SNCF (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme ferroviaire et de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.
Discussion générale commune
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Le 31 octobre 2012, la SNCF célébrait ses 75 ans d'existence. Nous faisions alors le constat d'une crise dans le fonctionnement du système ferroviaire français. Après de terribles accidents comme celui de Brétigny, il y a un an, j'ai annoncé la nécessité d'une vaste réforme de ce système, afin de lui redonner du souffle, de la clarté, de l'efficacité. S'est ensuivie une large concertation, un projet de loi adopté en conseil des ministres le 16 novembre dernier et vivement débattu à l'Assemblée nationale. Je souhaite que la discussion soit aussi riche au Sénat pour adresser un message de confiance en l'avenir, un message ambitieux pour le ferroviaire.
Cette réforme, d'apparence technique, a pour objectifs un service public renforcé, la formation d'un groupe public industriel ferroviaire - vitrine de notre savoir-faire à l'étranger - la mise en place d'un pacte national pour assurer la pérennité financière du nouvel ensemble, d'un cadre social commun et d'une régulation des activités ferroviaires.
Renforcer le service public, c'est assurer la sécurité, la sûreté et la qualité pour répondre aux attentes de nos concitoyens. Nous devons coordonner les différentes autorités régulatrices que sont l'État et les régions.
Ce projet de loi crée des outils qui n'existaient pas jusqu'alors, tel que le Haut Comité ferroviaire. La SNCF seule ne peut décider de la stratégie ferroviaire, le Parlementy sera étroitement associé. Enfin, l'État fixera des objectifs à l'opérateur avec la conclusion de contrats. Je sais pouvoir compter sur le Sénat pour asseoir le poids de la Nation dans le ferroviaire.
Deuxième objectif, créer un gestionnaire de structure unifié et un groupe industriel intégré réunissant la famille cheminote. Là où les activités étaient atomisées, nous avons un grand groupe public puissant structuré autour de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités. Nous en finissons ainsi avec la séparation stérile entre gestion des infrastructures et gestion des services de transport. L'État reprendra la place qui était la sienne dans ce groupe public ; il fixera les objectifs, nommera les dirigeants. Bien sûr, les représentants des régions seront présents au côté de l'État, mais aussi ceux des salariés. Enfin, SNCF Réseau regroupera les missions de gestion des infrastructures de services de transport. Nous mobiliserons ainsi toutes les énergies et faciliterons les mobilités internes.
Troisième axe de la réforme, la conclusion d'un pacte de sauvegarde pour notre réseau. Stoppons l'alourdissement du fardeau de la dette. Les grands travaux ne seront plus financés par Réseau ferré de France (RFF) par l'emprunt. Ces dernières années, l'État s'est déchargé de la réalisation des lignes à grande vitesse sur RFF au détriment de l'entretien du réseau existant et des lignes du quotidien. Vous en connaissez le résultat sur vos territoires, l'École polytechnique de Lausanne avait dressé un constat accablant au moment de mon arrivée. Notre réseau, notre patrimoine, était lesté d'une dette de plus de 40 milliards laissée aux générations futures. Depuis 2002, priorité a été donnée aux transports du quotidien avec le schéma national des infrastructures et le célèbre rapport Duron. Ce plan n'aura de sens que si nous optimisons le savoir-faire des cheminots enfin réunis au sein de la même famille.
Un peu de logique, un peu de responsabilité, l'État ne recevra plus de dividende - ce qui était le cas jusqu'alors. Enfin, nous proposerons une règle de rétablissement des comptes financiers. Contrairement à ce que j'ai entendu ces dernières années, ce pacte ne remet pas en question le statut des salariés - propagande au service de la mobilisation ; son objet est le retour à l'équilibre. Nous aurions pu choisir de reprendre la dette mais cela n'aurait pas eu de sens dans notre situation ; nous créons un nouvel outil, le rapport de suivi financier.
Quatrième volet, le volet social. Là encore, que n'ai-je entendu ! J'entends les cheminots, la France ne saurait s'engager dans une bataille du rail. Avec force et avec conviction, je veux réaffirmer l'importance du dialogue social pour accompagner le changement.
Je salue solennellement l'esprit de responsabilité des organisations représentatives qui ont conclu des accords le 13 juin dernier.
M. Roger Karoutchi. - Ah ! Ah ! Dites-le aux usagers !
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. - N'ironisez pas : je tiens à insister sur l'esprit de responsabilité des syndicats qui s'engagent et signent.
Ces accords comportent des avancées, avec la création de délégués syndicaux centraux, la gestion coordonnée des relations humaines et des parcours au sein de l'Epic de tête, la SNCF. L'avenir du service public passe par un cadre social commun, j'en suis persuadé. Voyez ce qu'il s'est passé après la libéralisation du fret ferroviaire.
Nous ne reproduisons pas les mêmes erreurs, d'abord parce que nous sommes face à un calendrier européen et, ensuite, parce que la défense du service public implique sa modernisation. Je n'ai pas souhaité, et je l'ai dit dès ma prise de fonctions, anticiper l'ouverture à la concurrence, sans que soient posés des garde-fous, des garanties. Ce n'est pas reculer des échéances, mais les préparer au mieux en défendant notre vision. Voilà ce qui me distingue des esprits pétris de libéralisme. (Murmures ironiques à droite et au centre) À mon sens, la véritable manière d'assurer une concurrence véritablement libre et non faussée est l'établissement de ce cadre social commun. La bataille du rail est désormais économique ; elle se joue au niveau européen, vous le savez bien. C'est pourquoi nous devons nous renforcer pour préparer l'avenir.
Cinquième axe, la régulation grâce à un tiers indépendant, indispensable puisqu'il s'agira d'un groupe public, afin de garantir l'accès au réseau et le respect de la trajectoire de redressement. Ce sera l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), renforcée. Un régulateur fort, en effet, constitue la contrepartie d'un groupe public ferroviaire puissant.
Je connais ma responsabilité dans ce débat. La France a une longue histoire ferroviaire avec un train représentant le progrès tout au long du XIXe siècle. Nous voilà devant un nouveau tournant de notre histoire ferroviaire, qui n'appartient pas qu'au passé. L'État doit donner l'impulsion pour penser ensemble les lignes à grande vitesse, les TER, les trains Corail. M. Nègre ne pourra pas le nier, M. Montebourg nous a donné des budgets pour le renouvellement du matériel roulant des trains d'équilibre du territoire ; cela ne s'était pas vu depuis 30 ans. Nous avons lancé les autoroutes ferroviaires, créé un fonds pour que se forme un cluster des acteurs du ferroviaire. Plaçons le ferroviaire face aux défis de son avenir. Il ne s'agit vraiment pas de le mettre hors de son temps !
La France, grande nation ferroviaire, a refusé une vision uniforme, des règles uniques. Ce faisant, elle a retrouvé sa place dans le concert européen en nouant des alliances avec l'Allemagne. En quelque sorte, le défi n'est rien moins que la refondation du ferroviaire. Je suis heureux que nous puissions en discuter de longues heures dans un climat social apaisé. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Teston, rapporteur de la commission du développement durable . - Cette réforme est nécessaire et urgente. Elle est aussi eurocompatible. Comment en parler sans évoquer les discussions en cours sur le quatrième paquet ferroviaire ? Préparons-nous y, sans anticiper des étapes de cette ouverture à la concurrence que, pour ma part, je n'appelle d'ailleurs pas de mes voeux...
Pour cela, il nous faut lever quatre obstacles à commencer par la séparation - unique au monde - de la gestion des infrastructures et des services de transport due à la loi de 1997. Ensuite, une dette colossale de 44 milliards d'euros, dont 37 milliards pour RFF considéré comme une structure de défaisance. La puissance publique allemande avait, elle, repris une partie de la dette de la Deutsche Bahn. Si nous ne faisons rien, la dette de notre système ferroviaire atteindra 70 milliards d'euros en 2025.
Troisième handicap, une insuffisante préparation à l'ouverture à la concurrence. Faute d'un cadre social homogène, Fret SNCF a décliné. L'État n'a pas joué le rôle d'arbitre qui était le sien. Ce texte crée un gestionnaire d'infrastructures unifié, SNCF Réseau. Le gestionnaire d'infrastructures et l'exploitant des services de transport sont rassemblés dans un même groupe. En jargon européen, on parle d'un « groupe verticalement intégré ». En somme, nous créons une holding ferroviaire à la française. Ce modèle, choisi par l'Allemagne, n'avait pas les faveurs de la Commission européenne qui a même voulu l'interdire. Le ministre Cuvillier a rappelé son combat, soutenons-le en votant ce projet de loi.
Le projet offre en outre aux concurrents de la SNCF de réelles garanties d'indépendance dans l'exercice des fonctions essentielles, soit la tarification et l'allocation des sillons.
Ce texte comporte également des mesures fortes destinées à mettre fin à la dérive financière de notre système ferroviaire, dont le pilotage sera renforcé, puisque le projet de loi organise un retour de l'État-stratège. Il reviendra à l'Araf d'assurer la régulation économique du système.
Ce projet instaure un cadre social commun à l'ensemble des salariés de la branche ferroviaire, qui sera élaboré pour l'essentiel par les partenaires sociaux. Un décret-socle établira les règles relatives à la durée du travail, garantissant un haut niveau de sécurité des circulations et assurant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il reviendra à la négociation collective de déterminer les caractéristiques de ce cadre social.
Le texte a été substantiellement complété à l'Assemblée nationale, sous l'impulsion de Gilles Savary, dont je salue la compétence et l'engagement. Notre commission a approuvé les mesures votées par les députés pour renforcer l'information du Parlement à l'article premier, relatif au schéma national des services de transport, à la présentation des contrats passés entre les trois Epic du groupe et l'État au Parlement - en y ajoutant la présence d'un député et d'un sénateur au comité de surveillance de la SNCF.
Aux articles 2 bis A et 2 bis B, nous avons écarté toute perspective de démantèlement du réseau ferré ; les lignes d'intérêt local pourront être rachetées par les régions.
À l'article 2 ter, notre commission a inclus dans le rapport au Parlement l'examen d'une reprise de tout ou partie de la dette par l'État.
M. Louis Nègre. - Bravo !
M. Michel Teston, rapporteur. - Nous avons inscrit, à l'article 4, le principe de la publicité de l'ensemble des propositions, avis et décisions de l'Araf, en conformité avec la directive établissant un espace ferroviaire unique européen.
L'article 5 bis constitue un apport important des députés, il répond aux revendications des régions en leur confiant un rôle de chef de file en matière d'aménagement des gares d'intérêt régional...
M. Roger Karoutchi. - Avec quel argent ?
M. Michel Teston, rapporteur. - ... en autorisant le transfert du matériel roulant et en imposant une présentation comptable séparée des contrats de service TER.
Notre commission a introduit un article 6 bis A pour traiter de la perturbation des installations ferroviaires par les ondes électromagnétiques.
Les députés ont renforcé la sécurité et la sûreté ferroviaires à l'article 6 ter A : sera imposée une remontée des incidents à l'établissement public de sécurité ferroviaire. Cette culture du compte rendu s'impose après le terrible accident de Brétigny-sur-Orge.
L'article 6 ter pose le principe du libre accès des forces de l'ordre aux véhicules ferroviaires, nationaux comme étrangers. À l'article 7, les députés ont systématisé la mobilisation de la Surveillance générale (Suge). L'article 9 bis a été introduit par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale en coordination avec la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF : il prévoit l'audition du président et du vice-président du directoire ainsi que du président du conseil de surveillance, par les commissions parlementaires. Aux articles 10, 11 et 16, les députés ont clarifié les règles de transfert de propriété entre les trois Epic, que nous avons encore améliorées en commission. Quant aux gares de voyageurs, les députés se sont contentés de demander un rapport sur l'impact de leur transfert à SNCF Réseau ou aux autorités organisatrices de transport ; toute décision serait prématurée.
M. Louis Nègre. - Est-ce une réforme, oui ou non ?
M. Michel Teston, rapporteur. - Quant à l'article 11 bis qui transfère à SNCF Réseau les terminaux de marchandises gérés par SNCF Mobilités et appartient à l'État, nous avons adopté en commission une solution de compromis sur la liste qui sert de base à ces transferts, afin d'assurer la pérennité de notre patrimoine ferroviaire.
Nous avons approuvé à l'article 6 l'ouverture aux salariés de RFF du cadre social commun.
Au total, la commission du développement durable a estimé que ce projet de loi fournit des outils pertinents pour renforcer le système ferroviaire et assurer son avenir.
Je souhaite notamment que notre Haute Assemblée manifeste largement son soutien à cette réforme. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Guillaume. - Très bonne intervention.
M. François Patriat, rapporteur pour avis de la commission des finances . - La commission des finances s'est saisie pour avis compte tenu de l'endettement préoccupant du système ferroviaire de 37 milliards d'euros, qui est en partie public. Il faut le maintenir, le stabiliser, à terme le réduire.
L'unification constitue une première étape. RFF doit lever des fonds pour financer quatre lignes nouvelles. D'ici dix ans, il faudra investir 15 milliards d'euros. L'unification de l'infrastructure est une amélioration fondamentale.
L'équilibre financier repose aussi sur la réalisation d'un plan de performance du nouvel opérateur. L'objectif de stabilisation de la dette à dix ans est ambitieux, nul ne le conteste.
L'Araf est un premier garde-fou, pour veiller à la bonne régulation et donner un avis sur le budget. Deuxième garde-fou : la règle d'or qui évitera que la SNCF s'endette plus que de raison. Ce sont les commanditaires des nouvelles lignes qui assumeront la charge de l'endettement qu'elles impliquent.
La commission des finances a estimé que le scénario retenu est soumis à des aléas, dont le premier concerne les ressources de SNCF Réseau. L'environnement économique sera déterminant pour assurer leur dynamisme. Le deuxième aléa est lié, comme pour tous les emprunteurs, à l'évolution des taux. Dix pour cent de gain de productivité est un objectif atteignable.
La question de la reprise de tout ou partie de la dette de l'État est posée. Il n'a pas paru souhaitable à la commission des finances que l'État reprenne la dette de la SNCF, qui est peu risquée. Outre qu'une telle reprise pèserait sur notre déficit maastrichtien, le poids de la dette est un élément déterminant pour pousser le réseau à se moderniser.
Le réseau est trop grand et pourrait être rationnalisé. La commission Mobilité 21 a établi que nous devions faire des choix.
La commission des finances a émis un avis favorable aux articles premier, 2, 2 ter, 4 et 5 dont elle s'est saisie. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)