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Table des matières
Conseil constitutionnel (Décisions)
Commission mixte paritaire (Demandes de constitution)
Question prioritaire de constitutionnalité
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité
Avenir des Conseils d'architecture d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité
Embargo russe sur les produits alimentaires
Avenir du marché d'intérêt national (MIN) de Rungis
Lutte contre la désertification médicale en Seine-Saint-Denis
Difficultés d'emploi des apprentis mineurs
Conséquences de l'arrêt du réacteur nucléaire Osiris
Rythmes scolaires et intercommunalité
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Alignement des cadres d'emplois de catégorie A de la fonction publique territoriale
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Complexité des normes administratives
Déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires
Allocution du président du Sénat
M. Gérard Larcher, président du Sénat
Débat sur le crédit d'impôt compétitivité emploi
Mme Marie-France Beaufils, au nom du groupe CRC
Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante
M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante
Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)
Application de l'article 68 de la Constitution
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État
Ordre du jour du mercredi 22 octobre 2014
SÉANCE
du mardi 21 octobre 2014
7e séance de la session ordinaire 2014-2015
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
Secrétaires : M. Claude Haut, Mme Colette Mélot.
La séance est ouverte à 09 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.
Conseil constitutionnel (Décisions)
M. le président. - Par lettres en date du 17 octobre 2014, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat le texte de trois décisions rendues le même jour par lesquelles le Conseil constitutionnel, s'agissant des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 septembre 2014, a rejeté une requête présentée dans le département des Alpes-Maritimes et deux requêtes présentées dans le département du Bas-Rhin.
Commission mixte paritaire (Demandes de constitution)
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 16 octobre prennent effet.
M. le président du Sénat a en outre reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du Règlement.
Dépôt de conventions
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l'avenant n°1 à la convention du 19 août 2013 entre l'État et l'Agence de services et de paiement (ASP) relative au programme d'investissements d'avenir, action « rénovation thermique des logements privés - prime exceptionnelle » ainsi que la convention entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) relative au programme d'investissements d'avenir, action « Fonds national d'innovation -Culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat ».
Acte est donné du dépôt de ces documents qui ont été transmis à la commission des finances ainsi qu'à la commission des affaires économiques.
Question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. - Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 17 octobre 2014, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 231-1 à L. 231-4 du code du tourisme, dans leur version issue de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques (Exploitation de voitures de tourisme avec chauffeur) (n°2014-422 QPC).
Renvoi pour avis multiple
M. le président. - J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises dont la commission des lois est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales, à la commission du développement durable compétente en matière d'impact environnemental de la politique énergétique et à la commission des finances.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle dix-huit questions orales.
Documents d'urbanisme
M. Dominique Bailly . - J'attire l'attention du Gouvernement sur la validité du plan local d'urbanisme (PLU) après un changement de schéma de cohérence territoriale (SCOT) -lequel est opposable au premier. Or, du fait de la réforme territoriale, des communes ont quitté le syndicat du Grand-Douaisis, que je connais bien, pour rejoindre Lille-Métropole, dont le schéma n'est pas formalisé à ce jour. Quid de la validité des PLU de ces communes ?
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité . - Le Scot, qui a remplacé le schéma directeur depuis la loi SRU, assure la cohérence des documents sectoriels dont le PLU. L'adhésion à une collectivité couverte par un Scot ne remet pas en cause ce dernier ; la commune concernée se trouve alors dans une zone dite « blanche » et le syndicat qui porte le Scot devra faire évoluer son document dans les six ans après l'adhésion.
Si un Scot existe, la commune, même en zone « blanche », sera soumise à la règle d'urbanisation limitée, sauf dérogation du préfet après avis du président de l'établissement public du Scot. À l'inverse, si la commune rejoint un territoire sans Scot, elle n'y est pas soumise.
Dans le cas que vous évoquez, le fait que le Scot soit en cours d'élaboration n'a pas de conséquence sur le PLU des communes. Mais, dès lors que l'élaboration du Scot de Lille-Métropole est lancée, une nouvelle délibération propre à couvrir toutes les communes concernées paraît opportune.
M. Dominique Bailly. - Merci pour ces précisions qui doivent être apportées aux élus, je m'en chargerai.
M. le président. - Cela a l'air compliqué !
M. Dominique Bailly. - La vie est compliquée...
Avenir des Conseils d'architecture d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)
M. Jean-Jacques Filleul . - Je m'interroge sur l'avenir des CAUE au regard de la nouvelle taxation des opérations d'aménagement et de construction, entrée en vigueur le 1er mars 2012. Celle-ci a remplacé plusieurs taxes d'urbanisme antérieures, dont la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS) et la taxe départementale destinée au financement des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (TDCAUE).
Les départements ont voté un taux pour cette nouvelle taxe, celle-ci étant assortie d'une nouvelle clé de répartition de son produit entre actions en faveur des espaces naturels sensibles, d'une part, et activité des CAUE d'autre part. Dans l'Indre-et-Loire, la part départementale de la taxe d'aménagement s'élève à 1,6 %.
Le recouvrement de cette taxe souffre de graves dysfonctionnements. Les sommes réellement encaissées ne sont pas en rapport avec les prévisions de la direction départementale des territoires. Le circuit est complexe et le logiciel assurant le calcul de la taxe ne fonctionne pas correctement.
Cette situation fait obstacle à l'élaboration des budgets prévisionnels et à la gestion quotidienne des structures. Le rôle économique et le lien institutionnel fort entre les CAUE et les territoires ne sont plus à prouver, ses outils ont montré leur efficacité.
Le président du CAUE 37 voit ses ressources diminuer et ses charges sont difficilement compressibles. Comment le ministère analyse-t-il la situation des CAUE et particulièrement celle d'Indre-et-Loire ? Quelles mesures seront prises afin de compenser le retard important du recouvrement de la taxe d'aménagement ?
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité . - Cette réforme, entrée en vigueur le 1er mars 2012, s'est accompagnée du rapprochement de deux plates-formes. Malgré notre anticipation, des difficultés techniques sont apparues. Depuis juillet 2013, elles ont été levées et les premiers titres ont été émis ; plus de 660 000 factures et avoirs ont été traités pour 1 milliard d'euros. Au 15 octobre 2014, plus d'1 million d'euros ont été recouvrés par le conseil général d'Indre-et-Loire au titre de la part départementale.
De plus, cette réforme, modifiant les délais d'émission des titres de recettes, a eu pour effet de diminuer les sommes reçues par les CAUE en 2013. Cela ne devrait pas se reproduire.
M. Jean-Jacques Filleul. - Merci pour cette réponse. Les CAUE doivent continuer à assurer leurs missions, en particulier sur les projets d'urbanisme individuels. On voit tant d'horreurs... J'espère que votre réponse satisfera le président du CAUE d'Indre-et-Loire.
Embargo russe sur les produits alimentaires
M. Antoine Lefèvre . - L'embargo d'un an, pris au début août par la Russie en réaction aux décisions politiques de l'Union européenne, touche particulièrement les filières françaises porcines et bovines mais aussi celles de la pomme de terre et des fruits et légumes frais.
La filière porcine était déjà fortement concernée par la décision de la Russie de suspendre, dès janvier 2014, ses importations de viande de porc en provenance de l'Union européenne, en raison de deux cas de peste porcine africaine détectés sur des sangliers en Lituanie. Cela s'est traduit, selon l'interprofession nationale porcine, par une perte de plus de 10 millions d'euros par semaine.
La filière laitière est touchée et les producteurs de fruits et légumes doivent faire face, depuis quelques jours, à des importations massives, notamment espagnoles et polonaises, à prix bradés.
Déjà durement touchés par la crise et par des perturbations climatiques fortes, les agriculteurs sont en droit d'obtenir une compensation.
Une enveloppe totale de 365 millions d'euros a été débloquée. Quelle part recevront les agriculteurs français ? A-t-elle été ponctionnée sur la réserve de crise de la PAC ? Sur l'enveloppe dite des « recettes additionnelles » ? Le budget de la PAC ne doit pas servir de variable d'ajustement.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Oui, l'embargo russe a des effets importants sur les productions agricoles et alimentaires en Europe. Dès l'été, j'avais contacté mes collègues espagnol, allemand et polonais pour définir une politique commune. On voyait déjà les conséquences sur les pêches et les nectarines... Il fallait régler le problème de manière cohérente, globale, sans quoi la décision d'un pays pouvait mettre les autres pays en difficulté, on l'a vu avec les pommes de Pologne. Retrait de la production en cas d'excédent, soutien à la promotion commerciale et promotion des exportations, voici les trois piliers de notre stratégie commune.
Ce que je souhaite, c'est plus de souplesse sur la gestion des retraits et de leurs prix : la situation d'une filière -porcine, bovine, fruits et légumes- diffère de celle des autres, les interprofessions doivent prendre une plus grande part à la décision.
Enfin, la question budgétaire. Oui, la discussion est en cours. Faut-il prendre l'argent sur les marges de gestion ? Sur le fonds de gestion de crise alors que se pose le problème d'Ebola, voire, comme je l'ai entendu et suis en train de le vérifier, sur les fonds de cohésion ? Samedi, j'irai en Espagne pour en discuter. Ma ligne, c'est plus de cohérence et de subsidiarité. J'ajoute que seule une solution politique à la situation ukrainienne permettra de trouver une issue à la crise.
M. Antoine Lefèvre. - Merci, monsieur le ministre. Je reste néanmoins inquiet sur l'affectation du budget de la PAC. Nous devons régler cette question pour les agriculteurs.
Directive « Nitrates »
Mme Anne Emery-Dumas . - La Commission européenne prévoit d'étendre les zones vulnérables définies par la directive « Nitrates ». Dans celles-ci, des pratiques agricoles particulières sont imposées pour éviter les risques de pollution. Cette révision impactera durement la Nièvre, dans un contexte économique et social déjà très dégradé.
Certaines zones de mon département délaissent déjà l'élevage. Il est à craindre que les nouvelles contraintes liées à un classement en zone vulnérable ne renforcent la dynamique de reconversion vers des activités de grande culture, ce qui va à l'encontre du projet agricole départemental pour 2014-2020. De nouvelles études scientifiques sont nécessaires pour mettre la révision de la directive à l'ordre du jour de l'agenda européen. Dans cette attente, un calendrier réaliste doit être trouvé pour la mise en oeuvre des nouvelles contraintes.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - D'abord, dans l'architecture de la nouvelle PAC, tout a été fait pour préserver l'élevage -dans les limites d'une enveloppe qui est ce qu'elle est. Je rappelle que je ne suis pas le ministre de l'agriculture qui a signé la directive « Nitrates », mais que la parole de la France est engagée.
Arrêtons de dire qu'un classement en zones vulnérables suppose de lourds investissements et du béton ; il y a le stockage en plein champ, la voie de la mutualisation avec la méthanisation, le plan de modernisation à la mise aux normes des élevages.
Enfin, nous travaillons avec l'Inra sur les critères scientifiques d'évaluation du risque d'eutrophisation. Sur la base de ce travail et du retour des préfets, nous négocierons avec la Commission sur des fondements scientifiques solides. Je le répète, classement en zone vulnérable n'implique pas nécessairement de lourds investissements.
Mme Anne Emery-Dumas. - Il faut maintenir l'élevage, notamment dans le bassin allaitant, plutôt que de retourner les terres. On ne revient jamais sur les reconversions...
Avenir du marché d'intérêt national (MIN) de Rungis
Mme Laurence Cohen . - La presse s'est faite l'écho d'une éventuelle cession des parts détenues par l'État au sein de la société anonyme d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de Rungis (Semmaris), en charge de l'exploitation de ce marché, où plus d'1,5 million de tonnes de produits frais sont vendus chaque jour. Depuis que cette privatisation a été évoquée dans la presse, les élus et élues du Val-de-Marne, les professionnels et professionnelles des fruits, des légumes, des volailles et des fleurs sont très inquiets. Plus de 12 000 personnes travaillent au MIN, 100 000 emplois indirects sont concernés.
Hier, un voeu des groupes Front de Gauche et EELV du conseil général du Val-de-Marne a été adopté à l'unanimité contre la privatisation. Les élus se sont prononcés en faveur de la prorogation de la concession de service public jusqu'en 2050 et l'alignement de la convention de gestion de la Semmaris sur la même échéance.
L'État envisage-t-il véritablement de vendre ses parts, soit un tiers du total ? La concession de service public garantit la sécurité alimentaire, qu'il serait dangereux de mettre en péril.
Voyez les conséquences d'une telle décision de cession dans le cas des autoroutes...
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Ce ne sont, en effet, que des rumeurs de presse qui surgissent au moment où la concession arrive à échéance. Je suis très attaché au service public, il s'agit tout de même du plus grand marché alimentaire du monde où se vendent et s'échangent des produits de qualité qui font la fierté de la France. Nous trouverons la bonne formule pour que Rungis et la Semmaris continuent de rendre ce service d'intérêt général et public à l'Ile-de-France et à notre pays.
Mme Laurence Cohen. - Merci, les élus sont eux aussi très attachés au service public et s'inquiètent des pressions exercées par des lobbies, seulement intéressés par la possible récupération des terrains. Dans l'intérêt de nos concitoyens, la solution est de maintenir une participation très forte de l'État. Peut-être ne s'agit-il que de rumeurs. Mais il est important que les élus, les professionnels, les habitants soient correctement informés. C'est cela, la démocratie.
Viticulture dans l'Aude
M. Roland Courteau . - Le 6 juillet, le ciel a fait pleuvoir un véritable cataclysme sur le vignoble de l'Aude alors que notre viticulture se relevait tout juste de six ans de crise. Il y a urgence, beaucoup n'étaient pas assurés. Les conséquences sont lourdes pour 2014 mais aussi pour les années qui viennent du fait de la perte des fonds.
Pouvez-vous faire le point sur les mesures prises ? Dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ; prise en charge des prêts de trésorerie et des intérêts sur les prêts professionnels ; prise en charge des cotisations sociales de la Mutualité sociale agricole (MSA). Concernant ce dernier point, le syndicat des vignerons s'inquiète. L'enveloppe a certes été portée de 15 à 23 millions, mais certains propos tenus au niveau régional ont tempéré l'espoir naissant.
Le monde viticole vous fait confiance, monsieur le ministre, comme il vous fait confiance sur d'autres dossiers, les exonérations de cotisations salariales, les mesures en faveur des exploitants agricoles qui s'engagent à souscrire une assurance climatique ou encore le rétablissement souhaité de l'aide aux moûts concentrés. Il s'inquiète aussi de la réforme du forfait agricole.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Je ne peux pas accepter qu'on casse une MSA dans l'Aude. Non, la MSA ne coûte pas trop cher ! Là où elle n'existe pas, elle est remplacée par un système assurantiel : la facture est plus élevée et les prestations sont moindres.
Des mesures fortes ont été décidées : augmentation de l'enveloppe à 23 millions, ce qui permettra de traiter les besoins des exploitations les plus en difficulté ; les négociations sur les prêts bancaires sont en cours... Les annonces se concrétisent petit à petit ; elles le seront toutes. Ces aides sont nécessaires et légitimes. Sur la question des moûts concentrés, je me suis engagé à reprendre les discussions avec la nouvelle commission. Je serai mobilisé sur ce sujet comme je l'ai été sur les droits de plantation -je chercherai des alliances...
Le contrat « vendange » a été supprimé à la suite de la décision du Conseil constitutionnel de censurer la disposition relative aux exonérations de cotisations salariales. S'y substitue la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu. Pour faire face aux aléas climatiques, nous négocions avec les grandes banques l'élaboration d'un système assurantiel ; nous voulons aussi une mutualisation pour les plus fragiles. Des propositions seront faites d'ici la fin de l'année.
Tous les parlementaires recevront prochainement un document présentant le CICE filière par filière ; pour l'ensemble de la viticulture française, il représente une baisse du coût du travail de près de 344 millions. C'est un potentiel supplémentaire pour aller vers la qualité et l'exportation. Le grand Languedoc-Roussillon a montré l'exemple ces dernières années.
M. Roland Courteau. - Je savais qu'on pouvait faire confiance à notre ministre !
Lutte contre la désertification médicale en Seine-Saint-Denis
M. Gilbert Roger . - De nombreuses maisons médicales s'ouvrent en Seine-Saint-Denis, dont un grand nombre en zone franche urbaine (ZFU). Ces structures bénéficient, pour la plupart, d'un soutien des communes, du conseil général et de l'agence régionale de santé.
Pour les centres médicaux de Seine-Saint-Denis qui ne sont pas implantés en ZFU, il est impossible de résister à une telle concurrence. Le centre médical de Bondy, situé en centre-ville, est délaissé par les médecins libéraux, qui rejoignent la nouvelle structure médicale de Clichy-sous-Bois. Le seul dermatologue du cabinet rejoindra en octobre la maison médicale clichoise. Son non-remplacement fragilise l'équilibre du centre médical bondynois, qui reçoit en moyenne 1 200 patients par semaine. La disparition du centre mettrait en péril l'offre de soins à Bondy. Que compte faire le Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Mme Touraine, retenue ce matin, rappelle que les maisons médicales, dans le cadre du pacte Territoire Santé qu'elle a lancé, sont un outil pour enrayer les déserts médicaux, qui ne riment pas forcément avec faible densité de population. Elles sont passées de 174 à 370 entre 2012 et 2013 ; elles seront 600 à la fin de cette année. Elles répondent tant à l'attente des médecins que des patients. Une seule maison médicale en Seine-Saint-Denis est implantée en ZFU. L'ARS est à la disposition des professionnels et des structures pour envisager des solutions adaptées localement et prévenir d'éventuels effets de relocalisation des professionnels de santé. L'ARS d'Ile-de-France a été alertée de la situation que vous évoquez.
M. Gilbert Roger. - Je veux bien mais déshabiller un centre pour en habiller un autre à quelques kilomètres n'est pas la solution. La ville de Bondy est déjà fragile.
Hépatites B et C
Mme Aline Archimbaud . - Les hépatites B et C ont fait l'objet, depuis 1999, de trois plans nationaux. Elles représentent un problème majeur de santé publique, avec plus de 500 000 personnes touchées en France et près de 4 000 décès chaque année.
La lutte contre les hépatites connaît une révolution avec l'arrivée de traitements mieux tolérés et autorisant des taux de guérison spectaculaires. Mais les prix annoncés par les laboratoires, en particulier Gilead, sont prohibitifs : 60 000 à 80 000 euros pour une cure de trois mois.
De nombreuses associations s'inquiètent de l'accès équitable à ces traitements. Le Gouvernement est en pleine négociation, je le sais. Pouvez-vous me garantir que tous les malades de l'hépatite C auront accès au traitement -une question qui vaut pour cette maladie mais se posera pour d'autres plus tard ? Quelle place pour les malades dans les discussions avec les laboratoires ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Les nouveaux traitements sont plus efficaces, mieux tolérés mais aussi plus coûteux. Notre système de protection sociale remboursant 100 % des frais médicaux dans le cas de ces maladies, les prix pratiqués fragilisent l'assurance maladie. Mme Touraine, très attachée à l'égal accès aux soins comme à l'innovation thérapeutique, cherche, avec ses collègues européens, à faire diminuer les prix. Un mécanisme sera mis en place dans le PLFSS pour 2015, selon lequel les laboratoires, une fois un seuil franchi, devront verser une contribution à l'assurance maladie en fonction de leur chiffre d'affaires. Cette solution, juste et équilibrée, rémunère l'innovation tout en préservant notre sécurité sociale.
Mme Aline Archimbaud. - Un tel mécanisme devra nécessairement être mis en place pour d'autres affections.
Logo Triman
M. Yves Détraigne . - La signalétique commune, dite logo Triman, applicable aux produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs doit être mise en place le 1er janvier 2015 ; du retard est à craindre. En mai 2014, le Gouvernement répondait à une question orale que ladite « signalétique commune de tri [suscitant] des interrogations de la part des entreprises (...), le Gouvernement [continuait] son travail sur le projet de décret ».
Ce projet de décret, envoyé récemment pour consultation au Conseil d'État, est totalement vidé de sa substance : une dématérialisation du logo Triman est envisagée. Lors du débat sur le projet de loi d'habilitation, le Gouvernement avait pourtant soutenu le dispositif initial, avec le soutien de la rapporteure pour avis d'alors -vous, madame la ministre.
Ne peut-on pas revoir ce projet de décret ? Le logo Triman ne doit pas pouvoir être dématérialisé, sauf à perdre toute efficacité.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Je vous prie d'excuser Mme Royal. La signalétique Triman informe le consommateur sur tous les produits à trier, mesure structurante pour améliorer le tri des déchets ménagers, contribuant aux objectifs de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte, au progrès vers de meilleurs gestes de tri. Pour autant, les contraintes ne doivent pas être disproportionnées pour les entreprises.
Le ministère de l'écologie a souhaité apporter de la souplesse au dispositif sans le dénaturer. La signalétique restera commune à toutes les filières de recyclage et à tous les produits recyclables. Il est prévu une communication par l'Ademe pour accompagner le lancement du marquage ; pendant le premier semestre 2015, les contrôles seront à visée pédagogique.
M. Yves Détraigne. - Je comprends qu'il y ait des difficultés à apposer le logo sur certains produits. Mais on n'atteindra l'objectif que s'il est clairement visible sur le produit et que si le consommateur est averti qu'il est recyclable. Je souhaite que la dématérialisation ne soit que l'exception.
Difficultés d'emploi des apprentis mineurs
M. le président. - Une question sur l'apprentissage à laquelle répondra encore Mme Rossignol. Il faut quand même que les ministres s'habituent aussi à venir en personne à la Haute assemblée.
M. Rachel Mazuir . - J'attire l'attention de M. le ministre du travail sur les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour recruter et former leurs apprentis.
La loi du 17 juillet 1992 prévoit que des personnes morales de droit public dont le personnel ne relève pas du droit privé peuvent conclure des contrats d'apprentissage et que ces contrats sont des contrats de droit privé. Ainsi, le département de l'Ain emploie des apprentis qui suivent une formation pratique dans les cuisines de restauration collective des collèges.
Les règles d'hygiène et de sécurité sont celles définies par les livres premier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets d'application. Les apprentis peuvent être amenés à effectuer certaines tâches qui, du fait de leur minorité, leur sont interdites, mais une demande de dérogation peut être présentée à l'inspection du travail. Or, la Direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi, saisie d'une telle demande pour des apprentis mineurs employés par le département de l'Ain, s'est déclarée incompétente. Or, la loi de 1992 considère bien la collectivité territoriale, dans ses relations avec ses apprentis, comme est un employeur de droit commun : l'inspection du travail devrait donc être habilitée à délivrer les dérogations, sauf à créer une inégalité entre collectivité territoriale et employeurs privés.
La loi du 5 mars 2014 ne met pas fin à ce vide juridique. Quelles mesures entend prendre le Gouvernement pour le combler ? La directive européenne du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail a été évoquée pour autoriser les employeurs à évaluer eux-mêmes les risques encourus par leurs apprentis et mettre en place les mesures nécessaires sous le contrôle de l'inspection du travail. Étonnant, l'Europe est plus souple que la France, on fait plus blanc que blanc ! Qu'en pense le Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Le ministre du travail est retenu par une réunion de l'OIT. Ce matin, six ministres se sont succédé au banc du Gouvernement pour répondre à dix-huit questions, ce qui témoigne du respect du Gouvernement pour la Haute assemblée.
Les dispositions de la quatrième partie du code du travail s'appliquent aux Epic et aux EPA mais pas aux collectivités. Elles n'ont donc pas à demander des dérogations, comme la Direccte l'a précisé à bon droit.
Le rapport remis en février par les missions d'inspection sur les freins non financiers au développement de l'apprentissage préconise d'encadrer les conditions d'emploi des apprentis mineurs. Comme annoncé lors de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet, une réflexion sera engagée, qui devra naturellement tenir compte des règles applicables aux employeurs privés.
M. Rachel Mazuir. - Je vous remercie. Je souhaite que cela aille vite.
La séance, suspendue à 10 h 40, reprend à 10 h 50.
Conséquences de l'arrêt du réacteur nucléaire Osiris
M. Michel Berson . - Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche, quand bien même elle concerne également la ministre de la santé.
Le réacteur Osiris, installé à Saclay, devrait être arrêté fin 2015. Il est l'un des huit réacteurs nucléaires au monde à produire un radionucléide utilisé pour des examens médicaux de scintigraphie nécessaires à la détection de tumeurs cancéreuses, de troubles neurologiques ou de pathologies osseuses, cardiaques, rénales ou pulmonaires. Son arrêt programmé risque d'entraîner une pénurie de radio-isotopes indispensables au diagnostic de ces pathologies.
L'Académie des sciences s'en est émue, y voyant un problème majeur de santé publique. Pourquoi le fermer ? Pour des raisons bien compréhensibles de sûreté nucléaire.
En 2008 et 2010, des travaux de rénovation ont été réalisés ; en 2013, le CEA a demandé le report de sa fermeture en 2018, en attendant que le réacteur Jules Horowitz, en cours de construction à Cadarache, prenne le relais. Or les normes de sécurité post-Fukushima risquent de reporter son ouverture à 2020.
Madame la ministre, pouvez-vous confirmer la fermeture fin 2015 du réacteur Osiris ? Comment, alors, satisfaire la demande incontournable de radio-isotopes d'ici à 2018, voire 2020 ? Sur les sept autres réacteurs produisant des radio-isotopes dans le monde, deux seront fermés entre 2014 et 2018. Devant l'inquiétude des professions médicales concernées, quelles est la réponse du Gouvernement ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le réacteur Osiris est utilisé majoritairement pour la production d'électricité, même s'il participe aussi à la production des radioéléments utilisés à des fins médicales.
Lors de la réunion du 9 décembre 2013 du Comité de l'énergie atomique, la décision de fermeture a été prise et, à ma demande, sous deux réserves. Dans son avis, l'Académie de médecine souligne la nécessité d'une continuité des approvisionnements. La mission de l'Igas et de l'IGAER a rappelé qu'Osiris doit être considéré à sa juste place dans la filière d'approvisionnement. Osiris représente 8 % de la capacité de production médicale du technétium 99m. Il est possible d'augmenter temporairement la production d'autres réacteurs. Ainsi, la production d'un réacteur belge peut être doublée. D'ici 2020, il y aura douze réacteurs dans le monde. Il a été décidé que le maintien d'Osiris n'était pas déterminant. Des recommandations ont été édictées pour substituer 90 % de la production actuelle de technétium. De nouvelles pratiques existent déjà, encore peu utilisées. Une circulaire auprès des prescripteurs aidera à les développer. L'investissement consacré ainsi à l'évolution des pratiques professionnelles apparaît bien plus efficace que celui qui eût été nécessaire pour le maintien de la sécurité d'Osiris.
M. Michel Berson. - Merci pour cette réponse circonstanciée, sur le risque qui est devant nous, d'une pénurie de production de radioéléments indispensables à certains examens médicaux. Votre réponse me rassure, car vous évoquez des solutions de substitution, pour tenir jusqu'en 2018, voire 2020. Cependant, le remplacement du technétium 99m n'est pas possible pour 30 % des examens très pointus réalisés aujourd'hui. Ainsi, pour des examens en tomographie par émission de positons (Tep), on pourra apporter peut- être une certaine réponse, mais à un coût très élevé, alors que le parc français de Tep est très insuffisant.
Si le risque sanitaire était avéré, en raison d'une pénurie de radio-isotopes, l'ASN et le comité de l'énergie atomique pourront prendre des mesures appropriées. Le problème demeure donc. Nous sommes en 2014, bientôt 2015 ; il faut tenir jusqu'en 2020.
Stages hors du temps scolaire
M. Henri Tandonnet . - Les entreprises, institutions et organismes accueillant des élèves en stage le font à la condition que ceux-ci soient conventionnés par le proviseur de leur lycée.
Or certains proviseurs refusent de signer de telles conventions pour les périodes de vacances expliquant que les élèves ne sont alors plus sous leur responsabilité juridique.
Chacun est pourtant conscient de l'importance des stages dans le cursus scolaire. Il est essentiel de faciliter l'accès aux stages, notamment pendant les vacances. Il suffirait que le rectorat établisse une convention-type. Les parents sont tous titulaires d'une assurance responsabilité civile qui pourrait être étendue à ce type d'activité, comme elle peut l'être aux activités extrascolaires.
Quelles sont les intentions du Gouvernement pour faire avancer ce dossier et fournir ce type de stages ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je vous prie d'excuser Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui s'est rendue ce matin sur le site d'une école sinistrée avec le ministre de l'intérieur. J'ai défendu la loi du 10 juillet 2014 qui renforce la dimension pédagogique des stages. Pendant leur stage, les lycéens sont sous une double responsabilité. Des conventions-type sont disponibles sur le site Eduscol du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Pour renforcer encore l'accès des jeunes au monde professionnel, chaque élève pourra en 2015 inscrire un stage dans le cadre de son parcours. Il est en effet nécessaire d'améliorer l'accès au stage. L'Onisep a créé une plateforme afin d'informer et d'orienter tous les candidats aux stages. Un pôle stage dans les établissements ou regroupements d'établissements collectera et suivra l'offre de formation dans le bassin d'emploi. Nous avons la ferme volonté de faire en sorte que les stages ne soient pas réservés à ceux dont les parents disposent d'un réseau relationnel. L'État doit constituer le réseau de ceux qui n'en ont pas.
M. Henri Tandonnet. - Merci. La loi représente un progrès indéniable. Dans ma circonscription, je me suis cependant heurté au refus du proviseur du lycée d'Agen quand j'ai voulu accueillir un stagiaire en période de vacances scolaires, alors que j'avais pu le faire sans problème avec un jeune de la région parisienne. J'ai toujours vu les effets bénéfiques des stages. J'espère qu'ils se multiplieront dans les années à venir.
Rythmes scolaires et intercommunalité
M. Hervé Maurey . - Une fois de plus, j'attire l'attention sur les difficultés de mise en place de la réforme des rythmes scolaires, espérant aujourd'hui une réponse qui ne m'a été apportée ni par M. Peillon ni par M. Hamon.
Alors que les communes sont ponctionnées comme jamais, les régles du fonds d'amorçage ne leur permettent pas d'apporter leur aide aux EPCI disposant de la compétence « activités périscolaires ».
Le choix du rectorat d'organiser les consultations sur les nouveaux programmes sur le temps scolaire a posé bien des difficultés d'organisation, tant pour les responsables des transports scolaires que pour les parents.
Je demande le réexamen par vos services du refus opposé dans mon département aux adaptations et dérogations ; la pérennisation du fonds d'amorçage ; la clarification des règles pour que les communes puissent enfin verser leurs subventions aux EPCI ; un bilan de la réforme avant la fin de l'année ; la mise en place des consultations hors du temps scolaire.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le code de l'éducation dispose que l'éducation est un service national. La réforme de l'organisation des temps scolaires est donc bien de la compétence de l'État. Les décrets du 24 janvier 2013 et du 7 mai 2014 ont apporté de la souplesse. L'organisation des activités périscolaires est, elle, une compétence exclusivement communale. Le syndicat intercommunal à vocation scolaire (Sivos) est l'une des modalités d'organisation.
Les EPCI détenteurs de la compétence « activités périscolaires » bénéficient du fonds d'amorçage, pas les Sivos en revanche.
La concertation est permanente entre le ministère et les collectivités territoriales. Il est attentif à la mise en oeuvre souple d'une mesure qui n'a qu'un objectif : la réussite de tous les élèves.
M. Hervé Maurey. - Sur cinq questions, j'ai obtenu une réponse, ce qui n'est pas si mal !
Aujourd'hui, une commune ne peut pas reverser les dotations du fonds d'amorçage à l'EPCI. Vous avez dit que c'est possible, M. Hamon aussi. Les services du ministère de l'intérieur pensent l'inverse. Je souhaite que votre doctrine entre dans les faits.
Sur les autres questions, pas de réponse sur ma demande de réexamen, sur la pérennisation du fonds d'amorçage, sur les consultations hors temps scolaire. Quid d'un vrai bilan de cette mesure supposément si positive pour les élèves ? J'en doute. En tout cas, elle n'est pas supportable par les collectivités.
Avenir des CCI
M. le président. - M. Longuet et moi-même souhaitons la bienvenue à M. Emmanuel Macron. Avec 37 ans de présence parlementaire, nous sommes heureux de vous voir, monsieur le ministre. Nous vous souhaitons une longévité égale à la nôtre ! (Sourires)
M. Daniel Laurent . - Les chambres de commerce et d'industrie (CCI) s'étonnent que le Gouvernement organise un démantèlement de l'économie dans les territoires au moment où il propose aux entreprises un pacte de responsabilité.
Le 24 mai 2014, les présidents des CCI ont pris la décision de suspendre tous leurs travaux en cours avec le Gouvernement. Ils ont décidé de ne plus promouvoir les politiques publiques, en particulier le pacte de responsabilité. Alors que, le 28 mai 2013, le Premier ministre signait, avec le réseau des CCI de France, un pacte de confiance, la baisse des ressources, de l'ordre de 20 % en 2014, l'a érodé.
Ainsi, dans ma région Poitou-Charentes, deux CCI subiraient des prélèvements supplémentaires de plusieurs millions d'euros alors que d'autres demeureraient indemnes.
Le CCI de Rochefort ne pourra plus gérer son centre de formation d'apprentis. L'aéroport de La Rochelle-Ile de Ré, qui accueille 215 000 passagers par an, est menacé. Il en va de même pour les ports de pêche, les palais des congrès, toutes activités qui représentent des emplois, ainsi que pour les services aux entreprises. Les mesures drastiques envisagées en Charente-Maritime entraînent une centaine de suppression d'emplois, 6 000 au niveau national.
Les CCI assurent des missions de service public. Laissez-leur le temps de se réformer. Tout au long de la campagne sénatoriale, nous avons mesuré l'ampleur du désarroi des élus après les baisses de dotations, les réformes, comme celle des rythmes scolaires.
Je ne reviens pas sur les amendements au projet de loi de finances adoptés à l'Assemblée nationale. J'espère qu'une solution satisfaisante sera trouvée pour limiter le déficit budgétaire de l'État tout en permettant aux CCI de mener à bien leur mission déterminante. Quelle est votre vision de l'avenir des CCI ?
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique . - Merci pour votre message d'accueil.
Les CCI ont des missions importantes. Je l'ai rappelé le 19 septembre devant leur assemblée générale. Elles ont un rôle en matière d'apprentissage, de services aux entreprises, d'aménagement du territoire, de pédagogie de notre action économique et nous nous sommes appuyés sur elles pour mettre en place le CICE ou le pacte de responsabilité. Leur rôle n'est donc pas en cause. Néanmoins, l'esprit de responsabilité qui nous anime face à la situation de nos finances publiques doit aussi concerner les CCI, qui ont touché pendant des années des recettes parafiscales largement supérieures à leurs besoins, alimentant leurs fonds de roulement. Il aurait fallu commencer à y mettre bon ordre bien avant. Les fonds de roulement ont fait l'objet de prélèvements, représentant une baisse de 4 % des recettes. La diminution de la taxe pour frais de chambre représente non pas une recette pour le budget de l'État mais une charge en moins pour les entreprises.
Il n'est pas question de la taxe d'apprentissage, ni de l'action relative aux ports, aéroports, parcs d'exposition ou de l'accompagnement des entreprises, etc. Lorsque j'entends la menace de fermer certains CFA en représailles, je réitère mon appel à la responsabilité. Beaucoup peut encore être fait pour diminuer les dépenses des CCI.
Nous avons tenu compte de la réalité locale. Une trentaine de CCI ne seront donc pas concernées. Le Sénat aura à discuter des modalités. Je regrette que les CCI aient préféré le jeu du pire. Les situations locales sont très différentes. Revenons à la concertation. L'effort global ne peut être diminué car il est nécessaire mais on peut modifier sa répartition. Je le répète, le rôle d'intérêt général des CCI est au coeur de notre économie.
M. Daniel Laurent. - Merci pour votre réponse, qui ne satisfera pas les CCI. La crise économique est majeure mais les ressources que vous avez évoquées ont été utilisées par les CCI à bon escient. Dans les territoires ruraux, il faut maintenir des politiques de qualité, de proximité, pour les entreprises, les petits commerces, les collectivités. Merci de nous écouter et de nous entendre, et d'être efficace dans votre décision.
Alignement des cadres d'emplois de catégorie A de la fonction publique territoriale
M. Gérard Longuet . - Merci, monsieur le président, d'avoir rappelé notre longévité respective. Je ne vous en dois pas moins le respect : les électeurs vous ont fait honneur plus souvent qu'à moi. Je me réjouis de la présence de M. Macron dans notre hémicycle. Vous êtes en charge des professions réglementées et la première d'entre elles, dans notre pays, est la fonction publique de l'État, suivie par la fonction publique territoriale. Un ministre de la décentralisation se justifie pleinement -M. Gaudin le sait à Marseille- ; le mouvement s'accompagne de jeux de taquet entre personnels. Ma question, précise, en est un exemple : où en est-on du rapprochement entre attachés territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothécaires territoriaux et attachés d'administration ?
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique . - Mme la ministre de la décentralisation, qui est dans le Loir-et-Cher....
M. Gérard Longuet. - C'est une bonne excuse !
M. Emmanuel Macron, ministre. - ...m'a chargé de cette réponse. Je conviens que la complexité des statuts dans les fonctions publiques est de plus en plus difficile à comprendre. Le décret du 17 décembre 2009 prévoit de porter l'indice brut terminal des attachés territoriaux de conservation à 801 points, à parité avec les attachés d'administration, contre 780 auparavant mais n'a pas créé un nouveau grade d'avancement. La décision d'accorder un grade d'avancement n'a pas été prise, par crainte d'appels d'air. Néanmoins, si les effets de bords sont réels entre fonctions publiques, Mme Lebranchu veut poursuivre les discussions.
M. Gérard Longuet. - J'étais rapporteur du budget de la fonction publique en 1978 ; je m'étais attiré les foudres des syndicats car je proposais alors un service public reposant sur des agences et des opérateurs -j'avais un peu d'avance. Il faut du dialogue, et aussi de la souplesse. Il est normal que les collectivités locales aient une approche différente. J'apprécierai que Metz, par exemple, où le centre Pompidou est une réelle réussite, avec une contribution volontaire des collectivités locales, puisse effectuer ses propres choix sans que cela ne soit ressenti comme une dévalorisation de la fonction publique territoriale par rapport à la fonction publique d'État.
Complexité des normes administratives
M. Jean Boyer . - Monsieur le président, vous présidez cette séance pour la première fois de cette mandature. Votre serviteur intervient, lui, pour la dernière fois. Nul ne choisit le berceau de sa naissance ni le lit de sa mort mais l'homme décide comment il mène sa propre vie. Je veux vous rendre hommage, monsieur Gaudin, vous qui avez surmonté les obstacles grâce à vos qualités humaines. Votre compétence, votre sérieux, votre chaleur inspirent naturellement la confiance.
Les normes devraient être sécurisantes, non dissuasives. Ne lavons pas plus blanc que blanc dans la transposition des directives, au risque de fragiliser notre développement économique. L'ancien agriculteur qui vous parle se désole qu'un escabeau, parce qu'il a trois marches, nécessite un agrément pour être utilisé. Je le disais hier, je le répète aujourd'hui : avec ces normes, ces prescriptions, peut-on vraiment rendre la mobilité à des centenaires et à des personnes handicapées ?
Dans une grande ville, un escalier est emprunté par des milliers de gens mais dans une commune de 120 habitants, à peine dix fois l'an. Les normes ne peuvent être identiques. Tous les gouvernements disent « Simplifions ! » mais on ne voit rien venir.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification . - Dans cette question, qui est la dernière que vous posez, je vois un symbole de votre action de parlementaire. La simplification est une action de long terme, pour réduire le stock, mais aussi le flux de normes.
Le 30 octobre prochain, le Gouvernement présentera une cinquantaine de nouvelles mesures de simplification, après les 114 prises pour les entreprises.
De plus, dès 2015, toute étude d'impact fera l'objet d'une contre-expertise ; il sera prévu un mécanisme automatique de compensation pour les nouvelles charges pesant sur les entreprises. Pour les collectivités, un moratoire est prévu. Concernant les personnes handicapées, Claire-Lise Campion, votre collègue, travaille avec Mme Neuville à simplifier des normes que nous avons héritées du passé. Enfin, nous avons, il est vrai, parfois surtransposé les directives européennes.
Ce travail de simplification est très long. Le Royaume-Uni l'a entamé il y a dix ans. On estime que quinze ans sont nécessaires pour en venir à bout. J'espère que nous irons plus vite !
M. Jean Boyer. - Découvrons nos richesses. Je découvre la vôtre, monsieur le ministre : vous connaissez parfaitement le dossier. Je sais qu'il y a le vouloir et le pouvoir mais vous ne manquez pas de détermination.
Dans notre société tout le monde veut ouvrir un parapluie, même en période de sécheresse : les services de l'État, les maires aussi parfois. Ne faut-il pas une adaptation locale ? C'est encore plus crucial pour les règles européennes.
M. le président. - Monsieur Boyer, vous qui avez pris la décision de nous quitter librement, je veux, à mon tour, vous dire notre respect, notre fidélité et notre reconnaissance. Vous êtes de cette race d'hommes et de femmes politiques, tant décriés aujourd'hui, qui se sont inspirés de cette phrase du philosophe chrétien Etienne Borne : « La politique est partout mais elle n'est pas tout ». Vous avez creusé un sillon, dans la lignée de Marc Sangnier. (Applaudissements)
Déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires
Mme Catherine Procaccia . - La loi organique et la loi du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont introduit l'obligation de publication des déclarations d'intérêts des parlementaires. Ces déclarations ont été rendues publiques le 24 juillet 2014 sur le site internet de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Je suis pour l'open data. En revanche, des formulaires manuscrits simplement scannés sont illisibles et donc inutilisables dans cette perspective. Des milliers de citoyens ont dû effectuer eux-mêmes un travail de saisie dont l'État aurait pu se charger, pour rendre ces données utilisables. Pourquoi en outre faire apparaître les signatures ? Ne doit-on pas protéger les élus, comme les citoyens contre les risques d'usurpation de leur identité ? Flouter les signatures est à la portée d'un gamin de 12 ans !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification . - Le décret du 23 décembre 2013 impose la signature de la déclaration qui, dans la loi d'octobre 2013, n'a pas été considérée comme devant être soustraite au public. Nul risque d'usurpation d'identité ; de nombreux documents publiés, accessibles, comportent la signature de l'élu, ne serait-ce que la profession de foi. Cela dit, dans une logique d'open data, nous devons, en effet, impérativement améliorer la qualité des documents mis en ligne.
Mme Catherine Procaccia. - On a critiqué les parlementaires. Si, au moins, l'administration nous avait envoyé des documents à remplir en ligne, on aurait abouti à un résultat propre.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. - C'est sûr !
Mme Catherine Procaccia. - Le problème des signatures doit être regardé de près - on me renvoie à un décret qui, par nature, échappe aux parlementaires. Des documents signés sont déjà publiés sur internet. Certes. Mais là on rend d'un coup plusieurs centaines de signatures accessibles d'un seul clic. Voyez l'incident qui est arrivé à Mme Najat Vallaud-Belkacem. Les parlementaires sont des citoyens comme les autres, ils ont droit à la même protection.
Système « LAPI »
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - C'est une joie que cette première séance de questions orales présidée par Jean-Claude Gaudin en personne !
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'oppose à l'utilisation du système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), par la ville de Gujan-Mestras. Je ne comprends pas...
Aucun agent ne scrute 24h/24h les vidéos. Le système n'est utilisé que sur réquisition de la gendarmerie ou de la police nationale, en présence d'un agent de police municipale dûment habilité par la préfecture. Seules les forces de l'ordre ont la possibilité d'exploiter ces données.
Les griefs de la Cnil, très péremptoire, ne sont pas fondés. Pour nous, c'est aussi une question financière puisqu'il en a coûté 80 000 euros à la commune. Nous allons contester cette décision de la Cnil.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification . - M. le ministre de l'intérieur vous prie d'excuser son absence. Vous le savez l'article L. 252-1 du code de la sécurité intérieure fixe le cadre. Une communication sera faite aux préfets, aux forces de sécurité et aux communes pour le leur rappeler. Au regard de la loi « informatique et libertés », la Cnil, en toute indépendance, a estimé que le dispositif ne répond pas aux deux exigences de finalité et de proportionnalité. Je comprends votre déception mais cette autorité administrative assume ses missions et le Gouvernement ne peut pas contester ses décisions.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette réponse ne me satisfait pas, pas plus qu'elle ne satisfera les forces de l'ordre. Les collectivités territoriales font de gros efforts sur la vidéosurveillance pour protéger les habitants mais aussi pour épauler policiers et gendarmes. Que la police municipale soit visée par la Cnil, c'est énorme : elle ne fait que mettre ses images à la disposition de la police nationale ! Le législateur devra y mettre bon ordre. Permettez-moi de vous le dire, Monsieur le ministre de la réforme de l'État et de la simplification, il faudrait apporter une réponse plus satisfaisante.
La séance est suspendue à 12 heures 10.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 14 h 30.
Allocution du président du Sénat
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - Notre session est maintenant commencée. La semaine passée, nous avons examiné un texte important sur la lutte contre le terrorisme, nous l'avons adopté. Dans une semaine, nous débuterons l'examen en deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions. Nous voici à la tâche !
Le 28 septembre, c'est une nouvelle majorité que les délégués sénatoriaux ont choisie pour notre Haute assemblée. Pour moi, leur vote est l'expression d'une confiance dans le Sénat. Cette confiance nous oblige tous, sénatrices et sénateurs, majorité comme opposition, car au-delà de nos divergences et de nos parcours, c'est le même constat que nous partageons : il faut relever le Sénat et agir concrètement pour faire vivre le bicamérisme. C'est l'esprit de la feuille de route que je vous propose de suivre ensemble, nous les 348 sénateurs. Elle peut se résumer en un mot : confiance.
Le Sénat est le reflet de nos territoires mais, au-delà, il incarne la Nation, avec ses différences et sa diversité, mais aussi ses valeurs et son unité. La Nation est un tout.
La France doute, la politique est en crise. Notre responsabilité est collective car, quand il s'agit de la France, c'est l'intérêt du pays qui seul doit guider notre action. Ce n'est donc pas l'affaire d'un seul camp mais l'impératif de tous. Majorité et opposition doivent se retrouver sur cet objectif. Nous devons être l'assemblée de l'élan collectif et agir ensemble.
L'opposition est essentielle à la vie d'une démocratie mais elle n'est utile au pays que si elle s'inscrit dans une démarche constructive. Les Français nous observent et ils nous jugeront sur notre capacité à nous mobiliser face à l'ampleur des réformes à accomplir.
Les Français attendent que leurs représentants aient le courage d'assumer des choix, qui peuvent être difficiles, bousculer les clivages partisans, dépasser les seuls rendez-vous électoraux, qui appellent à préférer l'intérêt national.
Nous devons être le lieu de la confiance retrouvée entre élus et citoyens.
Oui, le Sénat doit redonner du sens à la politique, tracer des perspectives d'espoir. Il doit, face aux tentations du repli communautariste, consolider notre pacte républicain et réaffirmer les valeurs de laïcité auxquelles nous sommes attachés.
Nous, sénateurs, nous puisons notre force dans notre ancrage territorial. Nous puisons notre crédibilité nationale à la source de l'expérience locale. Le pouls de la République bat dans nos territoires.
Le quinquennat a changé le rythme de notre démocratie : la Ve République fonctionne autour d'un bloc monolithique : Élysée, Matignon, Assemblée nationale. Ces trois institutions avancent d'un même rythme, dont le tempo est donné par le sommet.
Le seul frein institutionnel à ce rouleau compresseur, c'est le Sénat. Il est le balancier stabilisateur de nos institutions. Il est la voix de la différence car il n'est pas dans le temps du quinquennat. Il permet de prendre en compte, entre deux élections présidentielles, les expressions démocratiques locales. C'est ce que nous avons vécu en mars dernier et le 28 septembre.
Mais notre légitimité démocratique n'est pas limitée à la seule démographie. Nous représentons les Français à travers leur lieu de vie : le territoire. Oui, le Sénat ressemble à la France. Nous sommes même le principal représentant des territoires pauvres en démographie. Sans nous, que pèseraient-ils en termes d'aménagement ou de solidarité budgétaire ? Garant de la cohésion territoriale, le Sénat est un garant de l'unité nationale. Le critère démographique est-il le critère exclusif de représentativité ? La démocratie du nombre et celle du territoire doivent se combiner pour améliorer la représentation du citoyen. (Vifs applaudissements sur les bancs UMP, UCI-UC et RDSE)
Le Sénat représente la ruralité et les espaces urbains et périurbains. Il est l'assemblée des territoires, ceux de métropole et d'outre-mer. Il aura d'ailleurs une responsabilité particulière de souveraineté avec le rendez-vous législatif sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes les porteurs de la diversité territoriale française.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. le président. - Il nous faut donc imaginer ensemble un Sénat qui soit aussi hors les murs. Un Sénat qui aille au-devant des réalités de terrain et dont une part des travaux pourrait se dérouler dans nos départements, nos régions, outre-mer. C'est là aussi que nous sommes attendus, que nous démontrerons la proximité de notre Assemblée avec les Français.
Je souhaite être un président qui rassemble, un président fédérateur de la majorité sénatoriale, attentif à chacune et chacun de ceux qui la composent, mais aussi un président attentif aux droits de l'opposition, à l'écoute de toutes les sénatrices et tous les sénateurs, quel que soit leur engagement.
C'est maintenant qu'il nous faut être imaginatifs et réactifs. Il nous faut être ambitieux pour le Sénat. Nous prouverons l'utilité de notre Assemblée en allant au-devant des difficultés qu'affrontent les Français et les élus territoriaux.
Je pense en premier lieu à l'emploi. Chacun d'entre vous, dans son territoire, dans sa propre famille, est confronté au fléau du chômage. Ce sont nos entreprises qui, enracinées dans nos communes, créent les emplois. Il faut être à leur écoute, alléger leurs contraintes. Je vous ai proposé une nouvelle délégation dédiée aux entreprises. Sa création devrait être à l'ordre du jour d'un prochain Bureau.
Je pense également à l'empilement normatif qui étouffe la créativité, décourage l'initiative dans nos communes et nos départements, pèse sur les finances publiques. Là aussi, je vous ferai des propositions. La France ne peut plus attendre. (Applaudissements au centre et à droite)
L'organisation territoriale va constituer l'un des tout premiers enjeux de nos travaux. Sur ce dossier, le message que je porte est simple : on ne peut pas raisonnablement réformer l'organisation territoriale en ignorant notre Assemblée ! C'est ce que j'ai dit au président de la République lorsque je l'ai rencontré après mon élection à la présidence. Je lui ai fait des propositions pour que nous ayons, nous les sénateurs, les moyens de débattre sereinement et de manière constructive sur les textes territoriaux, dans l'intérêt général de notre pays.
Le Premier ministre, conformément à l'article 50-1 de la Constitution, fera donc une déclaration la semaine prochaine devant notre Assemblée sur la réforme territoriale. Elle sera suivie d'un débat qui précédera l'indispensable deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions.
Le texte sur la nouvelle organisation territoriale de la République que le Sénat devait initialement examiner en novembre sera programmé fin décembre. Nous aurons le temps de travailler sans excès de lenteur ni de vitesse.
C'est cela l'opposition constructive que j'appelle de mes voeux. C'est elle qui devra guider nos rapports avec l'exécutif et l'Assemblée nationale.
Il nous incombera d'apporter à ces textes la « plus-value territoriale » du Sénat. Pour accroître notre aptitude à créer cette plus-value, je vous propose de rétablir, par redéploiement de moyens, des prestations d'expertise et de conseil vous aidant à répondre aux questions des élus locaux qui vous saisissent de leurs problèmes.
Relever le Sénat, c'est donner plus de lisibilité à notre action. Cela passe par une révision de nos méthodes de travail et de nos outils. Je propose de mettre rapidement en place un groupe de travail pluraliste pour faire le bilan des réformes du Règlement de 2009 et 2011 et ouvrir des perspectives. Ce groupe devra réfléchir à un meilleur équilibre entre travail en commission et travail en séance publique, ainsi qu'à une meilleure coordination de nos travaux. Il faut que nous puissions établir des agendas plus cohérents.
Nos actions sur les politiques publiques et la législation doivent être plus compréhensibles pour l'opinion. Il nous faudra imaginer aussi de nouveaux modes de votation pour mieux signaler les modifications que nous aurons apportées. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Jacqueline Gourault. - Bravo.
M. le président. - Une autre mesure pourrait également être mise en oeuvre rapidement, le remplacement des questions cribles thématiques par des questions cribles ministérielles portant sur l'ensemble des politiques publiques conduites par un membre du Gouvernement. J'en ai saisi les présidents de groupes ; ils me feront des propositions.
La Conférence des présidents et le Bureau auront à débattre des préconisations mais c'est au Sénat dans son ensemble qu'il appartiendra de prendre les décisions dès lors qu'il s'agira de modifier notre Règlement.
A l'heure où l'avenir du monde repose sur des forces économiques globalisées, notre rayonnement en Europe doit être une priorité. Cela suppose un dialogue renforcé avec le Parlement européen et les parlements nationaux des autres États membres. L'Europe sera plus puissante si la collaboration franco-allemande est renforcée. (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC et écologistes)
Quant à la parole du Sénat au-delà des frontières européennes, je la porterai avec notre commission des affaires étrangères et nos autres commissions, en m'appuyant sur nos collègues représentant les Français établis hors de France.
Une gouvernance responsable et une bonne gestion collective participent aussi de notre ambition. Nous adapter à ces temps de contraintes est nécessaire. Nous l'avons déjà montré et le montrerons. Je ne laisserai pas caricaturer le Sénat et les sénateurs !
Je vous le dis et je le dis à nos fonctionnaires, à nos collaborateurs et à ceux des groupes politiques : servir le Sénat de la République doit être une fierté. Notre administration, placée sous l'autorité des questeurs et de l'ensemble du Bureau, doit symboliser une fonction publique innovante, exigeante, ouverte sur l'extérieur. La confiance retrouvée de l'opinion implique d'améliorer notre communication institutionnelle.
Le Sénat gagnerait à se doter d'un comité exécutif pluraliste afin de mieux structurer nos actions de communication. Nos travaux devront avoir une résonnance plus importante sur les réseaux sociaux et internet, notamment en valorisant l'open data du Sénat, une avancée remarquable qui doit être mieux connue. Notre action peut emprunter de multiples canaux. Sachons oser !
Nous gagnerons la bataille pour le Sénat par l'écoute du pays, la qualité de nos initiatives et la force de nos idées. Parmi les propositions que nous pouvons avoir, il y aurait, en partenariat avec les professions du droit, une « Fondation de la loi » dont la mission serait pédagogique ; expliquer ce qu'une nouvelle législation change dans l'ordre juridique préexistant. L'image du Sénat doit être le reflet de ce que notre Institution est en réalité. C'est comme cela aussi que nous prouverons son rôle essentiel pour une République apaisée et que nos engagements seront tenus.
Oui, la République a besoin du Sénat. Nous avons une responsabilité en cette période de gros temps politique. Nous devons être rassemblés et ressembler à la France. Nous devons être l'Assemblée de la France qui se sent oubliée mais aussi celle de la France de l'innovation, des créateurs, de l'excellence, des réussites locales.
Le peuple français doit retrouver confiance en ses élus. Nous sommes dépositaires de la légitimité nationale. Les valeurs de la République sont au coeur de mon engagement. Je suis sûr qu'elles sont aussi au coeur de l'engagement de chacun. Le Sénat peut tant apporter à la République ; nous allons ensemble en apporter la preuve. (Mmes et MM. les sénateurs des groupes UMP et UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement ; applaudissements à gauche également)
La séance est suspendue à 14 h 50.
présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente
La séance reprend à 15 heures.
Accord en CMP
Mme la présidente. - La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Débat sur le crédit d'impôt compétitivité emploi
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le bilan du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), à la demande du groupe CRC.
Mme Marie-France Beaufils, au nom du groupe CRC . - Le CICE, entré en vigueur le 1er janvier 2013, fait suite au rapport Gallois. Il visait à restaurer la compétitivité de nos entreprises compte tenu de la dégradation de notre balance commerciale. Ce dispositif est relativement simple : il représente 4 % à l'origine, 6 % aujourd'hui, de la masse salariale, jusqu'à 2,5 Smic. Ce n'est donc pas une exonération de cotisations sociales mais une super niche fiscale qui part du même postulat : le coût du travail serait trop élevé. À aucun moment, on ne s'est interrogé sur le coût du capital : la rémunération des actionnaires et le prix des services financiers et bancaires.
Pour la première fois, l'argent public est ouvertement utilisé pour augmenter les marges des entreprises, sans que l'on ait mesuré les emplois et investissements induits. France Investissements ne recense que les « intentions » d'embauche et d'investissements... En revanche, le Medef, en soutenant le crédit d'impôt, a atteint l'un de ses objectifs. Ce mois-ci, Alternatives économiques nous apprend que les entreprises françaises ont distribué 40,7 milliards d'euros de dividendes, soit 30 % de plus que l'an dernier. Si investissement il y a, c'est pour capter la clientèle des pays dits émergents, et les délocalisations se poursuivent...
Il y a beaucoup de non-dits sur le CICE. Les conclusions du comité de suivi sont éclairantes. Le CICE aurait coûté moins que prévu ? C'est arrêter la lecture à la seule créance d'impôt. N'oublions pas que, sur deux euros de CICE, un euro est financé par des ressources extrabudgétaires. Autrement dit, la moitié de la somme creuse le déficit budgétaire. Sur 17,4 milliards consacrés au financement du CICE, 8 milliards sont financés sur des ressources extrabudgétaires et 3,5 aggravent le déficit.
Un tel coût pour les finances publiques devrait être compensé par des effets avérés. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 19 134 entreprises bénéficient de 242,2 millions de créances du CICE, ce qui représente en moyenne 12 320 euros de crédit d'impôt par entreprise. De l'argent de poche pour beaucoup, un pactole pour les autres. Les projets d'embauche, pourtant, n'augmentent guère. Le constat est le même en Lorraine ou en Bretagne. Les entreprises Gad et Doux ont dû toucher, elle aussi, du CICE...
L'entreprise Radiall, créée par Yvon Gattaz et reprise par son fils Pierre, va bénéficier de plus de 800 millions d'euros de CICE d'ici 2017. La créance pourra être reportée sur les exercices ultérieurs : merveilles de l'optimisation fiscale, qui s'ajoute à la délocalisation des profits !
Pierre Gattaz lui-même a reçu 247 000 euros de dividendes, soit plus que l'impôt payé par son groupe. Fait qui doit être porté à la connaissance du public et que Pierre Gattaz ne mentionne pas sur son site personnel, il a bénéficié d'un crédit d'impôt de 98 800 euros au titre des dividendes perçus.
Les plus grosses entreprises, soit 0,7 % d'entre elles, captent 42,6 % de la créance. Certains, apparemment, apprennent plus vite que d'autre !
Les entreprises touchent en moyenne 1 million d'euros, ce qui leur permet de se conformer aux rigueurs de leurs actionnaires.
Selon le rapport Carrez, le CICE n'a eu qu'un effet avéré : modérer la progression du coût du travail. Ce n'est pas nouveau, le gel du point d'indice dans la fonction publique inspirant les employeurs privés. Depuis plus de vingt ans, tous les efforts portent sur le coût du travail, qui ne constitue pas à lui seul le coût de production. Ce n'est pas ainsi que nous monterons en gamme et deviendrons plus compétitifs !
Le CICE n'est pas réservé aux entreprises exportatrices, loin s'en faut : dans le Centre, les services fiscaux l'ont confirmé à notre commission des finances, les principaux bénéficiaires sont la grande distribution et les entreprises de travail temporaire. Quant à la compétitivité allemande, elle repose sur un dumping social forcené : 20 % des salariés allemands sont embauchés à moins de 5 euros de l'heure. Est-ce cela le modèle qu'on veut nous vendre ? On reconnaît bien là la fameuse « concurrence libre et non faussée » !
Le Trésor prétend que la perte de recettes occasionnée par le CICE sera compensée par une hausse de 0,9 % du PIB et la création de 396 000 emplois d'ici 2017. Cela fait 176 000 euros par emploi ! À ce compte-là, ne vaudrait-il pas mieux créer des emplois publics ? (On approuve sur les bancs du CRC) Martine Aubry, dans Le Journal du Dimanche, semble faire le même diagnostic. (Mme Cécile Cukierman sourit, M. Jean-François Husson maugrée)
Les entreprises utilisent d'abord le CICE pour substituer du capital matériel au capital humain, la machine à l'emploi. Selon l'OFCE, le CICE créera 150 000 emplois en cinq ans et générera 0,1 point de croissance en 2018. Il ne sert en fait qu'à augmenter la rentabilité du capital. À tout le moins, il faudrait des données transparentes sur l'utilisation qui en est faite. Nous, élus, le réclamons bien aux associations auxquelles nous apportons des subventions.
Dans son rapport, M. Carrez ne dit rien d'autre que l'UMP : ici même, un amendement du groupe UMP visait à remplacer le CICE par une baisse des cotisations sociales, c'est-à-dire du salaire socialisé. Dans tous les cas, on cherche à augmenter les profits et à déséquilibrer encore le partage de la valeur ajourée.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Marie-France Beaufils. - J'ai dépassé mon temps de parole...
M. Jean-Claude Gaudin. - Plus qu'Hélène Luc en son temps !
Mme Marie-France Beaufils. - Pas quand même ! (Sourires)
Le CICE ne représente que 1 à 2,5 % de l'emploi privé. Il est temps de rompre avec cette logique d'allégement de fiscalité et de cotisations sociales. L'augmentation de salaires, la qualité de l'investissement productif, la RTT : voilà les objectifs qui devraient guider la politique de l'État vis-à-vis des entreprises. (Applaudissements sur les bancs CRC. M. Collombat applaudit également)
M. Stéphane Ravier . - Ce débat est pertinent, à condition de partir de bases saines et de regarder la réalité économique en face. Pourquoi l'État gaspille-t-il de la ressource fiscale au lieu de financer ses missions régaliennes, à commencer par la sécurité quand les écoles brûlent...
Mme Éliane Assassi. - C'est l'emploi qui brûle !
M. Stéphane Ravier. - ...ou la défense nationale quand la France est engagée aux quatre coins du monde ? (Protestations sur les bancs CRC) Avec le CICE, on paie les pots cassés du sans-frontiérisme bruxellois.
Mme Éliane Assassi. - On vous reconnaît bien là !
M. Stéphane Ravier. - Les entreprises sont confrontées au vent mauvais de la concurrence déloyale d'États qui ne respectent aucune norme fiscale, sociale, environnementale, même syndicale. (Mme Éliane Assassi s'exclame) Loin des 13 milliards d'euros promis, le CICE profite davantage à des emplois non délocalisables. Rien d'étonnant à ce qu'il n'atteigne pas ses objectifs. Le bâtiment continue à perdre des emplois.
Personne ici ne veut faire de la France la Corée du Nord de l'Europe.
Mme Éliane Assassi. - Si, vous !
M. Stéphane Ravier. - En revanche, il convient de protéger nos intérêts économiques, comme le font les grands pays ailleurs qu'en Europe.
M. Roland Courteau. - C'est tout ?
M. Stéphane Ravier. - Je n'avais que trois minutes !
M. Vincent Delahaye . - Depuis décembre 2012, nous n'avons guère eu l'occasion de débattre du CICE en séance publique ; merci au CRC de son initiative. La création de ce crédit d'impôt a été pour le moins confuse : un amendement à 20 milliards d'euros glissé dans une loi financière, c'est du jamais vu. C'est démocratiquement un peu léger.
Le Sénat, dans sa grande sagesse, avait refusé ce dispositif adopté dans la précipitation et sans étude d'impact après avoir écarté d'un revers de main la TVA sociale, pourtant moins coûteuse. Nos critiques d'alors ont été depuis confirmées.
S'il est un peu tôt pour dresser un bilan, le CICE s'est plutôt révélé un outil de conservation de l'emploi dans les grands groupes de service. Une start up, une petite entreprise qui rémunèrent des ingénieurs au-delà de 2,5 Smic sont d'emblée exclues du dispositif. Est-ce en aidant la Poste que la France résoudra son problème de compétitivité ?
D'après le rapport d'information de l'Assemblée nationale, 1,2 million d'entreprises ont perçu 10 milliards d'euros de CICE ; les PME, soit 95 % des entreprises, n'en ont perçu que la moitié. Dans le bâtiment, le crédit d'impôt a renforcé la position des grands groupes par rapport à leurs sous-traitants et aux artisans. Près de 35 % du CICE vont à des secteurs non exposés à la concurrence internationale, comme la restauration ou le spectacle. Dans tous les cas, la créance est sous-employée : 14,8 milliards d'euros de CICE n'auront pas été alloués sur quatre ans. Autant d'efforts demandés aux Français en vain : la hausse de la TVA a bien eu lieu. C'est moins vrai de la fiscalité écologique : on connaît les rebondissements de la taxe poids lourds. Subrepticement, le Gouvernement a donc fait passer une augmentation de TVA pour assainir les finances publiques -après avoir refusé la TVA compétitivité du gouvernement Fillon. Et je ne parle pas de la logique de préfinancement, peu respectueuse du principe de sincérité budgétaire.
Une TVA sociale serait plus efficace : elle serait financée par tous et toutes les entreprises en bénéficieraient ; elle serait moins complexe que le CICE et plus efficace sur l'emploi et la compétitivité puisqu'elle frapperait également les produits importés.
En décourageant les importations, elle enclencherait une logique vertueuse. N'aurait-il pas été plus simple d'étendre la TVA compétitivité plutôt que d'attendre un an pour élaborer le CICE et l'assortir un an plus tard du pacte de responsabilité sans faire le lien entre les deux ?
Tout ce qui va dans le sens du soutien à l'emploi marchand est bon. Malheureusement, le CICE a manqué une partie de sa cible. Louis Gallois plaidait pourtant pour un dispositif simple et efficace pour soutenir l'innovation, la compétitivité, l'emploi industriel. L'effet d'entraînement du CICE a été trop faible.
Le groupe UDI-UC a tenté de l'améliorer en proposant de l'étendre aux indépendants et artisans mais nous continuons de préconiser une TVA sociale. Que M. Valls applique donc cette réforme qu'il disait soutenir naguère ! (Applaudissements au centre et sur les bancs UMP)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat est bienvenu après les travaux du comité de suivi et des députés. Nos collègues communistes ont choisi de l'aborder sous l'angle des dividendes distribués et des profits détournés...
Certes, des entreprises comme La Poste, dont l'État est actionnaire, bénéficient du CICE et pratiquent une politique de distribution de dividendes généreuse mais, à y regarder de plus près, les trois-quarts du CICE bénéficient aux PME et aux ETI. Christian Eckert, alors rapporteur général de l'Assemblée nationale -nous sommes élus du même département-, parlait, il y a un an, « d'effets d'aubaine potentiels et d'effets pervers avérés ». Pour le bâtiment, il a vu juste ; le secteur souffre.
Pour autant, envisageons ce débat sous un angle plus large. Acceptons de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés : une politique de l'offre et de restauration des marges favorable à l'emploi.
Un petit rappel historique -je ne compte plus les bricolages et les improvisations du Gouvernement. Le gouvernement Ayrault, par pure idéologie et -j'oserai le dire- par dogme, avait supprimé la TVA compétitivité, dispositif simple et efficace, avant d'augmenter massivement les prélèvements obligatoires, qui atteignent désormais 56,5 % du PIB. À cause de ce qu'il avait qualifié de « ras-le-bol fiscal », M. Moscovici avait pris conscience des limites de cette politique et enfin lancé une politique de l'offre.
Nos entreprises souffrent en effet d'un déficit de compétitivité. Comme le dit Thomas Piketty lui-même, il n'est ni juste ni efficace de faire reposer à l'excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé. Après avoir perdu un an, vous nous avez proposé avec le CICE un ersatz de la TVA compétitivité, non pas une baisse directe des charges sociales mais un crédit d'impôt... qui compense la hausse des prélèvements subie antérieurement par les entreprises. Quelle complexité, dit le président de la CGPME dans mon département... Une usine à gaz, tant et si bien que la créance est sous-consommée : à peine 5 milliards d'euros en septembre. Pourquoi une telle frilosité ? On me répond d'attendre, que le dispositif est mal connu. Je veux bien vous laisser le bénéfice du doute mais je n'y crois pas. Pour une raison simple : le CICE compense des mesures qui ont conduit à augmenter le coût du travail ; le coût du préfinancement est trop élevé, les entrepreneurs craignent une recrudescence des contrôles fiscaux et sociaux comme ceux auxquels a donné lieu le crédit impôt recherche (CIR).
Si le CICE est une bouffée d'oxygène pour la trésorerie de certains, les marges des entreprises se détériorent : 29,4 % en 2014 contre 29,6 % l'année précédente. L'investissement baisse trimestre après trimestre. Quant à l'emploi, l'inversion de la courbe du chômage, annoncée par le président de la République, ne fait même plus rire. C'est d'abord un carnet de commande garni qui conduit les entreprises à embaucher.
Enfin, le dispositif n'est pas financé à terme. Vous avez repoussé la hausse de la TVA. Cinq ministres ont travaillé sur la fiscalité environnementale, elle est toujours dans les limbes. Reste la maîtrise de la dépense publique... Les 50 milliards de réduction annoncés sur trois ans ne sont pas réalisables. Les chefs d'entreprise demandent d'abord à l'État de se réformer lui-même et de lancer un important programme d'économies.
La politique de l'offre est restée au milieu du gué. Priorité doit être donnée à la restauration des marges, à l'investissement productif, à la création d'emplois. Il ne suffit pas de dire aux entreprises qu'on les aime, il faut leur en donner des preuves.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Jean-François Husson. - Que n'avez-vous suivi les préconisations du rapport Gallois qui prônait une baisse directe et massive des charges ? En 2015, nous aurons trois dispositifs, l'exonération de charges, le CICE et le pacte de responsabilité. Est-ce lisible ? Non. Est-ce cohérent ? Non. Est-ce efficace ? J'en doute. Le CICE restera comme une verrue de ce quinquennat, le symbole de votre échec : c'est encore M. Piketty qui le dit.
M. Roland Courteau. - Tout ce qui est exclusif est insignifiant.
M. Jean-François Husson. - Le CICE ne crée pas un écosystème favorable aux entreprises sur le long terme. Il faut restaurer la confiance : simplifier la vie des entreprises, mettre fin aux normes inutiles et aux contrôles intempestifs, passer des accords pour l'emploi au niveau des branches et des entreprises, relancer l'actionnariat salarié, lancer une politique fiscale favorable à l'investissement, prendre des mesures de flexisécurité sur le marché du travail, engager une véritable réforme de l'État, voilà quels devraient être nos objectifs. Le Lorrain que je suis le sait bien : nos entreprises paient 60 % de plus de prélèvements que leurs homologues allemandes ! Il est temps de redonner confiance à nos entreprises si nous voulons relancer l'investissement et l'emploi. (« Bravo » et applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean Germain . - J'apporterai une tonalité plus favorable. Le rapport Gallois, largement accepté par les entrepreneurs, pointait le manque de compétitivité de nos entreprises et préconisait un allégement du coût du travail. Peu après sa présentation, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annonçait, avec le CICE, un allégement à hauteur de 20 milliards d'euros. L'idée n'était pas de faire un cadeau aux patrons, non ; simplement, il n'est ni juste ni efficace de faire reposer le financement de notre modèle social sur la masse salariale du privé. La particularité de la France par rapport aux autres pays à État social, c'est le poids des cotisations patronales.
La mission de l'Assemblée nationale dresse un bilan globalement positif du dispositif -appropriation rapide par les entreprises, montant des créances conforme aux prévisions, préfinancement en place, utilisation conforme aux objectifs. Je vous renvoie aux pages 95 et suivantes du rapport : les entrepreneurs sont dans l'ensemble satisfaits, même si tout dispositif est perfectible.
Le rapport du comité de suivi éclaire davantage sur le coût du CICE pour nos finances publiques et l'utilisation qui en est faite. La sous-consommation s'explique, entre autres, par l'effet de nouveauté ou le non-recours au dispositif quand le montant attendu est considéré comme trop faible. Cependant, les entreprises ont trois ans pour remplir les papiers. Si le CICE a surtout servi à préserver des emplois plutôt qu'à recruter, l'investissement a un effet indirect sur l'emploi ; le CICE a aussi été utilisé pour l'amélioration des conditions de travail, des dépenses de formation ou de prospection commerciale. Les PME et TPE en ont largement bénéficié car la part de salariés à moins de 2,5 Smic y est plus importante. Ainsi, 39 % de la créance totale va à des entreprises de moins de 50 salariés. Le commerce et l'industrie manufacturière sont les plus grands bénéficiaires du crédit d'impôt relativement à leur poids dans notre PIB ; c'est tant mieux car ils sont les plus exposés à la concurrence internationale. Pour les deux tiers des entreprises concernées, le préfinancement a trouvé sa cible.
Les députés proposent des pistes d'amélioration : plus de pédagogie, plus de suivi avec des comités régionaux -ils seront mis en place rapidement- et des évolutions, dont la création d'un dispositif similaire pour le secteur non lucratif ; à terme, le transfert sur des allégements de charges sociales.
Le CICE est l'un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement. Les patrons de PME y tiennent : 66 % d'entre eux redoutent une éventuelle remise en cause. Ils ont besoin de stabilité, rassurons-les. Toute évolution devra être compatible avec notre engagement à réduire le déficit public. Vous l'aurez compris, je suis de ceux qui pensent du bien du CICE, améliorons-le ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Gattolin . - (M. Jean-Vincent Placé applaudit) Les écologistes s'étaient montrés critiques lors de la création du CICE, sur la forme comme sur le fond. Deux ans plus tard, nos réticences d'alors ne sont pas tout à fait infondées. Nous ne rejetons pas le principe du crédit d'impôt mais des erreurs ont été commises qui doivent être corrigées. La mesure n'a pas été prise des effets éventuellement contreproductifs des politiques appliquées auparavant comme de la complexité du CICE. La hausse de la TVA a eu un effet récessif, ce qui explique en partie que la consommation du CICE n'ait pas atteint les 13 milliards d'euros escomptés. Et cette hausse, non répercutée sur les prix finaux dans bien des secteurs, s'est traduite pour les fournisseurs par une rétractation des marges.
Deuxième erreur, qui découle de la première, le flou sur les finalités du CICE en termes de créations d'emplois. Alors qu'on évoquait 300 000 emplois, puis 150 000, le ministre des finances récuse aujourd'hui le lien direct entre le crédit d'impôt et l'emploi... En outre, le dispositif ne favorise pas l'embauche dans les secteurs les plus qualifiés, qui auraient pourtant bien besoin d'être dynamisés.
De manière générale, nous manquons de visibilité sur la manière dont les entreprises utilisent le CICE. Les écologistes sont, eux, pour des mesures sectorielles. L'État retrouverait son rôle de stratège en engageant la transition écologique que nous appelons tous de nos voeux. Un crédit d'impôt peut y aider mais le CICE est trop complexe. Qu'on ne nous oppose pas l'Europe : elle nous laisse de véritables marges de manoeuvre, d'autant plus qu'il nous revient d'infléchir sa politique à l'heure du renouvellement de la Commission. À nous d'en tirer les conséquences. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. Jean-Vincent Placé. - Bravo !
Mme Laurence Cohen . - Le CICE fait partie du pacte de responsabilité, très largement inspiré du rapport Gallois. Le Sénat l'avait rejeté, il a été réintroduit par l'Assemblée nationale au cours de la navette parlementaire.
Quand 17,5 milliards d'euros sont en jeu en 2015, nous estimons, au groupe CRC, qu'un bilan est nécessaire. Vingt-et-un mois après sa création, le CICE apparaît comme un chèque en blanc accordé aux entreprises, sans contrepartie, alors que la rigueur et l'austérité sont imposées au plus grand nombre. Pourquoi vouloir muscler l'offre alors que la demande est insuffisante ? Après les exonérations Fillon, la niche Copé et j'en passe, voilà la cerise sur un gâteau déjà bien garni -avant la baisse programmée du taux de l'impôt sur les sociétés.
Les entreprises ne seraient pas compétitives à cause de ce qu'on appelle volontiers le coût du travail ? La mission d'information présidée par Mme Demessine l'a montré, les allégements de charges n'ont pas suffi à enrayer la montée du chômage. Et à cause des exonérations successives, non ciblées qui plus est sur les entreprises qui ont les besoins les plus manifestes, notre protection sociale n'est plus financée qu'à hauteur de 60 % par les cotisations. Plus la sécurité sociale est fiscalisée, plus elle est en déficit. Devons-nous poursuivre dans cette voie ?
Le comité de suivi a rendu un rapport bien flou. L'entreprise Mulliez, bien connue dans le Nord, a perçu 127 millions de CICE, ce qui ne l'a pas empêchée de supprimer 300 postes en trois ans. Idem pour PSA, La Poste ou Total, qui vient de perdre brutalement son PDG. Ricoh, dans le Val-de-Marne, annonce la suppression de 328 emplois ; l'entreprise a pourtant touché 1 million d'euros d'argent public. Ces exemples, je le crains, ne sont pas isolés. Comment éviter que le CICE ne finance licenciements et délocalisations ? Air France ou Sanofi ne brillent guère par leur politique de l'emploi. Quelle collectivité s'engagerait aujourd'hui dans une politique de soutien à l'emploi sans contrepartie ?
Le groupe CRC, critique, veut être constructif. Aussi proposons-nous de créer un indice du coût du capital pour inciter au réinvestissement et un observatoire chargé du suivi objectif de l'utilisation du CICE. À quelques jours de l'examen du projet de loi de finances et du PLFSS, ce débat est essentiel : le montant du CICE correspond, peu ou prou, au déficit de la sécurité sociale. Tirons-en ensemble les conclusions qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre-Yves Collombat . - Le CICE devait être le couteau suisse de la relance économique par une amélioration de l'offre, en quelque sorte un outil multifonctions. La publicité était alléchante : compétitivité, investissement, emploi, tout cela grâce à une baisse du coût du travail. Que demander de plus ?
Le rapport du comité de suivi -dont le contenu informatif est sans rapport avec sa longueur- se contente d'une estimation à partir des seules intentions exprimées par les entreprises : investir et recruter. Il constate tout de même que l'impact du CICE sur les prix est rarement avéré. Or en 2013, les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 40 milliards d'euros leurs dividendes -plaçant la France dans le peloton de tête européen tandis qu'elles réduisent leurs investissements. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires. On est loin du fameux théorème selon lequel les bénéfices d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain. Le président Hollande a d'ailleurs dû rappeler aux employeurs leur devoir d'embaucher : nul doute qu'ils seront sensibles à ce conseil paternel ...
En l'absence de demande, une politique de l'offre est vouée à l'échec, disent les experts des Échos, le journal de M. Arnault, première fortune de France. Le comité de suivi dresse le même constat, dans son langage amphigourique : « Ces résultats, bien que ponctuels, confirment que l'affectation du CICE en 2014 dépend fortement de la situation conjoncturelle de l'entreprise ». En clair, la réussite de la politique de l'offre est suspendue à l'apparition de la demande. Comment la faire apparaître ? Voilà la question... L'exemple de La Poste qui aura reçu 300 millions de CICE en 2013 et 357 millions en 2014, fait douter. Certes, ses bénéfices ont augmenté de 30 %, mais elle n'est guère exposée à la concurrence -et continue de supprimer des emplois... Je ne critique pas l'aide publique à La Poste, qui assure des missions de service public et est présente sur tout le territoire, mais quelle cohérence dans la politique menée à son égard ? Elle est ponctionnée de 173 millions sur ses dividendes ! Le CICE se contente d'ajouter une couche de complexité comme l'indique Thomas Piketty. Je conclurai en le citant: « Le rouge est mis. Si le Gouvernement ne fait rien, le CICE restera comme le symbole de l'échec de ce quinquennat. » À moins que ce ne soit la réforme territoriale... Ça, c'est moi qui l'ajoute ! (Rires et applaudissements sur les bancs CRC)
M. Martial Bourquin . - Pour juger de la pertinence d'un dispositif, il faut plus de quatorze mois.
M. Roland Courteau. - En effet !
M. Martial Bourquin. - Nous sommes en pleine montée en charge du dispositif. Premier objectif du CICE : accompagner le tissu économique vers une montée en gamme nécessaire. Deuxième stratégie : priorité aux PME et TPE et à l'industrie.
Dans une économie ouverte, la compétitivité des entreprises ne peut être ignorée. 704 000 entreprises bénéficient de cet allègement dont 400 dans ma commune qui l'ont apprécié. La créance fiscale de septembre 2014 est de 8,7 milliards, on approche des 10,8 milliards prévus. L'an prochain ce seront 18 milliards. En vitesse de croisière, le CICE peut réduire l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne de 50 % : 20 milliards d'euros, soit un point de PIB.
Les grands groupes pourvoyeurs d'emploi en bénéficient, mais aussi de nombreuses PME. Nous aurons à terme des évaluations sur la création et la conservation d'emplois ; pour l'heure, il est un peu tôt.
Il faut drainer le CICE vers l'investissement. Je suis satisfait des intentions affichées par les entreprises en la matière. 19 % des entreprises de l'industrie ont bénéficié du crédit d'impôt ; notre devoir est d'accroître ce taux. Notre appareil productif a quatre fois moins de robots qu'en Allemagne, deux fois moins qu'en Italie. Il faut combler cet écart. Un meilleur ciblage est possible, Bercy n'y est pas fermé. Les partenaires sociaux, les élus doivent se saisir de la question de la montée en gamme. La loi doit aussi prévoir des garde-fous effectifs : des entreprises profitent du crédit d'impôt pour délocaliser et supprimer des emplois....
Le CICE n'est pas le seul levier économique. Le rapport Gallois recommandait trente-cinq mesures pour la compétitivité, comme la réduction des délais de paiement -13 milliards d'euros de retard par an !- l'innovation, les écosystèmes productifs, la simplification administrative.
Depuis trente ans, la France se désindustrialise. Il faut redresser la barre. Nous ne pouvons plus rester les bras ballants. Posons les vrais problèmes et apportons-y les vraies solutions !
Faut-il continuer à mener des politiques déflationnistes quand nous sommes proches de la déflation ? Et pourquoi les revenus des actionnaires sont-ils supérieurs à la croissance ? Voilà deux questions posées par Thomas Piketty qui mériteraient un débat dans notre Assemblée ! (On approuve et applaudit à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - La gauche s'en occupera quand elle sera au pouvoir !
M. Yannick Vaugrenard . - Selon le comité de suivi du CICE, 8,7 milliards d'euros ont été déclarés, 713 000 entreprises ont demandé à en bénéficier ; 30 % sont des PME, 19 % des micro-entreprises. Il est toutefois beaucoup trop tôt pour tirer un bilan définitif : au moment de l'enquête, un quart des entreprises concernées n'avaient pas arrêté leurs comptes. La créance ultime au titre de 2013 ne sera connue qu'en 2017. En outre, il faut attendre les fruits de la baisse des cotisations, soit deux ou trois ans au moins.
L'enquête de l'Insee nous apprend toutefois que 34 % des entreprises du secteur de l'industrie estiment que le CICE leur permettra d'embaucher ; elles sont 48 % dans les services. De même, 58 % des premières et 52 % des secondes comptent investir.
Cette année ne peut être considérée comme véritablement représentative ; des adaptations devront sans doute être envisagées à l'avenir.
Le CICE ne doit pas être détourné de son objectif initial. Les entreprises devraient rembourser les aides versées dès lors que celles-ci visent à augmenter la rémunération des actionnaires ou à délocaliser !
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Yannick Vaugrenard. - J'ai un tel cas dans mon département : la Seita a fermé un site et délocalisé en Pologne. Mais le principe même du CICE n'est pas à mettre en cause du fait du comportant répréhensible de certains. Le CICE a servi aux PME plus qu'aux grands groupes, rappelons-le.
Reste que la conditionnalité des aides aux entreprises est un impératif si nous voulons nous inscrire dans un rapport gagnant-gagnant. La transparence envers les salariés-citoyens sur l'utilisation faite du CICE serait bienvenue.
M. Roland Courteau. - Bonne idée !
M. Yannick Vaugrenard. - Bref, le CICE ne doit pas se faire sans transparence, sans contrôle et sans information des salariés, gages d'une efficacité renforcée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - On ne change pas la société par décret, selon la célèbre formule de Michel Crozier, mais nous devons être attentifs aux évolutions à impulser. En 2012, nous avons hérité d'une industrie abîmée, d'une compétitivité perdue pour beaucoup de nos entreprises. Il fallait aider les entreprises à retrouver des marges et à recréer de l'emploi -car vous savez que notre pays souffre d'un taux élevé de chômage.
M. Jean-François Husson. - Cela ne s'arrange pas !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Certes, mais n'oubliez pas l'état dans lequel vous avez laissé l'éducation nationale ou la justice ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Premier pilier de notre politique : réduire le déficit et assainir les comptes publics. Sous Nicolas Sarkozy, la dette progressait de 5 % par an ; depuis 2012, cette progression n'est plus que de 3 %. La dépense publique a ralenti, tout en restant compatible avec le soutien à l'économie. Nous faisons un effort de 50 milliards d'euros d'économies -impossible de faire plus, 100 milliards réclament certains !, sans casser le modèle républicain. Quant aux collectivités territoriales, l'opposition nous reproche de leur demander une contribution après qu'elle les a privées d'une ressource dynamique en supprimant la taxe professionnelle... Nous avons aussi demandé un effort au réseau consulaire.
Pour restaurer la compétitivité de l'économie, le CICE et le pacte de responsabilité permettent aux entreprises d'embaucher et d'exporter, grâce à une baisse de prélèvements de 40 milliards d'euros d'ici 2017. Parmi les simplifications, les dossiers de paye, les procédures pour répondre aux marchés publics, l'accès à la trésorerie pour les PME et TPI : la BPI leur servira de garant. La loi consommation réduit les délais de paiement, et les contrôles seront renforcés. Rappelons aussi notre politique de soutien au pouvoir d'achat : suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, pour aider les classes modestes et moyennes à consommer. Le déficit du commerce extérieur pénalise notre compétitivité.
Le CICE est dans un premier temps un ballon d'oxygène qui permet à des centaines de milliers d'entreprises de diminuer le coût du travail. Les deux rapports du comité de suivi et de la mission de l'Assemblée nationale vont dans le même sens. La stabilité est indispensable à la confiance. Ces deux rapports démontrent que l'utilisation du CICE est conforme à ses objectifs : soutenir l'investissement et l'emploi. Les entreprises de moins de 50 salariés bénéficient à 39 % du CICE ; c'était bien notre but. Le commerce et l'industrie manufacturière sont les deux secteurs les plus concernés. Dès 2014, le taux sera porté à 6 % de la masse salariale. Le préfinancement va augmenter auprès de la BPI, jusqu'à 7 000 euros. Les indépendants ne sont pas oubliés puisque le pacte de responsabilité prévoit pour eux un allègement de charges de 60 % des cotisations familiales. Il faut s'en féliciter.
Complexe, le CICE ? Vous n'êtes pas allés sur le site internet.
M. Jean-François Husson. - Nous allons sur le terrain !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Moi aussi. J'ai rencontré à la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier les responsables de la CGPME ou encore des chefs d'entreprise à Reims qui ont trouvé le dispositif simple, lisible et réactif ! Le BTP bénéficie de dispositifs particuliers, avec l'extension du PTZ pour la réhabilitation de l'ancien et le crédit d'impôt pour les travaux d'économie énergétique. Les CPER ont été revalorisés en ce qui concerne les infrastructures car nous voulons soutenir les investissements. Il s'agit de rassurer les entreprises pour leur redonner confiance et envie d'investir.
Il aurait fallu d'autres solutions, ai-je entendu ? Qu'a fait la droite sous le précédent quinquennat ? La désindustrialisation de la France ne date pas d'il y a deux ans ! (On renchérit à gauche)
M. Jean-François Husson. - Cela vous ressoude ; manifestement !
M. Alain Chatillon. - La désindustrialisation de la France, elle date de 1980 ;70 000 emplois de moins par an depuis cette date !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Les contrôles fiscaux ? La comparaison avec le CIR est un faux procès : contrairement au CIR, le CICE ne repose pas sur une déclaration fiscale mais sur la masse salariale !
M. Jean-François Husson. - Sinon, c'est un contrôle Urssaf !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Réserver le CICE aux entreprises exportatrices ? Cela n'est pas une bonne idée : leurs sous-traitants doivent pouvoir en bénéficier. Il faut un système souple, lisible pour les entreprises, visible pour nos concitoyens. Le CICE est un levier qui met la compétitivité au service de tous. Nous souhaitons que nos entreprises innovent, investissent et embauchent. Toutes nos mesures visent à redresser le pays, ce sont des mesures pour l'emploi. « La fatalité triomphe dès que l'on croit en elle », disait Simone de Beauvoir. N'y croyons donc pas et mobilisons-nous pour la France ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Éliane Assassi. - Vous ne nous répondez pas !
La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.
Débat sur l'amiante
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante.
Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante . - Merci à l'ensemble des membres du comité de suivi et à Mme David, alors présidente de la commission des affaires sociales, d'avoir mis en place cette structure. Merci au président Milon d'avoir associé la commission à la demande du groupe écologiste pour que ce débat ait lieu.
En 2005, la mission, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et rapportée par MM. Dériot et Godefroy, formulait pas moins de 28 propositions.
Le comité de suivi s'est penché sur l'indemnisation des victimes et les enjeux du désamiantage, en organisant nombre d'auditions et de déplacements. Les pouvoirs publics doivent tirer les leçons du drame de l'amiante et relever le défi du désamiantage. Le nombre de décès par mésothéliome oscillera entre 25 et 30 000 d'ici 2050 ; le nombre de décès par d'autres cancers en lien avec l'amiante entre 50 et 75 000...
L'amiante, dont la dangerosité était connue depuis 1977, n'a été interdite qu'en 1997. Sans jamais empiéter sur les compétences du juge, nous avons fait des propositions pragmatiques. 17 des 28 propositions faites en 2005 ont été mises en oeuvre mais 7 d'entre elles, concernant l'indemnisation des victimes, sont restées lettre morte. L'idée de faire payer les entreprises productrices d'amiante ne fait pas consensus.
Sur le désamiantage, la réglementation est globalement satisfaisante. Un décret de 2011 a consolidé le volet santé publique. Seuls des laboratoires accrédités sont autorisées à effectuer prélèvements et analyses. Le seuil déclencheur des travaux -cinq fibres par litre- n'a pas été modifié. En revanche, le volet relatif à la protection des travailleurs a été modifié par le décret du 4 mars 2012 qui a instauré un contrôle de l'empoussièrement en milieu professionnel selon la méthode Meta et fixé la limite d'exposition à dix fibres par litre au lieu de cent, à compter du 1er juillet 2015. Notre réglementation du travail est ainsi l'une des plus ambitieuses en Europe.
Notre comité pointe un défaut de pilotage, un mauvais repérage, le manque de contrôle de l'État pour assurer la protection des travailleurs et la complexité des règles. Nous avons ainsi présenté trente propositions consensuelles. Nous demandons au Gouvernement de mettre en place une mission temporaire pour remédier aux carences de l'évaluation. Tous les bâtiments construits avant 1997 sont potentiellement concernés, sans compter les équipements industriels ou même les enrobés des routes...
L'Union sociale pour l'habitat évalue à 2,3 milliards hors taxes le surcoût annuel lié à la présence d'amiante dans les logements sociaux collectifs. Or le risque est loin d'être cartographié. Ainsi le ministre de l'éducation nationale n'a pas été informé des conclusions du travail mené par le ministère de l'intérieur sur les établissements scolaires gérés par les collectivités territoriales. Une concertation interministérielle s'impose, c'est une urgence.
Nous proposons la création d'une structure de coordination interministérielle sur le modèle de ce qui est fait pour la sécurité routière. Elle comporterait différents collèges, réunissant les différents acteurs -experts, associations, entre autres- et pourrait à terme étendre son travail à d'autres types de risques.
Le groupe de travail « Amiante et fibres » ne peut pas répondre seul au défi de l'amiante car il n'a pas de pouvoir décisionnel. Une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage s'impose. Les travaux doivent être étalés, pour surmonter « l'Everest financier » ; diverses sources de financement ont été envisagées. Seuls des acteurs de taille suffisante pourront répondre à la demande.
Dommage que l'on ne tire pas les leçons des chantiers passés. Notre déplacement à Jussieu nous a convaincus de la nécessité d'une mission d'appui pour les maîtres d'ouvrages publics. Trop souvent, les donneurs d'ordre se retrouvent seuls. Les hôpitaux ne peuvent pas s'appuyer sur la DGS ; certes, elle finance les gros chantiers comme ceux du CHU de Caen et de Clermont-Ferrand mais elle n'apporte pas d'expertise technique. De facto, les directeurs d'hôpitaux se tournent vers leurs collègues de Clermont-Ferrand pour trouver de l'aide.
Une politique immobilière plus rationnelle est aussi nécessaire. Mieux eût valu acheter puis revendre des locaux transitoires pour l'université de Jussieu, plutôt que d'en louer pour 580 millions d'euros !
Certaines professions sont particulièrement exposées : électriciens, maçons, diagnostiqueurs... Elles doivent être mieux informées. Une plate-forme publique serait utile, qui renverrait vers d'autres sites. Aujourd'hui, l'information sur le désamiantage est trop dispersée. Nous proposons des assises nationales sur l'amiante. La lutte contre les risques liés à l'amiante devrait être déclarée grande cause nationale. Le cadre normatif doit être stabilisé.
Il y a urgence. Nous faisons appel, madame la ministre, à votre sens des responsabilités. (Applaudissements)
Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante . - Le repérage de l'amiante est le maillon faible des chantiers. Seulement 25 % des dossiers de diagnostic amiante ont été réalisés malgré l'obligation réglementaire. L'État doit exercer son rôle de contrôle. Les ARS ne comptent que 16 ETP pour contrôler la présence d'amiante dans les établissements médicaux et médico-sociaux ! Une base de données nationale est également nécessaire : le professeur Claude Got le demandait déjà en 1998.
Le repérage amiante pour les locations, rendu obligatoire par la loi Alur, doit être ambitieux. Tout le monde s'accorde à dire que les diagnostics sont défaillants avec, pour conséquence, l'exposition de la population au risque et la dévalorisation des biens immobiliers. Un avant-projet d'arrêté de 2011 modifiant l'arrêté du 21 novembre 2006 prévoyait une certification et imposait aux diagnostiqueurs un diplôme bac+2 dans le domaine du bâtiment et une expérience professionnelle de cinq ans ; à défaut de diplôme, une expérience de dix ans. Il faut aller plus loin. La norme de repérage amiante doit être étendue aux autres repérages. Le repérage avant travaux doit devenir obligatoire, la proposition de loi sur l'inspection du travail, toujours en attente à l'Assemblée nationale, le prévoit d'ailleurs.
Les mesures proposées peuvent paraître contraignantes mais il y va de la santé publique. (Applaudissements)
M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante . - Mieux protéger les travailleurs contre les risques liés à l'amiante suppose de former les maîtres d'oeuvre et de sensibiliser les professionnels les plus exposés. Les prérogatives des CHSCT doivent être renforcées, de même que les moyens de l'inspection du travail. Les 743 inspecteurs et 1 493 contrôleurs en section d'inspection peuvent-ils assurer sereinement leurs missions ? Un agent de contrôle peut-il vraiment suivre 8 130 salariés ? Il serait utile de créer une cellule nationale d'appui à la direction générale du travail et des cellules régionales dans les Direccte, afin de mieux accompagner les agents et d'élaborer une doctrine cohérente.
Encourageons aussi la coopération systématique avec l'assurance maladie. L'inspection du travail ne doit pas rester seule : chaque ministère doit jouer son rôle. Le comité de suivi plaide pour l'élargissement de l'arrêté à tous les secteurs.
Le dernier axe de notre rapport concerne la protection de la population dans son ensemble. Nous proposons, comme la Haute Autorité de santé, d'abaisser le seuil d'exposition. Il convient aussi de mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l'amiante et d'organiser leur traitement avec les collectivités territoriales.
Quant au suivi post-professionnel des travailleurs exposés à l'amiante, le mécanisme actuel est trop complexe ; il suppose une démarche volontaire des personnes concernées. Certes, il y a eu l'avancée favorisée par le décret du 12 décembre 2013. Mais tous les employeurs publics et privés doivent avoir l'obligation d'informer leurs salariés de leur droit à un suivi post-professionnel.
L'université Pierre-et-Marie-Curie nous a dit avoir du mal à joindre d'anciens collaborateurs en raison de cloisonnements administratifs malvenus.
Le suivi épidémiologique est également essentiel sur tous les anciens sites industriels contaminés : nous appelons de nos voeux l'augmentation des effectifs de l'INVS.
Le chantier est immense. Relevez ce défi, madame la ministre ! (Applaudissements)
Mme Élisabeth Doineau . - L'impact de l'amiante sur la santé est terrible : 3 000 décès par an, soit à peine moins que ceux liés à la route, 9 % des maladies professionnelles mais 76 % des décès induits en 2011. C'est l'un des plus grands scandales sanitaires de la fin du XXe siècle. La France, qui fut l'un de ses plus grands importateurs, n'a interdit l'amiante qu'en 1997. L'Italie l'avait fait dès 1986, suivie par l'Allemagne et la Suisse.
Il faut éviter un nouveau drame lié aux conditions de désamiantage. Le pouvoir de contrôle du Parlement, et tout particulièrement du Sénat, prend ici tout son sens. Voilà de quoi réfuter les arguments sur la fin inévitable du Sénat et son inutilité, qu'on lisait dans la presse à l'occasion des élections sénatoriales.
Après une mission d'information en 2005, un comité de suivi a été constitué en 2013. Il en ressort que 17 des 28 propositions formulées en 2005 ont été appliquées. La réglementation française est bonne, qui s'articule sur deux volets, relevant du code de la santé publique et du code du travail. Ailleurs, seuls les travailleurs et l'environnement sont concernés.
Je me félicite de l'implication de mon groupe, l'UDI-UC, et en particulier du travail accompli par M. Vanlerenberghe. L'excellent rapport de Mme Archimbaud montre bien que des lacunes subsistent, notamment en ce qui concerne l'indemnisation des victimes et l'identification de l'amiante.
Les solutions sont pourtant connues. L'indemnité destinée aux victimes de l'amiante est restée proche du Smic, sans être revalorisée. Les fonds d'indemnisation doivent être dotés d'un financement pérenne dans le PLFSS, comme le demandait la mission d'information il y a neuf ans.
Le système de prévention et de repérage de l'amiante doit aussi être renforcé. Une cartographie complète s'impose, notamment dans les établissements sanitaires et administratifs.
Les diagnostiqueurs, souvent mal formés, sont soumis à des règles trop peu rigoureuses. Pourquoi ne pas imposer aux donneurs d'ordre et propriétaires un repérage systématique avant travaux ?
Je salue la volonté du comité de suivi de ne pas ajouter à l'inflation des normes.
Je suis fière d'avoir participé à ce débat, qui permettra, j'en suis sûre, d'aboutir à des solutions pragmatiques et consensuelles. Tous les acteurs doivent être associés au financement de cette grande cause, y compris les industriels. Prenons conscience de notre intérêt commun à agir. (Applaudissements)
M. Jean-Vincent Placé. - Quel oecuménisme !
M. Jean-Pierre Godefroy . - Au Ier siècle, Pline l'Ancien dénonçait les effets néfastes de l'amiante sur les esclaves. L'utilisation intensive de l'amiante date de la guerre de Sécession, quand, faute de coton, on se mit à en filer. En 1906, le ministère du travail est créé et l'inspecteur du travail Denis Auribault rédige un rapport sur la surmortalité des ouvriers de l'usine de textile de Condé-sur-Noireau, où l'on tisse de l'amiante. Son rapport est classé par l'administration et reste sans suite. Et la région de Condé-sur-Noireau restera « vallée de la mort ». Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que l'on s'attaque au problème.
On évalue le nombre de décès liés à des mésothéliomes à 60 000, voire 100 000 d'ici 2050. Les Français croient souvent que cette catastrophe est derrière eux. Il a fallu de nombreux débats, assez durs, afin d'obtenir réparation pour les victimes. Nous proposions en 2005 l'accès au fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) de tous les salariés exposés à l'amiante. Il était aussi question d'étendre le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) aux fonctionnaires : c'est fait depuis février. En revanche, le Fiva n'est toujours pas doté d'un financement pérenne. L'État, condamné pour faute inexcusable, doit prendre ses responsabilités ! Le suivi post-professionnel doit être généralisé.
Plusieurs questions se posent là encore. L'évolution de la réglementation sur la qualification des diagnostiqueurs et les seuils d'exposition est bienvenue. En revanche, le public reste trop peu sensibilisé aux risques. Le stockage des déchets amiantés est onéreux. Résultat, on voit apparaître des décharges sauvages !
L'information des organisations professionnelles, primordiale, n'exclut pas le renforcement des prérogatives des CHSCT. Des milliers de travailleurs du secteur routier sont exposés à des risques qu'ils ignorent. La réglementation doit être renforcée pour les artisans. L'inspection du travail est en première ligne en matière de prévention. Or les inspecteurs et agents de contrôle sont trop peu nombreux : 8 130 salariés par agent ! Une meilleure coordination est indispensable entre organes de prévention. Le Gouvernement doit aussi revoir les règles relatives à la qualification des diagnostiqueurs, qui doit être exigeante.
Le désamiantage est coûteux. Or l'Union sociale pour l'habitat estime que trois millions de logements de son parc contiennent de l'amiante... Des financements spécifiques sont nécessaires, via le grand emprunt ou les fonds structurels européens. Nous assistons à un choc entre les exigences de protection des personnes et de l'environnement, et la faiblesse des capacités financières des collectivités ou des particuliers. La puissance publique doit exercer son contrôle.
Le drame de l'amiante est le symptôme du manque de scrupules de certains. Espérons que notre débat sera utile. (Applaudissements)
M. Gilbert Barbier . - Qualifié de matériau miracle, l'amiante a été massivement utilisé par l'industrie française malgré des études alarmantes dès les années soixante. Il fait encore partie de notre environnement quotidien et pourrait provoquer jusqu'à 68 000 décès d'ici 2050.
Si la plupart de nos propositions de 2005 ont été mises en oeuvre, reste que, dans certains domaines, les choses n'avancent pas. Ainsi du désamiantage : de nombreux chantiers sont réalisés dans des conditions de sécurité épouvantables. Si rien n'est fait rapidement, une deuxième épidémie pourrait apparaître, Mme Archimbaud l'a bien dit. Nous demandons que le pouvoir des inspecteurs du travail soit renforcé et qu'une campagne exceptionnelle de contrôle soit lancée.
Tout bâtiment construit avant 1997 est susceptible de contenir de l'amiante. Le coût du désamiantage pourrait bien s'élever à plusieurs milliards par an. La ministre du logement a annoncé un prêt dédié, utile mais insuffisant, alors que 3 millions de logements sociaux sont gangrenés par l'amiante. Le désamiantage représenterait un coût de 15 milliards d'euros. Nous sommes loin du compte.
Enfin, j'insisterai sur la veille sanitaire et le suivi post professionnel. Moins d'un salarié sur dix en bénéficie. Il faut y remédier. Nous resterons vigilants, madame la ministre. (Applaudissements)
M. Gérard Dériot . - Je me suis particulièrement mobilisé au sujet de la catastrophe sanitaire due à l'amiante. Aussi je me réjouis de ce débat.
Le rapport de 2005, rédigé dans un esprit consensuel, formulait 28 propositions. Ce consensus est encore perceptible aujourd'hui. Neuf ans après, le travail du comité de suivi est riche d'enseignements. 17 de nos propositions sur la protection des travailleurs ont été mises en oeuvre. En revanche, nos propositions sur l'indemnisation des victimes sont restées lettre morte.
Pour 2015, la branche AT-MP doit contribuer au financement des fonds dédiés à hauteur de 1 073 millions d'euros, un chiffre qui impose de la vigilance mais la solidarité nationale exige l'indemnisation de toutes les victimes, quelle que soit l'origine de leur contamination. La question du financement pérenne des fonds n'a pas été réglée.
La contribution de l'État au Fiva fut nulle en 2013 et 2014. Le projet de loi de finances pour 2015 ne prévoit que 10 millions d'euros. Ce désengagement est préoccupant.
Il est également regrettable que les employeurs directement responsables ne soient pas mis à contribution. Étant donné le délai de latence très long des maladies de l'amiante, lorsqu'elles sont condamnées pour faute inexcusable, leurs entreprises n'existent souvent plus... In fine, la prise en charge du risque professionnel repose sur la collectivité, ce qui n'incite guère à la prévention.
Les salariés victimes d'autres substances chimiques ou d'accidents graves doivent, eux, se contenter d'une indemnisation forfaitaire. On peut donc plaider pour une indemnisation intégrale des maladies et accidents du travail. Celle-ci, il est vrai, coûterait 3 milliards d'euros au seul régime général...
Pour conclure, j'abonde dans le sens du comité de suivi. De nouveaux défis nous attendent : la prévention, le suivi post-professionnel. Merci pour vos propositions, madame la présidente Archimbaud. Face à ce scandale, il y a toujours eu consensus. Continuons de nous rassembler sur ce sujet pour trouver des solutions. À condition que l'État nous accompagne. (Applaudissements)
Mme Marie-Christine Blandin . - « L'État anesthésié par des lobbies de l'amiante », voilà ce que l'on pouvait lire dans le rapport d'investigation du Sénat de 2005, qui recommandait, entre autres, l'interdiction des fibres vitrocéramiques ; le ministre du travail d'alors, Gérard Larcher, les considérait comme cancérigènes et demandait qu'on recensât les produits de substitution. Où en sommes-nous ?
Merci au comité de suivi d'avoir actualisé nos données. Il y a urgence : de nombreux chantiers de désamiantage sont en cours et à venir ; la règlementation relative à la protection de travailleurs est mal suivie ; beaucoup reste à faire pour les riverains et le recyclage des déchets.
Je ferai six propositions. Un, le diagnostic des locaux doit être plus précis et s'accompagner d'un plan des lieux. Coût de l'opération ? Zéro euro pour un décret. Deux, c'est avant les appels d'offre qu'il faut diagnostiquer la présence d'amiante. Coût de l'opération ? Zéro euro. Trois, la formation des salariés doit être renforcée, de même que les contrôles - je pense en particulier à l'emploi d'intérimaires ou de travailleurs étrangers qui signent à l'aveugle la note de mise en garde. Une bonne traçabilité de l'exposition est indispensable ; il faut aussi veiller à ce que les employeurs ne l'utilisent pas pour refuser d'embaucher. Coût ? Zéro euro. Quatre : les contaminations périphériques sont une source d'inquiétude pour les riverains, il faut une bonne information et la mise en oeuvre de toutes les mesures protectrices. Cela a un coût ? Oui, mais on n'aura pas à soigner des malades.
Cinq, il faut une traçabilité des déchets enlevés, le choix du lieu de mise en décharge doit tenir compte des manipulations. Six, nous avons besoin d'une étude indépendante de valorisation de l'amiante vitrifiée. Faute de clarification, de suivi, et de coût acceptable, nous risquons de voir encore des sacs d'amiante « tomber du camion »...
Je pose enfin solennellement la question de l'expertise et des conditions de fabrication et de mise sur le marché des nanomatériaux. Comme l'amiante, ce sont des matériaux à forte pénétration ; comme l'amiante, ils peuvent être inflammatoires et carcinogènes, mais vont beaucoup plus loin dans les tissus, ce qui les rend d'autant plus toxiques. Dans un gramme de nanoparticules, il y a 100 à 1 000 mètres carrés de surface de contact.
L'Europe et la France doivent combler ce non-lieu de l'encadrement sanitaire et de la protection des consommateurs et des salariés.
Mme Touraine, Mme Royal, M. Rebsamen, Mme Pinel auraient aussi bien pu siéger aujourd'hui sur le banc du Gouvernement. Je vous fais confiance, madame la ministre, pour que plus personne ne puisse dire demain qu'il ne savait pas ! (Applaudissements)
Mme Michelle Demessine . - Longtemps louée pour ses qualités et son faible coût, l'amiante a été interdite en 1997. Les industriels en ont usé et abusé dans des secteurs qui faisaient le fleuron de notre industrie, aussi pour construire des faux plafonds ou des appareils électroménagers et prévenir les incendies dans les bâtiments.
L'appât du gain risque ainsi de provoquer 100 000 morts d'ici 2025. La mission de 2005, dont la création avait été demandée par le groupe CRC, a rendu un rapport qui a fait grand bruit. Depuis, nous n'avons cessé d'interpeller les gouvernements successifs. Nous avons activement participé au comité de suivi mis en place par Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales.
L'amiante est responsable de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle ; dans la région Nord-Pas-de-Calais, de sept cancers sur dix d'origine professionnelle. Face à ce constat, il est indispensable de mieux prévenir ce risque. Une plate-forme internet serait un outil formidable, et pas seulement pour l'amiante. Quand plusieurs salariés signalent une maladie professionnelle en travaillant au même poste, on sait qu'il y a danger et le risque est éliminable. L'assurance maladie en a les moyens ; actuellement, les données ne sont pas publiques. Une association a réalisé un tel site à l'échelle du bassin d'emploi de l'étang de Berre. Les résultats sont éclairants : là où le réseau identifie une vingtaine de cancers directement imputables à la cokerie, l'assurance maladie n'en recense aucun.... Se dessine ainsi une cartographie du risque.
Quand 25 millions de tonnes d'amiante se trouvent encore dans les bâtiments en France, l'État doit lancer une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage. Le diagnostic Amiante reste le point noir de notre système. Il faut aussi créer une véritable filière de professionnels du désamiantage, renforcer les moyens de contrôle de l'État.
Enfin, un point sur l'indemnisation des victimes, celles qui ont perdu la vie en essayant de la gagner. L'arrêt du 11 mai 2011 de la Cour de cassation, reconnaissant le préjudice d'anxiété, est une victoire. Néanmoins, l'absence d'une voie individuelle pour accéder à l'ACAATA est regrettable. Idem pour la revalorisation de l'ACAATA -il aurait fallu être plus ambitieux. Nous aurions souhaité qu'elle soit gérée par la sécurité sociale. Le refus d'un employeur de délivrer l'attestation d'exposition devait être sanctionnée. Le rapport a le grand mérite de pointer du doigt les limites de la réglementation et le manque de moyens de l'État.
Je ne peux conclure cette intervention sans rendre hommage aux associations de victimes ; elles défilaient, il y a quelques jours, dans la capitale pour dénoncer ce qu'elles appellent un crime social. Chaque année, un responsable meurt mais, comme dans le Chant des partisans, quand un soldat tombe, un autre se lève à sa place. Une veuve de Dunkerque, dont le mari est mort à 53 ans dans de terribles souffrances, écrivait au président de la République : « ce crime social ne connaît ni coupable ni responsable pénalement. Nous voulons que la justice passe et ne trépasse pas ». (Applaudissements)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - Veuillez excuser l'absence de Mme Touraine. Sachez que votre rapport a déjà été étudié dans plusieurs ministères, dont ceux des affaires sociales, du travail et de l'écologie.
Les maladies liées à l'amiante sont la deuxième cause de maladies professionnelles et la première de décès lié au travail, hors accidents. Nous ne voulons pas réitérer les erreurs du passé. Depuis 2005, la réglementation et la protection des travailleurs a progressé avec la nouvelle méthode de contrôle de l'empoussièrement, la fin de la distinction entre amiante friable et non friable et la généralisation de la certification pour les entreprises intervenantes. Toutes ces mesures font partie du décret de 2012, venu après la réforme de la médecine du travail de 2011. Le décret du 21 mars 2014 portant réforme de l'organisation de l'inspection du travail a créé une unité de contrôle et des référents dans chaque région pour les risques particuliers, dont l'amiante. Le plan Santé au travail 2010-2014 a fait de la protection des travailleurs contre le risque d'amiante une priorité.
Votre comité de suivi formule des propositions concrètes : faire de l'amiante une grande cause nationale, mieux coordonner les acteurs impliqués, structurer une filière du désamiantage, augmenter les crédits de recherche, renforcer les pouvoirs de l'inspection du travail, mieux protéger la population, créer des outils pratiques pour aider les professionnels sur le terrain.
Le Gouvernement propose une feuille de route qui, compte tenu de la transversalité du sujet, sera interministérielle : agir pour l'information de tous, notamment en nouant des partenariats avec les distributeurs de matériels de bricolage ; professionnaliser les acteurs de la filière de désamiantage ; faciliter la mise en oeuvre de la réglementation, par exemple avec un guide des bonnes pratiques en s'inspirant de ce qui a été fait en Rhône-Alpes ou en Pays de Loire ; mieux prendre en compte les problématiques techniques, améliorer la recherche et les méthodes de repérage de l'amiante ; enfin développer les outils de pilotage de l'État. Les travaux de cartographie sont d'ores et déjà engagés.
Le Gouvernement a constamment à l'esprit le sort des victimes de l'amiante. Le président de la République s'est engagé à ouvrir l'accès de la préretraite « amiante » à tous les fonctionnaires ; le décret est en cours de finalisation.
MM. Alain Néri et Jean-Pierre Godefroy. - Très bien !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - Comptez sur notre totale détermination ! (Applaudissements)
Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)
Mme la présidente. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le second alinéa de l'article L. 621-12 du code de commerce (Cessation de paiement d'une société).
La séance est suspendue à 19 heures.
présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Organisme extraparlementaire
M. le président. - M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d'un sénateur pour siéger au sein du Conseil supérieur des programmes. La commission de la culture a été saisie de cette désignation qui aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement du Sénat.
Application de l'article 68 de la Constitution
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 68 de la Constitution.
Discussion générale
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le projet de loi organique, qui porte application de l'article 68 de notre Constitution, a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en janvier 2012. La loi constitutionnelle de janvier 2007 faisait suite à de longs débats sur la responsabilité pénale du chef de l'État. Le constituant a voulu rappeler que le président de la République jouissait d'une irresponsabilité générale pour les actes commis en tant que président et d'une inviolabilité temporaire jusqu'au terme de son mandat. Une exception étant prévue pour le cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».
L'article 68 répond donc à une situation aussi grave que rare. Il va très loin dans la précision : c'est le président de l'Assemblée nationale qui préside la Haute cour de justice ; l'article fixe aussi les délais du vote. La marge de manoeuvre du législateur organique est donc limitée. Le Sénat avait toutefois déposé dès 2009 une proposition de loi organique qui diffère de ce projet de loi, à l'initiative de François Patriat et Robert Badinter, auxquels je rends hommage. Je ne doute pas qu'il soit partagé sur tous les bancs du Sénat.
Dans son rapport, M. Portelli rappelle brillamment les circonstances ayant conduit à l'adoption de l'article 68. Le comité Avril est revenu sur la notion de « haute trahison », trop floue et incomplète. La loi organique prévoyait une commission d'instruction composée de magistrats chargés d'éclairer la Haute cour de justice, chargée de juger le président de la République et de prononcer une sanction pénale. Cette situation était source de confusion. D'où le choix d'une procédure purement parlementaire. Le rapport Hyest sur la révision constitutionnelle éclaire les différents cas de figure. Il n'y a pas de précision sur les « manquements », qui peuvent être de nature privée. Le caractère exceptionnel d'une telle procédure ne fait guère de doute -cela suppose une crise grave qui menacerait la continuité de l'État et la stabilité des institutions, pour citer Philippe Houillon, rapporteur de l'Assemblée nationale.
Le texte précise le déroulé de la constitution de la Haute cour. Il faut une majorité des deux tiers de chaque assemblée pour adopter la résolution constituant la Haute cour, qui se prononce sur la destitution, à la suite d'un rapport d'une commission ad hoc. Nous sommes face à une procédure équilibrée qui concilie la protection du mandat présidentiel et une nécessaire procédure d'exception. La lettre comme l'esprit de l'article 68 sont respectés.
L'Assemblée nationale avait toutefois soulevé la question de la clôture de la session parlementaire qui pouvait faire obstacle à la réunion de la deuxième Assemblée. Le Conseil constitutionnel devra trancher, il faudra sans doute préciser ce point.
Votre commission des lois a adopté la proposition de loi organique sans modification. Si aucun amendement n'était adopté, le texte serait immédiatement soumis au Conseil constitutionnel avant d'être promulgué. Cela serait certes source de satisfaction, sept ans après la loi de 2007. Je regrette toutefois que d'autres dispositions de la proposition de loi Patriat-Badinter n'aient pas été retenues... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois . - S'il est adopté, ce texte mettra fin à un vide juridique qui date de 2001. À cette date, la Cour de cassation avait adopté une interprétation de l'article 68 de la Constitution différente de celle formulée par le Conseil constitutionnel deux ans plus tôt. En 1999, ce dernier avait répondu qu'en vertu d'un privilège de juridiction, le président de la République ne pouvait être jugé, même pour des actes commis en dehors de ses fonctions, que par la Haute cour de justice. Deux ans plus tard, dans l'arrêt Breisacher portant sur l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour de cassation estimait que ces actes relevaient des tribunaux ordinaires mais que le président de la République était inviolable pendant toute la durée de son mandat, point de vue diamétralement opposé à celui du Conseil constitutionnel...
Le président Chirac a alors confié à un comité présidé par Pierre Avril le soin de lui proposer une nouvelle mouture des articles 67 et 68. Il rendit ses conclusions en décembre 2002 ; un projet de loi constitutionnelle fut adopté en conseil des ministres, suivant les analyses de la Cour de cassation : inviolabilité temporaire du président de la République, qui serait jugé par une juridiction différente de la Haute cour de justice d'alors. Celle-ci était une instance mi-politique mi-juridictionnelle. Ce type de juridiction contrevenait à l'article 6 de la Commission européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire le droit à un procès équitable.
Le projet de loi constitutionnelle ne sera voté que quatre ans plus tard. D'où la proposition de loi organique déposée au Sénat en 2009 et votée en 2011. De son côté, l'Assemblée nationale a adopté en 2012 un projet de loi organique intégrant plusieurs amendements issus du texte du Sénat. Cette loi organique, qui fait la synthèse de toutes les dispositions évoquées, est très restreinte, tant l'article 68 est précis dans sa rédaction. La Haute cour devra fonctionner non pas comme une assemblée législative mais comme une assemblée politique, prenant une décision politique : celle de destituer le président de la République qui n'est plus en état d'exercer son mandat. La Commission européenne des droits de l'homme a été saisie en 2011 d'une telle procédure d'impeachment envers le président de la République lituanien ; elle s'est déclarée incompétente, la procédure n'étant pas judiciaire mais politique.
Le texte de la loi organique, très bref, organise la procédure. La commission des lois, saisie, ne peut donner qu'un avis sur le texte et ne peut en aucun cas bloquer son examen par l'Assemblée. Le texte précise les délais et prévoit que la Haute cour fonctionnera comme une Haute cour et non comme une Haute cour de justice. C'est pourquoi la commission des lois l'a adopté à l'unanimité. (Applaudissements au centre et à droite, Mme Esther Benbassa applaudit aussi)
M. Alain Anziani . - Je salue le travail de M. Portelli. Enfin ! Enfin, nous sommes saisis de ce projet de loi organique mettant en oeuvre l'article 68 de la Constitution. Depuis 2001, ce fut le silence. L'origine, c'est un scandale, celui des emplois fictifs de la ville de Paris. On a donc créé une commission. On pouvait craindre, pour reprendre la formule de Clemenceau, que cela fut un moyen d'enterrer l'affaire. Il a fallu patienter sept ans pour voir enfin les prémices de la procédure de destitution. Longue période pendant laquelle nous avons eu un chef de l'État protégé par l'article 67 mais qui n'était pas soumis à la contrepartie de l'article 68. Il pouvait donc faire ce qu'il souhaitait. Drôle de situation : la seule femme française qui ne pouvait divorcer sans le consentement de son mari, rappelait Robert Badinter, c'était la femme du président de la République... « Le roi ne peut mal faire », dit l'adage. De fait, la responsabilité du président de la République ne pourrait être engagée.
Saluons le coup d'accélérateur, dans cette course de lenteur, qu'a été la proposition de loi organique déposée par MM. Patriat et Badinter.
Une majorité ancienne l'avait renvoyée en commission, sans doute pour donner du temps au temps...
M. Jean-Jacques Hyest. - Il y avait le projet de loi !
M. Alain Anziani. - Une autre l'a adoptée, en 2011, avant que l'Assemblée nationale n'adopte, à son tour, le projet de loi enfin déposé par le gouvernement Fillon.
La procédure prévue est strictement encadrée et longue : proposition de résolution signée par un dixième des membres d'une Assemblée, saisine du Bureau qui se prononce sur sa recevabilité, avis de la commission des lois, vote de l'Assemblée, avis de la commission des lois puis vote de l'autre Assemblée, constitution d'une commission ad hoc, avant que la Haute cour ne se prononce...N'est-ce pas trop ?
Regardez la procédure de l'impeachment aux États-Unis : la chambre des représentants met en oeuvre la procédure, le Sénat examine s'il faut y donner suite. L'engagement de la procédure ne nécessite qu'un vote simple, à la majorité ordinaire. La procédure est simple, éminemment protectrice. De fait, aucune des deux n'a abouti, ni contre Andrew Johnson ni contre Bill Clinton.
Est-il vraiment utile que le Bureau de chaque Assemblée renvoie la proposition de résolution devant la commission des lois ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Indispensable !
M. Alain Anziani. - On aurait pu imaginer que l'Assemblée soit directement saisie.
La possibilité pour le président de la République de se faire représenter est surprenante : la Haute cour ne pourra donc pas l'interroger ! Il pourra être le grand absent des débats... On aurait pu être plus audacieux.
Le président destitué pourra se représenter devant le peuple, dans un délai de 35 jours. Il pourra être réélu. Sa réélection permettra-t-elle à la Haute cour de reposer le problème ? Espérons qu'il ne s'agisse que de discussions théoriques...
Ce texte, nous l'avons appelé de nos voeux. Étant d'accord sur son principe, et malgré nos divergences ponctuelles, nous le voterons ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, sur plusieurs bancs au centre et à droite)
Mme Esther Benbassa . - Le statut pénal du président de la République a été bouleversé par la révision constitutionnelle de 2007. L'article 67, d'applicabilité directe, traite de l'irresponsabilité et de l'inviolabilité provisoire du chef de l'État pour les actes étrangers à l'exercice de son mandat. L'article 68 exigeait, lui, une loi organique -qui n'a toujours pas été adoptée, sept ans plus tard. Le déséquilibre était patent.
Selon l'article 67, le président de la République ne peut plus, durant son mandat, être requis de témoigner devant une juridiction non plus que faire l'objet de poursuites. Les écologistes n'adhèrent pas à cette inviolabilité provisoire du chef de l'État ; nous avions d'ailleurs déposé, à l'Assemblée nationale, une proposition de loi constitutionnelle sur ce sujet. L'inviolabilité judiciaire ne protège en rien la dignité de la fonction. Elle risque au contraire de nourrir le soupçon et de conduire à des dénis de justice.
L'article 68 institue une responsabilité politique du président de la République, dissociée de sa responsabilité judiciaire. Son efficacité semble pour le moins douteuse et on peut craindre que la procédure ne soit détournée à des fins politiques.
Aux États-Unis, la procédure d'impeachment a toujours été précédée d'une procédure judiciaire : US versus Nixon ou Clinton versus Jones. La Cour suprême a d'ailleurs démontré l'inanité d'une injusticiabilité présidentielle pour les actes détachables de la fonction.
La procédure de destitution prévue ici est-elle entourée des garanties suffisantes ? Oui : la règle de la majorité des deux tiers de chaque Assemblée, puis du Parlement, suppose un quasi consensus politique. Ce projet de loi organique constitue une avancée notable, nous lui apporterons notre soutien.
Mme Éliane Assassi . - Sept ans et demi après la réunion du Parlement en congrès, le chemin tortueux de la loi organique reprend son cours. Sept ans de réflexion, c'est long. Le citoyen pourra légitimement s'interroger sur les raisons de ce délai. Nicolas Sarkozy a permis, en 2011, l'adoption d'un projet de loi à l'Assemblée nationale -sous la pression du Sénat de gauche. Aujourd'hui, c'est la majorité de droite qui donne le sentiment de forcer la main au président Hollande. Ce texte est très proche de celui de 2011. Il conserve le statut juridictionnel du chef de l'État tel que défini par l'article 68.
Cette procédure de destitution est bien timide, comparée à la procédure d'impeachment des États-Unis où la Chambre des représentants vote à la majorité simple. On peut s'interroger sur le pouvoir accordé au Sénat, élu au suffrage indirect, mis ici sur le même plan que l'Assemblée nationale. Pourquoi la commission des lois intervient-elle ?
Enfin, la constitution de la commission ad hoc pose problème : composée de six membres, elle exclut de fait certains groupes, atteinte grave au pluralisme. Nous déposerons un amendement pour rectifier ce qui s'apparente à une faute démocratique.
Plus généralement, nous regrettons la faible portée de cette procédure face à la gravité de la crise à laquelle elle doit répondre. En voulant souligner la faiblesse politique de l'actuel président de la République, l'UMP met en réalité en exergue l'excès de présidentialisme dans notre pays. La Constitution de 1958 et l'élection du président de la République au suffrage universel direct ont mis ce dernier au centre des institutions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est vrai.
Mme Éliane Assassi. - Les réformes intervenues depuis -extension du champ référendaire, quinquennat, inversion du calendrier- ont renforcé cette tendance. (M. Jacques Mézard le confirme) Exonéré de tout contrôle démocratique, le président de la République élu, véritable monarque, peut s'affranchir des promesses. Il ne peut être mis en cause devant le Parlement. Le pays se trouve en état de campagne électorale permanente. Il est temps de s'interroger sur l'existence même d'un président de la République élu du suffrage universel direct ! (M. Jacques Mézard applaudit)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Cela dépasse l'objet du texte.
Mme Éliane Assassi. - Le temps de son mandat, le président de la République jouit d'un statut semblable à celui des anciens monarques. « La personne du roi est inviolable et sacrée », écrivaient les constituants de 1791...
La destitution à la française est un garde-fou, une responsabilité politique se substitue à la responsabilité juridique. Le groupe CRC, pour sa part, est pour un traitement de droit commun du président de la République pour les actes non liés à sa fonction -nous avons d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
La Constitution de 1958 n'est plus à la hauteur des enjeux face au vrai pouvoir, celui des marchés financiers. La priorité, pour redonner un sens à notre démocratie, est de convoquer l'assemblée constituante pour une VIe République. Les sénateurs du groupe CRC n'approuveront pas ce projet de loi de fin de règne. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jacques Mézard . - Sous la Ve République, le président de la République est un monarque qui ne guérit pas les écrouelles. Avec ce projet de loi se termine la saga de la responsabilité pénale du président de la République. Promesse du président Chirac en mars 2002, elle n'avait toujours pas abouti. Le contexte n'était pas simple, il est vrai... La commission Avril a été créée en juillet 2002 pour proposer un nouveau statut du président de la République, adopté par le constituant en 2007. L'Assemblée nationale a adopté un projet de loi organique -en 2012, après la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2011. Enfin, nous y sommes et notre groupe souhaite qu'il soit mis un point final à cette réforme.
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Nous clarifions à toutes fins utiles les règles procédurales. Le président de la République n'est et ne sera jamais, quoi qu'on en dise, un justiciable ordinaire.
M. Alain Joyandet. - Ça, c'est vrai !
M. Jacques Mézard. - L'élection au suffrage universel direct -que nous avons toujours combattue- et les institutions de 1958 le placent au-dessus des partis, dans un rôle d'arbitre ; la Constitution de 1958 confondait responsabilités politique et juridique en prévoyant une Haute cour de justice chargée de statuer en cas de « haute trahison », notion floue et non définie, assortie d'ailleurs d'aucune sanction. L'immunité juridictionnelle protégeait le mandat et non l'homme. La réforme de 2007 a mis fin à cette imprécision.
La surmédiatisation du politique, dans tous les aspects de sa vie, y compris privée, rendrait toute protection vaine si on laissait à des tiers la possibilité de s'acharner sur lui...
« On ne conduit le peuple qu'en lui montrant un avenir », disait Napoléon Bonaparte. « Un chef est un marchand d'espérance ». L'espérance n'est plus au rendez-vous, à chacun d'en tirer les conclusions...
La procédure a été décrite par les orateurs précédents. Il est toutefois curieux qu'un président destitué puisse continuer de siéger au Conseil constitutionnel... Le RDSE a d'ailleurs rédigé une proposition de loi constitutionnelle réformant la composition du Conseil, pour le rendre plus démocratique.
Nous voterons à l'unanimité ce projet de loi organique, pour mettre un point final à cette histoire. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur plusieurs autres bancs)
M. Michel Mercier . - Je crois rêver. On nous dit que l'histoire a été longue mais rien n'a été fait depuis 2012 ! Qu'est-ce qui empêchait le Gouvernement de faire voter par l'Assemblée nationale le texte voté par le Sénat il y a deux ans s'il était meilleur que ce texte-ci ? Il y a ceux qui parlent de cette réforme, et ceux qui la font...
Le législateur organique a peu de latitude en la matière car l'article 68 est strict. Il dote notre pays d'une procédure moderne de destitution d'un président de la République indigne de poursuivre son mandat. Cette procédure est encadrée, c'est bien normal, car elle ne saurait servir à un harcèlement politique. Elle ne met pas en jeu la responsabilité pénale du chef de l'État, qui pourra être poursuivi devant une juridiction de droit commun une fois destitué. Le Bureau des assemblées voit son rôle réaffirmé, ainsi que la commission des lois dont l'intervention me parait naturelle. La Haute Cour devra se prononcer rapidement : toute manoeuvre dilatoire est écartée. Cette procédure doit rester exceptionnelle pour être conforme à l'esprit de nos institutions. Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs au centre et à droite)
M. Jean-Jacques Hyest . - Rapporteur du projet de loi constitutionnel de 2007, je me réjouis que nous examinions enfin ce projet de loi organique qui met en oeuvre le nouvel article 68. J'ai noté que le président Hollande voulait réformer les articles 67 et 68-1... mais non l'article 68. C'est une satisfaction rare pour moi ! Notre éminent rapporteur, le professeur Portelli, a dit que cette procédure visait le cas où le président de la République ne serait plus en état de poursuivre son mandat. Pas exactement : c'est alors le Conseil constitutionnel qui prononce l'empêchement.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Je parlais du cas où le président de la République n'était plus en état politique d'exercer ses fonctions.
M. Jean-Jacques Hyest. - La commission Avril puis le constituant ont donné raison à la Cour de cassation. Un coup fatal avait été porté à la Haute cour de justice, il fallait y remédier.
Nous avions anticipé ce débat en 2010, grâce à M. Patriat. Si nous avons un temps renvoyé en commission sa proposition de loi organique, c'est uniquement parce qu'un projet de loi avait été déposé.
Le projet de loi organique préserve la dignité de la fonction du chef de l'État. Les conditions de dépôt de la proposition de résolution sont judicieuses.
Que se passe-t-il si le Bureau s'oppose à l'unanimité à l'examen de la proposition ? Renvoyer le texte à la commission des lois est indispensable, même s'il ne s'agit pas de législation.
Il est fait en sorte que le Bureau de la Haute cour, sans être pléthorique, respecte le pluralisme. Pour la première fois, ce principe est élevé au rang organique.
L'ancienne Cour de justice de la République pouvait exceptionnellement siéger à huis-clos, ce n'est pas prévu ici et c'est peut-être dommage.
Bien que la procédure ne revête aucun caractère juridictionnel, le principe du contradictoire est respecté. Le président de la République pourra se faire représenter afin que ses fonctions ne soient pas suspendues.
D'autres propositions de loi auraient pu être inscrites dans cette niche mais il nous a paru important de mettre la dernière main à cette réforme. Nous voterons le texte sans modification. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Sueur . - L'article 68 a substitué à une procédure de mise en accusation une procédure de destitution fondée sur une appréciation politique, rompant ainsi avec un système ambigu qui laissait la Haute cour de justice libre de décider de la sanction de la « haute trahison ». La destitution rend le président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible de procédures de droit commun, comme l'écrivait M. Hyest dans son rapport de 2007.
M. Jean-Jacques Hyest. - Bonne lecture ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Désormais, les parlementaires ne sont plus des juges politiques mais des représentants du peuple prenant une décision politique dans l'intérêt supérieur de la Nation.
L'UMP nous appelle à un vote conforme. Il est vrai que les choses ont beaucoup tardé malgré les efforts du Gouvernement et ceux du Sénat. Cependant, pourquoi le culte du vote conforme ?
Mme Éliane Assassi. - Vous y avez sacrifié aussi.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a des circonstances de toute nature... Il eût été possible d'améliorer ce texte en reprenant certaines dispositions de la proposition de loi organique Patriat-Badinter.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - C'est fait.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pour certaines, pas pour toutes. Ainsi, qu'apporte le passage de la proposition de résolution devant une commission permanente, fût-elle la commission des lois pour laquelle j'ai la plus haute estime ?
Quant à la commission ad hoc chargée d'éclairer la Haute cour, sa composition ne garantit pas la représentation de tous les groupes. Avec la proposition de loi Patriat-Badinter, cette garantie aurait été assurée.
M. Urvoas est souvent bien inspiré, mais pas toujours. Comment un juriste peut-il écrire que la composition de la commission « s'efforce » de reproduire celles des deux Assemblées ? Cette formulation est étrange, et bien peu normative. Il eût été plus simple de prévoir dix représentants de l'Assemblée nationale et dix représentants du Sénat.
Enfin, le président de la République pourra ne pas être entendu par la Cour même si la commission en fait la demande. En de telles circonstances, il serait judicieux qu'il vînt plutôt que de se faire représenter.
Il est dommage de se priver des apports de la proposition de loi Patriat-Badinter, même si nous nous féliciterions que ce dernier texte d'application de la révision constitutionnelle de 2007 fût enfin adopté.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État . - Il est temps d'assurer l'équilibre entre la protection accordée au président de la République et sa responsabilité. Le président Mézard l'a bien dit : dans le très long cheminement de ce texte, les responsabilités sont partagées. En la matière, il était normal que le Parlement reprît la main.
Mme Éliane Assassi. - C'est tout ?
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.
Alinéa 2, dernière phrase
Après le mot :
membres
insérer les mots :
ou par un groupe parlementaire
Mme Éliane Assassi. - La Constitution reconnaît le rôle et les compétences des groupes parlementaires minoritaires, même s'il leur a été refusé le droit de saisir le Conseil constitutionnel alors qu'un simple citoyen peut le faire via une question prioritaire de constitutionnalité. Il serait logique que les groupes puissent déposer une proposition de résolution dans le cadre de l'article 68.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. La commission Avril a repris la procédure prévue pour la Haute cour de justice.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Confier ce rôle aux groupes politiques pourrait donner une fausse idée de ce dont il s'agit : non pas des affaires politiques mais des cas où le fonctionnement des institutions est en jeu. Outre qu'il poserait des problèmes techniques, cet amendement serait un facteur de politisation. Avis défavorable.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
I. - Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Si le Bureau constate que ces conditions sont réunies, la proposition de résolution est inscrite de droit à l'ordre du jour de l'assemblée concernée dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter du dépôt de cette proposition.
II. - Alinéa 4
Remplacer les mots :
des deux dernières phrases de l'avant-dernier alinéa
par les mots :
de l'alinéa précédent
M. Alain Anziani. - Il ne s'agit pas ici de législation, le passage par la commission des lois ne s'impose donc pas.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Le texte initial donnait un droit de veto à la commission des lois, ce qui n'était pas prévu par l'article 68 de la Constitution. Il est normal en revanche que la commission compétente donne son avis.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse. L'amendement accélérerait la procédure mais priverait les Assemblées de l'expertise de leur commission des lois.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 1, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
M. Alain Anziani. - Même objet que le précédent.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Même avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Même avis de sagesse.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le vote des assemblées sur la proposition de résolution tendant la réunion de la Haute Cour fait l'objet d'un scrutin public.
M. Alain Anziani. - Le vote des Assemblées doit se faire par scrutin public afin que chacun assume sa responsabilité.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Le scrutin public est la règle pour les lois organiques. Avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse : il s'agit d'une affaire interne au Sénat.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'article 3 bis est adopté.
ARTICLE 4
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le Bureau organise les conditions du débat et du vote et prend toute décision qu'il juge utile à l'application de l'article 68 de la Constitution.
M. Alain Anziani. - Cet amendement élargit les attributions du Bureau de la Haute cour.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Il est satisfait par le quatrième alinéa de cet article.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Il paraît judicieux de conserver une certaine souplesse. Sagesse enthousiaste. (Rires)
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
ARTICLE 5
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Une commission constituée de vingt membres est chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Ses membres sont élus, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Elle élit parmi ses membres son président et désigne un rapporteur.
M. Alain Anziani. - Amendement d'affirmation du Sénat et de cohérence avec le principe de représentativité politique, ici invoqué. Le Bureau du Sénat n'est pas composé comme celui de l'Assemblée nationale. En outre, la rédaction actuelle ne garantit pas la représentation de tous les groupes.
M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.
Alinéa 1, première phrase
Remplacer les mots :
six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat
par les mots :
dix membres du Bureau de l'Assemblée nationale et de dix membres du Bureau du Sénat
Mme Cécile Cukierman. - L'objet est le même. Le pluralisme ne doit pas être un voeu pieux.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Veillons à l'efficacité et à la rapidité de la procédure. Cet organe n'est pas une commission ordinaire, il devra se prononcer dans des délais très restreints.
En outre, les représentants de l'Assemblée nationale, s'ils admettent le bicamérisme, veillent à ce que les instances paritaires ne soient pas trop pléthoriques.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - L'amendement n°5 répond mieux à l'objectif du pluralisme. Cependant, les arguments du rapporteur s'entendent. Sagesse, puisqu'il s'agit du fonctionnement des Assemblées.
Mme Cécile Cukierman. - Nous voterons l'amendement n°5. Le pluralisme fait-il perdre en efficacité, monsieur le rapporteur ? Nous ne le pensons pas, au contraire ! L'enjeu est ici de taille.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je reste, moi aussi, sur ma faim. Je comprends que vous souhaitiez un vote conforme, monsieur le Rapporteur, mais dire qu'une instance de douze membres est plus efficace qu'une de vingt membres est surprenant. Combien étions-nous cet après-midi à travailler sur les régions ? Une quarantaine.
M. Jean-Jacques Hyest. . - Au début ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Si l'on est attaché au bicamérisme, qu'on nous laisse jouer un rôle dans l'élaboration de ce projet de loi organique !
L'Assemblée nationale a introduit dans la loi un verbe surprenant : on « s'efforcera » de représenter la composition des assemblées. C'est de la législation floue. Notre rédaction assure la représentation de tous les groupes.
M. Jean-Jacques Hyest. - Une CMP comprend sept plus sept membres, tous les groupes n'y sont pas toujours représentés. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait pas débat. Il ne s'agit d'ailleurs ici que d'un travail préalable.
Il existe déjà des textes disant qu'il faut « veiller à » une représentation équilibré du pluralisme.
L'amendement n°5 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°11.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 3, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission.
M. Alain Anziani. - J'en appelle au bon sens. Le président de la République serait mis en cause - on dirait « accusé », « mis en examen » s'il s'agissait d'une procédure juridictionnelle - pour des manquements graves et la commission pourrait être privée du droit de l'entendre ? Il faut un débat franc, pas avec un fantôme du président de la République.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Le président de la République exerce ses fonctions pleinement lorsque la procédure démarre. C'est à lui d'apprécier s'il est utile ou non qu'il soit entendu par la commission. Il peut très bien avoir d'excellentes raisons de ne pas le faire et de préférer envoyer un représentant.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - J'entends votre demande, bien naturelle, monsieur Anziani. Cependant, il est justifié que le président de la République puisse se faire représenter à ce moment de la procédure. Je ne dis pas cela parce qu'il est président mais parce qu'il est en posture d'accusé. Or pourrait aussi craindre que de telles procédures se multiplient mais nous n'avons pas encore, heureusement, ces moeurs politiques. Sagesse.
M. Alain Néri. - Je comprends qu'on veuille conclure rapidement, avec un vote conforme. Mais repousser ces amendements ne participe pas d'une justice sereine et éclairée.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il ne s'agit pas de justice !
M. Alain Néri. - Tous les groupes ne seront pas représentés, ce n'est pas un élément de sérénité. Pour être parfaitement éclairée, la justice doit pouvoir poser des questions. C'est abaisser l'institution que nous sommes en train de créer que de prévoir que le président de la République puisse se faire représenter. Mis en cause, il doit se présenter lui-même devant la commission si celle-ci le souhaite. Je voterai l'amendement.
M. Alain Anziani. - Une proposition de résolution a été jugée recevable par le Bureau de l'Assemblée concernée, votée par les deux tiers de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il y a donc déjà eu une majorité au-delà de la majorité partisane dans les deux chambres. Et on nous dit qu'il pourrait s'agir d'une procédure fantaisiste ? Non, nous sommes dans une procédure sérieuse. Je ne comprends pas qu'on ne puisse entendre celui qui est mis en cause.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Vous parlez de convoquer le président de la République, or le texte de l'amendement est plus ambigu : « le président de la République peut être entendu. » La Constitution interdit toute contrainte par corps sur un président de la République. Quel sens aurait donc votre exigence s'il refusait de se rendre devant la commission ?
M. Alain Anziani. - Entre la demande et la contrainte par corps, il y a une différence !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cet amendement pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Vouloir empêcher le président de la République d'être représenté, c'est le priver d'un moyen de se faire comprendre par la commission. Autant de raisons de rejeter cet amendement.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le rapporteur établit, dans les quinze jours suivant l'adoption de la résolution, un rapport écrit qu'il soumet à la commission. Après approbation de la commission, ce rapport est transmis à la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.
M. Alain Anziani. - Cette rédaction tire les conséquences de la désignation d'un rapporteur au sein de la commission.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. C'est au Bureau de la Haute cour de prévoir ce type de dispositions.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
ARTICLE 6
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 3, première phrase
Supprimer cette phrase.
M. Alain Anziani. - Au Bureau de la Haute cour de fixer le temps des débats.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. La Haute cour n'a que 48 heures pour délibérer : cela suppose de limiter la durée des interventions.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou représenter
M. Alain Anziani. - J'insiste. Rien dans l'article 68 ne laisse place à l'idée que le président de la République puisse ne pas être interrogé personnellement par la Haute cour. C'est ce projet de loi organique qui introduit l'idée qu'il puisse être représenté, que le débat ait lieu entre la Haute cour et Mme ou M. Untel. Imaginons un instant qu'aux États-Unis, les présidents n'aient pas pu être entendus directement lors des procédures d'impeachment ! Une telle procédure n'est pas convenable.
M. Alain Joyandet. - Nous n'allons pas copier les Américains !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - La procédure d'impeachment est une procédure judiciaire : le Sénat, constitué en Haute cour, est alors présidé par le président de la Cour suprême.
Si le président de la République juge qu'il a intérêt à s'exprimer, il le fera. À lui de décider s'il vient ou non en personne, durant tous les débats ou pas. Avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
M. Alain Néri. - Je suis un peu étonné par les propos tenus par le rapporteur. La représentation nationale est là pour défendre l'intérêt du peuple. Le président de la République serait-il au-dessus des autres citoyens ? Si à plus des deux tiers de ses membres la représentation nationale a décidé de saisir cette juridiction, c'est bien que le comportement du chef de l'État posait problème. A-t-on affaire à un monarque républicain ? Pour moi, il n'y a rien de plus haut que la représentation nationale et le suffrage universel.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je remercie M. Néri d'avoir suivi le débat de A à Z : il a tout compris ! On ne peut pas contraindre le président de la République : il y a inviolabilité. Interdire à un président de la République qui serait mis en cause - pas « accusé », nous ne parlons pas ici de procédure judiciaire - de se faire représenter contreviendrait aux droits de la défense.
Merci à M. Anziani d'avoir contribué à éclairer le débat !
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
L'article 7 est adopté.
L'ensemble du projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°3 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 324 |
Contre | 18 |
Le Sénat a définitivement adopté le projet de loi organique.
Prochaine séance demain, mercredi 22 octobre 2014, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 55.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mercredi 22 octobre 2014
Séance publique
De 14 h 30 à 18 h 30
Présidence : M. Hervé Marseille, vice-président
Secrétaires :
M. Claude Dilain - M. Jackie Pierre
Proposition de loi autorisant l'accord local de représentation des communes membres d'une communauté de communes ou d'agglomération (n°782, 2013-2014)
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n°33, 2014-2015)
Texte de la commission (n°34, 2014-2015)
Analyse du scrutin public
Scrutin n° 3 sur l'ensemble du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 68 de la Constitution.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :342
Suffrages exprimés :342
Pour :324
Contre :18
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe UMP (143)
Pour : 143
Groupe socialiste et apparentés (112)
Pour : 112
Groupe UDI-UC (43)
Pour : 43
Groupe CRC (18)
Contre : 18
Groupe du RDSE (13)
Pour : 13
Groupe écologiste (10)
Pour : 10
Sénateurs non-inscrits (9)
Pour : 3
N'ont pas pris part au vote : 6 - MM. Michel Amiel, Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve, MM. Robert Navarro, David Rachline, Stéphane Ravier