M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe . - Je m'associe à l'hommage rendu par les Français aux victimes innocentes de ces attaques terroristes ; aux policiers, dont il faut souligner le dévouement ; aux membres et la rédaction de Charlie Hebdo : on a le droit de ne pas aimer ce qu'ils faisaient, on n'a pas le droit de s'en prendre par les armes à la liberté d'expression.
Les ayatollahs du politiquement corrects pullulent. Tous les jours augmente le nombre de choses que l'on n'a pas le droit d'exprimer, et cela ne vient pas seulement des extrémistes religieux.
Il faudra bien qu'un jour la communauté internationale se penche sur le conflit israélo-palestinien qui, en plus de la souffrance infligée à ces deux peuples, nourrit tous les fantasmes dans nos banlieues et sert de paravent au terrorisme international. La laïcité recule : la minute de silence dans les écoles l'a montré.
Rien n'est résolu par la grande manifestation. Il faudra identifier les dysfonctionnements, nous demander pourquoi le tueur de Vincennes avait été libéré au bout d'un an et demi alors qu'il était condamné à cinq ans. Nous interroger aussi sur les moyens : nous voyons parfois des véhicules de gendarmerie immobilisés faute d'essence.
Un des policiers a dit qu'il avait eu les terroristes dans son viseur mais n'avait pu tirer, n'étant pas en état de légitime défense. Je rends hommage aux forces de l'ordre : leur courage, leur détermination, leur sang-froid forcent notre admiration. Nous sommes fiers d'eux, et pour cela, nous devons les soutenir aujourd'hui et demain. Je ne demande pas vos applaudissements pour mon intervention mais pour eux. (Applaudissements unanimes)
M. François Zocchetto, président du groupe UDI-UC . - Face à la violence qui a déferlé, je salue les forces de l'ordre, les dirigeants internationaux, qui nous ont exprimé leur solidarité, et le peuple français, qui s'est levé en masse.
Nous devons agir. Une commission d'enquête sur le djihadisme est à l'oeuvre ici même depuis plusieurs mois, à l'initiative du groupe UDI-UC. La loi ne règle pas tout ; donnons surtout à nos services les moyens requis. Face à la contrainte budgétaire, assumons cette priorité.
Il faudra aborder la question pénitentiaire. Nos prisons ne doivent plus être des lieux de radicalisation. Cela suppose que les moyens de l'administration pénitentiaire soient renforcés.
Il faut surtout lutter contre le fanatisme. C'est un combat quotidien. Soyons aux côtés des enseignants, des médecins, des gardiens de prison, des agents de nos collectivités, confrontés à l'intolérance. Refusons toutes ces compromissions du quotidien qui font le lit de la radicalité.
Quels sont les ressorts qui font que certains Français, certains de nos enfants basculent dans la haine de leur pays ? Sans verser dans la culture de l'excuse, il faut identifier les lacunes familiales, sociétales, qui en sont la cause.
Apportons des réponses rapidement pour que les victimes de la semaine dernière ne soient pas mortes pour rien. (Applaudissements unanimes)
M. Bruno Retailleau, président du groupe UMP . - Depuis dimanche, plus que jamais, nous sommes fiers d'être français. Dimanche, les Français sont redevenus un grand peuple à la face du monde. Dimanche, nous avons tous marché contre le terrorisme, mais aussi pour la Nation et pour cette grande passion française qu'est la liberté, à commencer par la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire.
Comme disait le général de Gaulle, il existe un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. C'est au nom de ce principe que la France vient d'être attaquée dans ce qui doit bien être qualifié de « guerre » car, comme dit Camus, « mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ».
Ce n'est pas une guerre de religion -jamais des terroristes n'auront le droit de se réclamer de la religion- mais c'est bien d'une guerre qu'il s'agit, qui prospère sur la situation nationale et internationale. Nationale, car notre société est aux prises avec une nouvelle forme de radicalité, à une jeunesse fanatisée, hypnotisée par le mal absolu. Internationale, car le terrorisme a changé de nature -il est diffus et connecté, déterritorialisé et enraciné- et d'expression -il livre aussi une guerre de l'information.
Nous devons nous donner les moyens juridiques, budgétaires, politiques de mener cette guerre et de la gagner. La commission d'enquête sénatoriale doit être renforcée, dans son périmètre et ses missions, pour apporter des réponses concrètes aux questions que se posent les Français : comment cela a-t-il pu être possible ? Comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? Tout doit être réévalué en fonction des menaces nouvelles. Je souhaite que le Sénat, au-delà des clivages, fasse des propositions au Gouvernement. Les Français exigent vérité et fermeté. Ils ont le droit d'être protégés, nous en avons le devoir.
Après cette tragédie, il n'y a plus de place pour l'angélisme. L'émotion nationale ne doit pas occulter ce qui s'est produit sur internet ou dans les écoles, le refus de respecter la minute de silence. La France n'est pas et ne sera jamais un archipel de tribus, une juxtaposition d'individus. Nous devons redonner à ces jeunes le goût de la France. Baisser les yeux devant les communautarismes, c'est baisser les bras devant l'islamisme. Parce que nous sommes ce soldat de l'idéal vanté par Clemenceau à la tribune, le 11 novembre 1918, nous devons gagner le combat pour la liberté, pour la République, pour la sécurité des Français. Vive la République et vive la France ! (Applaudissements).
M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste . - L'année 2015 commencé dans le sang : 17 morts, 17 morts pour la France. Ils représentaient la France dans toute sa diversité sociale, d'origine, de croyance, d'opinion. L'attaque contre Charlie Hebdo, c'est une atteinte à la liberté de la presse que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils dessinaient librement. L'assassinat des policiers, c'est une atteinte à la République que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils représentaient l'État. L'assassinat antisémite des clients d'Hyper Casher, c'est une atteinte à la religion juive que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils étaient juifs.
C'est la nation tout entière qui était visée. La France a été attaquée pour ce qu'elle est. La France est le pays des lumières, elle a toujours combattu l'obscurantisme. C'est cette France-là que nous aimons. Nous sommes fiers d'être Français, nous sommes fiers de la France. Le but des terroristes est de nous faire peur, mais la France n'a pas peur -comme le disait le Général de Gaulle dans l'appel du 18 juin. Elle doit rester digne, debout, fière de son héritage. Le peuple a répondu à la barbarie par la fraternité, dans les rues de nos villes et de nos villages. Il faut malheureusement des événements dramatiques pour que nous prenions conscience de ce que nous sommes, que nous nous rassemblions derrière le drapeau, que nous chantions la Marseillaise. Nous aimons ce que nous sommes et nous le clamons à la face du monde.
Gloire à nos forces de l'ordre, à ces hommes et ces femmes de sacrifices, à tous ceux qui agissent pour nous défendre et nous protéger. L'État a été efficace. Le chef de l'État a été l'incarnation de l'unité nationale, le Premier ministre a coordonné de manière exemplaire l'action gouvernementale, le ministre de l'intérieur a démontré son sang-froid et son efficacité : sincères félicitations, cher Bernard Cazeneuve. (Tous les sénateurs applaudissent ; les sénateurs socialistes se lèvent ainsi que plusieurs sénateurs des groupes RDSE et UDI-UC).
En ces périodes agitées, nous devons garder la tête froide ; ne sombrons pas dans le tout sécuritaire. Nous ne sommes pas favorables à un Patriot Act parce que nous sommes la France. Certains veulent rétablir la peine de mort ? Elle ne sera jamais réintroduite dans notre pays. (Applaudissements à gauche et quelques bancs au centre) Oui à des mesures exceptionnelles, non à des mesures d'exception. La sécurité est un droit fondamental, la nation tout entière y a droit.
Nous ne sommes pas en guerre contre une civilisation, contre une religion, ne faisons pas d'amalgames. La France ne serait rien sans les juifs, les musulmans, les athées, les croyants et les non-croyants. Elle ne serait rien sans la laïcité, ce ciment des différences, qui est le fondement du pacte républicain, du vivre ensemble. Travaillons à la mise en oeuvre de nos valeurs fondamentales. Liberté, égalité, fraternité, gage de notre détermination et de notre optimisme pour la République et pour la France. (Applaudissements)
M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste . - Monsieur le président du Sénat, je vous remercie pour les mots que vous avez eus, qui sont à la hauteur des circonstances tragiques qui nous rassemblent ici. Je salue l'action du président de la République, du Premier ministre, la vôtre, monsieur le ministre de l'intérieur, qui fut efficace, et votre comportement d'une grande dignité. Je salue aussi le sens des responsabilités des formations politiques républicaines, en ces trois jours terribles où nos valeurs fondamentales ont été frappées au coeur.
La liberté d'expression, d'abord. Au groupe écologiste, nous connaissons bien les journalistes de Charlie Hebdo, pacifiques et généreux. On risque aujourd'hui la mort en France pour avoir fait un dessin irrévérencieux sur Mahomet : c'est insupportable ! Nous ne céderons jamais rien sur la liberté d'expression, indissociable de la liberté d'opinion et de pensée. Ici, nous sommes tous Charlie.
L'autorité de l'État a aussi été attaquée. Policiers assassinés, blessés, notre reconnaissance va au Raid, au GIGN, à la BRI, aux policiers, gendarmes et militaires mobilisés pour nous protéger. Nous sommes tous ici des policiers.
Enfin, c'est la laïcité qui a été blessée. Quatre personnes sont mortes parce qu'elles étaient juives. Nous devons inlassablement lutter contre l'antisémitisme. Chacun, quelle que soit sa confession, doit pouvoir vivre en France dans la liberté et la sécurité. A l'État de les garantir, c'est cela, la vraie laïcité.
Il y a le temps du recueillement -nous n'oublierons jamais les victimes. Il y a le temps de la mobilisation -le peuple s'est dressé dimanche ; elle ne doit pas retomber, à nous de la faire vivre. Viendra le temps de la réflexion : d'autres violences sont à craindre. Comment s'y préparer ? Comment protéger la République ? Les réponses au terrorisme ne peuvent être que globales, collectives, solidaires. Il faut mobiliser toutes les composantes de notre pays, politiques, religieuses, philosophiques, mobiliser aussi nos alliés en Europe et dans le monde.
Cette attaque contre nos valeurs appelle à l'unité nationale, demain et après-demain. Elle est si fragile... Sachons la préserver à chaque instant, c'est notre bien commun le plus précieux. Sachons nous élever, comme le peuple, à la hauteur des enjeux et des dangers. Nous sommes tous Charlie, nous sommes tous policiers, nous sommes tous juifs. Vive la France, vive la République : (Applaudissements)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - (Applaudissements) Je m'exprime aujourd'hui dans une immense émotion. Votre discours, monsieur le président, très juste, très profond, a exprimé ce que nous sommes, ce que sont les valeurs de la République, ce qui nous rassemble ici et dans le pays. J'ai retrouvé cette émotion, cette force dans tous les discours prononcés ici, comme dans celui du Premier ministre à l'Assemblée nationale. Nous l'avons tous ressentie dimanche, dans les rues de Paris. Les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, et au-delà, étaient venus dire, autour du président de la République, leur attachement à la France et à ses valeurs universelles. Nous étions nombreux à dire que nous n'avions pas peur, que nous étions déterminés, face au terrorisme, à faire prévaloir ce que nous sommes et les valeurs de la République.
Nous avons tous à l'esprit l'importance du drame de la semaine dernière. Avec leurs crayons, les journalistes, les dessinateurs, les caricaturistes de Charlie Hebdo étaient les descendants de Voltaire et de son Micromégas ; leur crayon était leur moyen de témoigner de leur impertinence, de nous regarder avec distance. C'est cette impertinence, cette liberté qu'on a voulu atteindre. Par leur talent, Cabu, Wolinski témoignaient de notre amour de la liberté.
On a voulu atteindre les policiers, qui incarnent le droit, l'ordre, l'amour de l'État de droit, de la République, qui constituent notre patrimoine commun. Ils ont été en première ligne et méritent toute notre estime. Franck, le policier qui assurait la protection de Charb, est tombé la main sur son pistolet. Je n'oublierai jamais les larmes de ses camarades du Service de protection des hautes personnalités, qui savaient son courage, sa droiture, sa valeur. Je n'oublierai jamais le regard digne de sa mère, déterminée à résister à la peur. Je n'oublierai jamais l'effroi, la colère des camarades de la jeune policière municipale de Montrouge, abattue dans le dos. Je n'oublierai jamais la tristesse incommensurable des policiers du commissariat du 11e arrondissement de Paris, camarades du policier Ahmed, qui avait tenté d'intercepter les assassins de Charlie Hebdo, leur fierté d'être policiers. Je n'oublierai jamais le regard des agents de la BRI et du Raid, qui ont tenté de sauver le plus de vies possibles lors de l'attaque de l'Hyper casher. Je veux leur dire à tous mon immense, mon incommensurable gratitude. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs) Je sais que cette émotion, vous la partagez tous. Je n'oublierai jamais combien vous avez été proches de ceux qui assurent notre sécurité : à vous aussi, sénateurs et sénatrices de France, pour la solidarité et l'amour de la France dont vous avez fait montre, je veux dire ma gratitude et mes remerciements.
Je n'oublierai pas plus les propos tenus par les représentants de communauté juive, leur lassitude, leur tristesse d'avoir peur. Comme l'a fait le Premier ministre avec force à l'Assemblée nationale, je veux leur dire que nous mettrons tout en oeuvre pour que plus jamais un seul juif de France n'ait peur, parce qu'il y a des barbares qui refusent la liberté si précieuse de croire ou ne de pas croire. (Applaudissements)
Nous étions ensemble dimanche dans les rues de Paris. Le peuple de France a pris dans ses bras tous les journalistes de France, qui incarnent la liberté et la font vivre dans la République, tous les policiers de France, qui font respecter l'État de droit, tous les juifs de France qui aiment le République, tous ceux qui refusent la division, l'effroi et la peur.
Il faut désormais regarder l'avenir. Nous nous tenons à la disposition des assemblées pour expliquer et pour rendre compte. Cette exigence est aujourd'hui plus forte que jamais. C'est ensemble que nous devons tirer les enseignements de ce drame pour apporter les justes corrections et être plus forts, mieux armés face au risque terroriste.
D'abord, il y a l'urgence. L'enquête se poursuit. Une cellule opérationnelle a été mise en place pour assurer son bon déroulement, qui réunit plusieurs fois par jour autour de moi les responsables du ministère de l'intérieur. Nous avons décidé de ne pas la désarmer, de sorte que nous puissions identifier tous les complices et les mettre hors d'état de nuire. Tout est mis en oeuvre pour que les enquêtes progressent et atteignent leur but. Les services placés sous ma responsabilité, notamment la DGSI, sont mobilisés face à un terrorisme d'un nouveau type. Le nombre de djihadistes a augmenté de 80 % depuis le début de l'année ; il y a ceux qui sont partis combattre en Irak ou en Syrie et peuvent revenir, conduits par l'instinct de haine ; il y a ceux qui adhèrent à Al Qaeda et peuvent encore frapper ; il y a ceux qui n'appartiennent à rien mais se radicalisent seuls sur internet et peuvent frapper à tout moment -ce sont les plus difficiles à atteindre. Il y a les cellules dormantes, les réseaux de trafiquants d'armes et de drogue qui financent le terrorisme. Mes services sont déterminés à agir pour qu'il n'y ait pas de sanctuaire en France pour tous ces criminels. (Applaudissements) Face au risque, notre mobilité, notre capacité d'adaptation, notre mobilisation doivent être totales.
Nous avons pris la décision de protéger toutes les écoles, tous les lieux de culte de la communauté juive, à sa demande et en liaison avec elle. Les actes islamophobes se sont aussi multipliés ces derniers jours ; il est du devoir de la République de protéger tous ses enfants, de traquer tous ceux qui attaquent ses valeurs. Comme l'a dit avec force le Premier ministre à l'Assemblée nationale, nous serons intransigeants dans la défense de la laïcité.
Pour nous armer davantage, nous devons traiter collectivement trois questions. D'abord, celle des moyens. La concorde nationale doit perdurer. Nos forces de sécurité ont perdu des moyens, elles doivent en retrouver. C'est l'esprit des recrutements nouveaux au sein de la police et de la gendarmerie ; outre les 432 nouveaux postes prévus, nous avons besoin d'informaticiens, de techniciens pour mieux détecter les filières et lutter contre les cyberattaques. 12 millions d'euros par an ont été affectés à la DGSI pour améliorer ses capacités technologiques d'intervention. Les infrastructures informatiques du ministère de l'intérieur doivent être renforcées. La défaillance du système Khéops a illustré les conséquences du sous-investissement. 40 millions d'euros sont déjà affectés pour les véhicules ; l'effort se poursuivra.
Des moyens donc pour la police, la gendarmerie, mais aussi pour l'administration pénitentiaire. La garde des sceaux s'attache à apporter les justes réponses à la question de la radicalisation en prison. (Murmures à droite)
Nous venons d'adopter deux lois sur le terrorisme, la seconde il y a deux mois. Je me souviens de nos débats ; il est normal en démocratie que l'on recherche le juste équilibre entre liberté et sécurité. Il y a eu des débats sur l'équilibre entre régulations d'internet et liberté d'expression, sur l'interdiction administrative de sortie du territoire, sur la conservation au-delà de trente jours du contenu des interceptions de sécurité. Je crois que nous ne sommes pas allés au bout de la logique... Je ne propose pas des lois d'exception -qui seraient une victoire des terroristes sur la démocratie...
Mme Esther Benbassa. - Bravo !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - ...mais de regarder la réalité en face et de doter la France de tous les moyens propres à lutter efficacement contre le terrorisme. Nous devons ensemble prendre nos responsabilités. Il faut agir au niveau européen, en coopération ; nous travaillons étroitement avec nos partenaires en matière de renseignement et de criminalité organisée. Nous luttons avec volontarisme contre le trafic d'armes, qui a une dimension internationale et alimente le terrorisme. Nous devons nous doter de moyens pour démanteler rapidement ces filières ; il faut identifier et arrêter les trajets de ceux qui nous menacent : c'est le PNR. J'appelle les parlementaires européens à bien comprendre que le PNR est indispensable pour lutter contre le terrorisme ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, au centre et à droite)
Mme Nicole Bricq. - Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Nous devons aussi faire évoluer Schengen, l'interpréter intelligemment pour rendre les contrôles plus systématiques et plus efficaces sur certains vols.
Nous devons engager une réflexion sur l'évolution du cadre Schengen, non pour remettre en cause la liberté de circulation mais pour la conjuguer avec l'exigence de sécurité. (M. Robert del Picchia applaudit) Nous avons besoin de plus de coopération européenne et internationale.
L'agenda est riche. Le Gouvernement est déterminé à avancer avec vous, rapidement, dans l'unité nationale et le consensus le plus large. Tout ce que nous devons faire ensemble sera inspiré par ce que vous avez dit, et qui nous rassemble : la laïcité, le respect de l'autre, l'amour de la République et de ses valeurs. Ce qu'a révélé la marche de dimanche, c'est cet amour ; il nous donne de la force face aux attaques des terroristes ! (Applaudissements prolongés)
M. le président. - Merci pour cet hommage aux victimes, monsieur le ministre, mais aussi d'avoir partagé nos interrogations. Le Sénat est disponible, vigilant et engagé.
La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 h 5.